Interview de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, avec France Info le 24 septembre 2014, sur l'otage français en Algérie, les djihadistes français et sur la lutte contre le groupe terroriste Daech en Irak et en Syrie.

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Média : France Info

Texte intégral


JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Et bienvenue ! Alors, l'ultimatum a expiré hier soir, faut-il craindre pour la vie d'Hervé GOURDEL, l'otage français enlevé dimanche en Kabylie ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Oui, il y a à craindre en ce moment, ce matin, je pense beaucoup à lui, à l'angoisse de sa famille et de sa compagne, ses enfants, dans une période de grandes tensions, je constate que, à chaque fois qu'un de nos compatriotes est ainsi capturé par des groupes terroristes, il se produit deux choses, il y a d'abord une grande solidarité nationale, c'est ce que je constate, et puis, il y a aussi l'action de l'Etat. Et l'action de l'Etat, elle est très forte, mais elle se fait dans la discrétion et dans la détermination avec le soutien, la coopération des autorités algériennes, parce que l'Algérie a déjà vécu le terrorisme avec beaucoup de souffrance, et continue à le vivre, continue à le subir, et les autorités algériennes travaillent en étroite collaboration avec nous pour tenter d'extirper monsieur GOURDEL de ses geôliers.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Alors, on a bien compris, la discrétion est de mise à chaque fois dans ce type d'enlèvement ; de ce que vous pouvez en dire ce matin, Jean-Yves LE DRIAN, est-ce que vous avez peut-être, je ne sais pas si c'est le mot, de ses nouvelles ? Est-ce que nous participons à ces recherches ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Oui, nous participons, nous suivons, mais sur ce sujet-là, comme dans les cas précédents, je suis d'une grande discrétion, parce que c'est le seul moyen d'aboutir.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Jean-Yves LE DRIAN, avant d'évoquer la poursuite des opérations militaires en Irak, il y a cet incroyable ratage, les trois djihadistes français présumés, nous en parlons depuis ce matin, dont le beau-frère de Mohamed MERAH, que la police a laissé filer à leur retour de Turquie, personne ne les a inquiétés à leur descente d'avion, comment est-ce possible ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Il y a manifestement un gros cafouillage, mais il est en grande partie dû aux difficultés et à l'absence de très bonne collaboration avec les services turcs, ce cafouillage montre qu'il faut renforcer les relations, les méthodes et les actions avec les autorités turques, et je suis convaincu que Bernard CAZENEUVE, qui est extrêmement déterminé et extrêmement vigilant, va prendre les initiatives nécessaires, et que les autorités turques seront collaboratives. Il n'empêche que depuis plusieurs jours, on arrête tous les jours des individus suspectés d'être dans ces filières djihadistes, ils sont arrêtés, mis en garde à vue, judiciarisés, donc il y a eu encore, il y a quelques jours, la filière lyonnaise qui a été démantelée, bref, la vigilance est de tous les instants, et là, bon, il y a eu ce couac...
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Oui, mais, justement, le ministre de l'Intérieur a dit ici-même, à votre place : la France n'a pas peur, elle est préparée pour répondre à ces menaces, vous savez, avec un épisode comme ça, on a envie de penser le contraire !
JEAN-YVES LE DRIAN
Oui, eh bien, je pense qu'une solution sera vite trouvée...
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
C'est une mauvaise publicité qui est faite...
JEAN-YVES LE DRIAN
C'est une mauvaise articulation, mais l'initiative des autorités turques de changer d'avion a été malencontreuse.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Alors, vous annoncez de nouvelles frappes aériennes en Irak, dans les prochains jours, est-ce que cela va suffire pour repousser, éliminer Daech, enfin, l'Etat islamique ?
