Interviews de M. Alain Richard, ministre de la défense, à RTL et Europe 1 le 8 octobre 2001, sur l'intervention militaire américaine en Afghanistan, l'appui de la France à ces opérations, le largage d'aide humanitaire à l'Afghanistan et les mesures de prévention du terrorisme.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Début des bombardements anglo-américains sur l'Afghanistan, le 7 octobre 2001

Média : Emission L'Invité de RTL - Europe 1 - RTL

Texte intégral

Interview à RTL :
- "Mon sentiment est que le nombre d'objectifs qu'il faut détruire ou priver d'efficacité, est élevé. C'est un pays dans lequel les outils militaires ou logistiques de cette organisation et de la dictature taliban sont d'un niveau faible, mais très dispersés. Les premières frappes désorganisent le système, le fragilisent, rompent leurs liaisons et mettre une partie de leur personnel en situation de défensive. Il y a bien sûr l'objectif d'éviter toute forme de destruction qui menace la population et c'est donc très vraisemblablement une action qui va se développer par vagues avec, à chaque fois, un problème que nous connaissons bien d'évaluation des résultats obtenus."
5Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le octobre 2001)
Interview à Europe 1
J.-P. Elkabbach Vous êtes sur la brèche, c'est normal en temps de guerre. D'après vos informations, ce matin, le premier objectif des premières attaques aériennes de cette nuit, à savoir le contrôle du ciel afghan, est-il rempli ?
- "Vraisemblablement, oui. Il est beaucoup trop tôt pour faire une évaluation d'ensemble des résultats des actions qui ont été menées hier soir et cette nuit. Mais c'était une priorité. Elle est logique dans ce genre de situation, c'est-à-dire qu'il faut s'assurer que les forces aériennes, qui sont limitées, sur lesquelles peuvent s'appuyer les taliban, ne perturbent pas les autres actions. On va sans doute s'approcher de ce résultat."
Il y aura d'autres frappes aériennes ?
- "Oui."
Dans les jours qui viennent et pendant plusieurs jours ?
- "Oui. Il s'agit de se demander si on va laisser l'Afghanistan dans la situation où il est, c'est-à-dire un régime dictatorial menaçant pour l'ensemble de sa zone géographique et abritant un groupe terroriste qui est prêt à faire de nouveau des milliers de morts."
Quel objectif, donc ?
- "Donc, il faut agir. Et il faut bien essayer d'abattre le maximum de capacités de ce groupe menaçant pour l'ensemble des démocraties. C'est ce qui est en train d'être fait."
La deuxième phase sera une opération terrestre ?
- "Pas forcément. Il s'agit de réduire le potentiel de nuisance et de coordination de ce groupe d'assassins. Si cela peut être fait uniquement en détruisant leurs infrastructures et leurs bases logistiques, le reste est en grande partie un travail de renseignement, d'intervention humaine et de police, c'est-à-dire d'agir sur le reste de leur réseau."
La campagne va durer. Sous quelle forme, d'après ce que vous savez ?
- "Principalement, sous forme d'interventions aériennes, ciblées strictement sur les capacités militaires mises à la disposition du groupe Ben Laden par la dictature taliban, et sur les infrastructures repérées du groupe Ben Laden."
T. Blair a révélé que les sous-marins britanniques ont tiré des missiles. Est-ce que nos sous-marins sont dans la région ?
- "Non. Il s'agit de missiles américains, comme vous le savez."
Mais nos sous-marins ne sont pas par là. Le président de la République a annoncé hier que les forces françaises vont participer aux prochaines phases militaires. Les Etats-Unis vous ont adressé de nouvelles demandes ?
- "Oui."
Qu'est-ce que la France peut offrir de plus pour que l'aide ne soit pas que symbolique ?
- "Différentes capacités qui peuvent être des capacités en forces spéciales, des capacités aériennes, qui peuvent être un soutien naval supplémentaire. C'est en discussion à l'heure actuelle avec le partenaire américain. Mais comprenez bien que les Etats-Unis ont très largement la capacité de mener cette action par eux-mêmes. Ils n'ont besoin de personne matériellement. C'est évident pour tout le monde."
Alors, c'est pour nous faire plaisir, pour nous montrer que nous sommes des alliés, qu'ils nous demanderaient quelque chose ?
- "Non. C'est parce que la France, comme d'autres partenaires, représente un appui politique et un engagement symbolique dans cette lutte contre le terrorisme. Les Etats-Unis y voient une utilité et il faut se poser la question de savoir si pour nous, il est plus utile de rester à l'écart, de manifester que nous ne souhaitons pas participer à cette action, ou au contraire si nous pensons qu'il est important, vu nos valeurs, nos engagements internationaux, d'être dans cette action pour détruire le terrorisme."
Le président a donné la réponse.
- "Oui, et je pense que la grande majorité des Français partagent ce sentiment."
