Texte intégral
Q - On a l'impression que l'on diminue l'aide au développement dans l'indifférence des Français ?
R - Je voudrais d'abord vous dire qu'aujourd'hui, nous sommes devant un tel défi en matière de développement qu'il faut poser la difficulté : les États seuls ne pourront pas répondre au défi du développement ; il faudra donc travailler autrement. Cela ne veut pas dire que l'on peut sacrifier l'APD, cela veut dire l'utiliser comme levier.
François Hollande a souhaité que l'objectif de 0,7 soit maintenu. Cet objectif est inscrit dans la loi et nous avons dit que nous reprendrons cette direction dès que l'on pourra le faire, lorsque la France aura retrouvé le chemin de la croissance. On ne peut pas dire aux Français que ce budget de la solidarité et de l'aide internationale ne fera pas un effort, alors qu'on leur demande de se serrer la ceinture, alors que l'on connaît aujourd'hui les chiffres du chômage et que l'on voit la situation en France. Chaque budget a été appelé à faire un effort, ce budget a fait son juste effort, rien n'est sacrifié, le coeur de l'action est encore là, c'est-à-dire le soutien aux pays les plus défavorisés, les 16 pays prioritaires, tout cela sans se détourner des autres mais sous différentes formes.
Q - N'y avait-il pas moyen de sanctuariser ce budget pour l'aide au développement, sachant déjà que la proportion de fonds détournés vers l'Afrique est assez minime par rapport au budget total de la France ? Malgré la crise, la Grande-Bretagne parvient au 0,7 % de revenu national pour le développement.
R - C'est effectivement un souhait des ONG, de certains parlementaires et je l'ai dit en ouvrant ce débat. Ce n'est pas la solution qui a été choisie en ce qui nous concerne. La France n'a pas à rougir de son aide et nous déployons aussi de l'énergie pour travailler avec les autres partenaires du développement que sont les collectivités territoriales et les ONG que je voudrais remercier.
Q - Et ils critiquent cette hausse de budget.
R - C'est normal, c'est leur rôle. Mais je le redis, nous avons effectivement fait une réduction mais ce n'est pas un sacrifice et l'aide n'est pas aujourd'hui, comme certains ont pu le dire, à la hauteur de ce que nous nous sommes donnés comme programmation dans la loi sur le développement votée en juillet.
J'aimerais avoir un budget plus important mais il faut être responsable et réaliste, c'est ce que je suis. Nous avons fait des choix, des choix géographiques, des choix sur les pays les plus vulnérables, des choix de soutenir autrement les autres pays notamment par des prêts AFD qui sont parfois bonifiés ou pas bonifiés et qui ne coûtent rien à l'État.
Q - Quatre années que cela baisse et cela va continuer. Ne faut-il pas mettre un terme parce que l'argent de l'aide publique au développement deviendra invisible ?
R - Ce n'est pas seulement une question qui se pose en France. Je reviens de New York et de Washington où il a effectivement été question de ce débat sur l'APD qui doit rester le levier principal des financements que l'on va pouvoir réunir, rassembler pour faire face aux grands défis du développement. Les objectifs de développement durable qui sont aujourd'hui travaillés pour être décidés d'ici le milieu de l'année 2015 montrent que le défi est tel qu'il nous faudra travailler, États, ONG, entreprises, banques du développement, ensemble. Il faut travailler sur les financements innovants, c'est ce que fait la France avec la TTF, la taxe sur les transactions financières ou sur les billets d'avion. Nous réfléchissons aujourd'hui à une loterie solidaire, nous travaillons aussi sur le don par SMS. Il nous faut être inventifs, nous mobiliser, il faut anticiper car demain, on ne pourra pas répondre de la même manière qu'aujourd'hui.
Je le redis, l'APD doit être le levier principal de l'aide au développement de demain.
Q - Vous dites que si la croissance repart, ce budget sera revu à la hausse. Avez-vous obtenu des garanties d'ici à 2017 si la croissance est effectivement de retour ?