JEAN-YVES LE DRIAN
C'est une affaire qui va être longue, pourquoi est-ce que nous sommes partie prenante de ces actions dans la coalition qui a été initiée ? Parce que ce groupe terroriste Daech n'est pas du même style que les groupes terroristes antérieurs, il y a une ampleur beaucoup plus grande, une barbarie beaucoup plus forte, un fanatisme insupportable, et une volonté expansionniste affichée et concrétisée par le fait que ce groupe Daech dépasse les frontières, a maintenant pour volonté d'aller en Jordanie et au Liban, et aussi volonté de former des individus qui, demain, en France ou ailleurs, ça peut être aussi en Australie ou en Indonésie, porteront leur interprétation du Djihad, et aboutiront à des situations très dangereuses. Donc nous sommes à la fois là pour la sécurité de l'ensemble de la zone, à la demande des autorités irakiennes, mais nous sommes là aussi pour notre propre sécurité, et j'ajoute un point, c'est que Daech, Etat islamique, faussement appelé Etat islamique, est un groupe terroriste d''une envergure jamais vue par ses moyens militaires, par sa richesse...
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Oui, qui a été financé par des Etats du Golfe au départ, qui sont aussi parfois vos partenaires...
JEAN-YVES LE DRIAN
Ce n'est pas tellement ça le sujet, figurez-vous, le sujet, c'est que ce groupe Daech, d'abord, a mis la main sur la banque de Mossoul, ce qui ramène du cash et qui permet de payer un certain nombre d'acteurs...
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Et le pétrole...
JEAN-YVES LE DRIAN
Et que par ailleurs, ils ont le pétrole. Et que par ailleurs, ils ont mis la main sur les matériels militaires, laissés, soit par les Syriens, soit par les Irakiens. Ils ont des chars, ils ont des 4X4 blindés, plusieurs centaines...
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Jean-Yves LE DRIAN, ils sont puissants aujourd'hui...
JEAN-YVES LE DRIAN
Ils savent mener des actions terroristes, mais aussi de la guerre conventionnelle, donc il y a une réelle menace dont il faut prendre toute la mesure, c'est pourquoi nous sommes dans la coalition...
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Alors justement...
JEAN-YVES LE DRIAN
C'est pourquoi, à la demande des autorités irakiennes, nous avons frappé et nous continuerons à le faire...
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Nous frappons en Irak, mais pas en Syrie. Les Américains sont allés frapper des positions de l'Etat islamique, d'Al Qaïda aussi en Syrie, mais pas nous, pourquoi ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Il y a un partage des tâches...
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Est-ce qu'il est encore temps de faire ce distinguo, parce que c'est Bachar El-ASSAD qui est en Syrie ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Nous sommes dans une coalition, avec les Etats-Unis, avec un certain nombre d'autres pays, avec les pays du Golfe, et nous nous partageons les responsabilités, la France a dit qu'elle interviendrait en Irak, elle le fait.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Pas la Syrie, parce que nous sommes opposés à Bachar El-ASSAD, c'est ça, l'histoire ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Eh bien écoutez, si certains interviennent en Syrie, d'autres en Irak, il y a une coalition qui fait bien son travail.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Et vous ne voulez pas parler de la position de la France contre Bachar, qui l'empêcherait d'aller frapper en Syrie ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Oui, mais tout le monde est contre Bachar, il n'y a pas que la France. On ne peut pas choisir entre une dictature sanguinaire et un terrorisme sanguinaire. Nous, notre rôle, c'est de frapper en Irak, parce qu'on nous l'a demandé, et nous le faisons.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Alors, il y aura un débat justement sur cet engagement aujourd'hui à l'Assemblée nationale avec Manuel VALLS, vous-même, vous serez au Sénat pour lire un message du gouvernement, une déclaration. Le sujet fait consensus, même s'il y a des « oui, mais », c'est le cas d'Europe Ecologie-Les Verts par exemple ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Ecoutez, c'est la sécurité de la France...
