Texte intégral
- Japon -
Je suis ici depuis deux jours, d'abord à Kyoto ensuite à Tokyo. C'est un voyage qui à l'origine devait être essentiellement centré autour de la culture et de la science et puis qui a été étendu à des aspects politiques plus généraux et aussi à des aspects économiques et climatiques.
Pour l'aspect culturel et scientifique, hier j'ai inauguré la villa qui se trouve à Kyoto et qui depuis maintenant trois ou quatre ans était désaffectée. Grâce à la générosité de Pierre Berger et également de la fondation Bettencourt-Schueller nous avons pu la remettre en état - un état brillant d'ailleurs - et lui redonner une nouvelle impulsion. Nous allons avoir des artistes en résidence, que ce soit des Français - c'était le cas avant - ou des Japonais. Cela n'existe que dans trois pays du monde - la villa Médicis, Madrid et Kyoto - autour notamment des métiers d'art, mais pas seulement, pour diffuser la culture franco-japonaise dans les relations franco-japonaises. C'est une initiative très réussie et très prometteuse. Ensuite, sans en tirer tout le suc d'ailleurs, j'ai inauguré la Nuit blanche avec le maire de Kyoto qui est un homme charmant. Nous avons eu des rencontres avec des présidents d'universités, le gouverneur de Kyoto, etc.
Ce matin, je suis intervenu au forum international qui a lieu à Kyoto sur les sciences et technologies. Il y avait quelques orateurs, le Premier ministre Abe, moi-même et deux trois autres personnalités. J'ai rencontré le Premier ministre Abe, ce qui était fort intéressant. Évidemment, cela donne une dimension politique à tout cela. La communauté française à Kyoto, qui a l'air très heureuse d'ailleurs. Ensuite, nous sommes partis pour Tokyo où il y avait, d'une part, une manifestation pour fêter le dixième lancement de satellite d'une société japonaise, et la 25ème année de coopération entre Arianespace et cette société. Et puis, j'ai vu mon nouveau collègue de l'environnement pour parler du climat. Et je viens de diner avec mon collègue et ami, le ministre des Affaires étrangères.
Les relations entre le Japon et la France sont tout à fait excellentes, exceptionnelles même, il n'y a aucune ombre. Nous avons bien sûr fait le point de la situation politique : terrorisme, actions à mener ensemble, G7, G20. J'ai interrogé mes interlocuteurs sur ce qui se passe en Corée afin d'avoir leur vision. Nous avons parlé de nos relations bilatérales.
Il faut que nous avancions car il a été décidé d'étendre notre coopération aux champs de sécurité et de défense. Il y a donc un partenariat qui a commencé à être précisé entre la France et le Japon. La dernière fois que le Premier ministre Abe est venu à Paris, nous avons signé un intéressant accord de reconnaissance mutuelle des diplômes. Il faut maintenant que nous passions à la partie pratique pour que le nombre des étudiants dans les deux sens puisse augmenter.
Sur le plan économique nous avons toute une série de champs à parcourir ensemble, qu'il s'agisse d'aéronautique, de la santé, des nouvelles technologies, de l'agroalimentaire, etc. Nous avons parlé aussi de l'APE, Accord de partenariat économique, qui avance. Il y a un problème particulier sur les chemins de fer mais les choses semblent - M. Schweitzer a un regard attentif là-dessus - évoluer dans le bon sens, tant mieux.
Nous avons bien sûr parlé de ce qui se passe dans les régions dont nous sommes les plus experts. Et puis avec tous mes interlocuteurs, j'ai parlé du climat, d'abord parce que c'est un sujet très important. Vous savez qu'il y a l'année prochaine à Paris une conférence, la conférence mondiale sur le changement climatique ; et comme cela a lieu à Paris et comme c'est moi-même qui la préside, évidemment je m'en préoccupe activement. Le Japon joue un rôle important dans cette préparation, à la fois à cause de l'importance de ce pays, troisième économie du monde qui est aussi un grand émetteur de gaz à effet de serre, ce doit être le cinquième je crois, et puis bien sûr compte tenu de ce qui est arrivé à Fukushima. Évidemment, les prévisions qu'ils avaient faites de leur mix énergétique et de la part du nucléaire sont bouleversées et donc ils doivent reconsidérer un certain nombre de leurs prévisions.