R - Sur la TTF, nous sommes partis de 10 % orienté vers le développement, nous en sommes aujourd'hui à 25 %. C'est François Hollande, c'est la gauche qui met en place cette taxe sur les transactions financières dont on parlait déjà depuis un certain nombre d'années. Il faut donc s'en féliciter. Nous travaillons également sur d'autres financements innovants et la trajectoire de 0,7 % sera reprise dès que nous pourrons le faire. C'est un engagement.
François Hollande en a pris d'autres : le doublement des aides au ONG d'ici 2017, c'est une trajectoire sur laquelle nous sommes et nous y répondons ; c'est aussi 20 milliards d'euros pour les pays africains les plus défavorisés ; c'est aussi ce que l'on fait aujourd'hui, nous sommes sur cette même trajectoire.
Q - Je reviens sur la terminologie de votre portefeuille ministériel, l'aide au développement. Est-ce pour ne plus avoir à dire, comme autrefois coopération, même si on vous appelle encore parfois ministre de la coopération. Il y avait une connotation un peu France Afrique, parlons clair un peu magouilles, intrigues, avec des liens un peu sulfureux entre la France et les pays africains.
R - La coopération, ce n'est pas un gros mot mais c'est vrai que cela représentait un peu tout ce que vous venez de dire. On a effectivement voulu que la France Afrique soit quelque chose qui soit derrière nous pour travailler différemment avec nos pays partenaires.
Q - Est-ce derrière nous ?
R - Oui et c'est inscrit dans la loi sur le développement de juillet dernier, la France Afrique est derrière nous. Aujourd'hui nous sommes des partenaires. L'idée du développement est porteuse de sens, nous avons bien un objectif commun, c'est le développement des pays qui sont aujourd'hui nos partenaires. Bien sûr que nous faisons de la coopération pour y parvenir mais l'objectif est le développement, c'est travailler en partenariat et que chacun y gagne.
Q - Pourquoi à présent, la personne qui est en charge du développement et de la coopération n'a-t-elle plus rang de ministre, n'est-ce pas un signal ?
R - Vous savez, entre secrétaire d'État ou ministre délégué - ce qu'était mon prédécesseur Pascal Canfin à qui je veux rendre hommage aujourd'hui puisque la loi sur le développement, c'est lui qui l'a initiée, à la demande de François Hollande -, cela n'a pas beaucoup de sens pour moi ; peu importe le titre, l'idée est d'être dans l'action et de répondre aux besoins.
À côté du développement, j'ai aussi la mission du développement de la Francophonie et honnêtement les deux se rejoignent même si les ONG étaient un peu inquiètes au départ sur cette question.
Q - Vous vous occupez également du climat. Puisque la France accueillera la COP21 fin 2015, de nombreux ministères sont concernés et on a l'impression que cette question prend quasiment le pas sur l'objectif de développement. Est-ce le moment, pour les pays qui sont confrontés à l'urgence concernant la pauvreté, d'entonner cette grande marche vers la réduction des gaz à effet de serre ? Est-ce audible pour eux ?
R - Très rapidement, à mon arrivée car ce n'est pas quelque chose que j'avais pensé tout de suite comme faisant partie des attributions que j'aurais en prenant ce secrétariat d'État, très vite - et il n'y a pas que moi -, la lutte contre la pauvreté va de pair avec la lutte contre le dérèglement climatique.
Qu'est-ce que le dérèglement climatique ? C'est la montée des eaux par exemple. Lorsque l'on se rend au sommet des petits États insulaires et que l'on constate qu'un certain nombre de gens ont déjà les pieds dans l'eau, que leurs îles risquent, dans certains cas, de disparaître, on voit bien que l'urgence est là, que l'on se trouve face à des pays en développement et quelquefois notamment en Afrique, on est en face de pays francophone. Je suis donc très à l'aise avec les trois parties de mon portefeuille.