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
On peut se permettre un « oui, mais » aujourd'hui ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Moi, je ne crois pas, c'est la sécurité de la France, et c'est aussi la sécurité de pays qui sont sous la menace de ce fanatisme insupportable, donc je pense que dans ces moments particuliers, la France a trois tâches, d'abord, d'agir, de s'engager, c'est ce que nous faisons, ensuite, d'être dans l'unité, au-delà des passions politiques, lorsque la sécurité de notre pays est en jeu, il importe que nous soyons unis, et puis, troisièmement, de maîtriser la gestion militaire, de ne pas faire n'importe quoi, et d'être très vigilant, c'est ce que nous faisons.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Vous parlez de gestion militaire, nous sommes sur de nombreux terrains, le Mali, on le sait, la Centrafrique, il y a dans le collimateur également la Libye, le chaos libyen, qui se profile, Jean-Yves LE DRIAN, est-ce que la France d'ailleurs, à l'époque, sous Nicolas SARKOZY, a eu raison de s'engager contre le colonel KADHAFI ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Oui, oui, parce que si nous ne l'avions pas fait, aujourd'hui, la Libye serait comme la Syrie. La difficulté, c'est le suivi après qui a été, je pense, un peu trop relativisé et pas assez pris en considération, ce qui a abouti au fait qu'aujourd'hui, on a un Etat complètement déstructuré, on a des groupes djihadistes différents, fondamentalistes, qui prennent, soit Tripoli, soit Benghazi, et on a, au Sud, ce qui me préoccupe le plus, une espèce de hub où les groupes terroristes que nous avons chassés du Mali, parce que nous avons quand même réussi nos opérations au Mali globalement, et qui viennent se ressourcer pour ensuite aller provoquer ailleurs, y compris d'ailleurs ceux dont on parlait tout à l'heure, pour l'Algérie, puisque l'Emir DROUKDAL par exemple ou Mokhtar BELMOKHTAR viennent dans ce sud-libyen. Donc il y a un problème libyen spécifique, ce n'est pas de notre responsabilité de dire : on va ré-intervenir. Notre responsabilité, c'est d'alerter en particulier les Nations Unies, et je sais qu'il y a eu à cet égard, hier, une rencontre à New York, dans le cadre de l'assemblée générale, et que les Etats-Unis ont diligenté une mission spécifique pour essayer de faire en sorte qu'il y ait un gouvernement qui fonctionne et qui puisse prendre des responsabilités et des initiatives.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Une toute dernière question de politique dite nationale, même si vous êtes concentré à 100% sur ces opérations militaires, Jean-Yves LE DRIAN, la politique avec le retour de Nicolas SARKOZY dans le paysage politique français, cela vous étonne, cela vous inquiète, dans le débat politique qui arrive aujourd'hui, ça va être compliqué ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Je crois que le ministre de la Défense n'a pas à prendre position sur la manière dont un parti politique important de l'opposition décide de renouveler ses cadres. Il y avait monsieur MARITON, il y avait monsieur Le MAIRE, il y a maintenant monsieur SARKOZY. Bon, ce sont les militants de l'UMP qui vont décider, moi, je n'ai pas à me mêler de cela, simplement, ce que je souhaite, c'est qu'il y ait un parti d'opposition responsable, qui contribue, par ses prises de parole au bon fonctionnement de la démocratie et qui fasse des propositions dans l'opposition qui soient utiles à la France.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Notamment dans les moments comme nous le vivons actuellement.
JEAN-YVES LE DRIAN
Absolument.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Merci à vous, Jean-Yves LE DRIAN.
FABIENNE SINTES
Jean-Yves LE DRIAN, juste une dernière question, pardon, pour revenir cinq minutes - cinq secondes même - sur ces fameux djihadistes qui vous ont échappé, vous dites effectivement que, il faut voir du côté d'Ankara, attendez, les policiers disent ce matin que le système Keops de contrôle des passeports n'a pas fonctionné. Ils disent que ce système Keops fonctionne rarement, qu'il est souvent en panne.
JEAN-YVES LE DRIAN
Je pense que... il y a eu une panne à Marseille, ça, je le sais, il y a parfois des pannes à Marseille...
FABIENNE SINTES
Et combien d'autres ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Mais en tout cas, je sais que le ministre de l'Intérieur est très déterminé pour la cohérence de l'action contre le terrorisme, et les services du ministère de la Défense participent avec les services de la DGSI à cette lutte implacable.
FABIENNE SINTES
Ça veut dire que, il faut réparer ces détecteurs de passeports le plus vite possible, s'assurer qu'ils sont en bonne marche ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Eh bien, oui, c'est la moindre des choses, mais ça sera fait.
