Interview de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes à France-Info le 8 octobre 2014, sur les cas éventuels de contamination en France de l'épidémie d'Ebola.

Prononcé le

Média : France Info

Texte intégral


JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Bonjour Marisol TOURAINE.
MARISOL TOURAINE
Bonjour Jean-François ACHILLI.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Et bienvenue ce matin sur FRANCE INFO. La France est-elle prête pour affronter un éventuel début d'épidémie d'Ebola, ou du moins une série de cas de contamination ?
MARISOL TOURAINE
La France est prête, et je veux dire à nouveau à votre micro ce matin, qu'il n'y a pas, aujourd'hui, de cas de malades d'Ebola sur le territoire français. Nous avions une jeune infirmière, de Médecins sans frontières, qui est désormais guérie, qui a pu sortir de l'hôpital, et l'épidémie, elle fait des ravages, des ravages en Afrique de l'Ouest, c'est la raison…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
C'est une pandémie ?
MARISOL TOURAINE
C'est une pandémie aujourd'hui, qui croît à un rythme exponentiel, et c'est pour cela que nous envoyons des personnels soignants, un nouvel hôpital, en Guinée, pour aider à lutter contre l'épidémie. En France, dès le mois de mars dernier, j'ai engagé une organisation de notre système de santé, et je veux être extrêmement précise. Le risque zéro n'existe pas, mais nous nous sommes organisés en conséquence, en identifiant des hôpitaux prêts à accueillir des malades en situation d'isolement et de sécurité…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Vous dites en France ?
MARISOL TOURAINE
En France, bien sûr, en situation d'isolement et de sécurité, et nous mettrions tout en place pour faire en sorte que la maladie ne se propage pas et ne se transmette pas à d'autres malades. Mais je veux aujourd'hui être rassurante, le risque zéro n'existe pas, mais il n'y a pas de malade sur notre territoire, et nous sommes prêts à faire face à d'éventuels cas de malades.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Vous voulez être rassurante, comment éviter la panique ? Je vous demande ça parce que la communication gouvernementale sur le sujet, Marisol TOURAINE, n'est pas très cohérente. « Il est temps d'expliquer de manière forte ce qu'est ce virus et ce qu'il n'est pas », déclarait hier le professeur DELFRAISSY sur FRANCE INFO, c'est celui qui dirige l'Institut de microbiologie et des maladies infectieuses. On a l'impression qu'il y a une parole un peu – vous êtes là ce matin, vous vous expliquez – mais qu'il y a une parole diffuse, qu'il n'y a pas de cohérence dans la parole gouvernementale sur ce virus. C'est un peu « dormez bien braves gens, tout va bien. »
MARISOL TOURAINE
Non. Nous sommes parfaitement cohérents et mobilisés depuis le début. Je me suis exprimée, plusieurs ministres se sont exprimés à plusieurs reprises, et nous sommes d'ailleurs en lien avec le professeur DELFRAISSY, et je redis ce matin qu'il n'y a pas d'inquiétude à avoir sur les modes de contamination de la maladie. On n'attrape pas Ebola comme on attrape une grippe, il faut un contact avec des fluides corporels, et lorsqu'il n'y a pas de symptôme, on n'est pas contagieux.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Vous ne pensez pas que dans un cas comme ça le président de la République, ou le Premier ministre, devraient prendre la parole sur le sujet Ebola, point ?
MARISOL TOURAINE
Ecoutez, le président de la République s'est exprimé il n'y a pas plus tard que 2 jours, il s'est exprimé à la tribune de l'ONU, je me suis exprimée dans le cadre des instances européennes, donc nous sommes mobilisés, et il s'agit de dire aux Français les choses telles qu'elles sont, parce que la transparence est la meilleure garantie pour rassurer. Je ne dis pas qu'il n'y aura pas de cas, je dis le risque zéro n'existe pas, nous sommes mobilisés et nous sommes prêts à prendre en charge d'éventuels malades d'Ebola.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Alors justement, il faut qu'ils viennent se faire soigner en France, certains disent, au contraire, non, mieux vaut soigner les personnes sur zone, sur place.
MARISOL TOURAINE
Cela dépend de quels malades vous parlez.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Parce que les médecins disent, au fond, qu'ils apprennent tout sur Ebola en marchant, grosso modo, on ne sait pas vraiment comment ça se transmet.
MARISOL TOURAINE
Il y a des situations différentes. S'il y a un soignant d'origine… enfin, Français, ou Européen, qui est en Afrique et qui est contaminé, il souhaite être rapatrié dans son pays, parce que les conditions de prise en charge sont évidemment de meilleure qualité. Je veux dire que nous avons des hôpitaux qui sont faits pour traiter des cas difficiles, avec des chambres à l'isolement, des professionnels extrêmement bien formés, et je salue à nouveau le remarquable professionnalisme de l'équipe qui a soigné la jeune infirmière à l'hôpital Bégin.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Alors, Marisol TOURAINE, vous présentez ce matin…
MARISOL TOURAINE
Et puis j'ajoute…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Allez-y.
