Interview de Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice, avec France Inter le 10 septembre 2014, sur la politique du gouvernement.

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Média : France Inter

Texte intégral

PATRICK COHEN
Bonjour Christiane TAUBIRA.
CHRISTIANE TAUBIRA
Bonjour monsieur COHEN.
PATRICK COHEN
Phobie administrative, ça vous va comme excuse ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Il ne m'en revient pas d'en juger. Tout le monde comprend de quoi vous parlez là ?
PATRICK COHEN
Oui, oui, on a parlé de phobie administrative pour ne pas payer ses impôts, pour des retards de loyers.
CHRISTIANE TAUBIRA
Non c'est très sérieusement il ne m'appartient pas d'en juger, d'autant que si tout ce dit et s'écrit ces temps-ci peut-être avéré, il y a des créanciers qui sont tout à fait fondés éventuellement à introduire des procédures judiciaires donc un propos de ma part serait malvenu. Sur le plan de l'éthique, évidemment, tout cela est absolument inexcusable. Mais sincèrement je n'ai pas envie, je n'éprouve aucun sentiment de délectation à commenter et re-commenter. Je trouve cela déplorable, ça nous fait du tort à tous. Ca contribue à déprimer les Français donc voilà.
PATRICK COHEN
Alors simplement la question est posée de l'après et des contrôles qui sont mis en place. Vous avez cosigné les lois sur la transparence et la moralisation de la vie publique votée après l'affaire CAHUZAC, est-ce qu'il faut aller plus loin comme le demandent ce matin certains parlementaires à gauche.
CHRISTIANE TAUBIRA
Mais on voit bien déjà alors le texte a été, il avait été porté par Alain VIDALIES qui était alors ministre des relations avec le Parlement. Le texte avait été quelque peu amendé par l'Assemblée Nationale. Il avait été voté massivement. Ce qu'il faut retenir c'est que nos institutions fonctionnent bien puisque la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique a perçu très vite…
PATRICK COHEN
Une semaine.
CHRISTIANE TAUBIRA
Très vite, eh bien oui, une semaine pour éplucher, contrôler et percevoir, détecter des anomalies, c'est quand même une performance.
PATRICK COHEN
Si un candidat aux législatives ou à des sénatoriales doit présenter pour être candidat un quitus fiscal comme le suggère certains députés, eh bien ça peut régler le problème, ça permet de savoir et de vérifier que nos élus ont effectivement déclaré leurs revenus et payer leurs impôts.
CHRISTIANE TAUBIRA
Oui bien entendu mais en même temps je pense que lorsqu'on a, lorsqu'on veut accéder à des responsabilités politiques il faut quand même un minimum d'éthique. Ca veut dire en clair qu'on ne peut pas, en tout cas moi je ne raisonne pas en multipliant les dispositifs de contrôle a priori. Je pense qu'on peut en appeler à la responsabilité. Je pense qu'on peut rappeler…
PATRICK COHEN
On sait qu'il faut faire confiance.
CHRISTIANE TAUBIRA
Un système démocratique il doit aussi fonctionner sur la confiance, simplement…
PATRICK COHEN
Oui mais…
CHRISTIANE TAUBIRA
Vous savez bien que la confiance n'exclut pas…
PATRICK COHEN
Elle est un peu ruinée aujourd'hui la confiance des Français.
CHRISTIANE TAUBIRA
N'exclut pas le contrôle et c'est bien parce qu'il y a des organismes de contrôle efficace et performant que ce contrôle permet de détecter ces situations contestables ou éventuellement même condamnables j'entends pénalement. Donc voilà je veux dire qu'il ne s'agit pas non plus d'une façon générale de faire la course aux contrôles a priori parce que ça va descendre dans la société. Donc moi je ne suis pas choquée à l'idée que l'on exige un quitus fiscal de chaque candidat et pourquoi seulement les parlementaires, pourquoi les présidents d'exécutifs territoriaux et locaux, pourquoi pas. Mais après aussi il faut aller…vous avez vu lorsque nous avons travaillé sur ce texte concernant la transparence et la publication des patrimoines mais au-delà des élus il a fallu aller évidemment aux conjointes et aux conjoints. Ensuite au-delà aux collaborateurs immédiats. Donc voilà moi je dis qu'on ne peut pas sous-estimer cela même si peut-être que pour une période donnée, pour rétablir quand même la conscience à la fois de l'importance de cette exigence morale et d'autre part de la nécessité de redonner confiance aux Français, peut-être que dans un temps il faudrait envisager aux mesures aussi drastiques.
