Texte intégral
CHRISTOPHE BORDET
Laurence ROSSIGNOL, bonjour.
LAURENCE ROSSIGNOL
Bonjour.
CHRISTOPHE BORDET
Merci d'être avec nous ce matin, on va parler de la politique familiale dans un instant, mais avant l'actualité pure et dure avec deux infos tragiques ce matin cette fusillade mortelles tout d'abord hier au parlement d'Ottawa au Canada, avec ce Canadien converti à l'islam qui est passé à l'acte et ces quatre jeunes de Lunel dans l'Hérault partis faire le djihad en Syrie et qui seraient morts. Tous nos pays sont aujourd'hui touchés, question simple Laurence ROSSIGNOL, encore un loup solitaire à Ottawa hier qui est passé à l'acte, la France court-elle le même genre de danger ? Un fou furieux qui pourrait comme ça entrer à l'Assemblée, au Sénat, dans votre ministère pourquoi pas et puis tirer ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Comment dire, à la fois la France est mobilisée pour faire face à ce genre de danger, le prévenir, c'est d'ailleurs la loi que le ministre de l'Intérieur, Bernard CAZENEUVE vient de faire adopter.
CHRISTOPHE BORDET
Qui va bientôt entrer en vigueur.
LAURENCE ROSSIGNOL
Qui va bientôt entrer en vigueur et qui doit justement prévenir ce type d'acte, en même temps on est mobilisé et il est faux de dire que le risque zéro n'existe pas. Le Canada est un pays plutôt pacifique dans son mode de vie, dans ses relations intérieures, moi ce qui s'est passé au Canada bien sûr ça suscite chez moi beaucoup de solidarité et d'amitié pour nos cousins à Ottawa parce que c'est un pays dont on est très proche, mais dans le contexte dans lequel on est en France aujourd'hui et quand je dis contexte ça va à la fois de la grande brutalité des propos de Nicolas SARKOZY dans son meeting avant-hier, des excès de langage de mes propres amis, j'ai envie de dire
CHRISTOPHE BORDET
On va en parler.
LAURENCE ROSSIGNOL
soumis au fait qu'une chose comme ça puisse nous arriver aussi. Et notre pays a besoin de savoir se rassembler autour des grands sujets. Et mettons les polémiques à la place où elles doivent être et l'unité là où elle doit être aussi. Et à la fois dans un contexte de crise économique mondiale pas facile, de tensions internationales, d'engagements aussi bien en Syrie qu'en Afrique des troupes françaises ou de la communauté internationale, il serait bon que de temps en temps on mette nos polémiques un peu de côté et qu'on pense à se rassembler autour de ce qui nous réunit, c'est-à-dire les valeurs de liberté, fraternité qui sont celles que nous voulons pour nos propres pays, mais que nous proposons aussi de défendre sur la planète.
CHRISTOPHE BORDET
Les polémiques, ce n'est pas les journalistes qui les créent, ce sont bien les politiques.
LAURENCE ROSSIGNOL
Pour une fois c'est vrai qu'on ne peut pas vous le reprocher.
CHRISTOPHE BORDET
Voilà pour une fois, je vous remercie. L'actualité marquée donc par les propos de Manuel VALLS dans le Nouvel Observateur, le Premier ministre qui veut en finir avec le PS passéiste, le PS est passéiste Laurence ROSSIGNOL clairement ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Vous pouvez lire toute la phrase ?
CHRISTOPHE BORDET
Le Premier ministre qui veut
LAURENCE ROSSIGNOL
Après qu'est-ce qu'il dit après ?
CHRISTOPHE BORDET
en finir avec le PS passéiste.
LAURENCE ROSSIGNOL
Vous n'avez pas toute la phrase ?
CHRISTOPHE BORDET
Je n'ai pas toute la phrase, allez-y.
LAURENCE ROSSIGNOL
Oui parce que dans la dimension passéiste qu'il pointe, il pointe aussi les Trente Glorieuses, la nostalgie des Trente Glorieuses.
CHRISTOPHE BORDET
C'est vrai.
