Texte intégral
- Diplomatie économique -
Mesdames et Messieurs, Monsieur le Président,
D'abord, merci beaucoup de m'avoir invité et de m'accueillir ce matin. Cela me fait plaisir d'être là. C'est d'ailleurs la première fois que je suis parmi vous. En réfléchissant à un sujet dont je pouvais vous parler, je pensais que c'est une très bonne chose que vous centriez votre réflexion et vos actions sur l'international.
Ce que je vais faire en quelques minutes, c'est, d'une part, peut-être vous donner des coups de projecteur sur les priorités que nous donnons à la diplomatie française et, d'autre part, à l'intérieur de ces priorités, vous dire comment je mène ma barque à la tête du ministère que je dirige.
On est dans un monde «multi-crises». Il faut d'ailleurs - et c'est la première qualité -, pour être ministre des Affaires étrangères, avoir le coffre assez solide parce que, quand on se lève le matin ou même la nuit, une crise succède à l'autre. Le risque, c'est que, finalement, quand on est à la tête de la diplomatie d'un pays, ou quand on est un responsable d'entreprise, ou quand on est simplement un observateur, on ne voit pas quelle est la ligne directrice.
La ligne directrice, pour ce qui concerne la diplomatie française, ce sont quatre éléments. Quand le président de la République et moi-même avons à prendre des décisions sur cette matière, nous nous référons toujours implicitement à ces quatre éléments.
D'abord, une diplomatie, c'est fait pour assurer la sécurité. L'objectif numéro un, c'est la sécurité et la paix. La paix, ce n'est pas le pacifisme, contrairement à ce que pensent certains, surtout dans un monde aussi dangereux que le nôtre. À chaque fois qu'un problème se pose au plan international et que la France doit définir sa position, je me demande toujours qu'est-ce qui peut aller dans le sens de la sécurité et de la paix. Cela aboutit parfois à des décisions qui peuvent paraitre contradictoires avec cet objectif, mais qui ne le sont absolument pas. Quand nous décidons d'intervenir au Mali, peut-être que certains Français se demandent ce que l'on va faire au Mali ? La réponse est simple : il y a un gouvernement, un État qui sont menacés d'être complètement pris, conquis par le terrorisme, le président de ce pays appelle le président français et lui dit - vous êtes un lundi après-midi : «Monsieur le Président, les terroristes descendent vers Bamako. Seuls les Français peuvent intervenir parce que vous n'êtes pas très loin. Si vous n'intervenez pas, demain, les terroristes auront pris le gouvernement du pays et je serai mort». Décision : oui, non ? Oui, parce que l'objectif de la paix, de la sécurité, dans une zone qui nous est proche et qui, évidemment, se répercute sur nous, nous conduit à intervenir.
Même chose en Centrafrique, dans un contexte différent, il y a un risque de génocide. La veille du jour où nous intervenons, dans la journée, il y a mille morts. On décide d'intervenir.
Mais on ne peut pas intervenir partout. De plus, désormais, pour des raisons d'ailleurs qu'on peut très bien comprendre, qui sont liées à l'opinion publique, à l'évolution de la pensée, au monde médiatique, beaucoup de pays considèrent que quand on fait la guerre, il ne faut pas qu'il y ait de morts. Enfin en tout cas du côté qu'on défend. C'est très difficile ! Surtout si ceux qui sont en face n'ont pas du tout la même vision et considèrent que non seulement il peut y avoir des morts, mais que même la mort leur ouvrira des perspectives positives.
Et la France est un des rares pays - qui se comptent sur les doigts d'une main et encore cette main peut être mutilée -, qui, lorsqu'elle décide, peut mettre à l'appui de sa décision des soldats qui font magnifiquement leur travail et qui n'hésitent pas à risquer leur vie.
En tout cas, l'objectif numéro un est paix et sécurité.
L'objectif numéro deux, c'est à la fois l'organisation et la préservation de la planète. L'organisation de la planète, ce sont des thèmes qui sont bien connus et qui sont dans la tradition de la politique étrangère de la France qui est internationaliste, qui veut que l'Organisation des Nations unies et toute une série d'organisations régionales essayent de rendre le monde moins violent et mieux organisé. La préservation de la planète, c'est quelque chose d'un peu nouveau. Au fond, nous sommes, quelles que soient nos différences d'âge, dans une situation de ce point de vue-là très particulière parce que nous sommes la première génération à avoir conscience qu'il y a un problème de préservation de la planète, mais nous sommes la dernière génération à pouvoir agir. Après, ce sera trop tard. Les gaz à effet de serre, une fois qu'ils sont lâchés, ils restent dans l'atmosphère entre cinquante et cinq mille ans. Donc, s'ils sont lâchés et s'ils ont comme conséquence d'augmenter la température de la planète - quatre, cinq, six degrés -, ce n'est pas un réchauffement climatique, comme on le dit scientifiquement, ce n'est pas exact, c'est un dérèglement climatique avec des conséquences immenses.
Donc le deuxième objectif de notre politique étrangère, c'est l'organisation de la planète. La France est très présente. C'est un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité et nous devons évidemment être présents dans toute une série d'instances et essayer de préserver la planète. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes portés volontaires pour accueillir à la fin de l'année prochaine - cela aura une répercussion très importante de différentes façons sur les entreprises - la conférence mondiale sur le changement climatique où on va essayer - les mots sont peut-être un peu excessifs mais c'est de cela qu'il s'agit - de sauver la planète. Ça, c'est le deuxième objectif.
