Texte intégral
Madame la Préfète,
Monsieur le Député-Maire, cher Alain Claeys,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs,
Il y a soixante-dix ans, Poitiers se libérait du joug de l'occupant.
Ainsi s'accomplissait, après les débarquements de Normandie et de Provence, après la libération de Paris et celle de tant d'autres villes, une nouvelle étape de la libération de la France.
Nous voici aujourd'hui rassemblés pour rendre hommage à ceux qui se sont alors battus pour leur pays et pour leur ville, à ceux qui ont pris une part décisive au combat national.
Pour nous souvenir, aussi, des souffrances endurées par les habitants de Poitiers, pendant quatre longues années d'occupation.
Lorsque, le 23 juin 1940, la Wehrmacht entre dans la ville, après les bombardements meurtriers des 19 et 21 juin, Poitiers n'a pas connu un tel drame depuis quatre siècles depuis les guerres de religion et leur cortège de divisions et de tragédies. Ni le feu, ni le sang, ni la honte d'une occupation ennemie, pendant longtemps Poitiers n'a rien connu de tout cela, jusqu'à ces tristes jours de juin 40.
Pour son malheur, la ville est hautement stratégique aux yeux de l'occupant. Importante ville de garnison, carrefour routier et ferroviaire, elle présente en plus l'intérêt d'être assez près de la ligne de démarcation : elle sera donc un point de contrôle, une sorte de verrou entre zone occupée et zone libre.
Les administrations et les services allemands ne tardent donc pas à l'envahir. La physionomie de ses quartiers s'en trouve brutalement transformée, les rues les plus familières deviennent hostiles.
Le 13, rue des Ecossais est ainsi réquisitionné par la SS. La Kommandantur s'installe rue Bancenne, tout près du Palais de Justice, avec la Gestapo de sinistre mémoire et le tribunal militaire. La Feldgendarmerie prend ses quartiers dans le magnifique Hôtel Jean Beaucé, ainsi défiguré d'une bannière à croix gammée.
Plus tard, en avril 1944, la Milice locale fera de la place d'Armes l'épicentre de ses opérations de répression. 264 traîtres, qui sans relâche traqueront les résistants et nos concitoyens juifs, accomplissant ainsi leur uvre funeste.
Pendant quatre ans, les Pictaviens vont vivre au rythme de l'occupant. Comme dans le reste du pays, on les forcera même à mettre toutes les pendules à l'heure allemande
Mais si les Allemands s'emparent de la ville et de ses bâtiments, les habitants ne les laissent pas pour autant prendre le contrôle des curs et des esprits.
Poitiers est une ville résistante, où les traîtres sont peu nombreux et n'entraînent pas les foules. Lorsque Jacques Doriot, ultra de la collaboration, vient ici tenir meeting, le 30 avril 1942, on est, à Poitiers, très loin des masses compactes de Nuremberg A peine quelques centaines de militants ou de curieux. A Poitiers, la trahison ne fait pas recette.
Au contraire, les initiatives de résistance, elles, sont nombreuses. Quand la « ville aux cent clochers » se dresse, fière, contre l'ennemi, ce sont toutes les strates de sa population qui répondent à l'appel !
Dès les mois de juin et juillet 1940, les actes de protestation et de patriotisme se multiplient. D'abord isolés, ils s'organisent progressivement, avec de plus en plus de force.
On chante la Marseillaise devant l'occupant. On coupe des fils électriques ou téléphoniques pour gêner les communications allemandes. On déchire des drapeaux nazis. On couvre les murs de la ville du V de la victoire ou de Croix-de-Lorraine. Les chefs de la gare sont parmi les premiers à passer à l'action en déroutant des trains de munition vers la zone libre.
Nous sommes ici dans le domaine le plus simple de la Résistance. Et qui sait ? peut-être le plus profond. La Résistance instinctive, non organisée, quotidienne, celle du tout-venant. Dont le patriotisme, le sens de l'honneur et de la fraternité sont les seules armes, et qui pourtant risque elle aussi la prison, la torture et la mort. Comme a dit un jour André Malraux, « nous savons aujourd'hui que chez beaucoup d'entre nous, la patrie repose comme une eau dormante ».
