Entretien de Mme Annick Girardin, secrétaire d'État au développement et à la francophonie, à BFM TV le 7 octobre 2014, sur l'aide apportée par la France à la Guinée face à l'épidémie d'Ebola.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : BFM TV

Texte intégral

Q - Vous êtes la première ministre européenne à être allée sur place, en Guinée, constater les dégâts d'Ebola. Qu'avez-vous vu ?
R - D'abord, des hommes et des femmes de Médecins sans frontières, des volontaires très impliqués dans la lutte contre ce virus. Jamais on ne pourra suffisamment les remercier, les féliciter. Il faut absolument qu'ils restent, qu'ils reçoivent tous nos encouragements, régulièrement.
Un pays touché, la Guinée, avec un système de santé fragile, qui n'a pas su faire face à ce virus Ebola. C'est aussi ce qu'il faut dire, on voit bien dans la région d'Afrique de l'Ouest, que certains pays ont été touchés et d'autres non, parce que les systèmes de santé ont été plus ou moins fragiles.
Q - Qu'est-ce qui fait la différence ?
R - La Côte d'Ivoire et le Sénégal ont des systèmes de santé qui étaient prêts à pouvoir lutter contre ce type de virus, avec le soutien notamment de l'Institut Pasteur, au Sénégal, en Côte d'Ivoire, et à une mobilisation très rapide.
La Guinée a été moins touchée que la Sierra Leone ou le Liberia mais, malgré tout, son système était fragile et n'a pas pu faire face immédiatement au développement de ce virus. Il faut aussi savoir que l'épicentre se déroulait ou est né en Guinée. C'est un pays qui veut lutter, qui a besoin de soutien, le soutien de la France d'abord...
Q - Justement, la France va aider directement la Guinée, aide directement la Guinée ?
R - La France aide directement la Guinée dans un soutien bilatéral, mais pas uniquement. Ce soutien bilatéral, c'est d'abord la présence pour dire «on peut aller en Guinée, on peut en revenir, on peut être soigné d'Ebola, on peut s'en sortir», je l'ai constaté sur place...
Q - Attendez, je vous arrête, vous dites «on peut aller en Guinée, on peut y revenir», trois parents ont refusé de déposer leurs enfants dans une école de Boulogne-Billancourt, en région parisienne, c'était lundi matin, en raison justement de la présence d'un élève qui revenait de Guinée.
R - Il faut vraiment lutter contre cette peur et toutes ces rumeurs. Je suis allée dans le lycée français à Conakry, avec des enseignants courageux, des parents qui ont joué le jeu parce que l'information est là, parce que les gestes, les premiers gestes d'hygiène ont été mis en place. On ne peut quand même pas, alors qu'on a encouragé l'ouverture de ce lycée français en Guinée, à Conakry, se laisser déborder par une peur, ici, en Europe, alors que les systèmes de santé européens font face à des épidémies ou des virus beaucoup plus...
Q - Donc, ces parents avaient tort de retirer leurs enfants ?
R - Mais oui ! Aujourd'hui, en termes d'information en France, il faut aller très vite, il faut arrêter ces rumeurs, arrêter cette peur. On a des systèmes de santé solides qui prendront en charge. On peut d'ailleurs se féliciter de notre infirmière française qui est aujourd'hui au repos, en congé, après avoir été sauvée, soignée ici en France.
Q - Est-ce raisonnable d'aller en Guinée ? Est-ce raisonnable aujourd'hui, pour un ressortissant français, un Français, d'aller en Guinée ?
R - Pour celui qui doit y travailler, nous avons nos enseignants français, nous avons des entreprises françaises qui y travaillent. J'ai vu combien Bolloré, par exemple, s'est impliqué dans l'information de l'ensemble des conjoints, des ouvriers...
Q - Donc, pas de contre-indications ?
R - Il y a une liaison d'Air France qui continue et il le faut parce qu'au-delà de la crise aujourd'hui sanitaire, on va avoir une crise alimentaire - la France se prépare déjà à un soutien alimentaire - et puis on aura une crise économique. Donc, il faut aller lutter contre ce virus sur place...
