Texte intégral
Madame la Ministre, Chère Ségolène,
Monsieur le Président du GIEC, Cher Monsieur Pachauri,
Mesdames et Messieurs,
Si la notoriété d'un organisme se mesure à la nécessité ou non d'expliquer ce que signifie son sigle, le GIEC n'a plus aucun problème de notoriété. En effet, qu'il s'agisse du GIEC en français ou de IPCC en anglais, maintenant tout le monde ou presque sait de quoi il s'agit. Les rapports successifs du GIEC sont des modèles de probité scientifique qui combinent la précision de l'analyse et le sens de la synthèse. Ces rapports, et c'est extraordinairement méritoire dans ce domaine, sont incontestés pour la raison qu'ils se donnent les moyens d'être incontestables.
Je veux rendre hommage au docteur Pachauri, le président du GIEC, au professeur Jean Jouzel, le vice-président et à tous ceux qui ont participé à ces travaux remarquables. J'avais eu le plaisir d'accueillir au Quai d'Orsay l'an passé le docteur Pachauri pour la présentation du précédent rapport, je veux saluer tous les membres du GIEC qui sont aujourd'hui parmi nous.
Je pense que ce cinquième rapport de synthèse du GIEC fera date et sera le fondement scientifique de l'accord espéré à Paris.
Il nous dit trois choses assez simples et finalement capitales :
- Premièrement, le climato-scepticisme est injustifiable.
- Deuxièmement, le climato-fatalisme est dangereux.
- Troisièmement, le climato-volontarisme est nécessaire.
Le climato-scepticisme, nous l'avons subi pendant des années, y compris en France d'ailleurs, mais la réalité du dérèglement climatique et de son accélération est désormais une donnée scientifique incontestable. L'influence des activités humaines est démontrée, il existe un lien direct entre le réchauffement et le cumul des émissions de gaz à effet de serre d'origine humaine. Il n'y a plus place aujourd'hui, au plan scientifique, pour le doute à l'égard du dérèglement climatique.
Le climato-fatalisme est dangereux. Certains ne contestent pas ou plus la réalité du phénomène mais, vous l'entendez peut-être autour de vous, ils disent «à quoi bon». Ils pensent qu'il n'est plus temps d'agir. C'est une erreur grave car - et cela est très bien démontré dans ce rapport - la conséquence du climato-fatalisme, de l'inaction, ce serait un scénario catastrophe qui pourrait conduire à une hausse de la température mondiale de trois à six degrés d'ici la fin du siècle. Les conséquences en chaîne seraient dévastatrices, la multiplication des événements climatiques extrêmes, affectant en premier lieu les pays les plus vulnérables, des risques accrus pour la biodiversité, une élévation du niveau de la mer pouvant aller jusqu'à plusieurs mètres. Cela entraînerait donc la disparition de certains territoires habités, des menaces extrêmement graves pour la sécurité alimentaire et des défis sanitaires terribles.
Bref, on ne va pas employer des grands mots, il suffit d'employer des mots simples, nous jouons l'avenir de la planète et certains pays jouent même leur survie.
D'où la troisième proposition de ce rapport, le climato-volontarisme est nécessaire. Il est encore possible d'agir mais le temps presse. Un sursaut mondial est absolument urgent. Il est encore possible de limiter l'élévation de la température à deux degrés à condition que les émissions mondiales des gaz à effet de serre soient réduites, entre 2010 et 2050 de 40 à 70 %. Et plus nous tardons - ceci est très bien montré dans le rapport - plus ce sera coûteux et plus nous risquons d'échouer. En effet, l'inaction présente le double inconvénient du risque de l'échec et de la certitude du surcoût.
À nous donc de prendre des décisions pour changer de trajectoire car nous portons une responsabilité, au sens étymologique, historique. Nous sommes en effet, tous, quel que soit notre âge, la première génération à prendre vraiment conscience du phénomène mais nous sommes aussi la dernière génération à pouvoir agir.
Et en abordant la COP20 à Lima d'ici quelques jours, puis la présidence de la COP21 à Paris, je ne suis personnellement ni climato-sceptique, ni climato-fataliste mais, comme vous tous j'imagine, je suis climato-volontaire.
Mesdames et Messieurs, dans un peu plus d'un an, en décembre 2015, la France va accueillir la conférence mondiale sur le climat. Par son ampleur, il s'agira de la plus importante conférence diplomatique jamais organisée en France : 20 000 délégués officiels, 20 000 invités et 3 000 journalistes.
