déclaration de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, sur les réformes du système de santé et la médecine libérale, Paris le 19 septembre 2014.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral


Je me réjouis de participer cette année à votre Université d'été, au moment où plusieurs actions engagées avec vous ont commencé à porter leurs fruits. Je m'en réjouis d'autant plus que des réformes majeures vont être réalisées à travers le projet de loi de santé, que je présenterai prochainement en conseil des ministres.
Cette Université d'été est également, pour moi, l'occasion de saluer l'engagement de la nouvelle équipe de la Confédération des syndicats médicaux Français (CSMF). Cette nouvelle équipe, forte de personnalités qui se sont largement investies dans leurs missions régionales s'est constituée depuis quelques mois autour de son président. Elle a d'emblée porté sa vision et sa contribution au débat sur les orientations du projet de loi de santé.
Je souhaite revenir sur ce projet de loi dont certaines mesures, je le sais, suscitent des interrogations parmi les médecins libéraux.
Ce projet de loi porte les mesures structurantes dont notre système de santé a besoin pour s'adapter aux défis de demain.
Cette loi a l'ambition de changer le rapport des Français à leur santé. Elle développe les moyens de se prémunir et de se protéger. Elle leur donne, lorsque survient la maladie, les armes pour y faire face : un remboursement des soins simplifié, des délais de consultation plus brefs, une prise en charge plus fluide et compréhensible par tous. Elle donne aussi de nouveaux outils aux professionnels de santé.
Je ne vais pas résumer une nouvelle fois ce projet de loi. Parmi ses orientations fortes, il y a la volonté et la nécessité d'unifier le pilotage de la politique de santé. Il n'y a qu'une seule politique de santé et chacun doit y contribuer pour sa part ; acteurs nationaux comme acteurs locaux ; acteurs publics comme acteurs privés ; pouvoirs publics comme professionnels.
Cette volonté ne prive nullement la médecine libérale de sa place dans notre système de système de santé. Il y a, aujourd'hui, un paradoxe : le projet de loi de santé cristallise des inquiétudes sur la place de la médecine libérale alors même que j'ai placé la médecine de proximité au coeur de mon action et que c'est la médecine libérale qui incarne et remplit les missions de la médecine de proximité. C'est le médecin généraliste et le médecin spécialiste qui exercent, en France, cette médecine de proximité.
Oui, je suis attachée comme des millions de Français au modèle de la médecine libérale. Ce modèle repose sur des valeurs. Des valeurs et des règles : la liberté du mode d'exercice pour le professionnel et le libre choix pour le patient. Des valeurs et des règles, qui font la force et l'excellence de notre système de soins, à commencer par celle de la déontologie, mais aussi une régulation qui garantit la solidarité. Des valeurs et des règles qui permettent aussi la relation personnelle, directe, très souvent suivie entre le médecin et son patient, entre le patient et son médecin.
Mon action a pour ambition de préserver et de consolider le modèle de la médecine libérale. Le système de santé dans dix ans ne sera pas le système de santé d'il y a dix ans. Les temps sont exigeants, pour nous tous, et durs aussi, sur le plan financier. Ni vous ni moi ne pouvons nous payer de luxe d'échanger des contrevérités. Je vous invite à saisir la chance qui vous est offerte d'affirmer la place d'une médecine libérale rénovée dans un paysage de santé en mutation. Je sais que cette 20ème université d'été sera l'occasion au cours de ces ateliers de poser la question de la place de la médecine libérale pour demain. Ce renforcement de la place de la médecine libérale ne peut se faire que si elle répond aux défis qui se présentent à elle. Le défi d'une plus grande coordination. Le défi d'une encore plus grande proximité.
I/ Donner pleinement sa place à la médecine libérale, c'est lui donner les moyens de relever le défi d'une meilleure coopération et coordination
C'est le thème central de cette université d'été 2014. Le développement de la prévention, la prise en charge d'un nombre croissant de patients souffrant de pathologies chroniques sous l'effet du vieillissement de la population, l'optimisation des parcours de soins sont autant de défis qui nécessitent d'adapter l'organisation du système de soins en améliorant la coordination entre les différents acteurs. C'est le sens de ce que j'ai appelé la « révolution du premier recours » et que vous avez nommé dans votre intervention, monsieur le président, le « virage ambulatoire » à la québécoise.
* Il faut d'abord faciliter cette coordination entre la ville et l'hôpital.