La question du climat, c'est une vraie question, le dérèglement climatique doit totalement être pris en compte aujourd'hui dans toute la politique de développement. Si on ne la prend pas en compte, c'est un siècle de soutien au développement qui peut être réduit à néant. Si on parle de la sécheresse, de la montée des eaux, on voit bien que ce sont les pays les plus vulnérables qui sont touchés en premier même si la France est également touchée.
Q - On peut parler de l'Afrique qi a la double peine, qui ne contribue pas à ce réchauffement climatique mais qui en est directement impactée. Les Européens viennent de se mettre d'accord pour baisser, d'ici à 2030 de 40 % les gaz à effet de serre, l'Afrique subit les méfaits du réchauffement climatique très directement.
R - Il faut tout d'abord se réjouir de la position que viennent de prendre les Européens, il est important pour la France, pour les Européens que l'on prenne ce type de décision, que l'on ait des ambitions, que l'on soit courageux dans les mesures que l'on va prendre parce que, tout simplement, on va porter Paris-climat 2015 et il sera important d'être exemplaire.
Ensuite c'est vrai, lorsque l'on va en Afrique, on se rend bien compte que les effets sont déjà là et que ce sont les moins pollueurs qui subissent aujourd'hui et qu'il nous faut tenir compte de l'adaptation dans toutes nos missions de développement.
À Samoa par exemple, on peut délocaliser un village mais suffisamment haut pour que, demain, ce qui est déjà advenu deux fois dans les générations passées n'arrive plus et que l'on n'ait pas à redéplacer le village. Voilà le type d'initiatives que peut prendre la France. La France, avec ses outremers mais aussi ses côtes françaises est à la pointe d'un certain nombre d'expérimentations et de technicités, notamment avec nos entreprises qui peuvent répondre à toutes ces difficultés aujourd'hui. Nous devons être aux côtés de ces petits États insulaires on doit être aux côtés de l?'Afrique. Nous avons expérimenté un certain nombre de choses et je crois que nous serons en bonne position pour être des médiateurs dans cette année de négociation en 2015.
Q - Vous étiez à New York où vous avez rencontré vos partenaires, avez-vous l'impression qu'aujourd'hui, avec la Chine qui a le pied sur le frein, les États-Unis idem, les conditions soient réunies pour avoir ce grand accord sur le climat en France en 2015, dont rêvent beaucoup de pays ?
R - Il est clair que l'on veut tous - en tout cas la France et plusieurs partenaires - un accord ambitieux. Nous voulons un accord universel, un accord qui prépare où qui présente les solutions.
Q - Avez-vous senti que les autres étaient prêts à cet accord ?
R - À New York, on sent la dynamique dans les discours des chefs d'État ou de gouvernement qui sont présents. On voit qu'un certain nombre de discours que la France porte depuis longtemps, notamment sur l'adaptation qui est dans la loi de juillet 2014 prévoyant déjà dans tous nos projets de soutien au développement la question de l'adaptation au réchauffement climatique sont repris. On voit là le président Obama reprendre ce discours et dire que cette adaptation doit immédiatement être dans les faits pour les pays comme pour les soutiens que l'on peut amener à l'international aux pays en développement. On voit que ce discours avance et que les lignes ont bougé du côté des États-Unis comme de la Chine. Ce n'est pas suffisamment à la hauteur de ce que l'on voudrait mais je crois que l'erreur de Copenhague a été que certains pays ont voulu décider pour tous les autres. La France souhaite aujourd'hui - et nous sommes trois ministres au travail - rencontrer l'ensemble des pays et que chacun ait sa place dans ce débat et un rôle dans ces propositions.
Le volet agenda des solutions est très important, car les citoyens et les pays en développement attendent cette réponse.
L'autre réponse qu'attendent les pays en développement - et, là encore, New York a été un grand moment -, c'est le fonds vert et la capitalisation du fonds vert qui sera consacrée à 50 % pour les pays les plus défavorisés, sur l'adaptation notamment, où la France a fait une annonce d'un milliard de dollars et a été rejointe par l'Allemagne. On voit maintenant qu'une dynamique a été créée. Nous devons réussir à atteindre les 10 milliards d'euros de manière à donner confiance à nos pays partenaires.