Le troisième objectif - je fais écho à ce dont a dû vous parler Enrico Letta, j'imagine -, ce sont la relance et la réorientation de l'Europe. Une chose n'est pas séparable de l'autre. Enrico a cité un des domaines - ce n'est pas le seul - où il serait nécessaire d'avoir une inflexion, c'est la politique de la concurrence. Même si les choses évoluent un petit peu, cette politique a été menée en dépit du bon sens jusqu'à ces dernières années et a interdit des regroupements d'entreprises en Europe alors que des absorptions d'entreprises européennes par d'autres étaient possibles et se sont produites. Donc, c'est le troisième objectif, la réorientation et la relance de l'Europe. Pas facile.
Quatrième objectif - je ne hiérarchise pas, tout cela est mélangé -, ce sont le redressement et le rayonnement de la France. Pour moi, il n'y a pas de séparation entre les différentes facettes d'une diplomatie. Le Quai d'Orsay s'occupe à la fois de stratégie, de culture - nous avons à notre disposition un réseau culturel qui est le premier du monde -, il s'occupe d'affaires de défense et de sécurité, d'affaires scientifiques, des grands principes et d'économie. Je pense qu'aucune de ces facettes n'est séparable de l'autre et que la perception et l'influence de la France, c'est l'ensemble de tout cela.
C'est la conviction qui m'a poussé à faire ce que j'ai commencé de faire et dont je vais vous parler. Si la France a une économie qui s'affaisse, notre diplomatie, notre influence, évidemment, en subira les conséquences et un triste jour, on demandera au président de la République, au Premier ministre, au ministre des Affaires étrangères : «Voilà, votre discours est excellent sans doute, mais d'où parlez-vous ? Quelle est votre force de frappe ? Quel est votre rayonnement ?» Symétriquement, il ne faut pas ramener tout, en ce qui concerne la diplomatie, à l'économie, il y a d'autres éléments. Quand M. Patrick Modiano obtient le prix Nobel de littérature, c'est un élément très important dans notre rayonnement.
Un point encore, parmi les éléments du changement, il y a un élément vraiment princeps qui est le suivant : je schématise mais on est obligés de le faire. Si vous regardez ce qui s'est passé dans le vaste monde depuis la dernière Guerre mondiale, on est passés par trois phases et nous espérons que l'on va vers une quatrième mais ce n'est pas assuré. Première phase, c'est la phase dite de Guerre froide pendant laquelle, au fond, il y avait deux pays - inégaux bien sûr - qui dominaient la scène mondiale : c'étaient d'un côté les États-Unis d'Amérique, de l'autre l'URSS. Ils étaient antagonistes, ils avaient des systèmes idéologiques différents, mais lorsqu'il y avait des crises, c'était leur accord implicite ou explicite qui réglait ces crises. J'appelle cette période la période bipolaire. Cette situation a perduré jusqu'à la chute du Mur.
Ensuite, il y a eu une période assez courte - une dizaine d'années, peut-être un peu plus - où il n'y a eu qu'une puissance qui a dominé la scène : les États-Unis. Appelons cette période «unipolaire». Les États-Unis avaient à la fois la puissance économique, culturelle, technologique et militaire. Nous souhaitons - et c'est une des constantes de la diplomatie française - aller vers une organisation multipolaire mais tempérée, où il y aurait, d'une part, le continent asiatique - peut-être avec une ou deux grandes puissances -, le continent européen, le continent américain. Et l'accord de ces différents continents, à travers l'ONU, d'une part, à travers des organisations régionales d'autre part, permettrait de régler les conflits. Mais ce n'est pas du tout ce qui se passe aujourd'hui. Nous ne sommes plus dans le bipolaire, nous ne sommes plus dans l'unipolaire, nous ne sommes pas encore dans le multipolaire, nous sommes dans ce que j'appelle le «zéro polaire», c'est-à-dire qu'il n'y a pas de patron. C'est la raison pour laquelle vous avez tant de crises et tant de difficultés à les résoudre.
Alors, bien sûr, il y a des puissances plus importantes que d'autres : les États-Unis d'Amérique et quelques autres. Mais on le voit en Syrie, en Irak, ou dans d'autres parties du monde, aucun jeu d'alliance n'est capable par lui-même de résoudre la question. Paradoxalement, la France, avec soixante-cinq millions d'habitants mais beaucoup plus en termes de rayonnement - est un des seuls pays qui, avec des outils globaux, peuvent conduire à la solution d'un certain nombre de problèmes. La France est une des rares puissances globales, puisque - merci le général de Gaulle - nous sommes l'un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, nous sommes une puissance militaire, une puissance économique, une puissance culturelle, des principes.
J'en viens à ce que j'essaye de faire dans la maison que je conduis. Il y a deux ans et demi, le président de la République, le Premier ministre, me demandent d'être ministre des Affaires étrangères. J'arrive à ce poste avec une certaine expérience de la vie administrative et politique en France mais je n'avais pas eu l'occasion de diriger ce ministère. La répartition des pouvoirs est telle que les choses dépendent, dans ce domaine, largement du président de la République et du ministre concerné. J'avais été Premier ministre à une autre époque et je m'occupais peu des Affaires étrangères. C'était le président de l'époque, François Mitterrand, qui avait ça sous son aile. C'est un domaine qui m'intéressait, qui m'intéresse donc je le prends en charge.
