Interview de Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication à BFM le 21 octobre 2014, sur les actes de vandalisme lors des manifestations culturelles et le mécénat culturel.

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Média : BFM TV

Texte intégral


APOLLINE DE MALHERBE
Bonjour Fleur PELLERIN.
FLEUR PELLERIN
Bonjour.
APOLLINE DE MALHERBE
Merci d'être avec nous. Vous êtes ministre de la Culture et de la Communication, on va parler de cette semaine sous le signe de la culture, pour vous et pour François HOLLANDE, mais d'abord cette nuit Christophe de MARGERIE, le patron de TOTAL, est mort dans l'accident de son avion à Moscou, vous avez été secrétaire d'Etat au Commerce extérieur, vous le connaissiez. Quelle est votre réaction ?
FLEUR PELLERIN
Une réaction de grande tristesse parce que c'est effectivement quelqu'un avec qui j'ai beaucoup apprécié de travailler, sur le plan humain et sur le plan professionnel, c'est quelqu'un qui, comme moi, s'est beaucoup battu contre le french-bashing, contre le dénigrement, l'autodénigrement des Français, ou le dénigrement des Français et de la France à l'étranger, avec qui j'ai beaucoup échangé sur ce sujet. C'est aussi un grand mécène de la culture, à travers notamment la Fondation TOTAL, donc j'exprime mes plus sincères condoléances à ses proches, à sa famille, c'est une très grande perte aussi pour la France.
APOLLINE DE MALHERBE
Justement, François HOLLANDE a choisi, dans les mots qu'il a choisis dans son communiqué pour rendre hommage à Christophe de MARGERIE, de souligner la générosité vis-à-vis du monde de l'art. Qu'est-ce qu'il faisait pour l'art, Christophe de MARGERIE ?
FLEUR PELLERIN
La Fondation TOTAL est très active, mais communiqué très peu sur ses actions en faveur de la culture, donc elle intervient dans des actions d'éducation culturelle et artistique, beaucoup, et puis pour mécèner, pour apporter des fonds pour des expositions, pour réaliser des expositions et des acquisitions, donc c'est une fondation d'entreprise qui est effectivement très présente dans le secteur de l'art.
APOLLINE DE MALHERBE
Et sur la question du commerce extérieur, même si ce n'est plus officiellement votre casquette, est-ce que vis-à-vis du monde extérieur, vis-à-vis du reste de l'Europe - il était à Moscou, on le sait, pour rencontrer le Premier ministre russe – il avait un rôle particulier, aussi, de rayonnement de la France ?
FLEUR PELLERIN
Il avait un rôle parce qu'il était à la tête d'une entreprise mondiale, dont il avait su faire, d'ailleurs, après un certain nombre de catastrophes écologiques, il avait su redresser considérablement l'image de TOTAL, et effectivement il était présent sur tous les continents. Vous savez bien que les questions d'hydrocarbures sont des questions extrêmement sensibles sur le plan économique et sur le plan politique, donc c'était une personnalité qu'on croissait aux quatre coins du monde.
APOLLINE DE MALHERBE
C'est un événement évidemment tragique, mais qui intervient dans un moment où, justement, plusieurs patrons de très grosses entreprises énergétiques françaises vont changer, EDF, AREVA, GDF SUEZ, et donc maintenant TOTAL, est-ce qu'on peut imaginer que la filière énergétique française soit fragilisée ?
FLEUR PELLERIN
Non. Vous savez, les entreprises, et les filières, s'organisent également pour prévoir leur succession. Alors il y a des circonstances dans lesquelles, évidemment, on ne peut pas les anticiper parce que les circonstances sont tragiques, mais néanmoins les entreprises se préparent à la succession de leur dirigeant, et Emmanuel MACRON a aussi évoqué, il y a très peu de temps, le fait que nous étions en train de réfléchir, le gouvernement réfléchissait effectivement à un certain nombre de changements de gouvernance dans des grandes entreprises du secteur. Donc tout cela est prévu, anticipé, planifié, il n'y a pas lieu de penser que la filière pourrait être déstabilisée.