LAURENCE ROSSIGNOL
Et je suis assez d'accord avec l'idée qu'il faut qu'on sorte de la nostalgie des Trente Glorieuses. Il y a des valeurs qui sont pour nous fondamentales, qui sont essentielles, qui sont celles de notre existence, et notre but c'est l'égalité sociale, et l'épanouissement des individus dans une société juste et redistributive. Et la question qui est posée aujourd'hui c'est dans quel type d'économie, dans quel type de société, on peut développer et promouvoir ce qui fait l'identité même des humanistes que nous sommes. Et je partage une chose avec Manuel VALLS, c'est que je pense qu'effectivement que les Trente Glorieuses sont derrière nous, au sens où cette période de croissance, de jouissance des biens naturels, des biens matériels est finie, qu'elle ne reviendra pas comme on l'a connu et il faut qu'on apprenne aujourd'hui à vivre dans une société sobre, dans une société qui doit trouver d'autres valeurs que les valeurs de la consommation. Et je partage donc ceci avec Manuel VALLS.
CHRISTOPHE BORDET
Alors c'est vrai que le Premier ministre effectivement dit ça mais en même temps on a l'air de découvrir la lune enfin, quand même arriver en 2014 pour se dire les Trente Glorieuses c'est fini, personne s'en était aperçu avant ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Excusez -moi mais je trouve que ce n'est pas du tout consensuel ce que je viens de vous dire, je n'entends personne dire aujourd'hui qu'il faut penser à une croissance sobre, une croissance redistributive, qu'il faut qu'on réfléchisse l'avenir dans l'idée qu'on aura durablement une croissance relativement faible et atone et de savoir comment dans ce contexte économique- là qui doit être protecteur des ressources naturelles, que ce soit regardons le contexte climatique dans lequel on est, l'épuisement d'un certain nombre de ressources et la place qu'a pris le consumérisme dans nos vies avec tous les effets que ça a aussi sur les individus, sur les relations entre les gens, sur ce après quoi ils courent. Je pense qu'aujourd'hui un des défis, moi je partage, je ne sais plus qui l'a dit hier, je crois que c'est peut-être une responsable écolo, je pense que l'avenir ce n'est pas entre sociale démocratie, social libéralisme etc, c'est sociale écologie.
CHRISTOPHE BORDET
Sociale écologie ?
LAURENCE ROSSIGNOL
C'est la sociale écologie, c'est-à-dire c'est une société consciente des risques qui pèsent sur la planète et surtout c'est ce que nous partageons avec le monde entier. Nous sommes tous embarqués sur la même planète et on en a qu'une seule. Et je pense que comme la France va accueillir l'année prochaine la conférence sur le climat, il faut effectivement qu'on débatte de ça.
CHRISTOPHE BORDET
Manuel VALLS honnêtement est-il encore de gauche Laurence ROSSIGNOL, quand on l'écoute, quand on le lit à aucun moment par exemple dans l'interview du Nouvel Obs là qui sort ce matin, à aucun moment il utilise l'adjectif socialiste, donc on peut se poser la question, est-ce qu'il a honte de ça ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Non, je crois que Manuel VALLS est de gauche, d'abord il est le Premier ministre d'un gouvernement de gauche, nommé par un président de la République de gauche, élu par le peuple de gauche avec une majorité parlementaire de gauche. Donc il n'y a pas de doute là-dessus.
CHRISTOPHE BORDET
Pourquoi à aucun moment il utilise cet adjectif qui le représente normalement ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Enfin le Manuel VALLS de cette interview est assez conforme au Manuel VALLS classique de la primaire, qui s'est exprimé dans le parti, il n'est pas très différent. La diversité de la gauche c'est qu'il y a entre nous des sensibilités, des histoires qui sont un peu différentes. Juste dire une chose, c'est que Manuel VALLS est de gauche parce qu'il veut réformer et de toute façon il est de gauche parce qu'il doit faire la synthèse d'une majorité et d'un gouvernement de gauche. Donc d'un certain point de vue, il n'a pas d'autre choix qu'être de gauche, ce qui tombe bien, mais après la gauche Vous savez dans la période dans laquelle on est, personne ne peut dire, moi je détiens la vérité, c'est d'ailleurs un des problèmes, plus c'est difficile, plus les uns et les autres veulent se poser en détenteur de la solution. Et ça se confronte avec de la brutalité et je pense qu'il faut qu'on fasse très attention les Français savent qu'ils font des efforts, qu'ils doivent en faire, et ils attendent de nous qu'on soit aussi rigoureux dans l'expression et dans les mots et aussi économes du verbe qu'ils le sont eux-mêmes dans cette période difficile.