J'y suis arrivé avec un certain nombre d'idées et notamment cette idée simple liée à la fois à mon propre tropisme,- puisque je me suis occupé beaucoup d'économie-, et à la situation objective du pays. J'ai mesuré très vite - et je l'avais mesuré avant de prendre ces responsabilités - à quel point - c'est malheureux de le dire mais je crois que ce constat sera partagé -, la France avait décroché considérablement. Les chiffres sont là. Quand on regarde la part de la France dans le commerce international, quand on regarde le déséquilibre de notre commerce - je vais y revenir -, quand on regarde la part de l'industrie à proprement parler dans la valeur ajoutée... Je ne vais pas citer de dates précises mais en une dizaine d'années, une quinzaine d'années, la chute a été malheureusement absolument impressionnante et assez peu perçue, je dois le dire, des différents responsables politiques qui se sont peut-être centrés davantage sur l'aspect financier et budgétaire - sans d'ailleurs le résoudre - mais beaucoup moins sur l'aspect commercial qui est pourtant le vrai juge de paix. Je me suis dit que si je voulais faire mon travail correctement, il fallait mettre l'accent sur cet aspect que j'ai appelé «diplomatie économique», un concept qui maintenant est accepté à peu près par tout le monde.
Alors, votre thème, c'est : comment permettre aux entreprises françaises de gagner dans un monde en mouvement ? Je pense que pour le permettre, il y a d'abord une première réalité et il faut que unissions nos efforts, à la fois entreprises, gouvernement et d'autres, pour y parvenir. Il faut expliquer à nos concitoyens quelle est la réalité du monde. Ça, c'est l'objectif numéro un. Quand tel ou tel ami chef d'entreprise me demande ce qu'il pourrait faire, je lui réponds : «Emmène le plus possible de tes collaborateurs à travers le monde pour qu'ils se rendent compte». La mondialisation a bouleversé toute une série de flux et beaucoup d'évolutions majeures se sont produites. Je cite juste les têtes de chapitre, ce sont des choses que non seulement vous connaissez intellectuellement, mais que vous pratiquez tous les jours. D'abord, le basculement du centre de gravité du commerce mondial. Les chiffres sont là : en 2000, quand je m'occupais des Finances, l'Asie-Pacifique, représentait 27 % du PIB mondial ; aujourd'hui, ce sont 38 % ; l'Europe, c'étaient 25 % du PIB mondial ; aujourd'hui, c'est moins de 19 %.
Deuxièmement, la chaîne de valeurs s'est modifiée. Sans remonter très loin, pendant longtemps, les schémas industriels étaient assez simples : c'était au même endroit qu'on innovait, qu'on développait, qu'on produisait et qu'on exportait. Aujourd'hui, évidemment, tout cela s'est complexifié et fragmenté. De nouvelles zones émergentes sont apparues. Il y avait une question tout à l'heure : où est-ce qu'il faut aller en dehors des BRICS ? Je ferai la même réponse : notamment en Afrique. C'est une grande chance pour la France puisque la France peut être considérée à certains égards comme le hub de l'Afrique. Alors on dit que le XXIe siècle est le siècle de l'Asie. Oui, mais c'est aussi le siècle de l'Afrique. Je cite toujours le même exemple : le Nigeria, en 2050, c'est combien d'habitants ? Cinq cents millions, c'est-à-dire plus que l'Europe. À la fin du siècle, si les prévisions - mais en démographie, on ne se trompe pas trop - sont respectées, il y aura neuf cent cinquante millions d'habitants.
Autre tendance, Enrico Letta la connaît aussi bien que moi et il en parle éloquemment, l'Europe, c'est la croisée des chemins. Aujourd'hui, est-ce qu'on veut vraiment une Europe qui joue son jeu dans la compétition mondiale ou bien est-ce que l'on va se réduire ? La réponse est évidente, les moyens de la réponse moins évidents. Et puis la cinquième tendance, c'est que notre monde est un monde «multi-crises», pour ne pas dire «omni-crises». Il y a des crises géopolitiques et c'est ce que je traite toute la journée : l'Irak, la Syrie, l'Ukraine, etc. Il y a des crises sanitaires, comme Ebola. Il y a des crises climatiques, j'en ai dit un mot. Il y a des crises économiques avec l'atonie européenne. Et tout ceci a évidemment des incidences sur la production et sur le commerce.
Alors, dans ce kaléidoscope, quelle est la place de la France ? Je vous le disais, si je compare avec les années que j'ai bien connues - il y a une dizaine d'années -, la France a décroché. Il y avait un certain nombre de réformes structurelles à faire qui n'ont pas été engagées ou insuffisamment. Nous avons décroché sur le plan industriel : en trente ans, l'industrie a perdu plus de deux millions d'emplois. Sur le plan commercial, nous avons perdu des parts de marché. Nous en avons aujourd'hui les conséquences avec le déficit du commerce extérieur. L'autre jour, quelqu'un qui, théoriquement, est un spécialiste me disait : «Mais cela n'a aucune importance le déficit commercial, regardez l'Angleterre, etc.» Je suis d'un avis radicalement inverse.
