Déclaration de M. Matthias Fekl, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, à la promotion du tourisme et aux Français de l'étranger, sur les efforts en faveur du commerce extérieur et du tourisme, au Sénat le 12 novembre 2014.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Audition devant la Commission des affaires économiques du Sénat, le 12 novembre 2014

Texte intégral


M. Jean-Claude Lenoir, président. - Notre commission a entrepris une série d'audition des ministres dont le champ des compétences la concerne. Après Laurent Fabius, nous avons le plaisir d'accueillir Matthias Felk, que je remercie d'avoir répondu à notre invitation. Nous attendons de vous, monsieur le ministre, un éclairage sur la politique du gouvernement dans les domaines du commerce extérieur et du tourisme.
M. Matthias Fekl, secrétaire d'Etat chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger. - Je vous remercie de votre invitation. C'est toujours avec bonheur que je reviens au Sénat, où j'ai eu naguère l'honneur de travailler. J'ai toujours plaidé, lorsque j'étais député, en faveur d'un Parlement fort, et le même souci continue de m'animer depuis que je suis au Gouvernement.
Après avoir fait le point sur l'état des négociations commerciales internationales, je m'attacherai à vous résumer la situation de notre commerce extérieur et les priorités du Gouvernement en la matière, sans oublier d'évoquer le tourisme. Enfin, même si j'ai conscience que le troisième volet de mon portefeuille, qui concerne les Français de l'étranger, n'est pas au coeur de notre rencontre d'aujourd'hui, je suis tout prêt à répondre à vos questions sur ce point, sachant combien leur rôle est important, y compris pour notre commerce extérieur.
Alors que les négociations commerciales internationales menées dans un cadre multilatéral, en particulier sous l'égide de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), s'essoufflent, un transfert s'est opéré, ces dernières années, vers un cadre bilatéral de négociations, conduites, pour ce qui nous concerne, par l'Union européenne, et qui viennent se juxtaposer les unes aux autres.
S'agissant, en premier lieu, de l'accord entre l'Union européenne et le Canada, la fin des négociations a été officiellement proclamée lors du dernier sommet, et nous entrons dans une phase de toilettage juridique et de traduction de l'accord dans toutes les langues de l'Union européenne, à la suite de quoi viendra le temps de la ratification, selon les procédures spécifiques à chaque État membre.
Quelle est l'appréciation de la France sur le résultat des négociations ? En mettant de côté la question du mécanisme de l'arbitrage, nous estimons que sur le fond, il s'agit d'un bon accord, qui fait significativement progresser nos intérêts offensifs. Je pense à l'ouverture des marchés publics canadiens, à tous les niveaux - national, provincial, local -, qui profitera aux quelques 10 000 entreprises françaises qui exportent vers ce pays, parmi lesquelles 80 % de PME. Le deuxième motif de satisfaction concerne la protection de nos indications géographiques. Je sais que vous y êtes très attentifs, parce que nos produits de terroir sont concernés. Ce ne sont pas moins de 42 indications géographiques qui, au-delà de celles sur les vins et spiritueux déjà reconnues en 2004, sont entrées dans le champ de l'accord.
Reste la question complexe du mécanisme d'arbitrage entre les investisseurs et les États. Vous connaissez les principaux termes du débat : il porte sur le caractère de ces juridictions, sur le respect des principes fondamentaux tels que l'indépendance et l'impartialité de la justice, ainsi que sur le droit des États à édicter des normes, à les faire appliquer, et à faire respecter les choix collectifs qui sont les siens. La France a émis des réserves sur le mécanisme envisagé et une consultation européenne est en cours : elle a donné lieu à 150 000 contributions, dont 10 000 émanant de notre pays.
Enfin, selon notre analyse, partagée par l'ensemble des États membres, il s'agit d'un accord mixte, qui suppose à la fois une ratification européenne et nationale. Ce sont donc les parlements nationaux qui auront le dernier mot.
En ce qui concerne, en second lieu, l'accord en cours de négociation avec les États-Unis, l'année 2014 - marquée par la fin de mandat de la Commission européenne et les élections de mi-mandat aux États-Unis - n'aura pas permis d'avancée significative, même si les rencontres se sont poursuivies. La France se réjouit de la transparence enfin obtenue sur le mandat de négociation, et sa publication, en octobre, doit beaucoup à l'action successive de Nicole Bricq et de Fleur Pellerin, que j'ai à mon tour relayée. J'estime que les citoyens ont le droit d'être informés et suis donc très attaché à la transparence sur ces négociations commerciales. C'est là un sujet neuf, sur lequel tout reste à construire, et c'est pourquoi nous nous attelons à élaborer un agenda de la transparence. Vous faites partie, monsieur le Président, du Comité de suivi stratégique, qui s'est réuni il y a quelques semaines. Ce comité, auquel participent à la fois les parlementaires et, ainsi que je l'ai souhaité, des représentants de la société civile, doit être un lieu de débat où tous les sujets sont mis sur la table.
Je précise que là encore - et c'est là encore une analyse convergente des États membres - nous sommes en présence d'un accord mixte, ce qui signifie que les parlementaires auront le dernier mot, une fois qu'il aura été finalisé - et nous en sommes encore loin, l'horizon se situant, à mon sens, au-delà de l'année 2015.