CHRISTOPHE BORDET
Laurence ROSSIGNOL, Manuel VALLS plaide pour une sorte de grand rassemblement des progressistes qui iraient même si ça a été visiblement retiré à la relecture par Matignon ce week-end, qui iraient jusqu'à François BAYROU, il a raison il faut ouvrir là, il faut aller au-delà du Parti socialiste ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Mais de toute façon il faut toujours chercher à rassembler.
CHRISTOPHE BORDET
Vous parliez de rassemblement tout à l'heure.
LAURENCE ROSSIGNOL
Il faut toujours chercher à rassembler le plus grand nombre, et surtout dans une période dans laquelle, comme celle qu'on connait aujourd'hui. Vous savez on pourrait imaginer sur un certain nombre de sujets avoir des moments de rassemblement des forces politiques. J'observe ce qui se passe en Allemagne où la CDU et le SPD sont capables quand c'est l'intérêt du pays de se mettre d'accords et d'ailleurs du coup le SPD peut avancer comme ça sur le Smic, sur un certain nombre de réformes sociales. Ce serait bien que de temps en temps en France les responsables politiques puissent dire au peuple sur ce que l'on fait en ce moment et qui est pour vous, qui vous engage, qui vous mobilise, nous sommes d'accords parce que c'est notre intérêt commun. Je pense que ce pays a besoin de temps en temps de responsables politiques qui savent faire de la concorde, on peut le faire sur des questions internationales, ce serait bien qu'on le fasse sur des questions nationales aussi.
CHRISTOPHE BORDET
Quand Benoit HAMON dit que le gouvernement menace la République, c'est quand même très violent, mais il faut écouter la suite quand même de ce qu'il dit, il parle de « l'immense désastre démocratique et de l'arrivée de Marine LE PEN au pouvoir en 2017 ». C'est un scénario catastrophique qui n'est pas du tout improbable aujourd'hui, vue la situation. Est-ce qu'il a vraiment tort quand il dit ça ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Oui, je crois qu'il a tort quand il établit une relation directe entre le gouvernement et la menace démocratique. D'ailleurs j'ai vu que dans la journée hier il avait corrigé son propos
CHRISTOPHE BORDET
Si on se réfère aux résultats des européennes des municipales, on peut dire oui il y a un risque parce qu'aujourd'hui on voit bien que la situation est difficile, les Français ont le sentiment que rien n'avance, dans le bon sens, et donc oui il y a un risque.
LAURENCE ROSSIGNOL
Et ce risque il n'a pas commencé aux dernières élections européennes
CHRISTOPHE BORDET
Il s'est amplifié depuis deux ans.
LAURENCE ROSSIGNOL
Non, le risque il a commencé, on l'a vu en 2002. Je vous rappelle que c'est en 2002 que le front national est au deuxième tour de l'élection présidentielle. Et en 2012, ce n'est pas la gauche qui a gouverné pendant cinq ans, mais la droite et le front national est extrêmement fort. Donc effectivement il y a enracinement du front national dans ce pays et de ses idées. La vraie question qui est posée à cette politique, ce n'est pas à Benoit que je réponds là, mais c'est aussi à la droite, et à nous-mêmes et à tous, c'est que si nous ne voulons pas que le front national prospère électoralement, il faut dabord qu'il ne prospère pas culturellement. Et je suis quand même frappé de la stratégie qui est celle de la droite qui consiste à prendre les idées du front national, et à s'imaginer qu'ils vont siphonner le front national en disant « comme lui ce qu'il dit ». Ca ne marche plus comme ça. Ca a marché une fois en 2007, ça n'a plus marché
CHRISTOPHE BORDET
Vous faites référence aux déclarations de Nicolas SARKOZY, notamment au meeting de Nice, il y a 48 heures.
LAURENCE ROSSIGNOL
Moi vous savez les polémiques entre les socialistes ne sont pas mon sujet
CHRISTOPHE BORDET
Elles existent quand même.
LAURENCE ROSSIGNOL
Elles existent, je les gère, j'essaye de ne pas y participer, mais ce n'est pas mon sujet principal. Mon sujet principal c'est comment chacun et en particulier l'opposition prend ses responsabilités aujourd'hui dans effectivement la montée du front national et la propagation de leurs idées.