Mon pays est honoré d'avoir été désigné pour l'accueillir, désignation comme le faisait remarquer avec humour le président de la République récemment, sans doute facilitée par le fait que nous étions le seul candidat. Mais je me rappelle fort bien que lorsque la décision a été prise à Varsovie, par acclamation comme l'on dit, les représentants des autres pays sont venus me voir. Les nouveaux m'ont félicité, et ceux qui ont un peu plus d'expérience ont ajouté, dans un sourire que je commence à comprendre, «bonne chance ».
Soyons lucides. À l'exception de Kyoto en 1997, les précédentes conférences - voyez que je suis diplomate - ont souvent été décevantes même si certaines décisions utiles ont été prises. Les causes sont nombreuses, elles tiennent parfois, vous en parliez Docteur, à un manque de préparation suffisamment à l'avance et surtout à l'hostilité de certains grands pays face à la perspective d'un accord. Mais je crois que la situation a changé, ne serait-ce que parce que malheureusement la réalité s'est aggravée.
La Chine est devenue - nous le croyons - favorable, pour des raisons évidentes. Ceux d'entre vous qui se rendent régulièrement en Chine savent que les évolutions climatiques y deviennent insupportables et posent des problèmes, d'ordre économique, social et même politique, considérables aux autorités chinoises.
Aux États-Unis, quels que soient les résultats électoraux, nous pensons que le président Obama est vraiment engagé sur ces questions et qu'un accord sur le climat constituerait un atout de poids dans le bilan que désormais l'Histoire fera de sa présidence.
L'Union européenne, comme la ministre Ségolène Royal l'a fort bien rappelé, vient de se fixer un objectif qui lui permet d'être la première à présenter son objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre après 2020. Ce qui va permettre à l'Europe de jouer un rôle d'aiguillon, d'incitateur pour dire aux autres ce qui aurait été impossible si l'accord n'avait pas été conclu. Voilà ce que nous avons fait et maintenant, accompagnez-nous.
Heureusement, beaucoup de pays y sont favorables. Mais, avec la même lucidité, il faut reconnaître que certains gouvernements sont encore réticents. Et c'est sans doute pourquoi la tâche de trouver un accord va revenir à la diplomatie.
Nous devons réussir et j'espère bien, comme vous tous, que nous allons y parvenir.
Vers quel accord voulons-nous aller ? Nous allons en parler à Lima et il n'y a pas lieu de trop anticiper. Mais à ce stade, le projet est d'aller vers un accord qui pourrait, avec des différences de portée juridiques, comporter quatre points.
Le premier, qui est majeur, est un protocole juridique qui devra engager tous les pays pour demeurer sous la barre des deux degrés.
Le second, ce sont les engagements des différents pays, indiquant leur projet pour 2025 - 2030 et au-delà, c'est-à-dire, quels seront leurs efforts concrets pour décarboner leur économie. C'est difficile à obtenir mais c'est indispensable.
Le troisième élément, ce seront les financements et les technologies mises à disposition pour permettre, surtout aux pays les plus pauvres, d'appliquer cet accord. Les pays pauvres, notamment ceux d'Afrique, présentent cette situation insupportable et paradoxale d'être à la fois ceux qui ont le moins pollué et ceux qui seraient les plus touchés. Il faut donc prendre cela en compte.
Le dernier élément de ce que pourrait être un accord sur le climat à Paris, ce sont les solutions qu'apportent des grandes villes, des régions et un certain nombre de grandes entreprises ou de branches professionnelles. D'ores et déjà, ces entités accomplissent un travail tout à fait remarquable. Le secrétaire général des Nations unies, M. Ban Ki-moon, a demandé à Michael Bloomberg, l'ancien maire de New York, de s'occuper avec d'autres personnalités des villes et nous commençons à réaliser un travail avec les régions.
Récemment, lors du sommet mondial des régions pour le climat organisé à Paris, j'ai eu le plaisir de voir le gouverneur Schwarzenegger s'engager à convaincre les uns et les autres. Et je tiens à souligner que les ONG accomplissent un travail énorme.
S'agissant des branches économiques, certaines se sont déjà engagées à diminuer leurs émissions de gaz à effet de serre. C'est le cas notamment, même si cela peut paraître surprenant, de la branche du ciment. Certaines grandes entreprises accomplissent des efforts très intéressants, par exemple pour lutter contre la déforestation et pour investir dans des projets verts.
