Entretien de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, avec BFM TV le 22 septembre 2014, sur la lutte contre le groupe terroriste Daech en Irak et sur les dérèglements climatiques.

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Média : BFM TV

Texte intégral

- Irak -
Q - Vous allez assister, à l'Assemblée générale de l'Onu, au sommet Climat organisé demain. L'actualité est lourde aujourd'hui. L'organisation de l'État islamique, Daech, menace la France et ses ressortissants en riposte aux frappes aériennes en Irak. «La France n'a pas peur» a dit Bernard Cazeneuve. Croyez-vous que nous allons faire face à des dizaines de Mohammed Merah potentiels ?
R - Nous avons affaire à une organisation terroriste extrêmement dangereuse et il faut que la France soit à la fois très ferme et en même temps que nous ne nous laissions pas terroriser. Donc, la réaction du ministre de l'Intérieur est tout à fait juste et, en ce qui concerne notre présence à l'étranger, j'ai donné des instructions pour que la vigilance soit renforcée. Il faut faire face à ces terroristes et ne pas se laisser impressionner par eux.
Q - Nous sommes engagés. Nous avons fait une première frappe vendredi. Cet engagement, cette guerre, elle va être longue ?
R - C'est, je le crains, une affaire de longue haleine. Il faut bien comprendre que ce groupe terroriste, Daech, qui est d'une cruauté extrême, qui est vraiment un groupe inhumain, non seulement a comme objectif de contrôler l'Irak et la Syrie, mais toute la région et s'en prendre à nous-mêmes. D'ailleurs, chaque fois que l'on rencontre des personnes qui ont eu affaire à ce groupe, ces personnes disent : «ils sont venus, ils nous ont dit : ou bien vous nous rejoignez, ou bien on vous tue». Donc, dans cette affaire, si la France, comme d'autres pays, a pris une position si ferme, c'est parce que nous nous défendons nous-mêmes.
Q - Tony Blair a dit ce matin sur la BBC : «vous pourrez peut-être les contenir mais vous ne les vaincrez pas», en parlant de cette organisation, «à moins d'être prêts à combattre ces individus sur le terrain». Faudra-t-il des troupes au sol pour ce combat de longue haleine que vous décrivez ?
R - La France a pris sa décision. L'Irak nous demande une protection aérienne, nous lui avons accordée. L'Irak ne nous demande absolument pas d'être présents au sol. Et s'agissant de l'Irak, je ne suis pas sûr que ce soit M. Blair qui soit le mieux placé pour donner des conseils.
Nous savons que, si l'on veut combattre des terroristes comme ceux-là, il faut que ce soit d'abord le pays concerné qui se mette en situation de les combattre ; dans le passé, ce n'était pas possible parce le gouvernement irakien était divisé ; maintenant, nous avons un gouvernement qui veut travailler de manière unie et cela va lui permettre - c'est évidemment ce que nous souhaitons, ce que nous proposons, ce que nous demandons - d'être très offensifs dans la lutte contre Daech. Et les Américains, nous-mêmes, peut-être d'autres, nous apporterons un soutien aérien. Mais, en ce qui concerne la France, il n'est pas question d'avoir des troupes au sol.
Q - Dominique de Villepin a dit que c'était une guerre absurde et dangereuse. Edwy Plenel, le journaliste, affirme «j'entends George Bush junior en entendant Laurent Fabius». Ce sont des guerres absurdes ?
R - Je vois que vous prenez des références très sérieuses. Soyons sérieux. Parfois, est établie une comparaison entre l'Irak en 2003 et l'Irak aujourd'hui. Arrêtons-nous un instant là-dessus.
En 2003, à l'époque c'était M. Bush qui était intervenu et M. Chirac, comme d'ailleurs moi-même - à l'époque j'étais dans l'opposition - avions dit : «en aucun cas il ne faut intervenir». Pourquoi ? Parce qu'on intervenait contre le gouvernement irakien et il était dit qu'il y avait des armes de destruction massive et il n'y en avait pas.
Aujourd'hui, c'est exactement l'inverse. Bien sûr, c'est toujours l'Irak, mais nous intervenons à la demande du gouvernement irakien, premièrement, et pour lutter contre des terroristes qui ne sont pas une illusion, qui sont là.