J'en viens aux difficultés que connaît, depuis une décennie, notre commerce extérieur et aux priorités qu'elles appellent. Nous soulignons la nécessité d'une approche extrêmement volontariste, et en tout premier lieu dans l'ordre des politiques économiques internes. C'est pourquoi le Gouvernement a engagé un grand chantier de réformes structurelles en faveur de la compétitivité et de l'attractivité de notre pays. C'est la condition absolue pour améliorer les performances de notre commerce extérieur. Voyez l'Allemagne : si elle est performante à l'export, c'est avant tout parce que son tissu économique est robuste, innovant, et pugnace dans la conquête de nouveaux marchés.
Viennent ensuite les actions qui relèvent spécifiquement du secrétariat d'État au Commerce extérieur, désormais placé auprès du ministre des Affaires étrangères et du développement international. Notre premier objectif est de rationnaliser un dispositif devenu peu lisible, en particulier pour nos PME, parce que trop d'acteurs interviennent. Nous finalisons la réforme d'UbiFrance et de l'Agence française des investissements internationaux (AFII), engagée par mes prédécesseurs. La fusion des deux entités en une nouvelle agence, dont le nouveau nom sera bientôt choisi, sera effective au 1er janvier 2015. Cette fusion doit nous faire gagner en efficience. J'ajoute que d'autres opérateurs ont vocation à rejoindre le dispositif. Je pense à la Sopexa, dont j'ai récemment rencontré les responsables. Une mission de l'Inspection générale des finances est en cours pour rechercher les voies et moyens de la simplification dans les domaines agricole et agro-alimentaire. D'autres acteurs pourraient également s'associer au dispositif. Je pense aux chambres de commerce et d'industrie, dont je rencontre régulièrement les responsables. Il s'agit, en somme, d'aider nos petites et moyennes entreprises à se consacrer pleinement à leurs projets au lieu de perdre leur temps à rechercher le bon interlocuteur.
J'ajoute que les régions, pilotes en matière de développement économique, ont, dans ce dispositif, un rôle fondamental à jouer au bénéfice de notre politique à l'export. Coordonner les intervenants, voilà ce qui importe. Je pense aussi aux conseillers au commerce extérieur de la France, très impliqués sur le terrain, et également au volontariat international en entreprise (VIE). Il s'agit d'un dispositif très innovant, et qui fonctionne bien - plus de 50 000 jeunes sont passés par là, et leurs taux d'insertion dans l'emploi à la sortie font rêver...
Deuxième axe de notre action : faire de nos PME une priorité. Nous souffrons, en ce domaine, d'une faiblesse structurelle. La France compte deux fois moins de PME exportatrices que l'Italie, quatre fois moins que l'Allemagne, et nos PME peinent à exporter dans la durée. J'ajoute que notre dispositif à l'export est extrêmement concentré : 1% des exportateurs réalisent 70 % des exportations. Il faut agir, et c'est là un constat que l'on peut me semble-t-il partager, quelles que soient nos sensibilités politiques. La force de l'Allemagne vient de son fameux Mittelstand, de ses PME et entreprises de taille intermédiaire (ETI) exportatrices, innovantes, conquérantes sur tous les marchés, et en particulier en Asie. Je me suis rendu en Chine il y a quelques semaines, aux côtés du président Raffarin, qui a monté un forum PME à Chengdu. Nous y conduisions une délégation de quelque 350 PME, qui ont pu prendre plus de 5 000 contacts directs avec des entreprises chinoises. De telles initiatives, qui aident nos entreprises à s'ouvrir des portes, méritent d'être encouragées. N'oublions pas que nos PME créent des emplois non délocalisables. Pour qu'elles puissent le faire partout en France, il faut qu'elles conquièrent de nouveaux marchés. Ce n'est pas simple, mais j'ai la conviction qu'en s'appuyant sur l'ensemble des acteurs, sur les régions, sur les opérateurs à l'export, on peut bâtir des dispositifs robustes, concrets, simples, et qui fonctionnent dans la durée.
Il faudra adapter notre outil diplomatique à ces priorités. Laurent Fabius prend très à coeur cet enjeu de la diplomatie économique. La réunification de l'action économique extérieure de la France autour du ministère des affaires étrangères et de nos ambassadeurs suppose des redéploiements et une adaptation de notre réseau diplomatique aux priorités stratégiques, sectorielles, géographiques de la France, afin que notre réseau - le deuxième au monde - suive les évolutions et de nos communautés françaises à l'étranger, et des intérêts stratégiques de notre pays. C'est là une action d'intérêt général, que pilote Laurent Fabius, et qui suppose une réorganisation administrative et budgétaire, déjà engagée, afin que la présentation du budget soit en cohérence avec la manière nouvelle dont s'organise l'action de l'État.
J'en arrive au tourisme qui constitue une priorité fondamentale pour ce Gouvernement. Les recettes du tourisme mondial l'an dernier, d'après les chiffres de l'Organisation mondiale du tourisme (OMT), ont été de 873 milliards d'euros, en progression de 5 % par rapport à 2012. Alors que l'on recensait un milliard de touristes en 2012, ce flux devrait presque doubler d'ici à vingt ans. La France a accueilli l'an dernier, 84,7 millions de touristes, soit une augmentation de 2 % par rapport à 2012. C'est dire combien ce secteur économique est important pour notre pays. Plus de 2 millions d'emplois y sont directement ou indirectement liés. Le tourisme représente 7 % dans notre PIB et contribue de façon significative à notre balance commerciale, devant l'agro-alimentaire, les vins et spiritueux, les industries pharmaceutique et cosmétique.