Le déficit budgétaire, c'est quelque chose qui est compliqué politiquement à régler mais qui, pratiquement, peut être réglé. Si le Premier ministre, lorsqu'il envoie ce qu'on appelle des lettres-plafonds, envoie une lettre à ses ministres en disant : «vous avez dépensé cent, vous êtes autorisés à dépenser quatre-vingt-dix-sept l'année prochaine», cela ne fera pas plaisir aux ministres ni à leurs administrés mais ce sera respecté. La Sécurité sociale, c'est très compliqué aussi à bouger mais il y a, même si c'est plus difficile, une capacité de régler. De même pour les collectivités locales, malgré le principe d'autonomie des collectivités locales, on peut afficher et respecter des taux. Le déficit commercial, c'est tout à fait autre chose ! Le déficit commercial, c'est l'équilibre ou le déséquilibre entre ce qui rentre et ce qui sort. Pour moi, c'est le vrai juge de paix de la compétitivité ! Or, nous sommes à environ soixante milliards de déficit. Nous étions plutôt en excédent il y a quelques années et, pendant ce temps-là, en Allemagne et ailleurs, vous connaissez les chiffres...
Pour moi, c'est vraiment le juge de paix et il faut réagir. C'est ce que nous avons fait je pense, tous en commun, même s'il peut y avoir des discussions sur tel ou tel élément ou la rapidité de la réaction. Pour moi qui, comme beaucoup d'entre vous, voyage beaucoup - je fais quarante mille kilomètres par mois -, quand je reviens en France c'est une évidence aveuglante ! Aveuglante ! Il n'y a même pas de discussion ! On ne peut pas faire comme si le monde n'existait pas. Il existe. Cela ne veut pas dire que la France doit passer sous les fourches caudines. Et les consommateurs peuvent choisir ! Ils ne sont pas obligés de choisir des productions françaises. À supposer même que l'on sache exactement ce qu'est une production française compte tenu de ce que j'ai expliqué il y a un instant sur la chaîne de valeurs.
Mendès-France disait : «Qu'est-ce que c'est la politique ?» Et il répondait lui-même : «La politique, c'est rendre les citoyens co-intelligents des décisions qu'il faut prendre». Je pense qu'il avait tout à fait raison. Il a gouverné peu de temps mais cela a marqué plus que d'autres qui ont gouverné plus longtemps. C'est ça ! Expliquer ! Expliquer ! Cela ne veut pas dire que ce soit agréable mais je pense qu'il y a plusieurs lobes dans le cerveau et qu'on a un lobe où on dit : «bon, c'est désagréable parce que me touche» ; et un autre lobe où on dit : « oui, mais c'est quand même ça qu'il faut faire ». Quand vous regardez ce qui a été fait en Europe et ailleurs, la France ne peut pas être à l'abri. C'est la question centrale sur laquelle, évidemment, vous discutez sans cesse et sur laquelle il y a des décisions à prendre.
Alors, comment appuyer nos entreprises dans la concurrence internationale ? C'est la question qui m'est posée et c'est là où j'ai mis en avant la diplomatie économique. Des mesures générales ont été prises et elles sont, de mon point de vue, utiles. Au moment de la création de la BPI, certains étaient un peu sceptique mais je pense que cette institution a trouvé sa place. Ce qui est fait - syndicats, patronat - sur la sécurisation de l'emploi, un certain nombre de plans sectoriels, les pactes divers va dans le bon sens même si on peut dire que ce n'est pas assez, ou que c'est trop. Si l'on veut être compétitifs, il faut quand même qu'on n'ait pas des charges qui soient beaucoup plus lourdes que celles des autres. Et surtout, il faut qu'il y ait un horizon assez fixe. Enfin ce sont des choses que vous connaissez parfaitement.
Pour ce qui concerne le Quai d'Orsay, «diplomatie économique», cela veut dire quoi ? Cela veut dire l'organisation de la maison à Paris et puis ce qui se passe dans les ambassades, sur le terrain. À Paris, on ne peut pas être à la place des entreprises, ce sont les entreprises qui créent la richesse. Ce n'est pas l'administration qui va créer elle-même la richesse mais elle peut accompagner, elle peut ne rien faire ou elle peut handicaper. Donc, il faut qu'elle accompagne. On a essayé de se mettre en situation ici, à Paris, de faire que les choses soient plus ouvertes vers les entreprises. Cela signifie une organisation différente : créer une direction qui s'occupe des entreprises ; dans chaque direction verticale, avoir maintenant quelqu'un qui s'occupe d'économie et demander à un secrétaire général adjoint qui vient d'ailleurs du ministère des Finances de s'occuper d'économie. C'est notre organisation. Il faut surtout modifier un certain nombre d'habitudes pour que les entreprises se sentent vraiment chez elles. Après, il peut y avoir des problèmes de back-office : qu'est-ce que fait exactement le ministère des Affaires étrangères qui, maintenant, a changé de nom ? Qu'est-ce que fait exactement le ministère des finances ou de l'économie ? Mais ça, ce sont nos affaires de back-office. Il faut que l'entreprise puisse s'adresser à nous et qu'elle voie qu'on est là pour l'aider et qu'on l'aide effectivement.
Je crois beaucoup aux hommes et aux femmes Dans un certain nombre de pays - arbitrairement choisis, je le reconnais -, j'ai nommé des représentants spéciaux parce que je pensais qu'il y avait besoin d'une personnalité pour faciliter les choses. Il y a ainsi plusieurs personnalités qui travaillent avec vous et des chefs d'entreprise qui, très gentiment, ont accepté de prendre ces fonctions - bénévoles, je le souligne. J'ai par exemple demandé à M. Varin, qui a fait un travail très important dans l'automobile, maintenant, de s'occuper de toute la zone de l'ASEAN qui compte quand même six cent cinquante millions de personnes parce qu' il faut quelqu'un qui puisse directement aller voir le Premier ministre, le président de la République, avoir l'écoute des entreprises et je pense que c'est une très bonne chose, même si les ambassadeurs font très bien leur travail. De la même façon, j'ai demandé - alors, là, c'est un autre contexte - à Jean-Pierre Chevènement, qui n'est pas un ennemi irréductible de la Russie, de s'occuper de ce pays, et Dieu sait que ce n'est pas facile. J'ai aussi demandé à Paul Hermelin, qui a quarante-cinq mille personnes qui travaillent pour son entreprise en Inde. On pourrait continuer la liste... Je pense que ces choses-là, qu'il ne faut pas généraliser, sont utiles.