La loi de santé facilitera également ce mouvement en faisant en sorte que, demain, chaque patient qui sort de l'hôpital reçoive le jour-même une lettre de liaison. Elle fera le lien avec les professionnels de ville et pourra être dématérialisée. Voilà un outil de plus pour la médecine de proximité.
* Il faut ensuite permettre le développement de nouvelles organisations dont les médecins doivent être les initiateurs.
Pour donner aux médecins les moyens d'opérer ce « virage ambulatoire », j'ai souhaité que la loi crée un Service territorial de santé au public, dont l'objectif est la structuration des soins de proximité et l'organisation des parcours de santé. Les agences régionales de santé seront les garantes de la mise en place du Service territorial de santé au public, mais ce sont bien les acteurs de terrain, médecins, professionnels libéraux, hospitaliers, médico-sociaux, qui définiront les contours de ce service. Chaque professionnel sera libre d'y participer ou non.
Les professionnels de santé libéraux auront de nouveaux outils pour développer leurs initiatives dans le cadre du Service territorial de santé au public. C'est l'objet justement de la généralisation de la rémunération d'équipe pluriprofessionnelle, qui permet une prise en charge coordonnée des patients par les professionnels exerçant en ville.
Les négociations en cours avec l'assurance-maladie doivent désormais pouvoir aboutir rapidement pour généraliser cette rémunération. Elle reposera sur deux modalités d'organisation du travail en équipe : soit une équipe permanente, dans le cadre de structures regroupées, soit ponctuelle, à l'occasion par exemple d'un épisode de soins après un séjour à l'hôpital.
Le choix des professionnels sera respecté. La coordination entre les professionnels de santé participera à renforcer leur présence sur le territoire, à amplifier les actions de prévention, à améliorer la prise en charge des pathologies chroniques et à mieux gérer les situations de rupture dans le parcours de soins.
Comme vous le savez, cher Jean-Paul ORTIZ, je ne défends pas, avec cette mesure, une vision descendante et figée d'organisation de l'activité libérale. Mon intention est bien, avec cette innovation, de libérer les initiatives sur le terrain. Vous savez que je ne suis pas une adepte de la coercition. Dans la lutte contre les déserts médicaux, j'ai toujours défendu la liberté d'installation. Cet engagement, je le poursuivrai dans la mise en place du Service public territorial de santé.
* Dans le projet de loi, il n'est pas question d'opposer des professionnels de santé les uns aux autres, ni de prendre aux uns pour donner aux autres.
Je ne veux pas opposer un secteur à un autre ni des professionnels entre eux. Le projet de loi de santé vise à rénover la notion de service public hospitalier et ne remet nullement en cause le rôle des cliniques privées dans le système de santé. La rénovation du service public hospitalier répond à l'exigence de lisibilité et de clarté de l'offre de soins et à la nécessité de garantir sur l'ensemble du territoire les obligations de service public.
Il ne s'agit pas, comme j'ai pu le lire, de mettre un terme à certaines activités actuellement exercées par les cliniques et praticiens libéraux ; il ne s'agit pas non-plus de retirer des autorisations aux établissements qui ne seraient pas des établissements du Service public hospitalier. Je pense en particuliers aux établissements de santé privés autorisés à gérer un service d'accueil des urgences.
La participation, déjà importante, des cliniques privées aux activités de formation et de recherche, leur accès à l'innovation, n'est nullement fragilisée. Elle devra même croître.
II/ Donner pleinement sa place à la médecine libérale, c'est conforter le système conventionnel et favoriser l'articulation entre le national et le régional
* Ensemble, nous pouvons faire évoluer les pratiques et obtenir rapidement des résultats concrets. La politique conventionnelle fonctionne. J'en veux pour preuve l'accord sur la régulation des dépassements d'honoraires, le fameux « avenant 8 ».
Près de deux ans après sa signature, les résultats de cet accord sont là. Alors que depuis plus de vingt ans les taux de dépassement progressaient de façon continue, ils ont commencé à baisser à la fin 2012. Les derniers résultats montrent que cette baisse s'est amplifiée ces derniers mois. Entre 2011 et 2014, le taux de dépassement a baissé de près de 5 points pour l'activité clinique. La part de l'activité réalisée à tarif opposable parmi les médecins de secteur 2 augmente également. Entre 2011 et 2014, le taux d'honoraires à tarif opposable a augmenté de près de 3 points. Ces baisses concernent tous les médecins, indépendamment de leur lieu d'exercice privé comme public. La part des dépenses de santé restant à la charge des ménages a commencé à baisser en 2012, et le mouvement n'a cessé de s'amplifier, en partie grâce à cet accord.