Au cours des Assises du tourisme, qui se sont tenues le 19 juin dernier, des priorités ont été définies, avec l'ensemble des acteurs, autour de cinq axes, déclinés en 30 mesures. Il s'agit, tout d'abord, de hiérarchiser notre démarche de promotion internationale autour de quelques marques fortes, visibles, regroupées autour de cinq pôles d'excellence. Nous avons, avec Laurent Fabius, inauguré le premier de ces pôles il y a quelques jours, au Mont-Saint-Michel, autour des « savoir-faire », l'idée étant de réunir autour d'une même table les acteurs traditionnels du tourisme qui opèrent sur ce site extraordinaire et des entreprises qui veulent faire connaître des métiers, en organisant des visites de leur site - en l'occurrence Saint-James, fabricant de pulls marins, dont le PDG, M. Lesénécal, a été nommé fédérateur du pôle d'excellence, afin de diffuser ailleurs ces bonnes pratiques. La France recèle des savoir-faire extraordinaires, qu'il convient de valoriser.
Nous voulons également stimuler la politique d'hospitalité en travaillant sur les maillons du parcours touristique, pour supprimer tout ce qui peut ternir, dans l'accueil ou la qualité du service, l'expérience des voyageurs. Il nous faut aussi être davantage présents sur la scène numérique, et bâtir des sites internet unifiés, des applications accessibles depuis des téléphones mobiles, afin que la marque France soit lisible depuis l'étranger.
Enfin, le Gouvernement souhaite développer le tourisme au bénéfice des Français et ouvrir l'accès aux vacances au plus grand nombre, et nous appuyons, à cette fin, l'action que mène Carole Delga.
Le ministre est très impliqué sur ce vaste dossier. Il reste beaucoup à faire pour que notre pays s'insère mieux dans les flux touristiques mondiaux. Nous devons travailler sur des sujets très concrets, comme les dessertes aériennes, car bien des pays dont proviennent de nombreux touristes, comme la Chine, sont mal reliés à la France.
Il va de soi, enfin, que les Français de l'étranger ont un rôle déterminant à jouer, tant pour notre commerce extérieur qu'au bénéfice du tourisme. Formant une communauté de 2,5 millions de personnes, bien insérée dans la vie économique, sociale, éducative de leur pays de résidence, ils sont nos premiers ambassadeurs.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Merci de nous avoir brossé ce tableau très précis, qui vient compléter ce que nous avait exposé Laurent Fabius il y a quinze jours.
Que le portefeuille du commerce extérieur soit rattaché au ministère des affaires étrangères, tandis que les crédits qui se trouvent encore à Bercy y seront bientôt transférés, est une première. Chez nous comme dans bien d'autres pays, tel le Japon, avec son puissant MITI, c'est le rattachement au ministère des finances qui a longtemps prévalu. Bien que votre expérience en soit encore courte, peut-être percevez-vous déjà les avantages et les inconvénients de ce nouveau découpage ?
Lors de la discussion du projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises, nous avons, à la faveur d'un amendement porté par Elisabeth Lamure, longuement débattu de la question du regroupement des opérateurs. Outre les opérateurs que vous avez cité, il ne faut pas oublier le rôle important que jouent les collectivités territoriales, et notamment les régions. Laurent Fabius a évoqué devant nous celui de la région Rhône-Alpes, mais toutes les régions n'ont-elles pas vocation à jouer un rôle à l'international ?
Vous avez également soulevé la question des PME et des ETI. Chacun ici peut témoigner qu'une entreprise qui cherche à se tourner vers l'international rencontre vite un problème de financement. La participation à un salon n'est guère qu'une étape initiale. Quelles solutions, ensuite pour « transformer l'essai »?
Laurent Fabius a indiqué que l'action extérieure de la France en faveur du commerce international devrait sans doute être recentrée sur certaines zones. On devine quelles peuvent être les priorités, hors Union européenne : l'Asie, l'Amérique du Nord... Pouvez-vous nous apporter quelques éclairages sur ce qui pourrait être entrepris ?
Il est désormais gravé dans le marbre que l'accord entre l'Union européenne et le Canada est un accord mixte, qui devra donc être ratifié par le Parlement français. Il est bon que les choses soient claires, car tel n'a pas toujours été le cas... Je me suis rendu en septembre, avec une délégation de notre commission, au Canada, où nous avons appris que le mandat donné là-bas était fédéral, et n'engageait pas les provinces. La situation est, au fond, analogue de ce côté de l'Atlantique, puisque l'accord passé par l'Union européenne devra être ratifié par les parlements nationaux. Il me semble important, si l'accord est signé, que les deux continents marchent d'un même pas.
Ce qui nous inquiète surtout, c'est l'accord avec les États-Unis. En particulier, on sent poindre une grande préoccupation chez les agriculteurs et dans le secteur de l'agro-alimentaire. Va-t-on vraiment vers un accord gagnant-gagnant ? Certains esprits informés sont aujourd'hui nuancés. On sait combien les États-Unis sont compétitifs dans certains secteurs, comme l'élevage. Il ne serait pas inutile, s'agissant du déficit de notre balance commerciale, de rappeler quel est le poids de l'énergie et, en regard, l'apport de l'agriculture et de l'agro-alimentaire.