Q - Et ce milliard d'euros que l'on va mettre dans le fonds vert, sait-on déjà comment il sera financé aujourd'hui ?
R - Bien sûr, il est identifié. Nous avons une partie sur la TTF et l'autre partie est budgétaire.
Q - C'est donc de l'argent qui échappe à l'urgence, à la priorité du développement.
R - C'est de l'argent en faveur du développement à plus long terme puisque la question du fonds vert et du climat rejoint le développement.
Pour parvenir à l'échéance souhaitée à Copenhague de 100 milliards, il nous faudra travailler avec tous les acteurs. On voit bien que le développement et la question du climat se rejoignent et que ce grand défi, nous ne pourrons le relever que si nous sommes unis, l'ensemble des pays bien sûr, mais les ONG, les entreprises, l'ensemble du privé.
Q - On comprend qu'à long terme, ces questions se rejoignent. Mais, pour l'instant, il y a un problème d'urgence, par exemple dans la bande sahélo-saharienne en Afrique. Il y a le djihadisme qui progresse sur fond d'appauvrissement gravissime de ces pays, les enfants qui n'ont pas accès à l'éducation, la nutrition, les conditions de survie extrêmement difficiles et le problème des systèmes de santé. N'y a-t-il pas un problème de priorité ?
R - Il n'y a pas un problème de priorité, il y a un problème de levier insuffisamment fort. Aujourd'hui, même si la France avait un budget APD à la hauteur de 0,7 %, même si d'autres avaient ce budget, nous ne pourrions pas répondre de cette manière-là et que de cette manière-là aux enjeux qui sont devant nous pour la lutte contre la pauvreté et pour traiter, aussi, la question du dérèglement climatique qui, en effet, permettent aux djihadistes et au terrorisme de prospérer sur place. Je vous le rappelle, la France est très présente dans la bande sahélienne, elle répond aux urgences et travaille déjà sur le développement.
Je me suis rendue au Mali, dans un certain nombre des pays du Sahel et on voit bien que la France est active. Elle ne peut pas agir seule elle ne pourra pas faire sans un certain nombre de partenaires classiques ce que nous pouvons faire aujourd'hui, c'est-à-dire travailler avec d'autres pays ou avec la commission européenne. Il faut de nouveaux acteurs pour agir de manière plus forte sur le terrain.
C'est ce que je fais, je me mobilise pour ces questions-là, c'est-à-dire anticiper les solutions et préparer l'avenir.
Q - On voit bien par exemple que pour la lutte contre Ebola, on est en train de trouver un vaccin éventuellement. Jusque-là, l'épidémie a eu plusieurs récurrences et jamais on n'a trouvé. Maintenant, il y a une urgence et on trouve. N'y a-t-il pas un moment où c'est une question de priorité ?
R - L'urgence Ebola est là. On peut se féliciter aujourd'hui de l'implication, même si elle peut être tardive et vous avez raison de le dire éventuellement. Même si elle peut être tardive, aujourd'hui, la mobilisation est là. Ce n'est pas toujours un problème financier, on voit bien que pour Ebola, ce n'est pas qu'avec des billets de banque que l'on va lutter contre Ebola, c'est bien par une mobilisation sur le terrain et ce que fait la France, c'est de dire : passons à l'action, allons sur le terrain, ouvrons les centres de traitements, c'est le plus important.
Q - On a le sentiment d'une très grande inquiétude, évidemment ce n'est pas qu'un sentiment. Vous êtes allée sur place, vous allez y retourner, quelle est la proportion à faire entre cette panique et la réalité du danger ?