Est-ce que des forces militaires spécialisées françaises seront intégrées aux unités des Etats-Unis ?
- "Non. Dans tous les cas où il y a intervention conjointe dans une coalition, chacun a son rôle, chacun a son secteur, chacun a son objectif d'action. Il n'est pas efficace de faire agir dans la même unité, dans la même opération, des forces nationales différentes."
Vous avez dit qu'une partie de l'action sera entre les mains des Français. Quelle action ?
- "Cela va être décidé. N'ergotons pas. Aujourd'hui, je ne donnerai pas d'information sur les formes d'action dans lesquelles la France va s'engager, alors que les décisions conjointes avec les Etats-Unis ne sont pas prises à l'heure où je vous parle."
Dans quels délais seront-elles prises ?
- "Sans doute assez brefs, j'ai dit dans quelques jours."
La sécurité en France est renforcée, sans aucun doute. Est-ce qu'elle l'est suffisamment ? Est-ce que, par exemple, les centrales nucléaires sont protégées, y compris par l'armée ?
- "Elles sont très habituellement protégées par la gendarmerie. Certaines formes de protection ont été renforcées. En même temps, il faut garder les pieds sur terre. Les menaces terroristes qui existent sur notre territoire, dans notre pays, ont pré-existé, on les a traitées, on les a observées avec beaucoup d'efficacité. Il ne faut pas partir de l'hypothèse que l'existence d'une nouvelle phase de la lutte contre le terrorisme international va provoquer dans les heures ou les jours qui viennent des actes terroristes en France, alors que nous avons un assez bon repérage des gens qui peuvent engager de telles actions."
Donc, c'est une manière aussi d'aider à la lutte contre le terrorisme de la part de la France que d'avoir toutes ces mesures de précaution et cette lutte policière, judiciaire et militaire à l'intérieur du territoire ?
- "Oui. Cela s'est vu d'ailleurs de façon tout à fait évidente lorsqu'en complément des enquêtes qui étaient menées par le FBI sur les attentats de New York et Washington, les services français ont pu apporter des indications sur les actes, les déplacements, les rencontres d'un certain nombre de personnes qui étaient suivies par la France et qui se sont révélées être en effet des personnes qui étaient dans le dispositif de préparation."
Est-ce que vous confirmez que la France a un plan qui s'appelle Piratox, contre tout ce qui est ou serait biologique, chimique ?
- "C'est un plan qui a été instauré il y a plusieurs années, que B. Kouchner a mentionné d'ailleurs dans sa présentation des précautions chimiques et biologiques, vendredi."
Est-ce que la France sera engagée en Afghanistan même, c'est-à-dire au point central de ce conflit, ou est-ce que vous estimez qu'elle doit être engagée à la périphérie ?
- "Le Premier ministre a dit, quelques jours après les attentats, que la France prendra toute sa part de l'action collective contre le terrorisme. Nous n'avons aucune limitation quant aux sites en particulier où nous agirons. Au contraire, la France a bien insisté et est satisfaite de voir que les Etats-Unis partagent ce sentiment : le centre, le sanctuaire de l'organisation Al Qaeda est en Afghanistan. C'est en Afghanistan qu'il faut l'atteindre et veiller à ce qu'il s'agisse bien d'une action contre la menace terroriste et pas d'une action contre la nation afghane. Et, de ce point de vue, permettez-moi de dire que, si on se pose la question de l'avenir de l'Afghanistan, il me semble que c'est au contraire l'intérêt de la communauté internationale et de notre responsabilité de faire qu'il y ait un changement politique en Afghanistan. On a été critiqué, nous comme un certain nombre d'autres responsables internationaux, de ne pas avoir fait assez pour débarrasser l'Afghanistan de la dictature taliban qui à la fois l'opprime et le maintient dans une misère totale. On ne peut pas maintenant dire que c'est dommage de faire quelque chose pour se débarrasser des taliban."
Est-ce que vous êtes choqué que les avions américains larguent des bombes et de la nourriture et des médicaments en même temps, comme on l'a entendu il y a quelques instants [allusion aux déclarations préliminaires de J.-H. Bradol, pdt de Médecins sans frontières, depuis le Pakistan, ndlr] ?
- "C'est surtout une question d'organisation dans l'avenir. Il est évident que ce ne sont pas des largages de nourritures ou de médicaments, le jour même où il y les premières frappes sur un certain nombre de cibles et de sites, qui vont produire un effet. Mais par contre, nous savons bien qu'il y aura soutien humanitaire supplémentaire à donner, que cela se passera dans un contexte d'opération militaire, et qu'il est donc naturel que les forces militaires - mais ce pourra être, à mon avis, en contact avec les organisations humanitaires - apportent un soutien supplémentaire à la population afghane pendant cette phase-là."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 9 octobre 2001)