Enfin, j'ai eu l'occasion de rappeler, lors de l'audition de Laurent Fabius, tout l'intérêt, pour le tourisme, de la procédure des contrats de destination, initiée il y a déjà un an et demi. Je réitère ma question : où en est-on pour le Perche ?
M. Matthias Fekl, secrétaire d'Etat. - Vous comprendrez que je manque encore de recul pour tirer un bilan du rattachement du portefeuille du commerce extérieur aux Affaires étrangères. Sur le plan des principes, cependant, il me semble cohérent de regrouper action extérieure de l'Etat et diplomatie économique autour d'un pôle, celui qui agit à l'extérieur. Avoir clairement conféré un rôle pivot à nos ambassadeurs donne une grande force à notre diplomatie économique. C'est autour de ces fédérateurs, de ces animateurs de réseau que les acteurs prendront ainsi leur place. Sous réserve que les crédits soient unifiés, comme cela devrait intervenir dans le courant de l'année prochaine, c'est une bonne décision, vouée à durer. Je constate d'ailleurs que les administrations jouent le jeu et souhaitent que cela fonctionne. J'en veux pour preuve la convention signée entre le Quai d'Orsay et la direction du Trésor. Chacun a conscience que la situation est trop grave pour se lancer dans des guerres administratives.
Je vous rejoins sur les régions, dont j'ai dit combien le rôle est central. Pour avoir été, jusqu'en 2012, vice-président de la région Aquitaine, en charge du développement économique, je considère que bien des compétences - politique économique, soutien à l'exportation - doivent reposer sur elles, parce qu'elles disposent de la masse critique pour agir dans la cohérence, en même temps que du lien avec le terrain.
J'approuve également vos propos sur les PME. Leur appréhension à l'export est liée, pour beaucoup, au financement. Si des problèmes juridiques ou d'impayés viennent s'ajouter à l'éloignement, à la barrière de la langue, cela peut être fatal pour elles. Il faut donc faire mieux connaître les garanties financières de la Coface, ou ce que peut leur apporter la Banque publique d'investissement (BPI), pour que les PME s'en saisissent.
S'agissant des priorités stratégiques par zone, il me semble préférable, plutôt que de raisonner sur des aires géographiques dans leur ensemble, de privilégier une approche fine, par pays. J'ai récemment proposé que soit élaboré, en lien avec les parlementaires et les acteurs de terrain, un document stratégique annuel, discuté devant le Parlement, afin d'identifier des priorités et de se donner une feuille de route dans la durée.
C'est l'analyse convergente des États membres et du Conseil de l'Union européenne que de reconnaître un caractère mixte aux accords transatlantiques en cours de négociation avec le Canada et les Etats-Unis. J'ai demandé qu'une expertise juridique sur ce point soit prochainement rendue publique. Je partage votre analyse sur le lien entre les deux accords. Si les négociations avec le Canada sont si sensibles, c'est parce que le traité transatlantique avec les États-Unis va suivre, et celui-ci concernera, sur un immense marché, 800 millions de citoyens. Connaissant la force de frappe des entreprises américaines, on peut effectivement craindre pour nos préférences collectives - alimentaires, sociales, environnementales et le Gouvernement y est tout particulièrement attentif.
S'agissant de notre balance commerciale, son déficit dépasse, en 2013, 61 milliards d'euros, dont 13 milliards hors énergie. Les chiffres les plus récents - ceux du premier semestre 2014 - font apparaître un déficit de 29 milliards, dont 8,9 milliards hors énergie et matériels militaires. Et c'est là une tendance lourde. Les secteurs agricole et agro-alimentaire comptent parmi nos principaux excédents, après l'aéronautique qui demeure un secteur stratégique, avec sa sous-traitance. Viennent ensuite les secteurs pharmaceutique, cosmétique, la chimie et les industries du luxe - où interviennent aussi de petites entreprises artisanales. Tels sont les secteurs qui tirent notre commerce extérieur et dont je relève qu'ils se portent également mieux que d'autres à l'intérieur de nos frontières, preuve qu'il est vain d'opposer compétitivité externe et interne.
Les contrats de destination, sur lesquels vous m'interrogez, seront bientôt rendus publics. Une dizaine seront retenus, mais ceux qui ne le seront pas dans cette première vague feront l'objet d'un examen très attentif, afin qu'ils puissent être perfectionnés au cours de l'année 2015. Je sais que dans le Perche, beaucoup d'actions sont engagées, notamment autour du « slow tourism ». Nous y seront très attentifs.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Le slow évoque la tortue et la lenteur, mais vous connaissez la fable...
Mme Élisabeth Lamure. - Je reviens sur la fusion entre UbiFrance et l'AFII. Je partage votre constat sur la multiplicité des intervenants, au nombre d'une cinquantaine, et c'est bien pourquoi il serait bon d'aller plus loin que cette seule fusion, en encourageant le regroupement d'un certain nombre d'acteurs, afin de donner à nos entreprises des repères lisibles.
Un mot sur les dotations budgétaires. Les deux entités ont bénéficié, en 2014, de 111 millions d'euros. Elles en recevront 108,8 en 2015. Les 5 millions que le Gouvernement doit accorder à UbiFrance pour accompagner la fusion en font-ils partie ? Quelle appréciation portez-vous sur cette diminution des crédits à l'heure où les entreprises ont plus que jamais besoin de soutien, au profit de notre économie ?