APOLLINE DE MALHERBE
Sur l'art, puisque hier soir vous étiez à l'inauguration de la Fondation Louis VUITTON, avec François HOLLANDE, François HOLLANDE qui toute la semaine vous accompagne, a commencé samedi au théâtre avec vous, à la Comédie française, et la semaine se terminera vendredi avec l'inauguration du Musée Picasso, qui a fermé ses portes pendant 5 ans. D'abord, hier soir vous étiez à l'inauguration de cette Fondation Louis VUITTON, que personne n'a encore vue, elle sera ouverte au public à la fin de la semaine, ça vous a plu ?
FLEUR PELLERIN
Oui. Alors, j'avais visité le chantier aussi précédemment, c'est effectivement un geste architectural absolument sublime, Frank GEHRY est pour moi un génie, n'ayons pas peur des mots, il a réalisé là une oeuvre très belle, très différente de ce qu'il a pu faire à Bilbao par exemple, donc en utilisant beaucoup le verre, les transparences, des matériaux nouveaux, des technologies très innovantes. C'est aussi un bel hommage rendu à la technologie française, puisque toute l'application logiciels qui a été utilisée pour créer…
APOLLINE DE MALHERBE
Donc vous êtes à l'inverse du french-bashing, on sent que toutes les occasions sont bonnes, justement, pour…
FLEUR PELLERIN
Oui, parce que là c'est vrai que c'est un concentré à la fois de beauté, d'élégance et de technologies, DASSAULT SYSTEMES, pour ne pas les nommer, parce que c'est eux qui ont pu aider à réaliser cette oeuvre, donc c'est vrai que c'est un beau moment pour la France.
APOLLINE DE MALHERBE
Fleur PELLERIN, c'est un nouveau musée, pour Paris, pour la France, et c'est un musée privé. Votre prédécesseur à la culture, Aurélie FILIPPETTI, à propos du mécénat, avait dit, et c'était une de ses premières phrases quand elle était arrivée à la culture, « quand je vois le nom de WENDEL sur les murs du Centre Pompidou à Metz, ça me fait mal. » Donc elle avait du mal à voir l'association d'un nom de patron avec la culture. Hier soir c'était la Fondation Louis VUITTON, Bernard ARNAULT, LVMH, beaucoup de gens du monde des affaires pour cette inauguration, vous ça ne vous choque pas ?
FLEUR PELLERIN
Non, mais je pense qu'Aurélie FILIPPETTI faisait aussi allusion à son histoire personnelle.
APOLLINE DE MALHERBE
Avec la Lorraine.
FLEUR PELLERIN
Elle descend d'une famille de mineurs et donc je pense qu'elle a… voilà, c'est plutôt cet aspect-là, très personnel, très individuel également, qui la choquait, ce que je respecte tout à fait. Maintenant, aujourd'hui, le financement de la culture, au sens très large, il dépend de l'Etat, mais il dépend aussi beaucoup des collectivités territoriales, et il dépend aussi beaucoup de la générosité de mécènes privés, et moi je n'ai absolument pas de problème idéologique avec ça, pour autant que lorsque je mène ma politique culturelle, ou ma politique publique, du spectacle vivant ou de la création, je puisse définir mes objectifs, et s'il y a une action complémentaire des partenaires privés, je trouve ça très bien.
APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce que la culture c'est pour les riches ?
FLEUR PELLERIN
La culture n'est absolument pas pour les riches. Je pense que toute la politique que nous menons en faveur de l'éducation artistique et culturelle, justement pour permettre à la population la plus large possible d'accéder aux oeuvres de l'esprit, c'est bien pour ne pas réserver l'art à une élite financière ou une élite qui serait capable, seule, de comprendre, parce qu'elle serait seule à en détenir les codes.
APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce qu'il y a une différence entre être un ministre de la Culture de droite ou un ministre de la Culture de gauche ? Est-ce que la culture c'est de droite ou de gauche ?