L'idée, si vous voulez, c'est qu'en France, à Paris et dans les régions, les choses se mettent en place pour que ce soit fluide et qu'on travaille bien avec le MEDEF et avec les Chambres de commerce. Il faut que chacun se sente à l'aise et que les entreprises qui le souhaitent ou qu'on va chercher aient vraiment le répondant. Sur place, c'est-à-dire dans les différents pays du monde, il faut qu'il y ait une équipe de France de l'export. La croissance, il faut aller la chercher là où elle est. Et elle est très souvent en Europe et hors d'Europe.
De ce point de vue-là, ça m'a amené évidemment à modifier la répartition des effectifs de la maison que je dirige. Il y a entre quatorze mille et quinze mille personnes. L'essentiel, évidemment, se trouve dans les postes. Et il y avait des évolutions mais il faut anticiper ! Il n'est pas normal qu'il y ait - quel que soit le respect qu'on a pour ce pays - autant d'administrateurs du Quai d'Orsay - et je laisse de côté Bruxelles - en Belgique qu'en Chine. Il y a quand même quelques rééquilibrages à faire et qui ont commencé. Cela se passe bien, dès lors qu'on l'explique, même si on est obligés de diminuer le nombre nos fonctionnaires - puisque toutes les administrations le font. Les accents géographiques doivent donc être différents.
Il y a aussi à éviter, quand vous êtes reçus, cette segmentation des administrations entre elles. J'ai demandé - et le président de la République et le Premier ministre ont bien voulu accéder à cette demande - que me soient rattachés le commerce extérieur et le tourisme parce que tout cela, finalement, forme un tout. Et le ministère des Affaires étrangères devient le ministère de l'Action extérieure de l'État, ce qui est un petit peu différent. Ce n'est plus uniquement la grande diplomatie. Mais il est normal que la France ait une action extérieure et qu'il y ait des services différents mais qu'il y ait un seul patron - l'ambassadeur - qui doit être formé d'une manière un peu différente. C'est un métier nouveau, passionnant car il faut que nous rattrapions notre retard avec, encore une fois, l'idée que ce ne sont pas les administrations qui vont faire le travail des entreprises, mais au moins doivent-elles les aider le plus possible et aller dans le sens qu'elles souhaitent.
Cela entraîne un certain nombre de modifications. Nous avions deux entités différentes : l'une, UBIFRANCE, qui s'occupait des petites et moyennes entreprises pour les aider à l'exportation et l'autre, l'AFII, qui est l'agence pour les investissements étrangers en France. Pour des raisons de masse critique, nous les avons fusionnées. Et nous allons les rapprocher avec de la SOPEXA qui s'occupe de l'agroalimentaire qui est un marché très important pour le futur. Ainsi, nous auront un système qui fonctionne et sans ajouter à la difficulté intrinsèque de l'exportation la complexité de nos mécanismes. Je ne vous dis pas qu'aujourd'hui, tout est parfait, mais enfin je pense que les choses commencent à prendre bonne tournure. Mais qu'on ne s'y trompe pas, ce n'est pas l'administration qui va améliorer par elle-même les résultats du commerce extérieur, ça dépend vraiment, Monsieur le Président du MEDEF, que tout le monde s'attèle à la même tâche.
Il faut aussi bien sûr mieux organiser l'offre productive à l'exportation et donc on a mis sur pied - là encore, c'est discutable mais ce qui compte, c'est d'être efficace - ce qu'on appelle des «fédérateurs de familles pour l'export». On a repéré six familles de produits ou de filières qui nous semblent particulièrement prometteuses et nous avons besoin que toute l'offre soit un peu mieux coordonnée pour que les Français chassent en meute, ce qu'ils ne savent pas toujours malheureusement faire.
Il s'agit de plusieurs filières : la santé qui est une filière absolument magnifique (les Français ont une capacité et une réputation extraordinaires mais encore faut-il qu'ils se portent à l'extérieur. Nous avons quelques grands groupes qui sont connus mais il faut bien aller bien au-delà.) Il y a aussi tout ce qui concerne les filières de la ville durable - qui va de l'architecture jusqu'à l'environnement, l'eau où nous avons des groupes qui sont remarquables - des technologies de l'information et l'agroalimentaire où nous avons des potentialités énormes. Par exemple, je viens de nommer un nouvel ambassadeur aux Pays-Bas et je regarde le dossier de ce pays. Nous avons un déficit d'un milliard et demi d'euros dans le seul poste agroalimentaire avec les Pays-Bas. Les Pays-Bas, ce n'est quand même pas le Brésil. Mais il y a quand même sûrement des choses à faire.
Récemment, je viens d'ajouter deux filières: l'industrie culturelle et créative, qui est un poste très important pour la France sur le plan économique mais aussi sur celui du de rayonnement général, et puis le tourisme parce que je pense que le tourisme, qui a été longtemps été considéré comme marginal, est un secteur économique tout à fait majeur, essentiel.