Cette réforme a été portée par les syndicats signataires de l'avenant 8. Le rôle de la Confédération des syndicats médicaux Français a été décisif. Les médecins, individuellement, se sont engagés dans le contrat d'accès aux soins et le Gouvernement a tenu ses promesses : une meilleure rémunération de l'activité clinique et une revalorisation de nombreux actes techniques.
Ce mouvement doit se poursuivre et nous devons soutenir les médecins qui s'y sont engagés. Dans les prochains jours paraîtra le décret sur la révision des règles du contrat-responsable. Le nouveau contrat-responsable favorisera les signataires du contrat d'accès aux soins et orientera les complémentaires vers un meilleur remboursement des honoraires des médecins qui ont signé le contrat d'accès aux soins.
* Je tiens à réaffirmer que la loi de santé ne conduit nullement à remettre en cause le cadre national de la politique conventionnelle.
Les tarifs conventionnés seront les mêmes pour tous, sur tout le territoire. Pour autant, les conditions de la négociation conventionnelle ne peuvent rester immuables. L'objectif est de permettre aux signataires de la convention médicale de l'adapter au niveau local et aux particularités d'un territoire. Je pense par exemple aux aides à l'installation dans des zones manquants de médecins. L'idée est donc bien, à l'instar d'une des priorités que vous avez exprimée lors de votre première conférence de presse, cher Jean-Paul ORTIZ, de renforcer l'articulation entre le régional et le national dans un esprit d'équilibre. Il n'y aura pas de « second round » de la négociation, au niveau régional. Il n'y a qu'une seule négociation, et elle est nationale.
III/ Donner pleinement sa place à la médecine libérale, c'est aussi renforcer l'accès aux soins
* Je sais que la généralisation du tiers-payant est parfois perçue comme une mesure allant contre l'exercice de la médecine libérale. Mais c'est faux, et les faits réfutent une telle vision. Les faits, ce sont aujourd'hui 35 % des actes de médecine de ville qui sont réglés en tiers payant.
La généralisation du tiers-payant va permettre aux personnes les moins aisées de ne plus reporter leurs soins ou de ne plus y renoncer pour des raisons financières. On me dit que des dispositifs existent déjà pour les plus pauvres. Sans doute. Mais nombreux sont ceux qui, sans pouvoir bénéficier de dispositifs ciblés sur la pauvreté, ont du mal à boucler leurs fins de mois. Notre réponse à leurs difficultés doit relever du droit commun.
La généralisation du tiers payant aura aussi des effets favorables pour le système de santé tout entier : en évitant le recours tardif aux soins, elle contribue à une prise en charge plus efficace. Par ailleurs, aujourd'hui, un certain nombre de patients se rendent aux urgences, non pas parce que leur état de santé le commande, mais parce qu'ils ne peuvent avancer les frais. Le tiers payant, c'est aussi un outil supplémentaire pour réaliser cet indispensable «virage ambulatoire ». La généralisation du tiers payant, ça n'est pas la remise en cause de la médecine libérale. Il ne s'agit pas de transformer les médecins en percepteurs de franchises.
Je souhaite rappeler les principes qui guideront chaque étape de cette réforme :
- d'abord, le système mis en place sera simple et sécurisé, tant pour les médecins que pour les patients ;
- ensuite, les risques de trésorerie ou de charge administrative supplémentaire seront totalement maîtrisés, tant pour les médecins que pour les organismes payeurs.
Le défi technique de la généralisation du tiers payant est important, je le sais. Mais je vous donne ici l'assurance que les médecins seront étroitement associés aux choix structurants de cette réforme. Cela a déjà été le cas ces derniers mois dans la définition du schéma cible du tiers-payant pour les bénéficiaires de l'aide à la complémentaire santé.
* J'entends dire que certaines mesures du projet de loi mettraient en doute la déontologie de la profession ; je pense aux refus de soins.
Cette question, il faut la traiter. Ma démarche, c'est de travailler avec vous pour que la profession se saisisse de cette question de manière pragmatique. e fais confiance à l'autorégulation pour aboutir à des résultats.
Ce n'est pas une atteinte à votre liberté. Ce n'est pas mon approche. Plusieurs rapports ont été écrits sur le refus de soins opposé aux bénéficiaires de la Couverture maladie universelle, de la Couverture maladie universelle Complémentaire, de l'Aide pour une complémentaire santé et de l'Aide médicale d'Etat. Les pouvoirs publics et les professionnels de santé, et pas seulement les médecins, doivent s'interroger sur la manière de lutter contre ce phénomène, que nous considérons tous ici inacceptable.