Donc, je demande qu'au-delà des passions, on ait un petit peu de raison. Le territoire est le même mais les situations sont exactement l'inverse. Suis-je clair là-dessus ?
Q - Oui, vous êtes assez clair. Vous adressez un message effectivement à tous ceux qui seraient opposés à cette guerre. Vous pensez que les Français ne comprendraient pas ?
R - Ce qui peut exister - et cela je le comprends très bien -, c'est qu'un certain nombre de nos compatriotes se disent : «C'est loin, en quoi cela nous concerne ? Nous avons déjà des difficultés». Ce que je voudrais bien faire comprendre, c'est que nous sommes concernés. Ces terroristes ne s'en prennent pas simplement aux Irakiens, aux Syriens, à la Palestine, au Liban, à Israël. Vous avez vu leur message : «tous ceux qui ne sont pas avec nous, il faut les tuer.» Donc, nous nous défendons dans cette affaire mais nous n'établissons pas de confusion entre les uns et les autres.
Q - Les États-Unis vont défendre une résolution à l'ONU sur les groupes extrémistes pour bloquer le transport et le transit des Jihadistes. La Russie pourra-t-elle la voter ?
R - Je ne sais pas encore quelle sera la proposition exacte. J'ai vu John Kerry. Ils sont en train de regarder exactement ce qu'ils proposent... Nous verrons en fonction de la proposition, bien sûr.
Q - On peut faire sans la Russie ?
R - La Russie, c'est autre chose. Si la question posée est : «Est-il possible de poursuivre les groupes Daech en Syrie ?» - puisque vous savez qu'ils sont à cheval sur l'Irak et la Syrie -, d'un point de vue juridique, rien ne s'y oppose. Simplement, en ce qui concerne la France, nous avons dit que nous apportions notre soutien aérien pour l'Irak et que, en ce qui concerne la Syrie, notre action sera au soutien de l'opposition modérée. Parce que vous savez qu'en Syrie, il y a à la fois Daech, qui doit être évidemment combattu, et aussi M. Bachar Al-Assad. Il n'est pas question que M. Bachar Al-Assad prenne la place laissée par Daech.
C'est assez compliqué, mais il faut ramener cela à des choses simples : nous, en Irak, nous apportons notre appui aérien et, en Syrie, nous soutenons l'opposition modérée.
(...)
Q - Un petit mot sur les frappes aériennes. Nicolas Sarkozy, hier soir, a soutenu les frappes aériennes françaises, mais, en revanche, il s'est étonné du manque de leadership sur la politique étrangère. Il a dit : «pourquoi François Hollande n'a-t-il pas pris son téléphone lui-même et n'a pas dit à Vladimir Poutine : sur l'Ukraine, je ne suis pas d'accord ?». Il y a un manque de leadership français ?
R - Si vous interrogez les gens en Afrique, qui est intervenu au Mali et en Centrafrique pour éviter des problèmes terroristes épouvantables et un génocide ? La France. Si vous interrogez en Amérique latine, quel est le pays qui maintenant - maintenant - est présent en Amérique latine ? La France. Si vous interrogez sur ce qui se passe en Irak : quel est le pays qui a pris l'initiative, notamment pour défendre les chrétiens ? La France.
Je ne dis pas que tout soit parfait, mais je crois que s'il y a un domaine où l'action de la France n'est pas contestée, c'est la politique extérieure. D'ailleurs, je veux rendre hommage à l'attitude de l'opposition - en tout cas les grands responsables de l'opposition - qui, en général sauf cas particulier, sont en soutien de la politique extérieure que nous défendons. (...)./.
- Dérèglements climatiques -
Q - Le climat. Vous avez défilé hier à New York aux côtés d'Al Gore, notamment, et de nombreux New Yorkais parce que l'on prépare la conférence de Paris. Demain, il y a une conférence à l'ONU sur le climat. Pourquoi réussirait-on à Paris ce que l'on a raté à Copenhague il y a quelques années. Les Américains et les Chinois sont toujours opposés à ces contraintes pour préserver le climat ?