C'est la création du réseau Renard l'un des tout premiers en France et de son journal clandestin, « Le Libre Poitou », qui marque le début de l'organisation de la Résistance à Poitiers.
Louis Renard, modeste avoué, ancien instructeur à Saint-Cyr et à Saint-Maixent, héros de la Première Guerre durant laquelle il a été blessé, est l'un de ces Français qui n'ont cessé de garder espoir et qui, dès le début, refusent l'humiliation de la défaite et de l'occupation.
De 1940 à 1942, avec l'aide de Maurice Baudet et avec la complicité de Pictaviens amis, il dactylographie et imprime soixante-trois numéros du « Libre Poitou », qu'il diffuse dans tout son réseau.
En ces années troubles, le réseau Renard et son journal sont l'âme du combat des résistants de Poitiers. Pour beaucoup d'entre eux, ils sont un soutien moral très précieux quand s'accumulent les raisons de désespérer et d'abandonner la lutte. Comme leurs compagnons des autres réseaux régionaux, Renard et les siens en 1942, ils seront plus de 150, actifs dans toute la région incarnent alors un espoir, détiennent à eux seuls une parcelle du refus et du destin de la France.
Mais, malheureusement, la Résistance, c'est aussi l'expérience du tragique et du dérisoire mêlés : il aura suffi qu'un colis destiné à Louis Renard et rempli de tracts gaullistes soit intercepté par les Allemands pour que le réseau soit découvert, puis démantelé. Ses membres sont impitoyablement traqués, arrêtés, déportés, assassinés.
Résistants de la première heure, ils seront des résistants jusqu'au bout. Jusqu'à l'échafaud ou au peloton d'exécution, jusqu'à l'enfer des camps, où ils iront convaincus que, même s'ils ne devaient jamais revoir la France, ils mourraient au moins avec une âme de héros.
Il faudrait aussi parler du groupe Tullius, dirigé par Marc Delaunay et composé de jeunes étudiants, tous membres des fameux FTP communistes, ces Francs-tireurs et partisans dont le courage et l'efficacité dans l'action étaient redoutés des Allemands et des vichystes.
Ceux qui sont restés dans la mémoire collective comme les « cinq étudiants de Poitiers » se chargèrent, dans la nuit du 13 mai 1941, de l'exécution du docteur Michel Guérin, l'un des rares mais aussi l'un des principaux collaborateurs locaux, qui tous les jours publiait dans « L'Avenir de la Vienne » une odieuse chronique pétainiste et antisémite, appelant encore et encore au meurtre des résistants et des juifs.
Arrêtés après le sabotage d'une ligne de chemin de fer à Ligugé, quatre d'entre eux furent condamnés à la peine de mort, puis fusillés le 6 octobre 1943 sur le Mont Valérien. Leurs noms y sont gravés à jamais aux côtés de ceux d'autres martyrs de la Résistance, Gabriel Péri, Honoré d'Estienne d'Orves et tous leurs compagnons.
Jean Gautier, le dernier des cinq le plus jeune aussi fut, lui, emprisonné à la centrale de Fontevrault, d'où il réussit à s'évader en 1944 pour rejoindre la Résistance à Lussac-les-Châteaux et participer à la libération de la Vienne. Résistant jusqu'au bout, lui aussi, comme ses camarades. Comme tous ceux dont nous admirons l'héroïsme et à qui nous devons aujourd'hui notre liberté.
Voilà comment, grâce au réseau Renard et au groupe Tullius, grâce à tous ces hommes et femmes dont l'histoire a recueilli les noms, Poitiers, à nouveau, s'inscrivit sur le registre des glorieuses heures de la France !
Poitiers a payé un lourd tribut à la guerre. Souvenons-nous que, toute honte bue, des fonctionnaires dévoyés n'ont pas hésité à aider l'occupant à rafler les résistants, et surtout nos concitoyens juifs vivant dans la région. Mais il y eut aussi des fonctionnaires courageux, valeureux, qui résistèrent et sauvèrent des vies.