Nous avons parlé de tout cela pour voir comment le Japon pouvait apporter sa contribution à la fois intellectuelle, financière et technologique, puisque la technologie jouera un grand rôle pour lutter contre le dérèglement climatique. Voilà un résumé de ces deux jours actifs. Une relation vraiment tout à fait exceptionnelle. Il va y avoir des déplacements bientôt, je crois que le ministre de l'Économie doit venir, d'autres ministres.
Au début de l'année prochaine - il faut que nous trouvions une date -, il y aura un 2+2, qui aura lieu ici, puisqu'il y a une alternance au plus haut niveau des visites, il y a un an c'était François Hollande au Japon, cette année c'était Shinzo Abe à Paris, l'année prochaine c'est normalement la visite retour du président. Il va falloir préparer cela et regarder quels sont les accords que l'on peut préparer. Il y a notamment le projet de préciser ce que nous pouvons faire en Afrique ensemble, il y a pas mal de choses. Peut-être aussi l'idée que j'ai lancée et qui intéresse nos amis japonais : comment peut-on partager nos expériences sociétales sur la place des femmes puisque c'est un thème qui est abordé par le Premier ministre japonais récemment alors que chez nous c'est une chose qui est abordée déjà depuis quelques temps.
Voilà, c'était donc une visite dans un excellent esprit dans un pays avec lequel il n'y a pas d'ombre à notre coopération. (...)
Q - Pensez-vous que le Japon puisse respecter ses engagements du Protocole de Kyoto, ce qu'il n'a jamais fait, dans les années à venir ? Il faudra bien qu'il fasse redémarrer ses réacteurs nucléaires pour les tenir.
R - C'est une question très complexe. Je n'ai aucun doute sur la volonté du Japon, le Premier ministre Abe me l'a encore confirmé, de contribuer à la baisse des émissions de gaz à effet de serre puisque c'est cela l'objectif. Le Japon a cet objectif comme la France et beaucoup d'autres pays. Maintenant le Japon a une difficulté majeure que personne de réaliste ne peut contester, c'est qu'il avait presque cinquante réacteurs qui étaient en fonctionnement. Ils se sont tous arrêtés pour les raisons que l'on sait, et aujourd'hui il examine les moyens pour en faire redémarrer deux. Il y avait jusqu'à présent 30 % de son énergie qui était d'origine nucléaire, et aujourd'hui il est en train de réfléchir à une proportion beaucoup plus faible.
Donc, il y a une modification du mix énergétique et si on veut poursuivre les mêmes objectifs, cela signifie qu'il va falloir trouver des solutions alternatives, qui sont les économies d'énergie, les énergies renouvelables, etc. Donc le Japon, le moment venu - ce sera le plus vite possible - va présenter son projet pour aller dans le sens d'une baisse des émissions de gaz à effet de serre mais en tenant compte bien évidement de la nouvelle situation. J'encourage beaucoup mes amis japonais à aller dans ce sens-là parce qu'à Varsovie l'année dernière, tous les pays se sont engagés à faire leurs propositions au printemps. Il faut que le Japon tienne compte de la nouvelle situation mais qu'il poursuive l'objectif général de ne pas dépasser une augmentation de deux degrés de la température, pour qu'on ne monte pas à quatre, cinq ou six degrés ce qui serait une absolue catastrophe. Il faut que chaque pays fasse des efforts, des efforts à la fois ambitieux et réalistes. C'est ce que le Japon va essayer de faire. (...).
- Chine -
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La Chine est un pays ami, nous voyons bien les tensions qui peuvent ou qui ont pu exister. Nous voyons même avec une certaine satisfaction - espérons que cela va durer - une certaine diminution dans les tensions. Nous avons une grande amitié pour la Chine, une grande amitié pour le Japon et donc à chaque fois que des tensions se produisent nous en sommes désolés. Nous n'avons pas d'ingérence à faire dans les affaires ni de l'un ni de l'autre mais s'il y a des tensions, il faut qu'elles soient résolues par des moyens pacifiques et selon les voies du droit international, c'est indispensable. Cette fois nous n'en avons pas parlé mais il est essentiel que dans cette partie du monde, comme c'est le cas dans d'autres parties du monde, ce soit d'abord la paix et la sécurité qui prévalent.
(...)
Q - Quelle est votre position concernant les manifestations en cours à Hong Kong ?
R - La France est attentive à ce qui se passe puisque, comme je vous le disais, nous sommes des amis de la Chine. Nous nous situons toujours dans ce qui a été reconnu par la Chine, c'est-à-dire un pays avec deux systèmes. Nous souhaitons vraiment que les voies et les moyens pacifiques soient trouvés pour que ces tensions s'apaisent. (...).