CHRISTOPHE BORDET
Vous êtes chargée de la famille au gouvernement de la modulation des allocations familiales, en fonction des revenus, voulue par le gouvernement, au moment où vous dites c'est une mesure de justice on s'aperçoit que les fonctionnaires bénéficient eux d'un supplément familial de traitement, c'est quoi ?
LAURENCE ROSSIGNOL
C'est un accessoire du salaire. Les salaires des fonctionnaires n'ont pas été augmentés depuis . Le point d'indice des fonctionnaires n'a pas été augmenté, c'est un élément du salaire, ce n'est pas un élément de politique familiale. Je veux bien qu'on porte la discussion là-dessus
CHRISTOPHE BORDET
C'est quand même une aide ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Oui mais c'est un élément de salaire qui par ailleurs n'est probablement pas compté dans l'ensemble du salaire des fonctionnaires sur la cotisation à la retraite.
CHRISTOPHE BORDET
Il faut la supprimer cette aide ou pas, concrètement ? Parce que sinon on n'est pas vraiment dans la justice entre les différentes familles.
LAURENCE ROSSIGNOL
Le supplément familial n'est pas versé par les Caisses d'allocations familiales. C'est un élément du salaire des fonctionnaires. Dire aujourd'hui qu'il faut supprimer le supplément familiale chez les fonctionnaires ça revient à dire qu'il faut baisser les salaires des fonctionnaires. Je ne le dirais pas parce que je ne pense pas qu'il faille baisser les salaires des fonctionnaires qui font déjà, du point de vue de leur salaire, des efforts depuis de nombreuses années.
CHRISTOPHE BORDET
Donc on ne touche pas à ce supplément, c'est clair et net ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Il faut qu'il y ait une discussion. La question qui peut se poser c'est plutôt celle de l'intégration du supplément familial dans le salaire des fonctionnaires, que celle de la diminution.
CHRISTOPHE BORDET
Ca veut dire que les fonctionnaires vont perdre moins de pouvoir d'achat que les familles qui travaillent dans le privé, par exemple.
LAURENCE ROSSIGNOL
Mais enfin, on ne baisse pas les salaires des familles monsieur. Ce n'est pas parce qu'on modifie la
CHRISTOPHE BORDET
A partir du moment où on divise par deux pour les foyers
LAURENCE ROSSIGNOL
Mais pour les fonctionnaires aussi.
CHRISTOPHE BORDET
D'accord, mais eux ils gardent quand même cette partie-là.
LAURENCE ROSSIGNOL
Mais enfin les salariés du privé ne voient pas pour autant leur salaire baisser. Il faut comparer ce qui est comparable, c'est que le supplément familial chez les fonctionnaires est un élément du salaire, ce n'est pas un élément de la politique familiale. Les couples de fonctionnaires qui gagnent plus de 6000 euros par mois et qui ont deux enfants verront comme les autres leurs allocations familiales diminuer dans les mêmes conditions. Mais je propose qu'on ne mélange pas salaire et politique familiale.
CHRISTOPHE BORDET
Dernière chose Laurence ROSSIGNOL, vous modulez les allocations familiales en fonction des revenus au titre donc de plus de justice, mais un foyer sans enfant qui touche 6000 euros va perdre moins de pouvoir d'achat qu'un foyer avec deux enfants ? Donc c'est une justice toute relative !!
LAURENCE ROSSIGNOL
Oui mais enfin, on ne calcule pas j'ai un peu de mal avec votre question, on parle de politique familiale .
CHRISTOPHE BORDET
C'est une vraie question.
LAURENCE ROSSIGNOL
On parle de politique familiale, de toute façon un foyer sans enfant avec 6000 euros est un foyer qui ne bénéficie pas du quotient familial parce qu'il n'a pas d'enfants, donc il y a déjà dans la politique fiscale des différences qui font que le foyer sans enfant a des impôts supérieurs au foyer avec enfant parce que notre politique familiale elle passe aussi par le quotient familial et l'impôt. Elle n'est pas uniquement dans les prestations sociales. Voilà, on ne peut pas comparer ce qui n'est pas comparable. Il y a une aide pour ceux qui ont des enfants, et pas d'aide pour ceux qui n'ont pas d'enfants, en termes de politique familiale c'est normal
CHRISTOPHE BORDET
Merci Laurence ROSSIGNOL d'avoir été avec nous ce matin sur SUD RADIO.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 24 octobre 2014