Souvenons-nous que la rafle de Poitiers, le 31 janvier 1944, a envoyé 481 personnes à Drancy, puis dans les camps d'extermination. C'est-à-dire tous les juifs de la ville. 481 Français juifs disparus corps et biens dans l'horreur nazie, avec la complicité d'autres Français, avec celle d'une partie de l'administration française. N'oublions ni les victimes, dont nous devons entretenir le souvenir, ni les bourreaux, qui nous rappellent à quoi mène la compromission avec le mal.
Et aujourd'hui, dans notre République, parfois rongée par des petites haines, j'invite chacun à réfléchir aux enseignements de l'histoire.
Souvenons-nous aussi de la terreur que les troupes allemandes ont fait régner dans la ville à la veille de leur piteuse retraite. Les crimes, les viols et les violences de toute sorte.
Souvenons-nous, enfin, que la libération de Poitiers fut, dès juin 1944, le théâtre de bombardements intensifs sans doute nécessaires, mais tragiques de la part des Alliés. La ville, une nouvelle fois, payait sa situation de carrefour stratégique entre la moitié Nord et la moitié Sud du pays : alors qu'au lendemain du Débarquement, les combats faisaient rage en Normandie l'objectif était d'empêcher du moins de ralentir la remontée de la division Das Reich. Mission pleinement remplie. Mais il fallut en payer le prix : le 13 juin, la gare est entièrement détruite, et 173 civils trouvent la mort.
La libération de Poitiers n'est alors plus qu'une question de semaines. Dès la fin août, les Allemands quittent progressivement la ville. Ecoutons le témoignage de Lucien Sommen, alias Christian Vallin, célèbre résistant de la région, qui décrit le spectacle de la déroute allemande : « Retraite peu glorieuse comme toutes les retraites : "piétaille" se déplaçant sur des véhicules hétéroclites ou pédestrement, mêlant soldats de la Wehrmacht de toutes armes aux supplétifs recrutés parmi les Slovaques, les Russes blancs de l'Armée Vlassov, les gurkas d'un régiment hindou, personnels des KreisKommandanturen et quelquefois même, membres du S.D. et de la Gestapo. »
Le 4 septembre, les Allemands évacuent définitivement la ville, après que le général Elster, commandant de la 278e division d'infanterie, s'est rendu aux Américains, en présence de Mirguet dit Surcouf, délégué militaire FFI pour le département, et du Commandant de la ½ brigade FFI Grand'Pierre.
Le 5 septembre, Poitiers est officiellement libérée, les maquisards, les FFI et les FTP convergent sur la ville, désormais contrôlée par le Comité départemental de libération.
Après tant d'années de souffrances et de privations, une foule en liesse peut enfin accueillir ses libérateurs, savourer enfin le bonheur et la joie d'une liberté retrouvée.
Voici comment le général Chêne, alias colonel Bernard, commandant des FFI de la Vienne, décrit ce moment unique, et le défilé du 10 septembre : « Ce fut un défilé extraordinaire, hétéroclite bien sûr. Il y avait ceux qui avaient des uniformes et ceux qui n'en avaient pas. Mais il y avait dans tous ces visages un regard Je n'ai jamais vu au cours de ma carrière un regard semblable à celui-ci. Il était de confiance et de fierté. Jamais je n'ai senti une telle fraternité. J'étais fier d'avoir commandé ces hommes ! »
Ces années 40-44 continuent, encore aujourd'hui, à nous obséder. Désormais, nous regardons cette histoire en face, sans ciller. Nous en connaissons les lumières, mais aussi les ombres ; les ombres, mais aussi les lumières. Grâce aux historiens, nous avons appris à nuancer notre savoir, à équilibrer notre jugement. Si Malraux disait d'ailleurs fort justement que la Résistance avait vécu grâce à « la complicité de la France », il s'empressait d'ajouter : « Pas de toute la France ? Non. De celle qui a suffi. »
N'oublions donc jamais la dette que nous avons contractée à l'égard des résistants, ces héros dont l'éclat, le courage et, bien souvent, le sacrifice ont fait notre liberté. Poitiers en sait quelque chose, et aujourd'hui s'en souvient !
C'est ce trésor de patriotisme et de dévouement que nous devons désormais transmettre aux jeunes générations, pour que jamais la chaîne de la mémoire ne soit interrompue.
Vive Poitiers, vive la République, vive la France !
