Entretien de M. Harlem Désir, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, dans le quotidien autrichien "Die Presse" du 6 octobre 2014, sur la politique économique en France, la coopération franco-allemande et la construction européenne, l'accord de libre-échange avec les Etats-Unis et sur la Grande-Bretagne au sein de l'Union européenne.

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Média : Die Presse

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Q - Le Premier ministre Manuel Valls a récemment déclaré à Berlin que la France s'efforçait de régler son problème de déficit budgétaire. Pourquoi votre pays a-t-il tant de mal avec son budget ?
R - Comme l'a dit Manuel Valls, nous avons mis en oeuvre un large programme de réformes. Nous ne voulons pas de remise en cause du pacte de stabilité mais nous voulons tirer partie de sa flexibilité. Nous voulons améliorer notre compétitivité et réduire les dépenses de l'État. Ce sont des réformes comme l'Allemagne, par exemple, en a fait il y a plus de dix ans.
Q - Vous voulez dire au temps du gouvernement Schröder ?
R - Oui, mais chaque pays a, bien sûr, besoin de concepts de réformes distincts. Nous devons réduire les taxes sur les entreprises et les charges sociales. L'effort porte sur 40 milliards d?euros et ne peut être réalisé que progressivement. Il faut soutenir l'emploi et l'investissement. Pour financer cela, nous devons réduire les dépenses publiques de 50 milliards d'ici 2017, et de 21 milliards déjà d'ici 2015.
Par ailleurs une réforme de l'administration va faciliter le travail des entreprises. La difficulté, c'est que, lorsque Schröder a mis en oeuvre ses réformes en Allemagne, c'était en période de croissance, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Il y a un risque de déflation et de stagnation dans l'eurozone que nous ne devons pas laisser s'imposer. C'est pourquoi l'initiative de soutien à l'investissement de 300 milliards d'euros sera à l'agenda du prochain sommet européen.
Q - La question centrale, c'est comment créer de l'emploi et stimuler l'économie sans alourdir les budgets ?
R - Les emplois doivent être créés dans le secteur privé et tout spécialement dans les PME. Nous devons faciliter l'investissement de ces entreprises. Ce n'est qu'ainsi qu'elles pourront s'affirmer face à la concurrence et exporter. Nous avons en France une industrie forte. Comme en Allemagne et en Autriche, il nous faut créer un contexte plus favorable aux PME.
Q - Dans le passé la France et l'Allemagne ont été le moteur de l'UE mais aussi de la croissance européenne. N'est-ce plus le cas ?
R - Cette coopération est essentielle. Nous travaillons avec les Allemands sur toutes les questions importantes : sur l'Ukraine, les questions économiques, l'union bancaire. Entre temps il y a un consensus de part et d'autre du Rhin sur la nécessité d'investir dans l'économie.
Q - De quelle façon ? D'où doit venir le financement ?
R - D'abord en tirant partie des possibilités existantes, comme la Banque Européenne d'Investissement. Nous avons déjà relevé le capital de cette banque. Il y a désormais un volume de prêts de 60 milliards d'euros. Avec un minimum de garanties publiques, on peut ainsi financer de nombreux projets. Nous devons aussi essayer de mieux canaliser l'épargne élevée en Europe pour financer l'économie réelle. Il faut une initiative pour la croissance allant au-delà des frontières nationales.
Q - L'accord de libre-échange avec les États-Unis va-t-il produire plus de croissance ?
R - Les entreprises européennes auront un accès plus facile au marché américain. Il y aura une harmonisation des standards techniques. Dans ces négociations, nous devons veiller à la transparence. La Commission européenne doit communiquer de façon ouverte avec les États membres, les parlements et la société civile. L'UE doit aussi faire preuve de crédibilité pour défendre ses propres standards, par exemple sur les OGM. Il nous faut aussi préserver l'importance de la diversité culturelle et de certains secteurs économiques spécifiques, comme l'industrie de l'armement.
Q - Quelle est votre position sur la question de la protection des investisseurs par des tribunaux d'arbitrage externes ?
R - Pour ce qui est du respect des grands traités de libre-échange comme celui-ci, il faut que la procédure d'arbitrage soit publique. La possibilité existe pour les entreprises d'être représentées par leur État contre des réglementations d'autres États dans le cadre de l'OMC. Une institution étatique essaie de trouver une solution avec une autre institution étatique. Il devrait pouvoir en être ainsi pour le traité de libre-échange avec les États-Unis. Au même niveau et non par l'intermédiaire des tribunaux d'arbitrage privés. Il n'est pas acceptable qu'un instrument de droit privé puisse écarter le droit international public.
Q - La Grande-Bretagne pourrait bientôt quitter l'UE, si une majorité vote pour un referendum. Quelles en seraient les conséquences ?
R - Pour le moment personne ne sait encore quand et même si ce referendum aura lieu. Nous avons besoin de solidarité en Europe pour relever les défis globaux. Je ne crois pas que l'Europe gagne quelque chose à se diviser. La Grande-Bretagne a sa place dans l'UE et devrait rester. Nous pouvons discuter avec Londres du développement futur de l'UE mais la France ne veut pas de retour en arrière. Bien sûr, l'UE doit se concentrer sur les questions clés et ne pas s'immiscer dans les moindres détails, dans la société, dans les États, mais nous ne voulons pas de démantèlement de la construction européenne. La Grande-Bretagne peut avoir ses opt-outs, elle ne doit pas entraver ceux qui veulent continuer à développer l'UE.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 octobre 2014