FLEUR PELLERIN
Je pense que c'est un peu réducteur de présenter les choses comme ça, moi ce qui m'intéresse c'est de faire en sorte, vraiment, que la culture ne soit pas réservée, comme vous le disiez, à une élite, pas forcément une élite au sens monétaire du terme, mais une élite qui détiendrait seule les codes parce qu'elle les aurait acquis par héritage ou par habitus, par environnement…
APOLLINE DE MALHERBE
Si vous leur parlez en latin, effectivement, là ça va devenir très élitiste !
FLEUR PELLERIN
Par environnement sociaux-économiques. On sait très bien qu'aujourd'hui, pour avoir accès aux pratiques amateurs, pour avoir la chance d'être envoyé au Conservatoire, c'est vrai que c'est plus facile lorsqu'on vient d'un milieu aisé. Donc, moi ce que je veux faire, c'est que la politique d'éducation artistique et culturelle de l'Etat puisse toucher le plus grand nombre d'enfants.
APOLLINE DE MALHERBE
Mais simplement, le coût des événements culturels, regardez le parcours de François HOLLANDE cette semaine qui a donc, je le disais, été au théâtre, qui a été voir cette Fondation Louis VUITTON, qui ira sans doute à la FIAC, la Foire Internationale d'Art Contemporain, qui ouvre ses portes demain, au Musée Picasso vendredi. On a fait le calcul, si une personne veut faire comme François HOLLANDE, ce parcours de cette semaine, et encore, en ayant les plus les moins chères à la Comédie française, c'est quand même 73 euros, et pour une famille avec deux enfants ce serait 210 euros, ça c'est vraiment le parcours le plus basique possible. Est-ce que ce n'est pas trop ?
FLEUR PELLERIN
Alors, il y a sans doute une réflexion à avoir sur la tarification, mais ce sont des spectacles pour lesquels l'Etat apporte déjà beaucoup de subventions, et si vous compariez le coût d'entrée dans un théâtre, ou à l'opéra, à Londres, aux Etats-Unis, vous tomberiez sur des montants qui sont bien plus élevés. Donc déjà, l'Etat, ou les collectivités territoriales aussi, bien souvent, font un effort considérable pour alléger le coût que représente l'achat d'un billet…
APOLLINE DE MALHERBE
Vous pourriez faire plus ?
FLEUR PELLERIN
Le moment n'est pas forcément le mieux choisi, mais nous faisons…
APOLLINE DE MALHERBE
Parce qu'il n'y a plus de sous quoi !
FLEUR PELLERIN
Nous faisons déjà beaucoup, et d'ailleurs il y a des programmes scolaires, avec des tarifs réduits, il y a aussi, beaucoup, une politique de tarification qui permet aux collectivités, aux groupes, aux scolaires, d'accéder aux spectacles pour un tarif réduit.
APOLLINE DE MALHERBE
François HOLLANDE, je le disais, il sort assez peu de l'Elysée, mais quand il en sort en ce moment c'est surtout pour des événements culturels. Qu'est-ce qu'il va chercher dans ces expositions ?
FLEUR PELLERIN
Ecoutez, je pense qu'il va chercher la même chose que lorsque vous allez au spectacle, à la fois une émotion personnelle, aussi le fait d'adresser une reconnaissance au monde du spectacle vivant, le fait de, aussi, pouvoir partager une émotion avec un public qui se trouve là ou avec les acteurs.
APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce que c'est des moments, un peu, de havre de paix pour un François HOLLANDE qui, quand même, globalement, est sous le feu des critiques ?
FLEUR PELLERIN
Il faudra lui poser la question, parce que c'est toujours quelque chose d'assez personnel ce qu'on ressent lorsqu'on va à un spectacle ou lorsqu'on regarde une oeuvre, c'est aussi ça, un peu, la magie de l'émotion artistique.
APOLLINE DE MALHERBE
Quand on est président de la République, on n'est pas n'importe qui, est-ce que c'est un moyen pour s'échapper ?
FLEUR PELLERIN
Non, mais je pense que lorsqu'on est président de la République, on peut, de la même façon, être élu ou touché par une oeuvre comme une autre personne, la fonction ne modifie en rien l'émotion artistique que l'on peut ressentir.