FABIENNE SINTES
Il y a 120 djihadistes qui sont passés en France, d'après ce qu'on sait, qui sont revenus en France, Monsieur LE DRIAN, ça veut dire qu'il peut y en avoir eu d'autres.
JEAN-YVES LE DRIAN
Oui, mais je viens de vous dire, vous m'avez écouté, je pense...
FABIENNE SINTES
Je vous ai entendu...
JEAN-YVES LE DRIAN
Que ces 120 djihadistes étaient, pour une bonne partie d'entre eux, suivis, incarcérés et judiciarisés.
FABIENNE SINTES
Jean-Yves LE DRIAN, sur FRANCE INFO. Et c'est l'autre info avec Guy BIRENBAUM. Ce matin, Guy, vous nous emmenez en Belgique !
GUY BIRENBAUM
Oui, c'est une bouteille à la mer qui vient du site Internet du journal belge L'Avenir, l'histoire est très touchante, j'ai voulu profiter de votre présence, Monsieur LE DRIAN, pour tenter d'aider un habitant de la ville de Ciney. Alors, sa démarche, c'est qu'en cette année du centenaire de la grande guerre, il y a de très nombreuses familles qui ont pu commémorer sur leurs tombes la mémoire de leurs proches morts en 1914 et 1918, il y a aussi des familles qui cherchent encore et toujours la dépouille de l'un des leurs sans savoir où ils reposent, c'est le cas de Léopold SANTKIN, qui a donc lancé un appel public hier.
FABIENNE SINTES
Appel que vous avez donc décidé de relayer, Guy.
GUY BIRENBAUM
Oui, au moment où l'Europe est très fragile, il ne faudrait pas oublier le rôle qu'a joué la petite armée belge dans la victoire contre l'Allemagne, quand on lit ou quand on se souvient de nos livres d'histoire, on apprend que c'est en empêchant l'armée allemande d'avancer aussi vite qu'elle pensait le faire que l'armée belge a permis aux troupes françaises d'arrêter l'offensive allemande dans la Marne. Alors d'ailleurs, en fouillant sur le site formidable de la Bibliothèque Nationale de France, j'ai trouvé des journaux français de l'époque, qui chantent les louanges des Belges, j'ai avec moi L'Echo de Paris du 29 août 1914, en première page, on trouve un article titré : l'âme belge formée par la guerre, qui débute ainsi : chaque Français voudrait témoigner à nos voisins héroïques, aux Belges, sa gratitude, son admiration, sa profonde amitié, à l'abri de leur résistance magnifique tandis qu'ils arrêtaient l'élan de l'ennemi, nous nous sommes formés. Nous avons donc un devoir vis-à-vis de nos amis belges, d'où mon envie de médiatiser la quête de Léopold SANTKIN. Léopold cherche n'importe quel indice qui pourrait lui permettre de trouver l'endroit où est inhumé son grand-oncle, Louis-Victor-Gilles VERDIN, VERDIN, avec un « i », je vous montre sa photo pour ceux qui nous regardent sur Internet. Louis VERDIN était né à Rendeux, le 27 juin 1894, il était célibataire, il fut sergent au 4ème régiment de chasseurs à pied. Il est mort en Flandres occidentale en décembre 14, il avait 20 ans. Il y a une cinquantaine d'années, son grand-père avait effectué des recherches, le grand-père de Léopold, mais elles n'ont rien donné. D'où l'envie de Léopold de se servir du centenaire pour retrouver le corps de son aïeul. Alors, chers auditeurs, que vous soyez Français ou Belges ou Européens, si vous avez la moindre information sur Louis VERDIN, je vous donne rendez-vous sur le site de FRANCE INFO, je vais mettre les coordonnées de Léopold SANTKIN, et j'espère, Monsieur le Ministre, que Léopold peut compter sur la coopération des archives de l'armée française. Nous lui devons bien ça !
JEAN-YVES LE DRIAN
Nous avons une très bonne collaboration avec la Belgique, et nous sommes tout à fait reconnaissants à la Belgique dans sa participation au combat, en particulier de la première guerre mondiale, et je soutiens tous les efforts de Léopold pour ses recherches.
GUY BIRENBAUM
Merci pour lui.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 10 octobre 2014