R - Je me suis rendue sur place à la demande du gouvernement et du président François Hollande pour exprimer la solidarité de la France à la Guinée mais pas seulement. C'est aussi de notre responsabilité d'agir aujourd'hui en Guinée pour ce qui concerne la France et dans la sous-région, parce que c'est la meilleure manière de lutter contre Ebola et la meilleure manière d'éviter aussi que ce virus puisse se répandre à la fois sur l'Europe ou plus largement sur la région en Afrique de l'Ouest. Cela veut dire renforcer pour le moyen terme et le plus long terme les systèmes de santé car on voit bien que le problème vient de là. Les systèmes de santé sont si fragiles et tellement défaillants qu'ils n'ont pas pu lutter contre ce virus contrairement au Sénégal où un cas a été traité et guéri. La Côte d'Ivoire, que nous soutenons, est aujourd'hui prête, s'il y avait malheureusement un cas qui devait se développer là-bas. On voit bien que les systèmes de santé, c'est vraiment la vraie garantie.
Il faut être prudent, responsable, mais il ne faut pas paniquer. Que ce soit en Guinée ou aujourd'hui en Europe, il y a un certain nombre de choses qu'il faut éviter. La rumeur est absolument horrible. Je voudrais dire qu'il y a des gens très courageux en Guinée, je pense aux enseignants français qui ont ouvert le lycée français à Conakry normalement, avec un certain nombre de protections qui ont été mises dans le fonctionnement de cette école. Je ne dis pas que l'on peut aller en Guinée, parce que ce n'est pas le moment d'aller prendre des risques, mais pour des obligations, on peut y aller et la France n'a pas aujourd'hui rapatrié ses ressortissants parce que l'on peut vivre en Guinée en prenant des précautions.
Ensuite, soyons raisonnables, les soignants qui rentrent en Europe ou ailleurs, ceux qui sont allés en Guinée doivent aussi prendre un certain nombre de précautions et être responsables pour éviter, si jamais ils devaient être porteur du virus, de contaminer d'autres personnes.
Q - Lorsque l'on apprend un cas comme celui de la petite fille décédée au Mali et des dizaines de personnes mises en quarantaine, aussi bien dans la région où elle est morte que dans la capitale elle-même, quelle est la réponse ? Y a-t-il une action engagée dans l'urgence pour aider parce que le Mali est un pays exsangue économiquement ?
R - Le Mali s'est préparée à agir. La France agit dans toute la région, nous sommes aux côtés des Maliens, nous avons une action forte dirigée vers le Guinée. Ce qui est important, c'est de dire que l'on se trouve dans la phase de concrétisation qui est urgente aujourd'hui.
Comme je l'ai dit dans la première partie de cette émission, l'aide financière est là, une mobilisation européenne, internationale et la mobilisation française bien évidemment ; maintenant, il faut aller au-delà des billets et ouvrir ces centres. La Guinée a besoin de dix centres ; sans doute pourrons-nous atteindre sept centres grâce à Médecins sans frontière et notamment à la France et nous cherchons des partenaires pour en ouvrir davantage.
François Hollande a fait un certain nombre d'annonces où il indique l'ouverture du centre en Guinée forestière dans les quinze jours qui viennent, avant la fin du mois de novembre. C'est important car c'est l'épicentre et que c'est là qu'il faut intervenir rapidement. Nous allons ouvrir deux autres centres avec la Croix Rouge et d'autres partenaires. Nous ouvrirons un centre spécifiquement réservé aux soignants volontaires nationaux. Nous allons mettre en place un système européen de rapatriement sanitaire des soignants internationaux intervenant notamment en Guinée et bien au-delà.
Q - Vous estimez donc que le pays est en mesure de faire face au cas où il y ait contamination ?
R - La première réponse que l'on a, c'est que le Mali s'est mobilisé ; vous avez entendu les premières annonces. Le Mali s'est préparée à cela et si le Mali a un certain nombre de difficultés, la France est déjà à ses côtés comme d'autres pays puisque nous sommes aujourd'hui auprès du Mali engagés sur la voie du développement au-delà de la solution politique qui doit être apportée. Nous sommes sur le volet développement et nous renforcerions nos actions si le Mali le souhaitait.
La France intervient auprès de tous ses partenaires, à la demande de ces partenaires qui ont mis en place un certain nombre de schémas, notamment ici, la lutte contre Ebola et nous sommes à leurs côtés.
