Interview de M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique à "France Inter" le 16 octobre 2014, sur les orientations économiques pour relancer la croissance.

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Média : France Inter

Texte intégral

PATRICK COHEN
Bonjour Emmanuel MACRON.
EMMANUEL MACRON
Bonjour.
PATRICK COHEN
Avant d'examiner vos remèdes contre les maladies de la France que vous avez ainsi identifiées, défiance, complexité, corporatisme, quelques mots de conjoncture. La chute brutale des bourses, c'est un symptôme inquiétant ?
EMMANUEL MACRON
Je n'irai pas jusqu'à dire qu'il est inquiétant en profondeur, mais il faut toujours faire très attention. La situation dans laquelle nous sommes aujourd'hui elle est fragile, parce que la croissance mondiale n'a plus qu'un moteur, ce sont les Etats-Unis, on l'a vu hier, le prix du pétrole baisse assez fortement, ce qui est aussi lié à la faible croissance et aux choix de certains pays, il y a des risques géopolitiques, d'ailleurs sur lesquels la France est fortement impliquée, et joue son rôle, et une zone euro qui, on le voit bien, est un peu au ralenti. Donc, tout ça ce sont des facteurs d'incertitude, de fragilité, il faut y veiller, c'est pour ça qu'il faut travailler et accélérer.
PATRICK COHEN
Est-ce qu'il y a le risque d'une plongée dans la déflation ?
EMMANUEL MACRON
Je pense qu'il est inutile, à ce stade, d'agiter les peurs, il y a en tout cas un risque d'inflation très faible, de croissance très molle, longue, et c'est pourquoi nous devons, à plusieurs, parce que ce n'est pas le choix d'un seul pays, mais c'est la responsabilité de chacun, réussir à trouver une nouvelle donne pour éviter de risque de déflation, et ça rejoint la chronique de monsieur GUETTA.
PATRICK COHEN
Parce que, aussi, dans cette Europe en difficulté, la France est encore plus en difficulté ?
EMMANUEL MACRON
La France, c'est un fait, elle est un peu plus en difficulté, en termes de croissance, que ses voisins. La croissance de la zone euro est très faible, celle de la France est encore un peu plus faible, aujourd'hui, donc il nous manque du muscle. Nous avons commencé le travail en matière de dépenses publiques, il était nécessaire, parce qu'on a 10 points de plus de dépenses publiques que nos voisins. On ne fera pas la grande Europe si on ne traite pas ce problème, cette différence, et on doit le faire pour nous. En même temps, aujourd'hui, il faut qu'on muscle notre économie, la muscler ça veut dire en rénover le cadre, libérer les énergies, qu'il y a dans cette économie, réussir à faire mieux, à aller plus loin, à permettre à ceux qui veulent créer des emplois, ceux qui veulent travailler, ceux qui sont prêts à prendre des risques, il faut les aider, libérer ces énergies avec des mesures très pratiques, et en même temps, parce qu'on rénovera la France, être très exigeants avec nos partenaires, nos partenaires allemands, qui ont la capacité à investir, plusieurs dizaines de milliards d'euros, et qui en ont besoin pour eux-mêmes et nos partenaires européens, c'est l'idée de ce plan de relance sur lequel nous avons demandé un rapport, en effet, à deux économistes franco-allemand, 300 milliards, 300 milliards ça fait 8 à 10 milliards d'euros pour la France chaque année, dès l'année prochaine. Donc il faut des vraies réformes pour avoir des vrais investissements, vite.
PATRICK COHEN
Alors, on y vient justement. Les propositions que vous avez présentées hier c'est un vrai plan, qui va être mis en oeuvre rapidement, ou c'est un signal libéral et réformiste pour calmer, pour rassurer Bruxelles et Berlin ?
EMMANUEL MACRON
Il y a beaucoup de choses dans votre question, je vais essayer de les traiter dans l'ordre.
PATRICK COHEN
Le plan on va le détailler après, mais d'abord le signal réformiste et libéral qu'il était urgent de donner pour calmer à la fois la Commission européenne et les autorités allemandes.
EMMANUEL MACRON
Alors, d'abord, sauf quand je viens vous voir tôt le matin, j'avoue que je ne pense pas à Bruxelles en me rasant, je pense plutôt à mon pays et aux Français, donc ces réformes elles sont faites pour nos concitoyens, elles sont faites pour nous, elles sont très concrètes. Lorsqu'on décide qu'on va maintenant ouvrir la possibilité, par exemple, de créer des lignes de cars partout dans le pays, ce qui n'est pas possible, c'est pour nous, parce que ça crée des milliers d'emplois et ça redonne la possibilité d'être mobiles à des millions de Français, qui sont les Français qui ont parfois le plus de difficultés à être mobiles pour aller chercher un emploi, pour aller voir leur famille, se divertir, etc.
PATRICK COHEN
Des milliers d'emplois, vraiment ?