Source http://www.interieur.gouv.fr, le 12 septembre 2014
Monsieur le Député-Maire, cher Alain Claeys,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs,
Il y a soixante-dix ans, Poitiers se libérait du joug de l'occupant.
Ainsi s'accomplissait, après les débarquements de Normandie et de Provence, après la libération de Paris et celle de tant d'autres villes, une nouvelle étape de la libération de la France.
Nous voici aujourd'hui rassemblés pour rendre hommage à ceux qui se sont alors battus pour leur pays et pour leur ville, à ceux qui ont pris une part décisive au combat national.
Pour nous souvenir, aussi, des souffrances endurées par les habitants de Poitiers, pendant quatre longues années d'occupation.
Lorsque, le 23 juin 1940, la Wehrmacht entre dans la ville, après les bombardements meurtriers des 19 et 21 juin, Poitiers n'a pas connu un tel drame depuis quatre siècles depuis les guerres de religion et leur cortège de divisions et de tragédies. Ni le feu, ni le sang, ni la honte d'une occupation ennemie, pendant longtemps Poitiers n'a rien connu de tout cela, jusqu'à ces tristes jours de juin 40.
Pour son malheur, la ville est hautement stratégique aux yeux de l'occupant. Importante ville de garnison, carrefour routier et ferroviaire, elle présente en plus l'intérêt d'être assez près de la ligne de démarcation : elle sera donc un point de contrôle, une sorte de verrou entre zone occupée et zone libre.
Les administrations et les services allemands ne tardent donc pas à l'envahir. La physionomie de ses quartiers s'en trouve brutalement transformée, les rues les plus familières deviennent hostiles.
Le 13, rue des Ecossais est ainsi réquisitionné par la SS. La Kommandantur s'installe rue Bancenne, tout près du Palais de Justice, avec la Gestapo de sinistre mémoire et le tribunal militaire. La Feldgendarmerie prend ses quartiers dans le magnifique Hôtel Jean Beaucé, ainsi défiguré d'une bannière à croix gammée.
Plus tard, en avril 1944, la Milice locale fera de la place d'Armes l'épicentre de ses opérations de répression. 264 traîtres, qui sans relâche traqueront les résistants et nos concitoyens juifs, accomplissant ainsi leur uvre funeste.
Pendant quatre ans, les Pictaviens vont vivre au rythme de l'occupant. Comme dans le reste du pays, on les forcera même à mettre toutes les pendules à l'heure allemande
Mais si les Allemands s'emparent de la ville et de ses bâtiments, les habitants ne les laissent pas pour autant prendre le contrôle des curs et des esprits.
Poitiers est une ville résistante, où les traîtres sont peu nombreux et n'entraînent pas les foules. Lorsque Jacques Doriot, ultra de la collaboration, vient ici tenir meeting, le 30 avril 1942, on est, à Poitiers, très loin des masses compactes de Nuremberg A peine quelques centaines de militants ou de curieux. A Poitiers, la trahison ne fait pas recette.
Au contraire, les initiatives de résistance, elles, sont nombreuses. Quand la « ville aux cent clochers » se dresse, fière, contre l'ennemi, ce sont toutes les strates de sa population qui répondent à l'appel !
Dès les mois de juin et juillet 1940, les actes de protestation et de patriotisme se multiplient. D'abord isolés, ils s'organisent progressivement, avec de plus en plus de force.
On chante la Marseillaise devant l'occupant. On coupe des fils électriques ou téléphoniques pour gêner les communications allemandes. On déchire des drapeaux nazis. On couvre les murs de la ville du V de la victoire ou de Croix-de-Lorraine. Les chefs de la gare sont parmi les premiers à passer à l'action en déroutant des trains de munition vers la zone libre.
Nous sommes ici dans le domaine le plus simple de la Résistance. Et qui sait ? peut-être le plus profond. La Résistance instinctive, non organisée, quotidienne, celle du tout-venant. Dont le patriotisme, le sens de l'honneur et de la fraternité sont les seules armes, et qui pourtant risque elle aussi la prison, la torture et la mort. Comme a dit un jour André Malraux, « nous savons aujourd'hui que chez beaucoup d'entre nous, la patrie repose comme une eau dormante ».