APOLLINE DE MALHERBE
CHIRAC, Jacques CHIRAC, était beaucoup justement, dans la fin de son mandat, sur des questions à la fois internationales et culturelles, est-ce qu'il n'est pas en train de se « chiraquiser » François HOLLANDE ?
FLEUR PELLERIN
Ecoutez, je pense qu'on peut toujours trouver les références que l'on veut, je crois que ce que François HOLLANDE souhaite manifester c'est aussi le soutien à ce secteur, qui est un secteur à la fois de rayonnement et effectivement de prestige de la France sur la scène internationale, mais qui est aussi un secteur créateur d'emplois, un secteur dynamique, on parlait du spectacle vivant, il faut penser aussi à l'audiovisuel, au cinéma, à la création dans son ensemble, et on a là aussi un gisement d'activité et de création d'emplois, et aujourd'hui vous savez bien que la priorité de ce gouvernement, et la priorité du président de la République, c'est la création d'emplois et le rayonnement de la France à l'international, donc ça fait aussi partie… ce n'est pas tellement extérieur aux préoccupations de gouvernement de François HOLLANDE ou…
APOLLINE DE MALHERBE
Vous voulez dire que ce n'est pas extérieur aux questions notamment économiques.
FLEUR PELLERIN
Absolument pas. Je pense que, bien sûr, ce n'est pas exactement la même chose mais ça fait partie aussi de la préoccupation qu'exprime François HOLLANDE et qu'exprime le gouvernement pour redresser la France, pour relancer l'activité, pour relancer l'emploi et je crois que c'est la même chose.
APOLLINE DE MALHERBE
Sur la question des investissements justement, ses prédécesseurs et notamment Jacques CHIRAC qui avait fait le musée du Quai Branly, François MITTERRAND l'Opéra Bastille et la Bibliothèque Nationale de France, la Pyramide du Louvre, est-ce qu'à un moment où à un autre François HOLLANDE pourrait porter ce genre de projet ?
FLEUR PELLERIN
Je pense qu'on n'est pas forcément obligé de s'inscrire toujours dans la lignée de ce qui a été fait précédemment. Je pense qu'il y a des choses à inventer. En tout cas, la façon dont je perçois mon mandat, le mandat qui m'a été confié par le Premier ministre et par le président de la République, c'est d'essayer d'inventer aussi de nouvelles formes d'action à la tête de ce ministère de la Culture et pas forcément des grands chantiers, où on construit.
APOLLINE DE MALHERBE
Mais la culture, c'est quand même aussi des grands chantiers symboliques, non ?
FLEUR PELLERIN
Aussi, parce que ça va former du patrimoine pour demain. Evidemment la bibliothèque François Mitterrand était un grand projet architectural à l'époque où elle a été construite, et aujourd'hui elle fait partie de notre patrimoine.
APOLLINE DE MALHERBE
Ce n'est plus le moment ?
FLEUR PELLERIN
Je pense qu'il y a d'autres modes d'action, ce n'est pas parce que ce n'est plus le moment. Il y a des situations budgétaires qui font que c'est peut-être moins facile à certains moments mais ce n'est pas tellement la raison principale. La raison principale, c'est que je crois qu'aujourd'hui nous essayons de nous inscrire dans de nouveaux modes d'action. Je souhaite proposer au président de la République des choses qui soient un petit peu différentes dont je lui réserverai la primeur.
APOLLINE DE MALHERBE
Mais vous y réfléchissez.
FLEUR PELLERIN
Bien sûr, bien sûr.
APOLLINE DE MALHERBE
Ce ne serait pas du coup forcément matériel.
FLEUR PELLERIN
Ça peut mêler du matériel, de l'immatériel ou des choses qui ne sont pas forcément construire une oeuvre en dur pour s'inscrire de manière très physique et matérielle dans l'espace.
APOLLINE DE MALHERBE
Fleur PELLERIN, une oeuvre a fait beaucoup parler d'elle cette semaine. C'est celle qu'on appelle « The Tree » de Paul McCARTHY, une statue gonflable verte, géante, installée place Vendôme, de forme conique. On évoque un sex toy. Est-ce que vous la trouvez subversive ?