Je recevais l'autre jour la femme qui a le poste le plus important dans la hiérarchie chinoise et qui me dit comme ça en passant : «Ah ! Mais j'ai vu que vous vous occupiez de tourisme. C'est très bien.» Aujourd'hui, il y a cent cinquante millions de Chinois qui voyagent à l'extérieur ; dans quinze ans, il y en aura cinq cents millions. Les Chinois qui viennent en France - il y en a un million cinq cent mille actuellement - dépensent mille six cents euros. Si, sur les cinq cents millions, nous prenons une part significative de marché, notre balance commerciale se présentera autrement. Et ce sont des emplois non délocalisables qui ont un effet direct, par définition, sur la balance. Longtemps, on a considéré cette activité comme complètement à la marge, c'est absurde. Seulement, si on veut être attractif - et c'est la raison pour laquelle j'ai décidé de m'occuper du tourisme -, alors il faut prendre la chaîne de valeurs. D'abord, si on veut que les touristes chinois et les autres viennent, il y a le problème des visas. Les visas en Chine sont désormais délivrés en quarante-huit heures. Et j'étais extrêmement heureux lorsque mon collègue et ami allemand, Frank-Walter Steinmeier m'a annoncé qu'il voulait suivre l'exemple français et faire la même chose avec l'Allemagne. Après les visas, il y a le problème de l'arrivée en France.
Pour l'accueil, M. de Romanet, le président d'Aéroports de Paris, fait un effort mais il y a encore beaucoup de choses à améliorer. Puis il y a la sécurité et l'aménagement de Charles de Gaulle Express, de Roissy à Paris pour que les gens aillent vite. Il y a aussi la question de pouvoir visiter tout à Paris, y compris d'ailleurs le dimanche. Mais aussi il n'y a pas que Paris et l'Île-de-France, la France, c'est un pays magnifique. Lorsqu'on demande en réponse ouverte à l'ensemble des citoyens du monde : «Quel est le pays où vous préféreriez aller ?», la France sort en tête des réponses !. Et le tourisme est un secteur entraînant. Quand vous avez une famille d'entrepreneurs qui est venue ici, qui peut avoir eu recours à nos hôpitaux - et nous souhaitons ouvrir davantage nos hôpitaux à la clientèle étrangère fortunée - qu'ils sont contents de ce qu'ils ont vu, de leurs loisirs, de la façon dont on les a abordés et traités et, ensuite, lorsqu'ils ont des décisions d'entreprise à prendre, bien sûr, ils regardent la fiscalité, la compétitivité, mais si on a cette cote d'amour, c'est quand même un avantage singulier.
L'attractivité, c'est un tout et il y a énormément de choses à faire. De la même façon que pour accompagner les investissements étrangers, il y a beaucoup de potentialité mais encore faut-il accueillir les investisseurs comme il le faut, promouvoir les jeunes entreprises innovantes. À tous mes ambassadeurs, je demande d'aider au développement de la présence française dans leur pays de résidence car ils sont là pour appuyer nos entreprises. Mais aussi, je leur dit de veiller à développer l'investissement étranger en France qui lui-même est un facteur d'exportations et de créations d'emploi.
J'étais l'autre jour au Japon. Les entreprises japonaises en France représentent soixante mille emplois et ça marche très bien. Et très souvent d'ailleurs lorsqu'on interroge les entreprises qui sont là depuis longtemps en France, ce n'est pas le cliché qu'on entend et qu'on lit dans la plupart des journaux. On a un effort considérable à faire au niveau de l'attractivité qui, évidemment, passe par des mesures d'ordre général, mais aussi des mesures très particulières. Et je crois que, là aussi, le ministère des Affaires étrangères et l'ensemble des administrations doivent et peuvent faire un travail utile.
Voilà, j'ai été un peu disparate. Mais je voulais donner des coups de projecteur dans différents domaines. Retenez de cela deux idées. La première, Monsieur le Président Gattaz, Mesdames et Messieurs, c'est que quelles que soient nos difficultés - et elles sont grandes et il faut les regarder avec lucidité -, je considère, comme vous, je sais, que la France a des atouts énormes. La seule question - parce que je sais que la France va reprendre le chemin du développement, de la prospérité -, c'est de savoir quand. Ce sera dans un an ou dans deux ans - ce que tous, nous préférons - ou bien ce sera, le cas échéant, après de grandes secousses qu'il faut essayer d'éviter. Je préfère la réforme plutôt que la révolution. La révolution, c'est coûteux. Et faisons attention à tous ceux qui veulent opposer les uns et les autres.
Nous avons des atouts absolument immenses, mais nous devons faire un certain nombre de réformes. Et c'est là où je rejoins ce que je sais être le point de vue d'Enrico Letta en Italie. La France, on lui a reproché - et ce n'est pas toujours faux - de ne pas être assez sérieuse sur tel ou tel point. Ce que nous devons faire au niveau européen, ce sont bien sûr des réformes de structure, mais aussi des investissements. S'il n'y a pas de croissance, on sait bien que les réformes sont extraordinairement difficiles à faire. La France doit s'engager à faire des réformes de structure. Certaines ont déjà été faites, d'autres doivent être faites. Mais la contrepartie, c'est qu'il faut qu'on mette un peu de gaz ou d'essence dans le moteur, sous forme d'investissements. Et la combinaison entre réformes de structure et investissement, peut relancer l'ensemble de l'Europe et singulièrement la France.
Je crois absolument aux atouts de la France et je n'y crois pas de manière abstraite ou par la méthode Coué, mais je vois bien dans les déplacements que je fais, où je traite l'ensemble des sujets, que la France a quand même une place singulière. Simplement, elle a des réformes à opérer et elle en a fait quelques-unes, il y en a encore pas mal devant elle.