C'est la création du réseau Renard l'un des tout premiers en France et de son journal clandestin, « Le Libre Poitou », qui marque le début de l'organisation de la Résistance à Poitiers.
Louis Renard, modeste avoué, ancien instructeur à Saint-Cyr et à Saint-Maixent, héros de la Première Guerre durant laquelle il a été blessé, est l'un de ces Français qui n'ont cessé de garder espoir et qui, dès le début, refusent l'humiliation de la défaite et de l'occupation.
De 1940 à 1942, avec l'aide de Maurice Baudet et avec la complicité de Pictaviens amis, il dactylographie et imprime soixante-trois numéros du « Libre Poitou », qu'il diffuse dans tout son réseau.
En ces années troubles, le réseau Renard et son journal sont l'âme du combat des résistants de Poitiers. Pour beaucoup d'entre eux, ils sont un soutien moral très précieux quand s'accumulent les raisons de désespérer et d'abandonner la lutte. Comme leurs compagnons des autres réseaux régionaux, Renard et les siens en 1942, ils seront plus de 150, actifs dans toute la région incarnent alors un espoir, détiennent à eux seuls une parcelle du refus et du destin de la France.
Mais, malheureusement, la Résistance, c'est aussi l'expérience du tragique et du dérisoire mêlés : il aura suffi qu'un colis destiné à Louis Renard et rempli de tracts gaullistes soit intercepté par les Allemands pour que le réseau soit découvert, puis démantelé. Ses membres sont impitoyablement traqués, arrêtés, déportés, assassinés.
Résistants de la première heure, ils seront des résistants jusqu'au bout. Jusqu'à l'échafaud ou au peloton d'exécution, jusqu'à l'enfer des camps, où ils iront convaincus que, même s'ils ne devaient jamais revoir la France, ils mourraient au moins avec une âme de héros.
Il faudrait aussi parler du groupe Tullius, dirigé par Marc Delaunay et composé de jeunes étudiants, tous membres des fameux FTP communistes, ces Francs-tireurs et partisans dont le courage et l'efficacité dans l'action étaient redoutés des Allemands et des vichystes.
Ceux qui sont restés dans la mémoire collective comme les « cinq étudiants de Poitiers » se chargèrent, dans la nuit du 13 mai 1941, de l'exécution du docteur Michel Guérin, l'un des rares mais aussi l'un des principaux collaborateurs locaux, qui tous les jours publiait dans « L'Avenir de la Vienne » une odieuse chronique pétainiste et antisémite, appelant encore et encore au meurtre des résistants et des juifs.
Arrêtés après le sabotage d'une ligne de chemin de fer à Ligugé, quatre d'entre eux furent condamnés à la peine de mort, puis fusillés le 6 octobre 1943 sur le Mont Valérien. Leurs noms y sont gravés à jamais aux côtés de ceux d'autres martyrs de la Résistance, Gabriel Péri, Honoré d'Estienne d'Orves et tous leurs compagnons.
Jean Gautier, le dernier des cinq le plus jeune aussi fut, lui, emprisonné à la centrale de Fontevrault, d'où il réussit à s'évader en 1944 pour rejoindre la Résistance à Lussac-les-Châteaux et participer à la libération de la Vienne. Résistant jusqu'au bout, lui aussi, comme ses camarades. Comme tous ceux dont nous admirons l'héroïsme et à qui nous devons aujourd'hui notre liberté.
Voilà comment, grâce au réseau Renard et au groupe Tullius, grâce à tous ces hommes et femmes dont l'histoire a recueilli les noms, Poitiers, à nouveau, s'inscrivit sur le registre des glorieuses heures de la France !
Poitiers a payé un lourd tribut à la guerre. Souvenons-nous que, toute honte bue, des fonctionnaires dévoyés n'ont pas hésité à aider l'occupant à rafler les résistants, et surtout nos concitoyens juifs vivant dans la région. Mais il y eut aussi des fonctionnaires courageux, valeureux, qui résistèrent et sauvèrent des vies.
