Texte intégral
Monsieur le Président Dai,
Monsieur le Directeur Wang,
Cher Gérard Rancinan, Chère Caroline Gaudriault,
Chers Amis,
Face aux évidents désordres du monde, il y a plusieurs attitudes possibles. La résignation, mais elle n'est pas productive. La gesticulation, pas plus. L'action réfléchie : c'est ce que nous, responsables politiques, sommes censés faire. Et enfin, il y a l'art et la pensée : c'est ce chemin que vous avez choisi, Chers Gérard Rancinan et Caroline Gaudriault.
J'ai lu que votre «Trilogie des Modernes» était née du choc que vous aviez éprouvé face à la tragédie de Lampedusa, cette île italienne près de laquelle meurent des hommes, des femmes, des enfants venus d'Afrique, venus sur des radeaux de fortune dans l'espoir de trouver en Europe un avenir meilleur.
Face ce drame, vous vous êtes souvenus du fameux Radeau de la Méduse de Géricault - ou plutôt, vous avez voulu exprimer votre propre vision de cette tragédie, en «métamorphosant» pour reprendre un titre de votre trilogie, le tableau de Géricault. Le résultat est le superbe Radeau des Illusions, photographie qui ouvre cette exposition.
Ces débuts sont emblématiques de votre œuvre novatrice. Une œuvre centrée sur des photographies créatives, mises en scène savamment organisées, qui souvent réinventent de grands classiques de la peinture occidentale pour donner à voir, d'une manière grave ou ludique, une facette du monde contemporain. Vous avez métamorphosé la Cène de Léonard de Vinci, les Ménines de Velázquez, la Liberté guidant le peuple de Delacroix, avec le souci d'explorer avec originalité un aspect de nos civilisations modernes. Ces photographies peignent un monde troublé, chaotique - qui fait écho à la réalité à laquelle je suis confronté chaque jour dans mes fonctions ministérielles.
Votre œuvre mélange, elle fait dialoguer l'image et l'écrit : les photographies se doublent de textes, qui les explicitent en se gardant d'en donner une lecture unique. Car, comme toute œuvre d'art, ces photographies souvent énigmatiques posent des questions sur notre monde et sur nous-mêmes plus qu'elles ne fournissent de réponse définitive. À titre personnel, je suis très sensible à la critique d'une culture mondiale uniforme et aseptisée, qui émane du dernier volet de votre trilogie, Wonderful World.
Votre œuvre, Chers Gérard et Caroline, connaît aujourd'hui une renommée planétaire. Vous auriez d'ailleurs de grandes chances d'obtenir, s'il existait, le Prix Nobel de photographie, car nous sommes en ce moment en France sur une très bonne lancée dans ce domaine...
Votre œuvre a été exposée ces dernières années dans de grandes villes d'Europe, comme Paris et Milan. Il s'agit ici, à Shanghai, de la première fois qu'elle l'est en Asie. Je me réjouis que des artistes français novateurs et talentueux puissent être présentés en Chine, dans le cadre du programme de manifestations culturelles organisées à l'occasion du cinquantenaire de l'établissement des relations diplomatiques entre nos deux pays. Je remercie chaleureusement les responsables du magnifique Musée Himalayas, un lieu exceptionnel, qui ont rendu cette exposition possible.
Pour terminer, je citerai Caroline Gaudriault. Dans l'ouvrage qui accompagne le deuxième volet de la trilogie, Hypothèses, vous avez écrit : «Les hypothèses se multiplient sur un monde en recherche de lui-même, plein de promesses et dépassé par sa propre agitation». Hypothèses, agitation, promesses : notre travail à nous, responsables d'État, est d'apporter des réponses à cette quête de sens, de donner corps à ces promesses et d'essayer de résoudre les crises pour atténuer l'agitation du monde. Pour ce qui est en revanche de l'agitation que l'on trouve dans les photographies de cette exposition, je ne ferai rien pour la combattre car elle constitue un plaisir esthétique à savourer sans modération.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 octobre 2014