Q - Vous êtes également en charge de la francophonie. On voit généralement la dimension culturelle, linguistique, elle va au-delà. Dans à peine un mois à Dakar, il y a le sommet de la francophonie, avec une question : qui pour succéder à l'actuel secrétaire général de la francophonie, Abdou Diouf ? Qui la France soutient-elle aujourd'hui ?
R - Aujourd'hui, la France ne soutient aucun candidat, la France n'a pas de candidat. Le président Hollande participera au sommet des chefs d'État, c'est une décision qui appartient aux différents chefs d'État.
La France n'a pas de position arrêtée. J'ai trouvé très intéressant, même si je n'étais pas responsable de ces questions auparavant mais quand je regarde comment se sont passés les autres nominations, on voit bien qu'il n'y a pas eu cet élan de campagne, ces candidats qui font le tour des différents pays, qui ont un programme. C'est important de laisser aller le débat jusqu'à son terme. L'idée de la France, c'est quand même de souhaiter et le président Hollande l'a souhaité que les semaines qui vont précéder le sommet puissent être réservées à ce consensus qui pourra être trouvé.
Q - Vous pensez qu'un consensus sera trouvé avant le sommet ?
R - C'est souhaitable. On ne peut l'affirmer, nous sommes 77, la France c'est une voix, nous souhaitons le consensus avant le sommet de manière à ce qu'au sommet, au-delà du choix du futur secrétaire général de l'OIF, il y ait aussi une feuille de route de ce futur secrétaire général.
Q - La francophonie qui est parfois présentée comme un espace un peu institutionnel peut être un acteur diplomatique plus important, intervenir sur par exemple la gouvernance de certains de ses membres qui prolongent indéfiniment leur mandat. Est-il possible que ce soit cela la francophonie ?
R - La francophonie c'est déjà un peu cela, c'est ce que Abdou Diouf a mis en place, c'est-à-dire la lutte pour la paix, le volet démocratique, l'intervention ; Abdou Diouf a travaillé sur un certain nombre de résolutions ou de conflits en Afrique.
Il faut aussi ajouter une autre dimension qui sera débattue à Dakar, c'est le volet économique de la francophonie.
Q - En principe, dans les campagnes politiques, les gens prennent position. Pourquoi refuser ici de prendre position ?
R - Il s'agit pour le choix, d'un consensus entre le différents États.
La France prendra bien sûr une position, mais pas avant que la campagne ne soit terminée, pas avant que chaque candidat ait fait le tour, pas avant qu'il y ait une discussion entre les chefs d'État africains qui sont les plus nombreux dans l'OIF et qui, jusqu'à aujourd'hui avaient un ressortissant à la tête de l'OIF. C'est quelque chose qui peut changer mais c'est quelque chose qui se discute.
Q - Madame Girardin, vous venez d'une terre d'Amérique du nord, qu'est-ce que cela change sur votre vision de la francophonie ?
R - J'ai tendance à dire, mais ce n'est pas toujours bien compris, que pour moi, la francophonie est plurielle. Cette défense de la langue française est aussi l'arrivée de nouvelles cultures, de nouvelles générations avec une francophonie différente qui véhicule des messages culturels différents et qu'il faut absolument prendre en compte. La francophone d'Amérique du nord que je suis a lutté dans son territoire à St-Pierre et Miquelon face au continent nord-américain à côté, où la langue anglaise est la plus parlée. Nous avons une coopération régionale avec les provinces atlantiques du Canada et la plupart sont anglophones. Nous sommes donc un peu les Gaulois d'Amérique du Nord et fiers de l'être avec nos voisins Québécois qui sont un peu plus loin. Mais c'est véritablement une chance. C'est une chance aussi pour tout ce qui est médias car, à partir de l'ensemble des outremers, à travers les médias, nous pouvons avoir une action beaucoup plus forte en direction des différents pays francophones. Et vous avez aussi votre rôle à jouer en direction de l'Afrique. Parce que les médias et les nouvelles technologies, pour moi, sont vraiment des forces pour faire progresser la francophonie. Nous avons un potentiel de 700 millions de locuteurs en 2050, il faut absolument y répondre et nous allons y répondre parce que nous allons miser sur l'éducation et on va développer nos médias.
