Interview de M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, à "RTL" le 30 octobre 2014, sur le souhait par le gouvernement du retrait de l'amendement sur la taxation des dividendes, sur la décision gouvernementale de ne pas livrer, en novembre 2014, le navire de guerre Mistral à la Russie.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

PHILIPPE CORBE
Jean-Michel APHATIE, vous recevez le ministre des Finances.
JEAN-MICHEL APHATIE
Michel SAPIN. Bonjour Michel SAPIN.
MICHEL SAPIN
Bonjour.
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous avez écoutez avec nous François LENGLET, qui dit : cet amendement qui va taxer davantage les dividendes des PME, n'est pas un bon amendement. Vous partagez ce sentiment, Michel SAPIN ?
MICHEL SAPIN
La description qu'il fait de l'amendement, n'est pas exact, parce que c'est un amendement qui est en fait extrêmement ciblé, qui est voulu par le groupe socialiste, qui ne touche que certains dividendes, dans certaines conditions extrêmement précises, mais ce que je constate, c'est qu'il n'est pas lu comme ça, et qu'il est lu par un certain nombre de chefs d'entreprise, tout particulièrement dans les PME, qui effectivement prennent des risques, qui effectivement y mettent aussi de leur argent, de leur travail et de leurs risques, et il est lu comme une manière de taxer leurs dividendes d'une manière générale. C'est pour ça que ce n'est pas un bon amendement.
JEAN-MICHEL APHATIE
Donc, quelles conclusions ? Ce n'est pas un bon amendement…
MICHEL SAPIN
Un amendement qui n'est pas compris, c'est un amendement qui est mauvais, et donc il nous faut prendre le temps de l'explication, et donc le gouvernement demandera au Parlement, puisque c'est le Parlement qui l'a voté…
JEAN-MICHEL APHATIE
Bien sûr.
MICHEL SAPIN
… ce n'est pas une proposition du gouvernement, de modifier et de retirer cette disposition pour que l'on puisse ensuite s'expliquer et qu'elle soit comprise.
JEAN-MICHEL APHATIE
Ça, c'est dit, l'amendement sera retiré, en tout cas c'est le souhait du gouvernement.
MICHEL SAPIN
Le souhait du gouvernement c'est que cet amendement soit retiré.
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous êtes ministre des Finances, Michel SAPIN, vous avez présenté à la Commission européenne le budget 2015 de la France, et la Commission européenne, finalement, a dit : « Bon, eh bien tout compte fait ça va ». Soulagé, Michel SAPIN ?
MICHEL SAPIN
Ce n'est pas tellement ça. Il y a un dialogue avec la Commission européenne. Il est naturel. Ce n'est pas, elle ne prend pas la place du Parlement français, il y a qu'un seul endroit où on discute du budget de la France, comme dans tous les autres pays.
JEAN-MICHEL APHATIE
C'est le Parlement.
MICHEL SAPIN
C'est au Parlement.
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais la Commission peut faire des observations.
MICHEL SAPIN
Mais la Commission, pourquoi elle peut faire des observations ? Parce que quand des pays, nous sommes 18, ont la même monnaie, il est légitime que l'on se regarde les uns, les autres, que l'on regarde comme l'on conduit les affaires de nos pays. Parce qu'avec la même monnaie, on est tous solidaires. Quand la Grèce dérapait complètement, c'était un problème pour la France. Si l'Allemagne, ce fut le cas à un moment donné, dérapait complètement, c'était un problème pour l'Europe. Donc c'est normal que nous discutions avec la Commission, dont c'est la responsabilité, que de faire des observations, aux pays qui sont concernés.
JEAN-MICHEL APHATIE
Et la Commission, finalement, dit : voilà, il n'y a pas d'observations majeures à faire, elle aura un examen plus détaillé dans les jours qui viennent, mais globalement, elle accepte le schéma que vous lui avez proposé, Michel SAPIN, mais votre schéma n'est pas très convainquant, vous avez sortir de ore chapeau, si je puis dire, 3,6 milliards de recettes supplémentaires dont certains disent, tiens, François FILLON l'a dit hier, « tout ça c'est bidon ».
MICHEL SAPIN
Oui, pas parce qu'il n'a pas bien regardé. Moi je fais confiance à François FILLON, il a montré toute sa capacité à rétablir les finances de la France, à ne pas creuser les déficits, à mettre en oeuvre des augmentations d'impôts, enfin bref, donc je lui fais tout à fait confiance.
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais 3,6 milliards d'un coup de recettes supplémentaires, ça a surpris beaucoup de monde.