- Ukraine - Russie -
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Q - En Ukraine les séparatistes semblent avoir gagné. Quelle est désormais votre stratégie ?
R - Vous savez probablement qu'il y a le 26 octobre des élections législatives en Ukraine. Pour le moment le président est M. Porochenko, mais il doit y avoir des élections dans toute l'Ukraine. Il y a eu un accord intéressant et positif, à Minsk, qui a été passé entre l'Ukraine d'une part, l'OSCE d'autre part et ce qu'on appelle les séparatistes. Cet accord en douze points, nous pensons qu'il est bon, maintenant il faut le respecter. Dans cet accord il y a, mais pas uniquement, le cessez-le-feu. Il y a le fait aussi que dans les villes Donetsk et de Lougansk il doit y avoir des élections. Les rebelles ont signé cet accord mais, maintenant, ils ne le respectent pas. Le cessez-le-feu est plus au moins respecté mais disons que la situation, même si elle est loin d'être totalement stabilisée, est moins aiguë qu'elle ne l'était il y a quelques semaines.
On va voir ce qui se passe pour les élections. À partir du moment où les élections auront eu lieu, nous auront d'un côté un président, M. Porochenko, qui a été élu et de l'autre côté un parlement qui aura pleine légitimité pour avancer.
Parallèlement, vous le savez, il y a un accord d'association qui, dans sa partie économique, a été repoussé et ne s'appliquera qu'à la fin 2015 ou au début 2016. Et puis il y a des conversations qui ont lieu entre les uns et les autres. Les rebelles continuent, pour certains d'entre eux, à ne pas accepter ce système. Mais nous, la France et l'Union européenne, nous sommes pour une Ukraine qui soit libre, indépendante et dont l'intégrité territoriale soit respectée. Voilà où nous en sommes.
Et puis il y a aussi des discussions pour régler la question difficile du gaz. Ces derniers jours, il y a eu des hauts et des bas mais nous souhaitions vraiment que l'on aille vers un accord, qui évidement est un accord aussi avec la Russie, pour permettre la livraison de gaz cet hiver.
La France a depuis le début la même attitude. Nous pensons que l'Ukraine doit avoir à la fois de bonnes relations avec l'Union européenne et avec la Russie. C'est la géographie qui le décide, le détermine et le nécessite. Nous disons que vis-à-vis de la Russie il faut avoir une attitude ferme, car il y a des choses qui sont inacceptables. On ne peut pas accepter qu'un pays annexe une région d'un autre, la Crimée. On ne peut pas accepter qu'un pays ait des soldats dans un autre, qui ne le veut pas. Il y a eu des sanctions parce que ce comportement n'est pas acceptable mais, d'un autre côté, il faut aussi un dialogue puisque nous voulons que la situation s'améliore. La France est à l'origine du processus de dialogue que l'on appelle le processus «de Normandie», qui réunit lorsque c'est nécessaire, la Russie, l'Ukraine, la France et l'Allemagne.
Q - La vente du Mistral à la Russie a été suspendue jusqu'en novembre. Nous sommes maintenant en octobre ; que ferez-vous dans un mois ?
R - S'agissant du Mistral, le président a défini notre position. Un contrat avait été signé en 2011, du temps de la présidence de M. Sarkozy. Ce contrat a été signé et c'est la règle, lorsque les contrats sont signés, qu'ils soient honorés. Mais évidemment il ne peut être honoré que si d'un côté le cessez-le-feu est respecté et de l'autre une solution politique est engagée. Au moment où le président s'est exprimé, c'était il y a quelques jours, il a dit que ces conditions n'étaient pas réunies. Nous en sommes toujours au même point. Nous souhaitons que ces conditions soient réunies, mais aujourd'hui, au moment où vous m'interrogez, elles ne sont pas encore réunies. Mais j'espère bien qu'elles seront réunies.
Q - Avez-vous abordé le sujet de la Russie et d'un éventuel rapprochement entre la Russie et la Chine face aux pays occidentaux et au Japon ?