MARISOL TOURAINE
Je l'ai dit à plusieurs reprises, et c'est maintenant bien connu, que j'ai autorisé l'utilisation de traitements expérimentaux, et donc cela montre, là encore, que nous sommes complètement mobilisés, que nous faisons en sorte que les malades puissent être pris en charge dans les meilleures conditions qui existent aujourd'hui.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Le message est passé. Donc, vous présentez ce matin le PLFSS, c'est barbare, c'est le projet de loi de financement de la Sécu, le budget de la Sécu, en Conseil des ministres. On ne change rien de ce que vous avez expliqué la semaine dernière, il y a toujours les 700 millions d'euros d'économies sur la branche famille ?
MARISOL TOURAINE
Oui, je vais revenir sur la branche famille, puisque c'est celle qui attire l'attention, mais je voudrais réinscrire cela dans la perspective d'ensemble de ce budget de la Sécurité Sociale. C'est un budget qui porte des économies, mais qui porte aussi des réorganisations, en particulier de notre système de santé, pour faire en sorte que nous aidions à l'installation de jeunes médecins dans les déserts médicaux.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Parce qu'on pointe toujours ce qui dérange, c'est normal, on est là pour ça.
MARISOL TOURAINE
Oui, mais il faut… le budget de la Sécurité Sociale, c'est un peu plus de 360 milliards d'euros, et vous me parlez de 700 millions sur la branche famille…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Ce n'était peut-être pas la peine, justement, de faire 700 millions, une aussi petite somme, qui provoque autant de réactions.
MARISOL TOURAINE
Il y a des économies à réaliser et je crois qu'il n'y a pas de discussion sur le principe même de ces économies, mais je voudrais donc redire que nous sommes engagés dans un travail d'assainissement des comptes de la Sécurité Sociale, le déficit se réduit, continue de se réduire malgré la conjoncture compliquée, qui diminue les recettes que nous avons, et il y a des mesures fortes, notamment, et je veux insister sur cela, le fait que les personnes qui sont bénéficiaires de l'aide à la complémentaire santé, des personnes modestes, pourront, à partir de l'année prochaine, aller chez le médecin sans avoir à avancer le prix de la consultation, c'est ce qu'on appelle le tiers payant, et ce sera une avancée tout à fait considérable pour cette partie de la population française, à partir du mois de juillet prochain.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Alors, certains de vos amis, socialistes, contestent le coup de rabot sur la famille – pardon, j'y reviens…
MARISOL TOURAINE
Oui, mais vous avez raison.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Laurence DUMONT, qui est députée du Calvados, je crois qu'elle est vice-présidente de l'Assemblée également…
MARISOL TOURAINE
Oui, je l'ai entendue sur votre antenne tout à l'heure.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Sur FRANCE INFO tout à l'heure, oui – propose une modulation des Allocations Familiales en fonction des revenus, est-ce que c'est envisagé ?
MARISOL TOURAINE
C'est une idée qui est une idée qui est logique, forte…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
C'est-à-dire plus vous gagnez, moins vous touchez, grosso modo.
MARISOL TOURAINE
C'est une logique qui est forte. J'ai eu une discussion hier avec le groupe socialiste à l'Assemblée nationale, et d'abord ils se sont clairement inscrits dans l'épure de ce budget de la Sécurité Sociale, et je n'ai pas entendu de contestation de l'objectif que nous nous fixons de 700 millions d'économies environ. Comment réaliser ces économies ? Il y a cette proposition qui est faite…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Indexer sur les allocs, est-ce que vous allez le faire ?
MARISOL TOURAINE
Cette proposition n'est pas celle du gouvernement. Nous allons en discuter avec les parlementaires.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Même Bruno LE ROUX, qui dirige le groupe, trouve ça pas si mal.
MARISOL TOURAINE
C'est une proposition qui a une force réelle, qui veut dire que plus le revenu est élevé, moins on touche d'allocation. Nous allons échanger, voir ce que ça veut dire concrètement.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
C'est une bonne idée ou pas ? Vous avez un avis ?
MARISOL TOURAINE
Quelle est la logique et la cohérence du projet qui est porté par le gouvernement ? Cette logique est de dire, les prestations qui sont versées aujourd'hui aux familles ne diminueront pas. Oui, pour l'avenir, des évolutions vont intervenir, mais les personnes qui aujourd'hui, les familles qui aujourd'hui reçoivent des Allocations Familiales, eh bien après ce budget de la Sécurité Sociale, ces allocations ne bougeront pas, ne changeront pas. Nous donnons donc de la stabilité, de la visibilité, et c'est cela la cohérence de ce qui est proposé, cohérence aussi par rapport au choix qu'avait fait le président de la République et le gouvernement l'année dernière…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Vous fermez un peu la porte à cette idée de modulation alors, au fond.