EMMANUEL MACRON
Ecoutez, les Allemands ont pris cette décision en 2013, il y avait 3 millions, environ, de voyageurs en cars, en Allemagne, ils sont à 8 millions aujourd'hui, et ils ont créé à peu près 10.000 emplois dans le secteur, donc évidemment ça créera des emplois. Et on a un secteur, le transport poids lourds, le transport routier, qui est aujourd'hui en crise, qui est surcapacitaire, avec des Français qui savent conduire, qui ont l'habitude, il faut comprimer les formations de requalification, les rendre beaucoup plus efficaces, mais si on leur permet de retrouver des emplois, c'est efficace, c'est bon pour le pays.
PATRICK COHEN
Mais les autocars c'est le seul secteur sur lequel vous donnez des chiffres de prévisions.
EMMANUEL MACRON
Non, je vais revenir, mais je veux continuer la réponse précise à votre question. Donc, ce n'est pas un signal pour les autres, les réformes nous les faisons pour nous-mêmes, et il faut se sortir de la tête que les réformes nous les ferions sous un dictat de Bruxelles ou de Berlin. Ce n'est pas parce que quelque chose est bon pour nous, quand les autres l'évoquent, qu'il ne faudrait ne pas le faire, ça c'est le premier point. Le deuxième point, j'entends ce qu'on voudrait dire sur c'est du libéralisme, ce sont des mesures libérales. Ecoutez, le libéralisme, vous savez comme moi ce que c'est, c'est la loi du plus fort, l'esprit des réformes que nous proposons c'est tout l'inverse, c'est recréer des égalités d'accès, l'égalité des chances économiques à ceux qui ne l'ont pas. On s'attaque à des intérêts particuliers, à des corporatismes, on peut le détailler et prendre des exemples précis, donc on redonne des chances à ceux qui sont en dehors, à ceux qui n'ont pas accès. Parce qu'aujourd'hui nous avons un pays, il faut bien le dire, où on a, par excès de réglementations, par excès de droits, par fascination pour l'égalitarisme, eh bien on a réduit les droits réels de ceux qui n'en n'ont pas, c'est ça la difficulté de notre pays, c'est ça qui est difficile. Mais ce n'est pas un projet libéral parce que, aujourd'hui, redonner de la liberté, dans certains secteurs, c'est aussi redonner des droits réels aux Français.
PATRICK COHEN
Dans ce que vous avez annoncé hier, qu'est-ce qu'il reste à négocier avec les intéressés et qu'est-ce qui est arrêté, ou va être arrêté, dans l'immédiat, tout de suite ? Par exemple, sur l'ouverture des commerces le dimanche, jusqu'à 12 dimanches par an au lieu de 5, tous les syndicats, vous les avez entendus, sont vent debout, vous passerez outre, ou vous allez discuter avec eux ?
EMMANUEL MACRON
La discussion est permanente, le projet que j'ai présenté hier, qui est un travail collectif, parce qu'il concerne beaucoup d'autres membres du gouvernement, pour ce qui est du travail du dimanche c'est un travail conjoint avec François REBSAMEN, mais c'est le fruit d'un arbitrage politique qui est porté par le président de la République et le Premier ministre, ce n'est pas une opinion personnelle. Pour ce qui relève du travail du dimanche, cela relève du champ de ce qu'on appelle la concertation, donc ce n'est pas une négociation des partenaires sociaux.
PATRICK COHEN
C'est-à-dire que les partenaires sociaux seront consultés.
EMMANUEL MACRON
Ils seront consultés, ils l'ont été par François REBSAMEN comme par moi-même, et surtout il y a un travail important, long, qui a été fait l'année dernière…
PATRICK COHEN
C'est le rapport BAILLY, oui.
EMMANUEL MACRON
Par monsieur BAILLY, et donc nous nous appuyons sur ce rapport…
PATRICK COHEN
C'est ce qu'on retrouve dans vos propositions, oui.
EMMANUEL MACRON
Donc, j'entends les mécontentements, mais je veux dire ici que ce travail il est le fruit d'une concertation. Maintenant, sur le travail du dimanche, disons-nous tout de suite les choses, cela reste l'exception, nous faisons une réforme qui est utile dans les endroits où il y a de la création d'emplois, mais nous allons surtout imposer le volontariat, l'existence d'un accord majoritaire dans l'entreprise et la compensation, payé double avec un repos. Aujourd'hui, dans notre pays, il y a beaucoup d'endroits où le travail du dimanche se fait sans ces compensations, c'est-à-dire sans que les salariés soient protégés, donc il y aura plus de protection. En même temps, des mesures très concrètes pour donner, aux maires, aux élus locaux, la possibilité d'ouvrir davantage s'ils le veulent, et dans des zones d'intérêt national, international, où il y a un potentiel d'activité économique et où fermer le dimanche c'est travailler moins, gagner moins pour tout le monde, parce que les touristes qui sont là, où les Français qui pourraient acheter partent, alors là nous avons décidé que nous reprenons la main. Mais, vous savez, le travail du dimanche il ne faut pas en faire un mythe, la réalité de notre pays c'est que près de 30 % des Français travaillent de manière occasionnelle, ou régulière, le dimanche. La réalité de notre pays c'est que 25% du chiffre d'affaires d'Amazon, se fait le dimanche.