Nous avons tous intérêt à sortir du débat théorique et à résoudre cette question de manière respectueuse. Ce que je propose dans le projet de loi de santé, c'est de renforcer les missions de l'Ordre des médecins, donc de la profession. Le but est d'abord d'objectiver le phénomène du refus de soins, et ensuite d'apporter des réponses adéquates. J'ai demandé au président de l'Ordre, le docteur Patrick BOUET, qui l'a accepté, d'animer les travaux préparatoires qui permettront, avec vous, la mise en oeuvre de cette réforme.
IV/ Donner pleinement sa place à la médecine libérale. c'est continuer d'investir et se préserver d'une déréglementation à courte vue
* Je veux rappeler que, pour la première fois cette année, l'enveloppe des dépenses des soins de ville au sein de l'ONDAM de ville a été supérieure à celle prévue dans le champ hospitalier, à mon initiative. Ce sera également le cas l'an prochain et cela est logique et cohérent avec l'action du gouvernement en faveur des soins de proximité.
Pour les médecins, la montée en charge de la « rémunération sur objectifs de santé publique» comme les revalorisations de l'avenant 8 ont permis concrètement un soutien financier à leur activité et la modernisation de leurs conditions d'exercice. Le budget de la ROSP, qui s'élève à près de 270 Millions d'euros, a permis le versement d'une prime de 4000 euros en moyenne par médecin. Après les revalorisations de nombreux actes techniques en juillet 2013 et mars 2014, une nouvelle revalorisation est prévue au ter janvier 2015.
En matière de formation continue, le budget de l'Organisme gestionnaire du développement professionnel continu a toujours augmenté pour accompagner la montée en charge de la réforme. Pour les médecins libéraux, le budget a augmenté de près de 30 % entre 2011 et 2014. J'ai demandé à mes services de travailler à une plus grande lisibilité et à une meilleure association des représentants professionnels à la fixation des règles de financement du développement professionnel continu.
* Enfin, je veux le dire clairement : Les médecins libéraux ne sont pas des rentiers.
Vous le savez, le Gouvernement a également le projet de faire évoluer le cadre d'exercice des professions dites réglementées. Dans le champ de la santé, je ne suis pas opposée à cette logique si elle contribue à moderniser et renforcer l'attractivité des professionnels concernés. Mais cette logique ne peut exclure les impératifs de santé publique, d'accès aux soins et plus généralement des principes fondamentaux des professionnels libéraux et de leur indépendance.
Le débat s'est engagé sur l'activité des pharmaciens et j'ai rappelé ma volonté de préserver le monopole officinal. Les discussions se poursuivent au sein du gouvernement et je serai fidèle à mes engagements, si d'aventure, d'autres professions de santé étaient plus largement concernées par cette réforme à venir.
Mesdames, messieurs,
Je suis venue vous dire que j'ai confiance en vous. J'ai confiance dans les professionnels de santé. e sais qu'au fond nous poursuivons les mêmes objectifs de qualité et de sécurité des soins pour tous nos concitoyens quel que soit leur lieu de vie, quel que soit leur statut social, quel que soit leur âge.
Je suis venue vous dire que nous sommes au début du processus et que les semaines qui viennent seront l'occasion de surmonter, dans la concertation, nos éventuelles divergences.
D'autres réformes se poursuivent. Je veux amplifier la lutte contre les déserts médicaux lancée en 2012 pour renforcer la médecine de proximité. J'annoncerai dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, de nouvelles mesures qui concerneront les généralistes comme les spécialistes et permettront de sécuriser les conditions d'exercice des professionnels.
J'ai besoin de vous pour réussir la nécessaire transformation de notre système de santé afin qu'il reste le meilleur au monde. Nous sommes confrontés à de nouveaux défis que représentent par exemple l'allongement de l'espérance de vie, la part croissante des maladies chroniques et des maladies émergentes. e sais pouvoir compter sur vous pour innover, trouver de nouvelles formes d'organisation et promouvoir la médecine de parcours.
La médecine change, les acteurs changent. C'est vous qui allez préparer la médecine de demain. Vous voulez qu'elle soit libérale ? Moi aussi !
Je vous remercie.
Source http://www.csmf.org, le 13 octobre 2014