MICHEL SAPIN
Revenons-en au principal. C'est quoi le schéma ? Parce que vous avez raison de dire « le schéma ». Le schéma il est fondé sur une analyse. Aujourd'hui, dans la zone euro, ça ne va pas, économiquement, et donc en France ça ne va pas, puisque nous sommes dans la zone euro. Il n'y a pas assez de croissance, il n'y a pas assez d'emploi, et puis par ailleurs il y a une inflation qui est très faible, qui n'est pas une bonne nouvelle. Ça peut paraitre une bonne nouvelle pour les Français, mais ce n'est pas une bonne nouvelle pour l'économie. Il faut sortir de cela. Et donc comment l'Europe, et la France, bien sûr, mais comment chacun d'entre nous, nous prenons les bonnes décisions pour sortir de cette situation ? Nous, nous avons décidé, c'est les deux piliers de notre politique, il n'était pas question qu'il soit changé d'un iota dans le dialogue avec la Commission. Premièrement, d'appuyer les entreprises, pour faire en sorte que c'est le CICE, c'est le pacte de responsabilité, de solidarité, faire en sorte qu'elles retrouvent des capacités d'investissement et de création d'emploi. On ne touche à rien. Et deuxièmement, de tout financer par des économies et non plus par des impôts. 21 milliards d'économies, jamais la France, jamais, depuis des années et des années, n'a fait un effort aussi important, on n'allait pas rajouter, encore, des économies supplémentaires.
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais ce qui est en question, c'est ces 3,6 milliards de recettes supplémentaires, vous les avez annoncés lundi dernier, à la surprise générale, et là vous avez du mal à convaincre. Tout ça a l'air assez artificiel, Michel SAPIN.
MICHEL SAPIN
Non, on n'est pas dans l'artifice, on est dans le travail, en finesse, parce qu'on est sur des successions de petits chiffres, c'est des gros chiffres pour les Français, mais à l'image, à l'échelle du budget de la France, ce sont des chiffres qui sont plus petits. Nous sommes dans un travail en finesse. Je vais prendre un exemple. Tout le monde a entendu parler de monsieur CAMERON qui refuse de payer plus au budget de l'Union européenne. Mais s'il lui est demandé de payer plus…
JEAN-MICHEL APHATIE
2 milliards.
MICHEL SAPIN
C'est que d'autres pays paient moins. Donc, la France aura moins à payer, au budget de l'Union européenne. Depuis quand le savons-nous ? Disons depuis une quinzaine de jours, donc je l'intègre évidemment à mes calculs.
JEAN-MICHEL APHATIE
Et vous ne l'avez pas dit au Parlement, quand les députés ont voté les recettes mercredi, ils ne le savaient pas.
MICHEL SAPIN
Mais, parce que vous l'avez bien vu, monsieur CAMERON, il l'a découvert quand ? Vendredi dernier. Bon. Il aurait pu le savoir un peu avant, parce que ses services le savaient un peu avant, et que les miens ont mieux fonctionné que les siens et m'avaient averti qu'il pouvait y avoir, de ce côté-là, une vraie économie, parce qu'on va payer moins à l'Europe. Mais ce n'est pas une économie au sens…
JEAN-MICHEL APHATIE
C'est 300 millions d'euros.
MICHEL SAPIN
Voilà, c'est 300 millions, peut-être un peu plus que 300 millions. Je prends un autre exemple. Les marchés financiers, oui, ceux qui nous prêtent de l'argent, heureusement qu'ils sont là pour nous prêter de l'argent, pour l'instant.
JEAN-MICHEL APHATIE
Nos amis ou nos ennemis ?
MICHEL SAPIN
Eh bien quand ils nous prêtent de l'argent, je préfère les considérer comme des amis, et eux nous considèrent plutôt comme de amis, parce qu'ils nous font payer des taux d'intérêt très faibles. Et ces taux d'intérêt n'ont pas cessé de diminuer, de diminuer, de diminuer. Ça veut dire que l'année prochaine, nous payerons moins d'intérêt qu'il n'était prévu, au moment où nous avons construit le budget. C'est une bonne nouvelle, d'un certain point de vue, et c'est cette bonne nouvelle que je présente, pour pouvoir financer l'ensemble de ce plan.
JEAN-MICHEL APHATIE
3,6 milliards, ils existent vraiment ces 3,6 milliards.
MICHEL SAPIN
Oui, évidemment, enfin, ils existent, on est sur des chiffres, ils existeront quand ils seront réalisés au cours de l'année prochaine, c'est le principe même d'un budget, mais ce sont des chiffres fondés. Je peux vous assurer que la Commission européenne est sérieuse, et quand elle regarde les chiffres, elle les regarde en profondeur.