Q - Lorsque vous parlez de développer un volet économique de la francophonie, pouvez-vous développer ? Serait-ce la création d'un espace économique privilégié ?
R - Quand on souhaite parler la langue française, c'est pour ses valeurs, c'est pour sa culture, pour sa gastronomie mais c'est aussi parce que l'on peut trouver un emploi demain grâce à la langue française. Lorsque l'on dit aujourd'hui à un certain nombre de jeunes d'Afrique que c'est une plus-value de parler le français, il faut pouvoir répondre qu'en terme d'emplois, cela va aussi être une plus-value ; pour cela, il nous faut travailler avec les entreprises françaises, les associer au volet francophonie, faire un vrai réseau économique pour faire en sorte que tous ces jeunes qui souhaiteront parler la langue française aient une plus-value lorsqu'ils chercheront un emploi.
Puisque la France est présente dans tous les bassins maritimes et à travers les médias qui sont présents, nous pouvons avoir une action beaucoup plus forte en direction des différents pays francophones et au-delà. C'est l'objectif qui est le mien.
Q - La jeunesse est un thème qui vous est cher, avez-vous entendu des choses intéressantes dans les programmes des différents candidats ici et là ?
R - Oui, tout à fait et chacun a pris conscience, que ce soit la candidate du nord ou les candidats du sud, de l'importance de cette jeunesse avec la démographie africaine qui est explosive. Demain, nous aurons effectivement une jeunesse qui demande à trouver sa place. Soit on lui répond en matière d'éducation, de formations professionnelles ou d'emplois, soit cette jeunesse qui peut être une chance extraordinaire pour l'Afrique et pour la francophonie devient une difficulté. Là aussi, mon rôle est d'anticiper et de travailler sur des réformes, y compris une réorientation de l'OIF et c'est ce qui sera décidé au sommet de Dakar. Il y a déjà deux ans que l'OIF travaille sur cette question de l'économie et de la francophonie avec notamment le thème de la femme et les jeunes, acteurs de développement. On voit bien que tout se rejoint, y compris avec la politique de développement. On voit que l'on va faire face à des exigences différentes d'un monde qui est en mouvement. La francophonie doit être en mouvement, la francophonie est une chance si on est suffisamment dynamique.
Q - Avez-vous entendu des idées novatrices ? Avez-vous un exemple ? Pour les femmes et les jeunes, on est dans l'incantation depuis longtemps.
R - Le processus ou l'objectif des 100.000 professeurs pour l'Afrique a été mis en place et va se concrétiser ; des annonces seront faites sur les différents outils à Dakar au sommet de la francophonie, c'est une première réponse. Comment soutenir la formation des maîtres ou celle des enseignants en Afrique et à distance ? Comment utiliser les nouvelles technologies ? Comment revoir notre manière de voir l'Éducation ? Comment organiser des réseaux avec les universités ? Oui il y a beaucoup de propositions.
Sur le volet économique, le rapport Attali qui a été remis au président de la République, il y a très peu de temps, aujourd'hui fait partie aussi d'un certain nombre de propositions qui sont moulinés pour apporter une réponse.
Q - Dans le volet Éducation, il parle des acteurs privés, y êtes-vous favorables ?
R - On ne peut pas dire si nous y sommes favorables ou non. Aujourd'hui, le système qui est organisé a besoin d'avoir un élan supplémentaire et comme les moyens ne sont pas tous au rendez-vous - puisque nous connaissons des difficultés budgétaires - et même si la France continue d'être le premier financeur de l'OIF, il faut aujourd'hui avoir une action beaucoup plus importante. Donc, oui, là aussi, il faut travailler avec le levier privé. De là à aller vers un système entièrement privé, c'est une réflexion qu'il nous faut mener au sein de l'OIF.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 novembre 2014