J'ajoute que les principaux bénéficiaires du CICE, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, ne sont pas les entreprises les plus exportatrices. Ne pourrait-on imaginer un rééquilibrage du dispositif puisque je rappelle que parmi les grands bénéficiaires de ce crédit d'impôt figurent les entreprises de la grande distribution, ou La Poste, qui a reçu 300 millions en 2013 ?
Pour aider les PME, il n'est certes pas inutile de se rendre en Chine sur un salon, mais on constate bien souvent que l'accompagnement, ensuite, fait défaut. Les PME qui veulent exporter doivent réaliser d'importants investissements, et quand les financements manquent, elles se découragent. On sait, en revanche, que lorsqu'elles s'adossent à un grand groupe, cela fonctionne mieux. Comment faciliter de tels parrainages ?
M. Martial Bourquin. - Je remercie le ministre de son intéressant plaidoyer. Si la question de l'export est directement liée à la qualité de notre industrie - sa compétitivité, sa capacité à monter en gamme, il nous faut aussi, et au-delà, surmonter un problème culturel : les Français ne sont pas suffisamment exportateurs dans l'âme. En Italie, il est naturel, même pour les TPE, d'exporter ; pas chez nous. Certes, la fusion d'UbiFrance et de l'AFII facilitera l'accompagnement, mais beaucoup dépend aussi de la qualité de notre industrie et de sa volonté de rayonner dans le monde.
Par ailleurs, l'absence de transparence dans la négociation du traité de libre échange transatlantique, le TAFTA, m'a stupéfié. Alors que les économies européennes sont directement intéressées, nous sommes restés, pendant un an et demi, sans information. Je salue donc vos efforts, et ceux de vos prédécesseurs, dont Nicole Bricq, ainsi que ceux de nos amis italiens, pour obtenir la transparence.
Je suis très inquiet de ce qu'on peut lire sur les tribunaux d'arbitrage. La Commission européenne a relevé de nombreux abus. Que de tels tribunaux puissent être chargés de trancher chaque fois que des entreprises américaines soulèveront un problème n'est pas pour rassurer. Notre modèle social européen est une admirable conquête, chacun le reconnaît. Comment ne pas craindre pour lui quand on sait que ces tribunaux, partout où ils ont sévi, ont presque toujours tranché en faveur des multinationales américaines. De deux choses l'une, soit on traite à part cette question de la négociation, ce que les Américains ne veulent pas, soit il nous faudra vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes. J'estime que sur ce sujet, il ne faut pas hésiter à engager un bras de fer. J'ai cru comprendre, également, que les services publics de l'éducation et de la santé figuraient toujours dans la négociation. Le confirmez-vous ? Compte tenu des répercussions énormes de ce traité, le Parlement doit se saisir de ces questions.
M. Alain Chatillon. - Je suis moi aussi très inquiet sur ces négociations. Prenons l'exemple de l'agriculture. Nous devons au Gouvernement de Mme Thatcher de payer, depuis 1984, plus de 4,6 milliards d'euros aux Britanniques. Cela fait 30 ans qu'on les aide ainsi à faire rentrer sur le marché européen des produits alimentaire du Commonwealth, à des prix très compétitifs puisqu'ils ne payent pas un centime à l'Europe. J'irai encore plus loin : en ce qui concerne les protéines végétales, alors que nous étions autosuffisants à 70 % jusqu'il y a une vingtaine d'années, nous ne le sommes plus qu'à 30 %. Le reste, 70 %, ce sont des organismes génétiquement modifiés (OGM) qui arrivent tous les jours dans nos ports, en provenance d'Amérique du sud et du nord. La raison en est qu'en France, on n'a pas le droit de produire d'OGM. Combien de temps opprimera-t-on ainsi nos agriculteurs, qui étaient 2,2 millions en 1980 et ne sont plus aujourd'hui que 450 000, c'est à dire cinq fois moins ? Je suis consterné de voir que l'on continue de défendre l'Angleterre, allié des États-Unis, et que nous ne sommes pas capables de faire respecter nos frontières, alors que dans le même temps, nos produits sont brimés Outre-Atlantique - je pense, en particulier, à ce qu'il est arrivé au foie gras. Alors qu'il faut être plus que jamais vigilants, nous ne sommes pas au courant de ce qui se négocie.
Sur la compétitivité des entreprises, bien des rapports ont été produits, parmi lesquels celui de la mission d'information du Sénat sur la désindustrialisation des territoires, présidée par Martial Bourquin et dont je fus le rapporteur. Nous avions fait des propositions, mais n'avons pas été entendus. Je le regrette.
Vous avez évoqué l'excellence des pôles de compétitivité. Vous savez combien je m'y suis impliqué, dans votre région et dans la mienne. Or, je viens d'apprendre, par mon successeur, que l'État allait réduire son aide. On ne peut pas dire une chose et son contraire. Ces 70 pôles, créés à la demande du Gouvernement, vont être doublement pénalisés : d'un côté les régions disent qu'elles vont réduire la voilure parce qu'elles reçoivent moins d'aide de l'État, de l'autre, l'État lui-même les abandonne peu à peu.
Un mot, enfin, de la Coface. Quand on voit l'aide que reçoivent les pays du sud-est asiatique ou l'accompagnement que l'Allemagne assure à ses entreprises, on a du mal à admettre que la Coface réduise ses soutiens. Or, et je parle en tant qu'industriel, il devient très difficile d'obtenir des crédits sur certains pays, y compris voisins, comme l'Espagne.