La deuxième idée est tout simple : c'est que l'administration, en général et en particulier celle que je dirige, est au service des entreprises. Il n'y a pas d'un côté les entreprises et de l'autre l'administration. Ce sont les entreprises qui créent la richesse et les administrations, en particulier celle du Quai d'Orsay, sont à votre écoute pour vous soutenir. Voilà, Monsieur le président, ce qu'en quelques mots je voulais vous dire en vous remerciant beaucoup de m'avoir invité. (...).
- Partenariat commercial transatlantique -
(...)
Q - L'évolution des négociations commerciales UE-États-Unis, est-ce une priorité politique d''Obama ?
R - Oui et à chaque fois que nous voyons le président Obama, ou que je vois mon collègue, M. Kerry nous parlons du TTIP. Les discussions avancent. D'un point de vue général, nous sommes partisans des accords commerciaux parce que le développement du commerce mondial peut être un facteur important de croissance. Simplement, pour qu'un accord soit conclu, il faut que chacun des partenaires y trouve son avantage.
Alors il y a des choses qui sont avantageuses pour nous dans cet éventuel accord, qui sont : une pénétration plus forte en matière agricole et une certaine protection de nos appellations d'origine, la question très importante des marchés publics puisque -retenez ce chiffre -, les marchés publics européens sont ouverts à 80 %, les marchés publics américains entre 20 et 25 %. Et les Américains, sans malice, utilisent le fait qu'il y a l'État fédéral et a les différentes régions fédérées pour dire : «nous pouvons nous engager au niveau fédéral mais pas pour les régions». Cela, ce n'est pas possible. Et cette question des marchés publics pour nos industries est tout à fait décisive.
Et puis il y a aussi, sur le plan financier, certaines possibilités positives pour nous. Mais nous n'en sommes pas encore à faire la balance des avantages et des inconvénients. Puis il y a la question assez sensible du juge de paix. C'est vrai que dans beaucoup de négociations internationales - et c'est le Quai d'Orsay qui en est responsable -, il y a un juge de paix qui n'est pas nécessairement un juge de paix public. Mais là, vous avez vu, vous connaissez sans doute la controverse qui a lieu à ce sujet : est-ce qu'on peut accepter que ce soit des entités privées qui, finalement, soient juges en cas de litige, de contestation ? Cela pose quand même un problème non négligeable.
Les Américains comme nous d'ailleurs y attachons de l'importance. De toutes les manières, j'ajoute que tels que sont fabriqués le droit européen et le droit national, il faudra, pour que cet accord s'applique, qu'il soit approuvé par les Parlements des différentes nations car même si c'est le commissaire européen compétent qui négocie, il faut ensuite qu'il y ait une approbation nationale.
Mais d'une façon générale, que ce soit avec les Américains, que ce soit avec le Canada, ou avec d'autres pays, nous sommes favorables à un développement du commerce et aux accords qui le permettent dès lors, bien sûr, que ces accords sont équilibrés et c'est le propre de toute négociation.
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- Union européenne - Défense -
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Q - Pourquoi ne peut-on pas avoir une Europe de la défense ?
R - La position traditionnelle de la France est d'être favorable à une Europe de la défense. Ce qui, d'ailleurs, n'est pas du tout contradictoire avec l'appartenance au commandement intégré de l'OTAN. Mais c'est vrai qu'il y a des réticences. Pourquoi ? D'abord, parce que quand on dit Europe de la défense, il faut immédiatement regarder le budget. La défense, ce sont des concepts mais ce sont aussi des moyens. Et les pays qui ont un vrai budget de défense, significatif, ce sont essentiellement les Français, les Britanniques et les Allemands et, dans une moindre mesure, les Espagnols et les Italiens. Je ne veux être inexact vis-à-vis de personne mais les proportions sont celles-là. Et donc, l'Europe de la défense, c'est très souhaitable, ce n'est pas contradictoire du tout avec l'OTAN, mais ça nécessite que chaque pays fasse un effort.
Et c'est vrai que lorsque l'on critique la situation des finances publiques françaises, on ne prend pas souvent en compte l'effort considérable que nous faisons pour la défense, que nous ne faisons pas pour nous-mêmes d'ailleurs, mais que nous faisons pour l'ensemble de l'Europe. Et certains - moi, je n'ai pas pris cette position parce que ce n'est pas à moi de le faire -, observateurs extérieurs ont dit : «Mais on devrait tenir compte du fait que quelques pays font un plus gros effort que d'autres dans ce domaine».
Lors de la dernière réunion de l'OTAN, au Pays de Galles, j'ai trouvé que le vieux débat entre l'OTAN et l'Europe de la défense, on ne l'entendait plus vraiment. Mais en même temps, c'est vrai que compte tenu de ce qui se passe avec la Russie et le président Poutine, d'une part, et compte tenu de ce qui se passe en Irak et en Syrie - je vous signale que la Turquie est membre de l'OTAN -, d'autre part, c'est vrai que spontanément la tendance est de se porter plutôt vers la réactivation de l'OTAN, mais d'une façon qui n'est plus contradictoire avec l'Europe de la défense.