PATRICK COHEN
On ne vous a guère entendu depuis la rentrée Christiane TAUBIRA et la succession de crises, la démission, le départ de plusieurs ministres, vous vous sentez à l'aise dans ce gouvernement ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Si je ne suis pas à l'aise dans un gouvernement je m'en vais, je ne suis pas ligotée, je ne suis pas voilà, je ne suis pas attachée, je ne suis pas…donc voilà c'est un gouvernement qui prend très, très au sérieux la situation actuelle, qui est confronté à des difficultés objectives, des difficultés qui sont liées aussi aujourd'hui tout le monde le dit mais faites-moi crédit de l'avoir dit, il y a déjà plusieurs mois, il fallait dire exactement aux Français, la situation extrêmement dégradée. J'ai été parlementaire sous la précédente législature, j'ai bataillé, ferraillé dans l'hémicycle contre les politiques fiscales de complaisance et de connivence. J'ai bataillé contre toute une série de …nous avons bataillé entre toute une série de dispositions qui ont creusé les inégalités, les injustices, donc il fallait…
PATRICK COHEN
Ca c'est le passé Christiane TAUBIRA…
CHRISTIANE TAUBIRA
Un état des lieux. Ca n'est pas un passé si lointain que ça…
PATRICK COHEN
Mais depuis…
CHRISTIANE TAUBIRA
Puisqu'il faut encore le réparer.
PATRICK COHEN
Mais le passé récent c'est que vous avez vu partir des ministres dont vous étiez proche, Cécile DUFLOT, Benoit HAMON, Arnaud MONTEBOURG, vous n'avez pas été tentée de les suivre ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Si j'avais été tentée de les suivre au point que cette tentation soit forte je m'en serais allée, monsieur COHEN.
PATRICK COHEN
Avez-vous songé à quitter le gouvernement Christiane TAUBIRA ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Mais monsieur COHEN un gouvernement pour moi et en particulier en cette période, un gouvernement pour moi c'est une responsabilité extrêmement lourde, extrêmement lourde. Je pense qu'il y a des choses beaucoup plus utiles et urgentes à faire que de venir exposer ces états d'âme d'une part surtout quand on les a réglés, que de venir…
PATRICK COHEN
Vous les avez réglés ?
CHRISTIANE TAUBIRA
La preuve c'est que je suis au gouvernement donc si j'avais eu des états d'âmes je les ai réglés. Si j'étais partie d'ailleurs ça aurait voulu dire que je les ai réglés.
PATRICK COHEN
Oui mais vous voyez que le débat continue.
CHRISTIANE TAUBIRA
Ben oui mais le débat est-ce que c'est ça le débat le plus important ? Et est-ce que pour les rares fois où je prends la parole en public vous en convenez vous-mêmes et vous semblez me le reprocher d'ailleurs.
PATRICK COHEN
Aucun reproche, on est ravi de vous accueillir.
CHRISTIANE TAUBIRA
Est-ce que lorsque je viens m'exprimer publiquement est ce qu'il n'est pas plus important que je rassure les Français sur la qualité du travail qu'effectue ce gouvernement que de venir exposer mes états d'âme ?
PATRICK COHEN
Les Français s'intéressent aussi à la sincérité de leurs élus.
CHRISTIANE TAUBIRA
Bien sûr et de leurs ministres.
PATRICK COHEN
Et de ceux qui les dirigent.
CHRISTIANE TAUBIRA
Bien entendu.
PATRICK COHEN
Donc vous formiez une bande, ce qu'on a appelé une bande des quatre contre l'austérité avec DUFLOT, MONTEBOURG et HAMON. Cécile DUFLOT le raconte assez longuement dans ce livre, vos dîners à quatre.
CHRISTIANE TAUBIRA
Oui nous avons trois diners, un à la chancellerie, le premier à mon initiative, le deuxième était chez Cécile DUFLOT. Le troisième a été chez Arnaud MONTEBOURG…
PATRICK COHEN
Et lors de ce troisième dîner dit Cécile DUFLOT…
CHRISTIANE TAUBIRA
Et nous y avions mis un terme…
PATRICK COHEN
Nous nous projetons d'écrire une lettre au président sur l'Europe pour lui demander d'organiser une réunion du gouvernement sur le sujet, pour lui demander de changer de politique. On a même envisagé de faire des meetings ensemble si le président ne répond pas. Vous avez changé d'avis par rapport à ce…
CHRISTIANE TAUBIRA
Ah non, non, non les meetings moi-même je les avais proposés à l'occasion du premier dîner qui s'est tenu à la chancellerie, c'était en novembre 2012 en totale loyauté j'en ai informé Jean-Marc AYRAULT qui était Premier ministre, en lui disant que nous essayons de construire un espace politique pour nous dégager, prendre un peu de recul par rapport à nos portefeuilles, nos champs de compétence qui nous aspirent, que nous avons besoin d'être un peu en surplomb et voilà la première initiative que j'ai prise. Et je lui ai dit mais si tu veux l'élargir à tout le gouvernement je pense que ce sera bienvenu. Et j'ai proposé pas seulement à Arnaud MONTEBOURG, Cécile DUFLOT qui était avec nous encore, Benoît HAMON, j'ai proposé à François LAMY, à d'autres que nous fassions des déplacements ensemble, chacun dans notre champ de compétences mais en prenant le temps le soir d'avoir des réunions publiques pour parler aux Français, pour les entendre, pour entendre leurs reproches, pour leur rapporter des explications. Mais cela je l'ai proposé en novembre 2012, je maintiens que ce sont des choses à faire et quand j'ai l'occasion je le fais volontiers. Voilà il n'y a aucun scoop, aucune…
PATRICK COHEN
Sur le fond Arnaud MONTEBOURG ce matin, les Français ont voté pour la gauche et ils se retrouvent avec le programme de la droite allemande. Il a tort ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Ecoutez moi j'ai le privilège dans mon champ de compétences justement de lutter pour la justice sociale, de lutter pour la justice tout court, de protéger les plus vulnérables, de supprimer les entraves à la justice avec la suppression par exemple du timbre de 35 euros. Il se trouve que moi j'ai une responsabilité qui me conduit à porter les valeurs de la République, à les défendre et à traduire dans des politiques publiques cet attachement à l'égalité dans la société. Cet attachement à la réduction des inégalités, des injustices, cet attachement à la protection de ceux qui sont vulnérables, de ceux qui sont précaires ou de ceux qui à un moment de leur vie sont en situation de vulnérabilité. Il se trouve que j'ai la chance de pouvoir le faire. Il y a des domaines effectivement où c'est plus difficile. Il y a des domaines où c'est plus difficile. En matière économique c'est incontestablement plus difficile. Mais je vous fais observer qu'aujourd'hui quelles que soient les nuances parce qu'il y a effectivement des élus qui demandent des infléchissements, qui demandent d'introduire des éléments.