FLEUR PELLERIN
Elle est sans doute subversive puisqu'elle a crée autant de débats, mais c'est le propre de l'art que d'être subversif et parfois de choquer et de provoquer le débat. Je ne juge pas l'oeuvre sur ces qualités-ci mais je peux avoir un jugement moi-même.
APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce qu'elle vous plaît ?
FLEUR PELLERIN
Mon avis personnel n'intéresse pas les auditeurs.
APOLLINE DE MALHERBE
Mais c'est quand même une question qu'on peut se poser devant une oeuvre d'art. Est-ce qu'elle vous plaît ? Vous ne voulez pas répondre à savoir si elle vous plaît ou non.
FLEUR PELLERIN
Non, parce que je pense que dans les conditions dans lesquelles le débat est né ce week-end et avec la violence qui a été engendrée à la fois sur les réseaux sociaux et dans la réalité…
APOLLINE DE MALHERBE
Cette statue gonflable a été vandalisée dans la nuit de vendredi à samedi.
FLEUR PELLERIN
Le fait qu'un artiste en installant déjà l'oeuvre se fasse frapper au visage par un passant est quelque chose d'assez inacceptable et d'assez anormal. Le fait ensuite que dans la nuit qui suit, son oeuvre soit vandalisée me pose un problème en tant que ministre de la Culture. Le président de la République a lui aussi affirmé son soutien à l'artiste. C'est anormal. C'est anormal parce qu'aujourd'hui il y a quelque chose qui s'appelle la liberté d'expression ou la liberté de création, et le fait de ne pas apprécier une oeuvre ne signifie pas qu'on puisse se permettre de la vandaliser. A ce compte-là, “L'origine du monde” me choque, je vais aller déchirer la toile ? Ça n'a aucun sens ! Je crois que le débat reste toujours possible en démocratie et j'y suis tout à fait prête. L'insulte, la vindicte, le vandalisme pour moi sont absolument inacceptables.
APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce que ça veut dire que la société française est crispée ?
FLEUR PELLERIN
Oui, peut-être. Parce que cette façon de réagir à quelque chose qui devrait peut-être provoquer du débat et un débat animé, mais réagir par la violence, par l'agression physique au-delà même de l'agression verbale est, je crois, quelque chose de plutôt négatif.
APOLLINE DE MALHERBE
Au-delà de cette polémique, il y a eu plusieurs levées de boucliers. Il y a en ce moment une exposition sur la sexualité pour les enfants à la Villette, ça s'appelle “Le zizi sexuel„. Une pétition de parents qui refusent que leurs enfants y aillent a été lancée, elle a recueilli déjà trente sept mille signatures. A Cholet, deux écoles publiques ont renoncé aux visites parce qu'ils ne veulent pas emmener leurs enfants voir des représentations de nu qui sont dans une exposition d'un petit salon de peinture. Tout cela montre quand même une crispation. Est-ce que d'abord vous comprenez éventuellement les parents d'élèves qui se disent choqués et refusent que leurs enfants y aillent ?
FLEUR PELLERIN
Je ne sais pas dans quelles conditions ces parents se sont exprimés et ont refusé que leurs enfants y aillent. Ce que je sais, c'est que cette exposition n'est pas nouvelle. Elle a été présentée en 2007.
APOLLINE DE MALHERBE
L'exposition sur le « zizi sexuel »
FLEUR PELLERIN
Elle a été représentée entre temps, je ne sais plus en quelle année. C'est donc une exposition qui a déjà tourné, qui a été validée par des pédagogues.
APOLLINE DE MALHERBE
Justement, à l'époque ça n'a posé aucun problème.
FLEUR PELLERIN
A l'époque effectivement, ça n'a posé aucun problème. Je note comme vous qu'il y a une forme de raidissement qui est peut-être lié aussi à des événements qui se sont produits l'année dernière.
APOLLINE DE MALHERBE
Vous pensez aux « ABCD de l'égalité » les questions sur les genres.
