Interview de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, à TV5 le 11 mai 1999 et dans "Le Parisien" le 12, sur l'accueil et l'avenir des réfugiés kosovars dans les camps d'Albanie, de Macédoine et du Monténégro.

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Circonstance : Voyage de M. Josselin en Albanie et en Macédoine du 5 au 7 mai 1999

Média : Le Parisien - TV5

Texte intégral

ENTRETIEN AVEC TV5 LE 11 MAI :
Q - Avec nous en studio, Charles Josselin, le ministre français délégué à la Coopération et à la Francophonie. Merci d'avoir accepté notre invitation. Monsieur Josselin, vous étiez en Albanie et en Macédoine à la fin de la semaine dernière. Quel était le message que vous avez fait passer aux autorités de ces pays. Je rappelle qu'en Albanie il y a un véritable pont humanitaire qui s'est mis en place au départ de la France, un pont maritime, je pense.
R - Le message est le même dans les deux pays : "accueillez, on vous aidera". C'est un message qui est mieux reçu en Albanie où il y a une volonté d'accueillir les Kosovars. En Macédoine il y a un problème d'équilibre ethnique qui explique les réserves des Macédoniens à accueillir de nouveaux réfugiés mais je voudrais qu'on rappelle quand même qu'il y a 150.000 réfugiés kosovars dans des familles macédoniennes. On a tendance à l'oublier.
Q - Oui, pas dans des camps.
R - Pas dans des camps. S'y ajoutent évidemment quelque 50.000 personnes actuellement dans des camps ; en Albanie c'est au moins autant. La France est un peu plus crédible que d'autres, quand elle dit "accueillez, on va vous aider", car nous avons commencé non seulement à aider sur le plan humanitaire mais à apporter - à la Macédoine en particulier - la promesse que nous avions faite d'une aide macro-économique : les 45 millions promis par Lionel Jospin sont arrivés et le Premier ministre de Macédoine a bien voulu, prenant à témoin tous les ambassadeurs des pays européens, dire que la France était un exemple qu'il fallait suivre.
Q - Le gouvernement français a débloqué au total, pour la Macédoine, plus de 500 millions de francs.
R - Disons que c'est l'ensemble des engagements de la France pour la Macédoine, - c'est à peu près la même pour l'Albanie -, en y incluant notre part dans l'aide multilatérale, dans l'aide européenne et évidemment en particulier l'aide que nous allons apporter sous forme d'allégement de la dette de ces pays.
Q - Si nécessaire, la France est prête à faire plus ? A réévaluer ?
R - Ecoutez, ce sont déjà des engagements importants, qui devraient pouvoir faire face aux besoins dans les mois qui viennent. Mais il est vrai qu'on ne peut pas préjuger de la durée qu'il nous faudra pour aider ces pays et le Kosovo à se reconstruire. Ce qui est un autre débat.
Q - Avec l'Albanie je pense que vous avez aussi parlé de mettre en place une coopération décentralisée. C'est quelque chose d'original.
R - J'étais accompagné par deux présidents de grandes fédérations d'élus, le président de l'Association des maires de France et le président de l'Assemblée des départements de France où les régions étaient aussi représentées. Notre ambition en effet est de créer des liens directs entre communes françaises et communes albanaises, les départements seront associés aussi, les régions également, de façon à aider tout de suite dans l'urgence ces communes qui ont vu leur population doubler ou tripler, à régler des problèmes aussi difficiles que l'eau, l'assainissement et peut-être aussi des structures plus lourdes, pour accueillir plus longtemps aussi les réfugiés. Notre ambition c'est aussi au travers de ces coopérations décentralisées, de créer un lien durable. La France a incontestablement un rôle à jouer dans cette région des Balkans.
Q - Une question encore sur la suite du conflit, Monsieur Josselin : après l'incroyable erreur du bombardement de l'ambassade de Chine à Belgrade, il faut continuer les frappes ou l'annonce d'un début du retrait serbe vous semble un pas dans le bon sens ?