L'Europe de la défense, ce sont aussi des accords sur des matériels. Les Britanniques et les Français décident de faire un matériel ensemble. Les Espagnols, les Italiens, les Français et les Allemands décident de faire un matériel ensemble, et l'on décide l'interopérabilité de nos matériels qui permette à nos forces de faire des exercices ensemble, je prends l'exemple de l'Allemagne. Nous avons décidé, à la fois l'Allemagne et la France, récemment d'envoyer des drones ensemble pour regarder ce qui se passe à l'est de l'Ukraine. Ce sont des choses concrètes qu'il faut faire pour donner corps à l'Europe de la défense. Mais en même temps, il y a un rapport entre l'Europe de la défense et l'Europe de la diplomatie parce que la défense, ce n'est jamais que le point appliqué de la diplomatie. Or, c'est vrai qu'il reste, au-delà de la diplomatie européenne, quand même des diplomaties singulières : la diplomatie britannique, la diplomatie française. Et c'est tout cela qu'il faut essayer de faire converger. Je trouve qu'il y a eu des progrès mais nous n'en sommes pas tout à fait là.
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- Ukraine - Russie -
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Q - Comment voyez-vous l'évolution de la situation en Russie et en Ukraine ?
R - Pour ce qui est de l'évolution de la situation en Russie et en Ukraine, il faut savoir que nous sommes historiquement, géographiquement et culturellement des amis de la Russie. Et notre souhait, c'est d'entretenir de bonnes relations avec la Russie. Simplement, il s'est produit depuis quelques temps des événements qu'en tant que puissance internationale, nous ne pouvons pas accepter. Lorsque la Russie décide d'annexer une région d'un autre pays, la Crimée, qui est une partie de l'Ukraine, c'est quelque chose qui du point de vue de la communauté internationale n'est pas acceptable. Inacceptable non seulement pour la Crimée, mais si on accepte ce type de principes, alors, imaginez ce que cela signifie en Europe, en Afrique, en Asie et ailleurs. Nous sommes amenés à réagir.
De la même façon, lorsque la Russie, dans les conditions que l'on sait, est présente dans toute la partie Est de l'Ukraine, au point que l'unité, l'intégrité et l'indépendance de l'Ukraine sont menacées, c'est quelque chose qu'on ne peut pas accepter sans que cela ait beaucoup de conséquences. Personne de raisonnable ne peut soutenir qu'on va faire la guerre à la Russie. C'est absurde. Et donc, entre n'avoir aucune réaction ou bien avoir des réactions absurdes, c'est toute la place de la diplomatie.
Et le choix de la diplomatie française a été de dire : à la fois fermeté - cela s'appelle des sanctions - et dialogue pour essayer de trouver une solution politique. La France a été et est encore le pays qui, avec l'Allemagne, permet ce dialogue. C'est ce qu'on appelle le format de Normandie où le président français a fait se réunir à la fois la chancelière Merkel, le président Poutine et le président Porochenko. Et cette formule peut continuer à être utilisée parce que pour se mettre d'accord, il faut déjà se parler.
Et en même temps, nous avons été amenés à prendre ou à nous associer à des sanctions parce qu'il s'agit d'empêcher que ce qui a été fait par le président Poutine à l'égard d'un pays - en l'occurrence l'Ukraine - soit répété à l'égard de l'Ukraine ou d'autres pays. Il y a déjà les cas de la Géorgie et de la Moldavie. Il peut y avoir d'autres tentations. Il y a, en liaison avec nos voisins européens et nos partenaires américains, trois degrés de sanctions qui ont été pris. Le 26 octobre, des élections législatives se tiendront en Ukraine. Du même coup, la situation est un peu entre-deux parce que le président ukrainien, le président Porochenko, essaye bien sûr de constituer une majorité. Et les Russes semblent faire baisser la tension. Mais est-ce que ce sera durable ?
Nous souhaitons qu'il y ait la paix et la sécurité, c'est-à-dire que l'Ukraine soit dans une situation où elle ait à la fois de bonnes relations avec l'Union européenne, non pas qu'elle rentre dans l'OTAN, et de bonnes relations avec la Russie. Vous savez, la diplomatie, c'est souvent de la géographie et un peu d'histoire. Et la géographie fait que ces pays sont voisins. Nous travaillons en ce sens mais nous ne sommes pas sûrs, à nous seuls, de convaincre M. Poutine. Vous avez l'habitude des discussions. Vous arrivez avec une position. Si vous n'avez pas de position, vous avez peu de chances de faire prévaloir votre point de vue. Donc vous devez avoir une position mais, en même temps, vous n'êtes pas absolument assurés, malheureusement, de convaincre votre partenaire ou celui qui est en face de vous.
C'est dans ce sens-là que nous travaillons et nous souhaitons vraiment - et la France est, de ce point de vue-là, un médiateur - que les relations s'apaisent. Mais je ne peux, à ce stade, vous donner aucune certitude. Je pense que M. Poutine a son propre calendrier, voulant bâtir au-delà du territoire propre de la Russie une espèce de glacis protecteur. Et évidemment, si à un certain moment, il n'y a pas une fermeté qui est affichée, le glacis va s'étendre. Cela pose de gros problèmes pour nos entreprises. Vous savez que, maintenant, la France est devenue le 2ème investisseur en Russie. Et je connais beaucoup de responsables d'entreprises qui s'interrogent. Ils veulent travailler avec la Russie, nous le souhaitons aussi, mais ils comprennent en même temps qu'il y a un point de vue général et qu'on ne peut pas tout accepter. Je pense, j'espère que dès après l'élection de ce qu'on appelle la Rada, nous aurons un point de vue qui sera un peu plus stabilisé et, j'espère, dans le sens positif.
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source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 octobre 2014