R - Je crois que non et j'espère que non. Pourquoi doit-on réussir à Paris ? Paris, c'est l'année prochain, c'est en décembre 2015, c'est la France qui va accueillir cette conférence mondiale, c'est moi-même qui la présiderait. Il est donc extrêmement important que l'on puisse réussir. Pourquoi ? Parce que la question du dérèglement climatique n'est pas une question pour dans 25 ou 50 ans. Sur votre antenne, on n'a cessé de montrer à quel point désormais les typhons étaient partout, les pluies étaient beaucoup plus violentes qu'avant, les sécheresses sont beaucoup plus violentes qu'avant, c'est lié à ce que l'on appelle les gaz à effet de serre. Aujourd'hui, on prévoit que si l'on n'agit pas, la température va augmenter de 5°, 6°, 7°, c'est-à-dire un chaos épouvantable sur le plan de la production agricole, sur le plan des migrations, sur le plan de l'eau, sur le plan des guerres. Et la planète va devenir invivable et elle commence d'ailleurs à être extrêmement difficile à vivre.
Il faut donc agir pour limiter les gaz à effet de serre et donc limiter l'émission de carbone. À Copenhague, il y a quelques années, cela avait échoué parce que, peut-être, la prise de conscience était moins forte qu'aujourd'hui, parce que, peut-être, cela n'avait pas été préparé comme il fallait. Là, maintenant, nous sommes au moment où il faut préparer tout cela.
Cette semaine, il y a un sommet organisé par Ban Ki-moon, le secrétaire général des Nations unies, aux Nations unies. Toute une série de pays vont s'engager et toute une série d'entreprises et d'organisations gouvernementales.
À la fin de l'année, il y a la conférence qui a lieu au Pérou et l'on prépare la grande conférence de Paris l'année prochaine. Et notre rôle à nous, Français, c'est d'essayer de rassembler les uns et les autres pour avoir un vrai accord sur le climat qui, finalement, sauve la terre.
Donc, il n'y a pas de tâche plus importante. Hier, il est vrai que dans un certain nombre de villes, notamment à New York, il y a eu un défilé ; j'étais aux côtés du secrétaire général des Nations unies, de l'ancien vice-président Al Gore, le maire de New York, enfin toute une série de monde.
Ce qu'il faut maintenant, c'est convaincre tous les pays qu'il faut agir dans ce sens. J'ai une différence d'appréciation par rapport à votre question : les États-Unis, en tout cas le président Obama, est en train d'évoluer ; on va voir concrètement si c'est le cas et on le pousse dans ce sens. Et les Chinois - et ça c'est un fait nouveau - sont en train d'évoluer. Pourquoi ? Parce que, dans tout le pays, en Chine, il y a une pollution épouvantable qui rend les choses physiquement insupportables. Donc, les autorités sont obligées d'évoluer en supprimant toute une série de centrales à charbon notamment.
Donc, les États-Unis et la Chine, dans notre analyse, vont être beaucoup plus actifs que la dernière fois. Mais il y aura beaucoup de gens à convaincre et c'est le rôle de la France d'essayer de le faire avec tous les autres. (...).
- Attractivité de la France -
Q - L'image de François Hollande est assez dégradée en France. Est-ce que cela touche son image internationale ?
R - Il est vrai que la situation en France n'est pas facile, tout le monde le sait. Mais, au plan international, la France a un très grand crédit. Simplement, il faut faire attention et c'est ce que je souligne souvent : si, durablement la crédibilité économique de la France diminuait, cela pourrait toucher notre rayonnement international. C'est la raison pour laquelle il faut faire des réformes, que nous sommes en train d'engager même si elles sont difficiles. C'est la raison pour laquelle j'ai mis l'accent sur ce que j'appelle la diplomatie économique, parce qu'il faut que l'on soit présent économiquement dans tous les pays du monde. Il faut aller chercher la croissance, donc l'emploi, là où est la croissance. C'est la raison pour laquelle nous sommes très présents dans tous les pays du monde avec des entreprises. L'État doit être aux côtés des entreprises à la fois, bien sûr, en France et dans le reste du monde (...) .
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 septembre 2014