FLEUR PELLERIN
Oui. Le débat sur les ABCD de l'égalité qui ont sans doute un peu crispé certaines personnes. Je pense qu'il faut pouvoir en discuter, il faut expliquer quelle est la vocation pédagogique de cette exposition qui n'a rien de choquant, qui, encore une fois, a été élaborée avec des scientifiques, avec des pédagogues, par pour choquer, pas pour montrer des photos. Ce sont des représentations dessinées et je rappelle que l'éducation sexuelle est au programme scolaire depuis 2001. Encore une fois, le but n'est pas de choquer mais de pouvoir faire de la prévention.
APOLLINE DE MALHERBE
Vous liez quand même cette crispation des parents d'élèves aujourd'hui au débat qui a eu lieu sur le genre il y a un an ?
FLEUR PELLERIN
Il se trouve qu'entre temps, il y a eu ce débat sur le genre et il n'y avait donc pas de réactions en 2007 mais il y en a maintenant. Il y a peut-être une corrélation qui n'est pas une relation de cause à effets mais en tout cas, c'est vrai que je note qu'il y a une proximité dans le temps entre les deux débats. Je crois qu'il ne faudrait pas que notre société ne puisse plus accepter le débat, qu'on empêche les enfants, qu'on soit dans une logique de censure et d'empêchement plutôt que de discussion pour examiner ce que les parents peuvent considérer comme bon ou mauvais pour leurs enfants.
APOLLINE DE MALHERBE
Autre moment de crispation : une femme au visage voilé a été exclue de l'opéra Bastille au début du mois, on vient de l'apprendre. Elle a été exclue notamment parce que certains des artistes qui étaient sur scène refusaient de continuer à jouer et à chanter alors qu'elle avait le visage couvert. Est-ce qu'il fallait l'exclure ?
FLEUR PELLERIN
La loi est très explicite sur ce sujet. C'est une loi qui doit être appliquée, qui a été précisée par plusieurs circulaires ministérielles et qui précise bien qu'effectivement, dans l'espace public on doit pouvoir être identifié. On ne peut donc pas avoir l'ensemble du visage couvert.
APOLLINE DE MALHERBE
Y compris à l'opéra ?
FLEUR PELLERIN
C'est un espace public. Lorsqu'on est dans l'espace public, que ce soit une école, que ce soit dans la rue, que ce soit à l'opéra ou dans les établissements qui relèvent d'une tutelle ministérielle publique, on ne doit pas se présenter avec le visage couvert qui empêche d'être identifié.
APOLLINE DE MALHERBE
Le ministère de la Culture prépare une note pour rappeler la loi. Quelles seront les consignes ?
FLEUR PELLERIN
Elles sont quelles sont les conduites de comportement à adopter en pareil cas. Normalement, le personnel de l'opéra, par exemple, ne peut pas reconduire cette personne à la sortie. En l'espèce, on a rappelé la loi à la personne et elle a accepté de partir de son plein gré. Mais si la personne avait refusé, il aurait fallu appeler les forces de police parce que le personnel de l'établissement public ne peut pas les reconduire. C'est juste un rappel de la loi, ce ne sont pas des consignes qui ajoutent à la réglementation ou à la législation. Ce sont juste des rappels qui permettent aux personnes des équipes des établissements publics de savoir comment se comporter si pareil cas devait se reproduire.
APOLLINE DE MALHERBE
Vous êtes ministre de la Culture et de la communication. On sait qu'aujourd'hui on cherche des financements un peu à droite à gauche. C'est le moment du budget et la question de la redevance est comme un serpent de mer. François HOLLANDE a dit qu'il était pour une assiette plus large et plus juste de la redevance audiovisuelle. Est-ce qu'il faut imaginer que les tablettes et les smartphones puissent être taxés ?
FLEUR PELLERIN
Réfléchir à l'assiette, cela implique forcément de réfléchir aux supports sur lesquels on regarde la télévision. Effectivement, aujourd'hui on constate que de moins en moins de Français regardent la télévision par voie hertzienne, sur un poste traditionnel, mais de plus en plus par voie d'internet et de plus en plus sur diverses tablettes, téléphones, smartphones, et cætera.
APOLLINE DE MALHERBE
Il y aura une taxe sur les smartphones et sur les tablettes ?