R - J'espère que M. Milosevic ne se livre pas à une mathématique macabre. Puisqu'un Kosovar sur deux a été dès à présent déporté du Kosovo, il retirerait la moitié de ses troupes militaires ou policiers. Il a déjà tellement souvent trompé en ne respectant pas ses engagements, qu'on comprend l'extrême prudence avec laquelle on accueille les engagements qu'il prend aujourd'hui.
Q - Malgré tout, pour vous la fin de la guerre ça passera obligatoirement par l'ONU, par le respect aussi des cinq conditions fixées par l'OTAN et par l'ONU.
R - C'est le respect des cinq conditions avec ce préalable : le retrait des forces policières et militaires car l'objectif, il est le retour des Kosovars chez eux.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 mai 1999)
INTERVIEW DANS "LE PARISIEN" LE 12 MAI :
Q - La présence massive de réfugiés du Kosovo ne déstabilise-t-elle pas gravement les pays voisins ?
R - C'est surtout vrai en Macédoine. Les autorités craignent de voir rompre un équilibre ethnique fragile au profit de la population d'origine albanaise, aujourd'hui minoritaire. Néanmoins les responsables que j'ai rencontrés nous disent leur volonté de continuer à faire coexister des cultures, des religions et des ethnies différentes. Si on veut préserver cet équilibre fragile, il faut les aider. Il y a, en Macédoine près de 200.000 réfugiés kosovars, dont environ 150.000 hébergés dans des familles. La Macédoine est un pays qui a beaucoup accueilli, mais qui demande désormais qu'on oriente ailleurs les réfugiés supplémentaires.
Q - Les demandes d'aide sont-elles différentes d'un pays à l'autre ?
R - Oui. L'Albanie souhaite que l'aide en nourriture (notamment les colis français) soit poursuivie. La Macédoine souhaite, pour nourrir les réfugiés, que l'on s'approvisionne davantage sur le marché local afin de moins désorganiser son économie. Bien qu'on en parle moins, le poids relatif pour le Monténégro de l'accueil des réfugiés (plus de 10 % de la population) est tout à fait comparable à celui de ses voisins. Si l'aide internationale n'a pu là se développer, c'est à cause du statut de ce pays, partie intégrante de la Fédération de Yougoslavie. Heureusement que ces Etats, qui supportent l'essentiel du choc de la déportation des Kosovars, sont relativement petits : le Monténégro compte 600.000 habitants, l'Albanie, 3 millions, la Macédoine, 2,5 millions.
Q - A combien se monte l'engagement financier de la France dans les Balkans ?
R - Le chiffre global qui correspond à la fois aux aides bilatérales et multilatérales, et à la participation française à l'effort européen d'aide humanitaire et budgétaire est de l'ordre du milliard de francs. Cela compte non tenu du coût de notre engagement militaire.
Q - Combien la France va-t-elle accueillir de réfugiés ?
R - L'accueil des Kosovars se fait sur la base du volontariat et en privilégiant ceux qui ont des familles déjà présentes chez nous. Or la France arrive au second rang, derrière l'Allemagne. A la fin de cette semaine, ils seront près de 4.000 et, d'ici à fin mai, environ 5.000.
Q - Combien de temps les camps vont-ils durer ?
R - Il y a deux échéances : l'été et l'hiver. L'été pose avec beaucoup d'acuité le problème de l'alimentation en eau, et de l'assainissement. Même à Tirana, il n'y a habituellement de l'eau que quelques heures par jour durant l'été. Cette pénurie risque de s'aggraver. Et puis il y a les risques d'épidémies. L'autre échéance, c'est l'hiver, avec le froid intense qui règne dans cette région. Mais j'ai l'impression que les Kosovars pourraient préférer, si les conditions politiques sont réunies à ce moment-là, passer l'hiver dans leurs maisons en ruines, en essayant de les reconstruire avec notre aide, plutôt que de rester dans des structures provisoires en plein air.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 mai 1999)