JEAN-MICHEL APHATIE
Le président de la République s'est exprimé vendredi au sujet du budget, il avait dit : « Nous considérons que nous avons fait ce que nous avions à faire, plus rien ne changera », et vous, vous sortez ces chiffres lundi, donc vendredi le président ne les connaissait pas.
MICHEL SAPIN
Ce n'est pas… Je reviens aux deux piliers, les deux piliers de notre action. Appuyer les entreprises en diminuant les cotisations et les impôts sur les entreprises, est-ce que ça a bougé ? Non. 21 milliards d'économies, c'est énorme. On le fait. Ça donne des débats, regardez les débats autour des allocations familiales, regardez les débats avec les collectivités locales. Ce n'est pas si simple que ça. 21 milliards c'est beaucoup, on ne bouge pas. Le président de la République disait : « On ne bougera, ni le pacte de solidarité et de responsabilité, ni le plan d'économies » est c'est ce que nous avons fait.
JEAN-MICHEL APHATIE
Et dont nous attendons l'avis définitif de la Commission pour la mi-novembre.
MICHEL SAPIN
Oui, comme pour tous les autres pays, puisque nous sommes dans un système de discussions, on se regarde l'un, l'autre, on se jauge l'un l'autre, on se conseille les uns et les autres, parce qu'on a la même monnaie et qu'on a un intérêt commun.
JEAN-MICHEL APHATIE
Question d'actualité, Michel SAPIN. La France livrera-t-elle le bateau Mistral aux autorités russes ? Celles-ci disent « oui, ce sera le 14 novembre prochain ».
MICHEL SAPIN
Très clairement, mais c'est la position que la France a pris depuis le début, les conditions aujourd'hui ne sont pas réunies pour livrer le Mistral. Les conditions c'est quoi ?
JEAN-MICHEL APHATIE
Donc le Mistral ne sera pas livré le 14 novembre.
MICHEL SAPIN
Les conditions ne sont pas réunies. Les conditions c'est quoi ? C'est qu'en Ukraine nous soyons dans un dispositif qui va vers la normale, qui permette de détendre les choses, qui fasse que la Russie joue un rôle positif. Alors, d'un certain point de vue, ça va mieux, d'un autre point de vue il y a encore des inquiétudes, donc aujourd'hui, les conditions ne sont pas réunies.
JEAN-MICHEL APHATIE
Et le bateau ne sera pas livré le 14 novembre.
MICHEL SAPIN
Aujourd'hui, les conditions ne sont pas réunies.
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous étiez, avant d'être ministre des Finances, ministre du Travail, votre successeur François REBSAMEN a dit : « soyons honnêtes, nous sommes en échec ». Vous partagez le diagnostic ?
MICHEL SAPIN
Eh bien, quand on voit que, aujourd'hui, le chômage augmente, en tous les cas dans les chiffres de Pôle emploi, évidemment, par définition, on ne peut pas dire que ce soit une réussite.
JEAN-MICHEL APHATIE
Il faut le dire comme ça ?
MICHEL SAPIN
Mais, en même temps, ce que je pense, c'est que l'on a besoin de motiver, de faire en sorte que tout le monde, tout le monde, le gouvernement, évidemment, mais si dans la lutte contre le chômage il n'y avait que le gouvernement, ça se saurait. Mais il faut que les entreprises se motivent, il faut que les organisations syndicales, il faut que Pôle emploi soit motivé. Donc il faut vraiment entrainer tout le monde dans cette bataille contre le chômage.
JEAN-MICHEL APHATIE
Dire ça, c'est démobiliser les acteurs.
MICHEL SAPIN
Non, je ne dis pas ça, mais là aussi il faut regarder les choses. J'ai toujours dit qu'il y avait deux faces dans une monnaie dans la lutte contre le chômage : un, les politiques d'emploi, les emplois d'avenir, c'était une belle réussite, et deux, la croissance. Je veux la croissance, je veux de la croissance en Europe, je veux de la croissance en France et c'est pour ça que nous agissons ainsi, y compris sur les questions budgétaires.
JEAN-MICHEL APHATIE
Et vous ne commentez pas directement la France de François REBSAMEN, parce que, si vous le faisiez, vous ne seriez pas gentil.
MICHEL SAPIN
Mais je suis toujours quelqu'un qui essaie de faire en sorte que les gens s'aiment.
JEAN-MICHEL APHATIE
Michel SAPIN, qui veut que les gens s'aiment, était l'invité de RTL ce matin.
PHILIPPE CORBE
Et on a de l'information, qu'il vous donnait tout à l'heure au début de l'interview, le gouvernement va donc demander aux députés socialiste de retirer cet amendement dont parlait François LENGLET, de taxation de certains dividendes de PME.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 31 octobre 2014