FLEUR PELLERIN
Le fait de s'interroger sur une modernisation de l'assiette est tout à fait légitime et c'est ce qu'a indiqué le président de la République. Ce ne sera pas le cas pour le budget de cette année mais en revanche, ouvrir cette réflexion avec l'ensemble des professionnels est tout à fait légitime et j'y travaille actuellement avec mes équipes. Cela ne veut pas dire forcément qu'il y aura une augmentation du taux, qu'il y aura une augmentation du rendement. Le président de la République a bien dit : « Je ne veux pas par cela accroître la pression fiscale ou augmenter les ressources, je veux juste moderniser l'assiette »
APOLLINE DE MALHERBE
De fait, ça augmentera quand même forcément.
FLEUR PELLERIN
Non, parce que si vous élargissez l'assiette, vous pouvez abaisser le taux. A ce moment-là, vous répartissez le même montant mais sur…
APOLLINE DE MALHERBE
Mais dans la mesure où, de toute façon, la France a besoin de plus d'argent, vous aurez quand même à un moment où à un autre besoin de ce budget-là, non ?
FLEUR PELLERIN
La question n'est pas d'aller chercher sur telle ou telle recette quelques euros supplémentaires, mais c'est bien de réfléchir de manière beaucoup plus globale à la question de la fiscalité de ceux qui ne payent pas de fiscalité aujourd'hui. Aujourd'hui, vous avez beaucoup de nouveaux acteurs qui interviennent dans l'audiovisuel dans les médias et qui sont des acteurs qui parviennent à ne pas du tout payer d'impôt. C'est probablement ces recettes fiscales-là qui manquent au budget de l'Etat aujourd'hui pour assurer la pérennité de notre modèle de financement de la création. C'est plutôt là-dessus que je souhaite travailler.
APOLLINE DE MALHERBE
Un dernier mot sur vous. Avec Najat VALLAUD-BELKACEM et Emmanuel MACRON, vous étiez considérés comme les symboles du nouveau gouvernement Valls : la jeunesse, le dynamisme. Emmanuel MACRON a été beaucoup attaqué par une partie de la gauche, notamment sur le fait qu'il ne soit pas un élu, et il a dit hier : « Je ne vais pas me battre, je ne les convaincrai pas que je suis comme eux et d'ailleurs, je n'ai pas envie de le devenir. Comme disait Jean Gabin dans « Le président » : « les poissons volants ne sont pas la majorité des poissons ». Est-ce que vous aussi vous vous sentez « poisson volant » ?
FLEUR PELLERIN
Peut-être un peu. Je pense que le fait que le président de la République et le Premier ministre aient choisi des profils qui sortent un petit peu aussi du standard attendu est quelque chose qu'il faut prendre en compte. Je pense qu'aujourd'hui une partie des Français peuvent considérer qu'on n'est plus forcé de remplir un certain nombre de critères prédéterminés pour faire de la politique ou pour être un bon ministre.
APOLLINE DE MALHERBE
Le fait de ne pas avoir été élue, de vous présenter au suffrage.
FLEUR PELLERIN
Le fait de ne pas forcément avoir suivi un cursus traditionnel d'élu ou de membre de parti.
APOLLINE DE MALHERBE
Votre cursus est traditionnel mais plutôt du point de vue des grandes écoles.
FLEUR PELLERIN
Pas tellement pour faire partie du gouvernement mais c'est vrai que ça peut aussi correspondre à une façon différente. Ça ne veut pas dire meilleure, ça ne va pas dire qu'elle a vocation à remplacer les autres, mais je pense qu'avoir une diversité de parcours au sein du gouvernement, c'est quelque chose de plutôt positif.
APOLLINE DE MALHERBE
Le fait de ne pas avoir été élue, vous ne vous sentez pas parfois illégitime ?
FLEUR PELLERIN
Ça m'arrive parce que parfois, on peut me le faire sentir mais je pense qu'il y a d'autres façons d'acquérir sa légitimité, notamment en étant un bon ministre par exemple.
APOLLINE DE MALHERBE
Merci d'avoir été notre invitée, Fleur PELLERIN.
FLEUR PELLERIN
Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 27 octobre 2014