Souvenons-nous que la rafle de Poitiers, le 31 janvier 1944, a envoyé 481 personnes à Drancy, puis dans les camps d'extermination. C'est-à-dire tous les juifs de la ville. 481 Français juifs disparus corps et biens dans l'horreur nazie, avec la complicité d'autres Français, avec celle d'une partie de l'administration française. N'oublions ni les victimes, dont nous devons entretenir le souvenir, ni les bourreaux, qui nous rappellent à quoi mène la compromission avec le mal.
Et aujourd'hui, dans notre République, parfois rongée par des petites haines, j'invite chacun à réfléchir aux enseignements de l'histoire.
Souvenons-nous aussi de la terreur que les troupes allemandes ont fait régner dans la ville à la veille de leur piteuse retraite. Les crimes, les viols et les violences de toute sorte.
Souvenons-nous, enfin, que la libération de Poitiers fut, dès juin 1944, le théâtre de bombardements intensifs sans doute nécessaires, mais tragiques de la part des Alliés. La ville, une nouvelle fois, payait sa situation de carrefour stratégique entre la moitié Nord et la moitié Sud du pays : alors qu'au lendemain du Débarquement, les combats faisaient rage en Normandie l'objectif était d'empêcher du moins de ralentir la remontée de la division Das Reich. Mission pleinement remplie. Mais il fallut en payer le prix : le 13 juin, la gare est entièrement détruite, et 173 civils trouvent la mort.
La libération de Poitiers n'est alors plus qu'une question de semaines. Dès la fin août, les Allemands quittent progressivement la ville. Ecoutons le témoignage de Lucien Sommen, alias Christian Vallin, célèbre résistant de la région, qui décrit le spectacle de la déroute allemande : « Retraite peu glorieuse comme toutes les retraites : "piétaille" se déplaçant sur des véhicules hétéroclites ou pédestrement, mêlant soldats de la Wehrmacht de toutes armes aux supplétifs recrutés parmi les Slovaques, les Russes blancs de l'Armée Vlassov, les gurkas d'un régiment hindou, personnels des KreisKommandanturen et quelquefois même, membres du S.D. et de la Gestapo. »
Le 4 septembre, les Allemands évacuent définitivement la ville, après que le général Elster, commandant de la 278e division d'infanterie, s'est rendu aux Américains, en présence de Mirguet dit Surcouf, délégué militaire FFI pour le département, et du Commandant de la ½ brigade FFI Grand'Pierre.
Le 5 septembre, Poitiers est officiellement libérée, les maquisards, les FFI et les FTP convergent sur la ville, désormais contrôlée par le Comité départemental de libération.
Après tant d'années de souffrances et de privations, une foule en liesse peut enfin accueillir ses libérateurs, savourer enfin le bonheur et la joie d'une liberté retrouvée.
Voici comment le général Chêne, alias colonel Bernard, commandant des FFI de la Vienne, décrit ce moment unique, et le défilé du 10 septembre : « Ce fut un défilé extraordinaire, hétéroclite bien sûr. Il y avait ceux qui avaient des uniformes et ceux qui n'en avaient pas. Mais il y avait dans tous ces visages un regard Je n'ai jamais vu au cours de ma carrière un regard semblable à celui-ci. Il était de confiance et de fierté. Jamais je n'ai senti une telle fraternité. J'étais fier d'avoir commandé ces hommes ! »
Ces années 40-44 continuent, encore aujourd'hui, à nous obséder. Désormais, nous regardons cette histoire en face, sans ciller. Nous en connaissons les lumières, mais aussi les ombres ; les ombres, mais aussi les lumières. Grâce aux historiens, nous avons appris à nuancer notre savoir, à équilibrer notre jugement. Si Malraux disait d'ailleurs fort justement que la Résistance avait vécu grâce à « la complicité de la France », il s'empressait d'ajouter : « Pas de toute la France ? Non. De celle qui a suffi. »
N'oublions donc jamais la dette que nous avons contractée à l'égard des résistants, ces héros dont l'éclat, le courage et, bien souvent, le sacrifice ont fait notre liberté. Poitiers en sait quelque chose, et aujourd'hui s'en souvient !
C'est ce trésor de patriotisme et de dévouement que nous devons désormais transmettre aux jeunes générations, pour que jamais la chaîne de la mémoire ne soit interrompue.
Vive Poitiers, vive la République, vive la France !
Source http://www.interieur.gouv.fr, le 12 septembre 2014