Vous avez évoqué un éventuel rapprochement entre UbiFrance et la Sopexa. Il est grand temps de trancher, sans attendre le résultat d'improbables études ! A cause de querelles qui opposent les deux structures depuis des années, les personnels ne travaillent pas assez ensemble. Il est temps de faire jouer les synergies. Songez, encore une fois, à ce que fait le MITI japonais pour ses entreprises, à l'accompagnement que les Allemands offrent aux leurs, au travers de leurs ambassades. C'est une bonne initiative que d'avoir rapproché le Commerce extérieur des Affaires étrangères, mais il faut maintenant la concrétiser ! Tournez-vous vers les opérateurs, plutôt que de faire travailler des énarques sans doute très compétents, mais auxquels manque l'expérience industrielle. Prenez l'avis de ceux qui ont fait, et pas seulement de ceux qui ont lu ! Ce n'est d'ailleurs pas une critique que j'adresse à ce seul Gouvernement.
Un mot, pour terminer. J'assistais à un congrès des notaires, samedi, dans ma région...
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Pas besoin d'être grand clerc pour deviner quel en était le sujet...
M. Alain Chatillon. - ...et j'ai eu la surprise d'apprendre qu'il avait été décidé de prolonger l'augmentation de 0,70 % des droits de mutation. Arrêtons donc de taxer ! Et simplifions les procédures. Un patron de TPE, qui doit être en relation avec pas moins de 38 organismes, consacre 35 % de son temps à répondre à l'administration. Nous avons proposé depuis des mois, avec Eric Doligé, qu'une box soit créée où les entreprises pourraient transférer toutes les informations qu'on leur demande. Cela nous est refusé ! Il est temps de changer de braquet, et de passer à la vitesse supérieure, car je peux vous dire que les Allemands ne nous attendent pas pour avancer.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Pour prolonger ce qu'a dit Martial Bourquin sur la transparence, peut-être pourriez-vous nous en dire un peu plus, monsieur le ministre, sur le comité de suivi stratégique auquel participent des parlementaires, dont je suis.
M. Matthias Fekl, secrétaire d'Etat. - Je partage, sur cette question, le constat de Martial Bourquin. On ne peut plus admettre que les négociations commerciales restent opaques ; il faut bâtir un agenda concret en vue de la transparence. Nicole Bricq y a beaucoup travaillé ; c'est elle qui avait mis en place le comité de suivi stratégique, pour rendre compte régulièrement aux parlementaires. Dans le prolongement de son action, j'ai voulu que ce comité accueille officiellement des représentants de la société civile - associations, syndicats, fédérations professionnelles - réunies dans un collège distinct de celui des parlementaires. Dès lors qu'il vous reviendra de vous prononcer en dernière instance, il est normal que vous soyez informés en temps réel, et je suis prêt à venir devant vous chaque fois que vous le souhaiterez, en particulier en amont des conseils européens.
Nous entendons faire de ce comité de suivi stratégique un lieu de travail, où tous les sujets de préoccupation pourront être mis à l'ordre du jour. Nous rendrons également davantage d'informations publiques sur les pages internet du Quai d'Orsay. Le Gouvernement français a été le premier à demander la transparence sur le mandat de négociation, et la présidence italienne de l'Union européenne en a fait une priorité. Ce ne fut pas simple, il a fallu beaucoup insister pour que l'on finisse par avancer. Mais la publication officielle des termes de ce mandat n'est, pour moi, qu'un début ; il faut aller beaucoup plus loin. Le chantier est immense. Il faut contraindre tous ceux qui négocient à mettre l'information sur la table. La France ne peut être seule à le faire, ce ne serait pas rendre service au pays. C'est pourquoi le Gouvernement est animé d'une détermination absolue pour avancer avec tous ses partenaires, en Europe et dans le monde. C'est là un vrai chantier pour le XXIème siècle : un travail d'appropriation, par les citoyens, du débat démocratique.
S'agissant de la fusion entre UbiFrance et l'AFII, je partage, Elisabeth Lamure, votre constat. Il faut aller plus loin, et c'est ce que nous entendons faire avec la Sopexa. Nous attendons les conclusions de la mission en cours pour disposer d'un diagnostic précis. Nous avons tous constaté combien les préoccupations des entreprises sont avant tout concrètes. La fusion des deux entités constitue une étape importante dans la réponse que nous entendons leur apporter. Afin de l'accompagner, 5 millions seront nécessaires, qui n'étaient pas prévus dans la version initiale du projet de loi de finances. Il faudra les dégager courant 2015. Une telle dépense n'a rien d'anormal : toute fusion a d'abord un coût, avant de dégager, à terme, des économies, ainsi que j'ai pu le constater lorsque j'ai eu à engager, auprès d'Alain Rousset, celle des agences de développement économique de la région Aquitaine.
Sur le CICE, je suis prêt à regarder de près si l'on peut mieux faire pour l'export, mais la position du Gouvernement est claire : priorité est donnée à la stabilité du dispositif.
Je vous rejoins sur les PME. L'accompagnement compte beaucoup, et il peut leur être très utile de s'adosser aux grands groupes. Cela passe par une meilleure structuration des filières, afin que les sous-traitants aient une relation plus étroite et plus prévisible avec leurs donneurs d'ordres.
M. Alain Chatillon. - C'est précisément le rôle des pôles de compétitivité.
M. Matthias Fekl, secrétaire d'Etat. - C'est leur rôle en effet, et beaucoup y travaillent. Il y a eu des avancées, mais on peut encore mieux faire.