MARISOL TOURAINE
Le choix de l'année dernière, qui avait consisté à dire nous abaissons le plafond du quotient familial, et nous maintenons les Allocations Familiales. Mais nous aurons la discussion, je suis ouverte à tous les débats, et à toutes les analyses, le gouvernement propose un projet qui a une cohérence forte, et c'est à partir de ce projet que nous devons voir comment le faire évoluer.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
C'est la dernière question sur ce sujet-là, ce point-là, on ne va pas passer la matinée là-dessus, mais si le groupe passe un amendement là-dessus, le groupe dans son ensemble, pas seulement les frondeurs ou je ne sais, vous serez bien obligés de le prendre en compte.
MARISOL TOURAINE
Pour le moment nous discutons, le projet de loi est présenté ce matin en Conseil des ministres, et la discussion au Parlement commence dans les jours qui viennent.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Il y a une émission qui a fait beaucoup parler sur les réseaux sociaux, hier soir sur FRANCE 2, « Cash investigation » d'Elise LUCET, consacrée à l'industrie du tabac, le titre « La grande manipulation. » On a l'impression que les politiques sont, au fond, épinglés, aux mains des lobbies dans cette histoire. Vous-même qu'en est-il, Marisol TOURAINE, sur le tabac ? Vous avez lancé l'idée du paquet neutre, on ne sait pas très bien quand est-ce que ce paquet neutre va arriver dans les étales, s'il va arriver un jour d'ailleurs.
MARISOL TOURAINE
J'ai lancé un plan pour lutter contre le tabagisme, parce que le tabac tue, 1 fumeur sur 2 meurt à cause du tabac, c'est l'équivalent d'un crash d'avion de 200 personnes chaque jour, et donc il faut un ensemble de mesures, fortes, cohérentes, pas simplement le paquet neutre, parce qu'une mesure ne suffit pas. L'ensemble des associations de lutte contre le cancer, contre le tabac, ont salué ce plan, ce projet, ce paquet neutre, sera inscrit dans la loi de santé que je représente dans quelques jours en Conseil des ministres…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Comme en Australie, ça existe ailleurs.
MARISOL TOURAINE
Nous allons, conformément à la règle, informer l'Union européenne de notre intention, et le paquet neutre devrait arriver dans les bureaux de tabac au début de l'année 2016.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Vous allez vous cogner les industriels du tabac de façon frontale, c'est ça la question.
MARISOL TOURAINE
Je défends la santé publique, et moi je n'accepte pas, je n'accepte pas, que 73.000 personnes meurent chaque année à cause du tabac. Encore une fois, il y a là un enjeu majeur, et c'est vrai que j'ai choisi mon camp, mon camp c'est celui de la santé publique, de la santé de nos enfants, et cela vaut une mobilisation.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Vous êtes aussi ministre – c'est la question bonus – vous êtes aussi ministre du Droit de la femme, juste une question…
MARISOL TOURAINE
Des Droits des femmes.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Exactement – sur l'incident à l'Assemblée nationale hier avec Julien AUBERT. Est-ce que vous pensez que c'est totalement anecdotique ou est-ce que ça dit quelque chose sur la remise en autorité de la fonction quand on ne veut pas donner le titre, en fait ?
MARISOL TOURAINE
Julien AUBERT a refusé d'appeler la présidente de l'Assemblée « Madame la présidente. »
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Exactement.
MARISOL TOURAINE
Qui s'est agacée, et comme il refusait de lui dire « Madame la présidente » et s'obstinait à lui dire « Madame le président »…
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Il a été sanctionné.
MARISOL TOURAINE
Non, il a dit, « eh bien, puisque c'est comme ça, je vous dis simplement Madame », et il a été sanctionné, à juste titre, selon moi, parce que ne pas vouloir reconnaître les femmes dans leur fonction, comme femmes, c'est une manière…
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Ne pas reconnaître le titre ce n'est pas reconnaître l'autorité ?
MARISOL TOURAINE
Ne pas reconnaître le titre c'est dénier aux femmes la possibilité, le droit à la légitimité même d'exercer des fonctions, et au fond, on s'aperçoit, avec cet incident, que les droits des femmes sont toujours à réaffirmer, toujours à conquérir, et que les réactionnaires ils sont toujours au rendez-vous et qu'il y en a y compris à l'Assemblée nationale.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Merci Marisol TOURAINE.
(…) Billet de Guy BIRENBAUM sur Alexis de TOCQUEVILLE
GUY BIRENBAUM
(…) Madame la ministre, je ne suis qu'un TOCQUEVILLE d'opérette, mais ne croyez-vous pas que nous nous endormons sur un volcan ?
MARISOL TOURAINE
En tout cas nous faisons en sorte de répondre à la crise à laquelle nous sommes confrontés. C'est précisément pour éviter que le volcan n'éclate, que la lave ne se répande sur nos pays, que nous avons des mesures difficiles à prendre et des réformes à engager.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Marisol TOURAINE, merci beaucoup.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 17 octobre 2014