Q - Oui, mais le virus voyage, il y a ce cas en Espagne...
R - ... Justement pour éviter qu'il se déplace un peu partout.
Q - D'accord. Mais il y a ce cas en Espagne, c'est le premier cas en Europe, c'est-à-dire que cette personne a attrapé ce virus à Madrid, dans un hôpital, en soignant des missionnaires qui étaient atteints.
R - Tout à fait. C'est ce que j'ai entendu.
Q - La France fait-elle partie des pays les plus à risque en Europe ?
R - La France peut être touchée parce qu'on a des relations avec ces différents pays ; il y a des allers-retours. Je crois que Marisol Touraine, également très impliquée sur cette question, avec le ministère des Affaires étrangères, a bien expliqué que, certes, le risque zéro n'existait pas, mais que notre système de santé - il n'y a aucune inquiétude - prendra en charge le moindre cas qui pourrait exister.
Q - Est-ce que c'est raisonnable, par exemple, de faire revenir les malades ? Est-ce que c'est normal de faire revenir les malades et de les soigner en France ? Cela peut inquiéter aussi...
R - On a pris des engagements, notamment pour les volontaires français qui s'impliquent, d'être rapatriés systématiquement s'ils étaient touchés par ce virus Ebola. On l'a pris aussi auprès de nos ressortissants. Tout est aujourd'hui organisé pour des évacuations, si nécessaire. On va ouvrir un centre en Guinée forestière, la France devrait l'ouvrir début novembre, avec une gestion qui se fera par la Croix-Rouge et qui viendra renforcer aussi les équipes de Médecins sans frontières qui sont sur place, ce sera le troisième centre en Guinée. Je pense qu'il faudra davantage de centres en Guinée et il faut lutter là où il y a l'épicentre.
Q - Est-ce qu'on a tardé à réagir, à aider ces pays justement pour éviter que ce virus se développe ?
R - J'ai envie de dire que la France s'est mobilisée très vite.
Q - La France, oui, mais peut-être pas le reste du monde...
R - La France s'est mobilisée très vite. Depuis le mois de juillet, voire juin, avec l'Institut Pasteur qu'il faut remercier de sa présence et de ses alertes, et puis Médecins sans frontières également. La France s'est mobilisée très vite. On s'est mobilisé de plusieurs manières : en y allant ; en mobilisant assez vite 70 millions d'euros au soutien à la Guinée avec des aides bilatérales ou multilatérales. À la demande de la France, il y a également eu une réunion de coordination au niveau européen. Marisol Touraine et moi-même nous sommes rendues à Bruxelles pour faire qu'il y ait une meilleure cohérence, une meilleure organisation de notre lutte contre ce virus ; bien sûr, il faut le préciser, toujours sous l'égide de l'OMS et des Nations unies.
Je me suis rendue en Guinée. Nous étions d'ailleurs ensemble, avec David Nabarro qui est le coordinateur des Nations unies, pour également travailler avec le coordinateur national de Guinée, auprès de qui on a envoyé des experts, des soutiens, des médecins également...
Q - Donc, vous dites ce soir deux choses...
R - ...La France est très mobilisée. Tous les pays européens sont organisés et la France en l'occurrence.
Q - Donc, attention à la psychose quand même qui semble parfois se développer comme notamment dans cette école de Boulogne-Billancourt.
R - Tout à fait. Il faut faire attention à la psychose. Quand j'étais en Guinée, j'ai vu autour de moi des citoyens guinéens recevoir des SMS en disant «Ebola ne s'attrape pas dans l'air» ! Toutes ces rumeurs, il faut lutter contre, bien sûr. En Afrique de l'Ouest, il faut savoir que le Sénégal a rouvert ses frontières - il y a un corridor humanitaire -, la Côte d'Ivoire y réfléchit aussi. L'Europe est prête à affronter ce type de virus sans difficulté. (...).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 octobre 2014