PATRICK COHEN
C'est plus que des nuances aujourd'hui Christiane TAUBIRA.
CHRISTIANE TAUBIRA
Je constate que sur le fondement même, sur le fondement même, c'est-à-dire ne pas toucher au pacte républicain, ne pas toucher au socle même de solidarité, ne pas fragiliser les politiques sociales et prendre un certain nombre de disposition qui garantissent tout cela, les créations d'emplois dans l'Education Nationale, toute l'action qu'a conduite Marisol TOURAINE sur la protection, l'accès à la santé, il y a donc toute une série de domaines où justement malgré les difficultés économiques ce gouvernement incontestablement sert des objectifs de gauche, c'est-à-dire la solidarité, c'est-à-dire l'égalité, c'est-à-dire le recul des injustices.
PATRICK COHEN
Donc sans état d'âme si vous étiez députée puisque vous n'avez plus d'état d'âme vous voteriez la confiance au gouvernement la semaine prochaine.
CHRISTIANE TAUBIRA
Avec « si » on met Paris dans une bouteille. Ce qui compte c'est que j'assume ma responsabilité en tant que telle, je suis solidaire du gouvernement. Nous avons des discussions à l'intérieur.
PATRICK COHEN
Il y a encore des discussions à l'intérieur.
CHRISTIANE TAUBIRA
Mais nous avons…
PATRICK COHEN
Donc ça n'est plus…
CHRISTIANE TAUBIRA
Parfaitement le droit de discuter, nous avons parfaitement. Il faut cesser de croire que ce gouvernement est bâillonné. Moi lorsque j'ai des interrogations je les soumets au Premier ministre, je les soumets au président de la République. Tous les deux me donnent l'opportunité de le faire.
PATRICK COHEN
Oui.
CHRISTIANE TAUBIRA
Mais chacun à ces responsabilités.
PATRICK COHEN
Sauf que…
CHRISTIANE TAUBIRA
Chacun à ces responsabilités.
PATRICK COHEN
Arnaud MONTEBOURG a considéré qu'il n'avait plus la possibilité de le faire.
CHRISTIANE TAUBIRA
Chacun est responsable de ces paroles et d'ailleurs chacun les signe et Arnaud a raison de signer les siennes.
PATRICK COHEN
Christiane TAUBIRA avec nous jusqu'à 8h55 su FRANCE INTER. On parlera tout à l'heure de la justice du 21ème siècle, c'est la réforme.
CHRISTIANE TAUBIRA
Le pire c'est que j'étais venue pour ça.
PATRICK COHEN
Oui mais alors, c'était, pardon vous étiez venue pour un, ça devait être un projet de loi, c'est ce que vous aviez annoncé dans les colonnes du PARISIEN. Et puis hier soir on apprenait que ce serait une simple communication ce matin en conseil des ministres.
CHRISTIANE TAUBIRA
Non mais il n'a jamais été question d'un projet de loi.
PATRICK COHEN
Ah mais vous parliez de projet hier dans les colonnes du PARISIEN !
CHRISTIANE TAUBIRA
Non, non mais parce que le programme, non, non mais c'est sans doute une erreur, moi je n'ai pas pu prononcer « projet » parce que le programme du conseil des ministres est arrêté plusieurs semaines à l'avance et c'est une communication. J'aurais un projet de loi dans 8 mois à peu près pour retravailler les contentieux des tribunaux d'instance et des tribunaux de grande instance.
PATRICK COHEN
Il s'agit de rapprocher la justice des citoyens et on va en parler.
CHRISTIANE TAUBIRA
Voilà qui fait état de toutes les dispositions prises pour cette justice du 21ème siècle.
PATRICK COHEN
On va en parler et vous aurez aussi les questions et les remarques des auditeurs de FRANCE INTER qui vous ont écouté attentivement dans cette première partie de l'interview.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 18 septembre 2014