PATRICK COHEN
Le week-end.
EMMANUEL MACRON
Alors, on peut continuer à vouloir ne laisser travailler que les multinationales anglo-saxonnes, qui payent peu d'impôts dans notre pays, travailler le dimanche, mais ce n'est pas la bonne solution.
PATRICK COHEN
Je reviens à ma question sur les effets de vos mesures, de vos propositions, sur l'économie. La loi MONTEBOURG, telle que l'avait imaginée votre prédécesseur, avait l'ambition de rendre 6 milliards d'euros de pouvoir d'achat aux Français, la loi MACRON ce sera quoi ?
EMMANUEL MACRON
D'abord il n'y a pas de loi MACRON, il y a une loi collective, parce que les sujets que j'ouvre ne sont que…
PATRICK COHEN
Vous refusez que votre nom soit accolé…
EMMANUEL MACRON
Que d'autres sujets.
PATRICK COHEN
Aux mesures législatives qui seront votées.
EMMANUEL MACRON
Je ne crois pas aux aventures individuelles, c'est en tout cas l'idée que je me fais de la responsabilité ministérielle.
PATRICK COHEN
Et les prévisions sur l'emploi et la croissance, les effets ?
EMMANUEL MACRON
Ensuite, cette loi, elle doit être très concrète, c'est pour ça que j'ai donné hier un calendrier, elle sera complétée dans un mois par d'autres mesures, elle sera déposée en Conseil des ministres le 15 décembre, donc elle sera enrichie d'un travail intergouvernemental, de nos discussions, des travaux que nous avons lancés avec les parlementaires, elle passera devant le Parlement en janvier, et elle sera votée en avril. Les décrets, j'en donnerai tout de suite le calendrier, de manière très précise, et nous allons mettre en place un dispositif avec des économistes indépendants, pour, précisément, chiffrer l'impact. Parce que, vous savez, c'est facile d'annoncer les choses comme je l'ai fait hier, c'est très difficile de le tenir dans le débat, parce qu'il faut s'affranchir des intérêts particuliers. Tout ce que nous disons là, ce sont des bonnes mesures, mais elles sont bonnes pour l'intérêt général, mais on demande à chacun un petit effort, donc il faudra pouvoir, dans le débat, tenir. Si elles sont très dégradées par des compromis qu'on fait pour chacun ou chacune, alors nous n'aurons pas l'effet attendu. Donc je veux qu'il y ait plein de transparence et que ce soit suivi, et ce sera suivi dans l'application. Donc, il y a un calendrier précis, tout sauf des effets d'annonce, et cette loi doit être enrichie par des mesures très concrètes pour les Français.
PATRICK COHEN
On va en reparler tout à l'heure avec les auditeurs d'INTER. Un mot sur le changement, le grand changement annoncé hier matin à EDF. C'est vous qui avez annoncé à Henri PROGLIO qu'il pouvait commencer à faire ses cartons, vous lui avez dit quoi ?
EMMANUEL MACRON
Ça, ça relève de la relation personnelle et, si je puis dire, du secret des choses gouvernementales. J'ai eu cette tâche au nom du gouvernement, la décision a été prise par le président, le Premier ministre.
PATRICK COHEN
Il y avait bien un motif, Emmanuel MACRON ?
EMMANUEL MACRON
Oui, bien évidemment qu'il y avait un motif.
PATRICK COHEN
Qui est ?
EMMANUEL MACRON
Une loi pour la transition énergétique a été votée en première lecture, nous sommes en train de redéfinir le cadre de notre politique énergétique, Henri PROGLIO a beaucoup fait pour cette entreprise ces dernières années, il s'est battu, à l'international, pour avoir des contrats, pour redresser les résultats d'EDF, il n'en demeure pas moins qu'il ne pouvait effectuer un mandat complet, dans 2 ans son mandat était terminé.
PATRICK COHEN
Ça c'est la réponse officielle.
EMMANUEL MACRON
Donc, il était souhaitable de redonner un souffle, une visibilité à cette entreprise, avec un chef d'entreprise qui pourra au moins effectuer un mandat, et nous voulons aussi reclarifier le paysage des entreprises publiques du secteur énergétique et c'est la première touche. Avec Ségolène ROYAL nous avons porté cette décision.
PATRICK COHEN
Henri PROGLIO a payé sa proximité avec Nicolas SARKOZY ?
EMMANUEL MACRON
Vous savez, on ne peut pas reprocher à ce gouvernement d'avoir fait des règlements de comptes politiques, regardez les dirigeants des entreprises publiques, ou à participations publiques, et dites-moi si vous trouvez qu'il y a eu de la purification politique, je ne crois pas. Si on le lui avait reproché, ou si c'était l'esprit de ce gouvernement, ou de celui qui lui a précédé, Henri PROGLIO n'aurait pas terminé son mandat, il l'a terminé de manière républicaine.
PATRICK COHEN
Le ministre de l'Economie, Emmanuel MACRON, avec nous, on vous retrouver dans quelques minutes, 01.45.24.7000 pour les appels des auditeurs, sur les réseaux sociaux le #interactiv.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 22 octobre 2014