Il existe donc, et on l'a vu durant la semaine de l'Assemblée générale à New York, une convergence des efforts. Si nous réussissons à Paris, je pense que ce sera en prenant en compte ces quatre piliers.
Quel est le calendrier d'ici la conférence de Paris ?
Il y aura de très nombreuses réunions dans les prochains mois, je veux juste en citer quelques-unes, sans ordre hiérarchique.
D'ici la fin novembre, nous avons la réunion de Berlin pour abonder le Fonds vert et jusqu'à présent, il n'y a que l'Allemagne et la France qui ont fait connaître leur contribution. Mais je crois comprendre que ce ne sont pas, tout de même, les deux seuls pays supposés riches et développés dans le monde.
Nous avons ensuite la COP20 à Lima au Pérou au mois de décembre qui sera elle-même précédée par la pré-COP de Caracas ces jours-ci.
Cette COP20 de Lima doit nous permettre de nous mettre d'accord sur une première ébauche du texte de Paris et de décider de la nature des objectifs nationaux qui devront être présentés par les uns et par les autres, bien avant Paris et, si possible, à Varsovie d'ici au mois de mars 2015. Nous travaillons avec nos amis péruviens pour qu'ils avancent le plus possible car le travail réalisé cette année n'aura pas besoin de l'être l'an prochain. Lima est donc une échéance extrêmement importante.
Ensuite, de même qu'il y a eu fin septembre 2014 un sommet positif aux Nations unies initié par M. Ban Ki-moon, auront lieu des sommets, celui du G7 puis du G20, où ces problèmes de climat seront sur la table. D'autres réunions que je cite pêle-mêle : Davos au début de l'an prochain avec un focus sur ces aspects, des réunions sur tous les continents, la conférence scientifique à l'UNESCO que Ségolène Royal a citée et ensuite de très nombreuses réunions de sensibilisation ou de négociation. Il faut vérifier que tout le monde se trouve effectivement bien à bord.
Enfin, en décembre 2015, ce sera la conférence de Paris, moment clef pour réorienter, car il s'agit de cela, notre modèle de développement. Il faut nous réorienter pour réussir l'après carbone.
Cela signifie que l'accord qui sera, espérons-le, conclu à Paris ne marquera en fait pas la fin du processus. Même le meilleur accord possible - et nous allons travailler en ce sens - devra être complété avant et après 2020. Mais, pour autant, il est indispensable qu'un accord universel, ambitieux et comprenant les engagements de réduction d'émission soit conclu en 2015 pour pouvoir entrer en vigueur en 2020. Ce cinquième rapport du GIEC nous dit avec limpidité que nous n'avons pas d'autres choix raisonnables.
Certains nous demandent déjà ce qui va se passer si on ne parvient pas à un accord à Paris. Je pense qu'il n'y a pas de formule meilleure que celle de M. Ban Ki-moon qui a dit et je reprends souvent cette expression : «Il n'y a pas de plan B car il n'y a pas de planète B».
Nous n'avons pas le droit d'échouer car si c'était le cas, il y aurait, vous le démontrez, des conséquences irréversibles que nous ne pourrions pas rattraper.
Évidemment, le succès ne dépend pas que de la France. Mais soyez assurés - Ségolène Royal l'a montré - que mon pays donnera le meilleur de lui-même et que nous ne ménagerons pas nos efforts. Nous ferons tout pour que les prédictions sombres que les rapports successifs du GIEC dessinent au cas où il n'y aurait pas d'action ne deviennent pas réalité, car nous prenons ces rapports du GIEC avant tout comme des appels à l'action.
Les Grecs anciens disaient que l'art du politique résidait dans le sens de ce qu'ils appellent le «kairos» qui est une capacité de saisir le moment opportun, le moment pour agir. Aujourd'hui, le kairos du climat est incontestablement venu. C'est aux gouvernements de démontrer par leurs actes qu'ils l'ont compris. N'oublions pas qu'en français comme dans d'autres langues, «responsable» veut dire : qui apporte des réponses.
Dans ce cinquième rapport du GIEC, les scientifiques nous lancent un appel à l'action qu'il faut écouter. Paris-2015 doit apporter une réponse politique aux messages incontestables des scientifiques dans le cinquième rapport du GIEC.
Merci beaucoup.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 novembre 2014