Martial Bourquin connaît parfaitement bien les problématiques industrielles de notre pays. Il sait que les performances à l'export sont directement liées à la situation de notre industrie. D'où la nécessité de mener les réformes en cours et d'être ambitieux dans l'identification des filières d'excellence. Je fais mienne la stratégie engagée par Nicole Bricq, déployée autour de grandes familles à l'export - tourisme, urbanisme, santé...
Les services publics sont officiellement exclus du mandat de négociation sur le TAFTA. Quant aux tribunaux d'arbitrage, la France n'a pas été demandeuse et ils ont été inclus au mandat avant que ce Gouvernement n'arrive aux affaires - mais là n'est pas l'essentiel. Ce qui importe, c'est de préserver le droit des Etats à édicter des normes et à en assurer l'application, le principe de l'indépendance et de l'impartialité de la justice ainsi que la capacité des peuples à faire valoir leurs préférences collectives. Nous ne voulons pas manger du poulet chloré ou du boeuf aux hormones et souhaitons continuer à produire et à consommer nos produits de terroir. Le Gouvernement est très offensif sur ce point.
Il est normal, Alain Chatillon, qu'un effort budgétaire soit demandé aux pôles de compétitivité, comme on le demande à tous les opérateurs de l'État.
Nous sommes tous d'accord sur la nécessité de rationaliser notre dispositif d'aide à l'export, mais je souhaite rendre hommage à ceux qui y travaillent. Les équipes font de leur mieux, en France et à l'étranger, pour aider les entreprises. Ce qui reste difficile, pour nos PME, c'est d'identifier la bonne porte d'entrée.
M. Alain Chatillon. - Vous ne m'avez pas répondu sur la Coface, outil déterminant à l'export.
Par ailleurs, depuis dix-huit ans, les industriels, dont je suis, militent pour pouvoir embaucher en alternance, à l'étranger, des jeunes issus des écoles de commerce. Ce serait plus efficace et moins cher.
Je vous rappelle enfin, s'agissant des pôles de compétitivité, que l'aide de l'État à celui consacré à l'agro-alimentaire, qui rayonne dans votre région qui est aussi la mienne, et que je connais bien pour l'avoir présidé sept ans durant, s'élève en tout et pour tout à 80 000 euros. Qu'on ne nous dise pas qu'il faut encore faire des économies, alors que ce pôle aide 350 entreprises de l'agro-alimentaire, qui représentent, avec les agriculteurs de nos deux régions, 200 000 emplois. Ce serait une ânerie !
M. Yannick Vaugrenard. - Monsieur le Ministre, merci, de vos précisions sur l'accord entre l'Union européenne et le Canada. Disposer d'une information complète est essentiel, tant aux parlementaires qu'à l'opinion publique. Qu'un manque d'information, attisé par la crainte de l'avenir conduise le pays à un repli sur soi serait dramatique. De ce point de vue, l'élargissement du comité de suivi stratégique est une excellente initiative. Il nous sera également utile d'avoir avec vous des points d'étape, ne serait-ce que pour prévenir des inquiétudes nées d'un simple manque d'information.
Je rappelle que les mille plus gros exportateurs réalisent à eux seuls plus de 70 % des ventes à l'international. Ces mille exportateurs représentent 1 % des entreprises exportatrices, tandis près de 90 % des exportateurs sont des PME, et ne comptent que pour 14 % des exportations. Tout est dit. Nos PME peinent à atteindre la dimension d'entreprises de taille intermédiaire, d'où l'impérieuse nécessité de simplifier, et de parer aux effets de seuil. Ne pensez-vous pas qu'il serait bon que les partenaires sociaux s'emparent du sujet, afin de mettre les choses à plat ?
Certaines collectivités, départements ou régions, sont actives à l'international, mais agissent en ordre dispersé. Quand on se tourne vers un pays comme la Chine, qui nous regarde, et a fortiori à l'échelle régionale, comme des nains, mieux vaut, comme on dit, « chasser en meute » : il serait donc utile que les régions - je pense au grand ouest, mais aussi à d'autres ensembles - se regroupent pour s'adresser aux décideurs étrangers.
Développer le tourisme, c'est aussi développer le tourisme industriel et je pense notamment à la construction navale. Les chantiers de Nantes-Saint-Nazaire sont en train de construire le plus grand paquebot au monde : le tourisme industriel y connait un succès remarquable, et il en va de même pour l'agro-alimentaire.
M. Bruno Sido. - Le rattachement du Commerce extérieur aux Affaires étrangères est une très bonne chose. M. Fabius semble d'ailleurs très impliqué sur le tourisme, ce qui est de nature à faire bouger les lignes.
Cependant, je me demande si nos ambassadeurs, restés jusqu'à présent très éloignés de ce qu'ils considèrent peut-être encore parfois comme de simples contingences, sont assez mobilisés autour du commerce extérieur.
Le commerce extérieur doit aussi s'appuyer, avez-vous dit, sur les régions. La réforme territoriale, qui les agrandit, est-elle propre à répondre à ce voeu ? Combien de temps mettront-elles à s'adapter à leur nouvelle taille ? Arriveront-elles à suivre ?
Vous comptez sur les effets des réformes structurelles engagées en faveur de la compétitivité. Quelles sont celles qui sont spécifiques au commerce extérieur ?