R - Pour dire les choses très honnêtement, nous n'avons pas parlé de la Russie cette fois-ci. Nous en avons parlé au cours d'autres conversations, par exemple le président a rencontré M. Abe - j'étais présent, à New York - et il a eu un tour d'horizon sur différents sujets. Mais cette fois-ci dans mes conversations, je n'ai pas abordé ce sujet. Si vous me demandez ma position, la France est une puissance de paix. Lorsque nous élaborons notre politique internationale, nous l'élaborons à partir de quelques objectifs. Le premier objectif, c'est la paix et la sécurité. Le deuxième objectif, c'est l'organisation du monde et la préservation de la planète. Le troisième objectif, c'est la relance de l'Europe. Le quatrième objectif c'est le rayonnement de la France. Voilà comment nous nous déterminons dans nos positions.
En ce qui concerne la Russie, la Chine et d'autre pays, c'est l'objectif de paix et de sécurité qui nous anime. Depuis plusieurs décennies et même des siècles, la Russie et la France ont de très bonnes relations. C'est le fruit de la géographie, c'est le fruit de l'histoire. Donc nous souhaitons avoir de très bonnes relations, mais en même temps il y a des choses qui ne peuvent pas être acceptées. Si on accepte sans réagir qu'un pays annexe une région d'un autre pays, vous voyez ce que cela peut signifier en Europe, en Asie, en Afrique et ailleurs. Donc par rapport à cela nous disons que nous ne sommes pas d'accord. Cela ne nous conduit pas à monter sur nos grands chevaux. Nous parlons, le président Hollande parle au président Poutine, moi-même je parle à mon homologue russe mais sur ce point-là nous ne sommes pas d'accord. (...).
- Lutte contre le terrorisme - Irak - Syrie -
(...)
Q - Avez-vous évoqué avec M. Abe le sujet de la prochaine étape de la lutte contre l'État islamique - Daech -, en particulier la nécessité d'agir en Syrie ?
R - Je n'en ai pas parlé avec le Premier ministre Abe mais j'en ai parlé avec le ministre des Affaires étrangères longuement puisque nous connaissions très bien le sujet. Je lui ai parlé de Daech, ce groupe terroriste et le danger effrayant qu'il représente. Vous savez qu'un de nos compatriotes a été décapité il y a peu de temps et voilà qu'un Britannique a subi le même sort. Il y a des risques d'ailleurs que des personnes asiatiques soient recrutées par cette organisation.
Je lui ai bien sûr exposé dans quelles conditions nous avons décidé d'intervenir via notre aviation en Irak et non pas au sol, les difficultés que cela représente - le groupe Daech se dissimule dans les villes et il est beaucoup plus difficile de l'atteindre - et la façon un peu différente dont les choses se présentent en Syrie, puisqu'en Syrie le gouvernement, ce n'est pas le gouvernement irakien, qui lui est un gouvernement inclusif, c'est le gouvernement d'un dictateur, M. Bachar Al-Assad. Il s'agit de lutter contre Daech sans pour autant le faire à l'avantage de M. Bachar Al-Assad. Donc, il faut former dans l'intervalle l'opposition modérée, ce que nous faisons avec les Américains et d'autres. Nous avons parlé de cela. Le Japon est bien évidemment tout à fait à l'écoute en ce qui concerne la nécessité de lutter contre le terrorisme, même si chacun le fait par ses propres moyens. Et puis j'ai insisté sur le fait qu'il faut couper les financements de ce groupe terroriste. Ce qui suppose par exemple de s'opposer à tout achat de pétrole et de contrôler les finances et les ramifications. Donc, nous avons parlé de la nécessité de lutter de façon implacable contre les terroristes et de la difficulté de le faire.
Q - Quelles seraient les conditions pour que la France participe à des frappes aériennes en Syrie ?
R - Tel n'est pas actuellement notre plan, il y a une répartition des tâches entre ce que font les différents pays. S'agissant de la France nous avons décidé, à la demande du gouvernement irakien, d'assurer une protection aérienne, c'est le même choix qu'ont fait d'ailleurs tous les pays européens, la Grande-Bretagne, la Belgique, les Pays-Bas.
En Syrie, nous contribuons à la formation de l'opposition modérée mais, à ce stade, nous n'avons pas décidé d'intervention. Mais nous sommes coordonnés évidemment avec ceux qui interviennent directement, qu'il s'agisse des États-Unis ou des pays arabes. Nous travaillons dans cet esprit-là tout en sachant, il faut le dire, que les choses risquent d'être assez longues, parce que le groupe terroriste Daech a malheureusement prélevé beaucoup d'armes sur l'armée irakienne ; il dispose de fonds importants et se dissimule dans la population. Donc pour aller neutraliser ce groupe, ce qui est indispensable, cela prendra du temps. Mais toutes les nations libres sont déterminées. ( )
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 octobre 2014