Alors que l'agriculture française a longtemps occupé le premier rang en Europe, les Allemands nous ont désormais dépassés pour le chiffre d'affaires à l'export. Alors que les mêmes règles s'appliquent à nos deux pays, comment expliquer que la France ait ainsi rétrogradé ?
Dernière question, enfin : livrerons-nous les Mistral aux Russes ?
M. Gérard César. - Je tiens à souligner le rôle exemplaire que joue UbiFrance. Pourquoi changer son nom ? Je sais bien que le changement d'appellation est aujourd'hui une mode, y compris en politique, mais enfin... Comme vous l'avez souligné, le rôle d'UbiFrance sera de fédérer les acteurs - régions, départements, chambres de commerce et d'industrie, chambres d'agriculture. N'oublions pas le volontariat international en entreprise, qui mérite d'être soutenu à bien des titres.
Enfin, on a besoin, en matière de diplomatie économique, d'un chef de file et Laurent Fabius nous a indiqué qu'il entendait fédérer les missions économiques autour des ambassadeurs. Pourquoi pas... à condition qu'ils sachent évoluer et je reconnais que certains ont déjà su le faire, je tiens à le souligner.
M. Henri Tandonnet. - Je reviens sur la négociation en cours avec les États-Unis. Le mandat de négociation de l'Union européenne a été publié, et les États membres s'accordent à voir dans le futur traité un accord mixte. Fort bien. Mais au-delà, quels mécanismes permettent au Gouvernement français de suivre les négociations ? Comment le ministère de l'agriculture, par exemple, peut-il s'assurer que la négociation préserve les intérêts de nos agriculteurs ?
Le débat sur le mécanisme d'arbitrage traduit une lutte d'influence entre deux approches du droit, d'un côté, celle du système anglo-saxon, qui inspire ces tribunaux, et de l'autre côté, la tradition latine, que nous partageons avec nos amis allemands, davantage appuyée sur le droit écrit. Beaucoup dépendra de l'issue de ce combat. Le parallèle est sans doute osé, mais je m'étonne, du même coup, que le Gouvernement entreprenne de remettre en cause le statut des notaires, des géomètres, au moment même où de nombreux pays, comme la Chine, commencent à s'intéresser à ce système de professions réglementées, pour la sécurité juridique qu'elles apportent, notamment en matière de transactions immobilières.
M. Michel Le Scouarnec. - Sur le terrain, les petits producteurs nous ont tous exprimé leurs inquiétudes face aux négociations en cours. Et l'on peut craindre, de fait, que les multinationales n'en sortent grandes gagnantes. On nous assure que le traité devra être ratifié par le Parlement : mais lorsque le « paquet » nous arrivera, il sera sans nul doute bien ficelé et pourra-t-on encore changer la donne ?
A-t-on songé qu'avec ce traité, on va voir des produits de toutes sortes franchir des milliers de kilomètres ? Que restera-t-il du développement durable, de l'objectif de réduction de la consommation d'énergie et de l'émission de gaz à effet de serre ? Il y a là un paradoxe. (M. Alain Chatillon approuve). Les services publics, nous dites-vous, sont exclus de la négociation. Mais cet accord aura des effets si puissants que l'on peut se demander s'ils seront longtemps protégés...
M. Franck Montaugé. - Je veux ici porter la voix des territoires ruraux. Si je souscris à vos orientations stratégiques en matière de tourisme, j'attire néanmoins l'attention sur les pôles d'excellence dont vous avez parlé, en citant l'exemple de celui qui s'est constitué autour du Mont-Saint-Michel. Il serait bon, à mon sens, de mener de telles démarches à vaste échelle, peut-être celle des régions, afin d'associer l'ensemble des acteurs de terrain, depuis la métropole jusqu'aux territoires ruraux, depuis les professionnels de l'hôtellerie et de la restauration jusqu'aux coopératives de l'agro-alimentaire de nos zones rurales. Est-ce la méthode que vous entendez retenir ? Il serait regrettable qu'un tel dispositif ne fonctionne qu'autour de quelques acteurs, sur des périmètres réduits.
M. Matthias Fekl, secrétaire d'Etat. - Oui, Alain Chatillon, il faut faire connaître les possibilités qu'offre la Coface, mais aussi coordonner l'action des opérateurs sur le terrain. Nous entendons y parvenir en faisant travailler les équipes de la Coface et celles d'UbiFrance, sur le terrain, main dans la main. Ce sera le rôle des chargés d'affaires internationaux, une quarantaine sur l'ensemble du territoire, que d'offrir ce guichet unique vers la couverture assurantielle, les financements, le conseil à l'export.
M. Alain Chatillon. - Quand seront-ils en place ?
M. Matthias Fekl, secrétaire d'Etat. - Début 2015.
M. Alain Chatillon. - Et entretemps ?
M. Matthias Fekl, secrétaire d'Etat. - On ne part pas de rien ! Nous essayons simplement de lever des difficultés.
M. Alain Chatillon. - La Coface fonctionnait très bien il y a dix ans. Aujourd'hui, les PME se retrouvent face à un mur, alors qu'elles ont à résoudre des problèmes que ne connaissent pas les grandes entreprises.
M. Matthias Fekl, secrétaire d'Etat. - Nous sommes d'accord, d'où nos efforts pour lever les obstacles. Si vous songez à des difficultés spécifiques, je suis prêt à examiner avec mes services tous les dossiers dont je serai saisi.
J'approuve les propos de Yannick Vaugrenard : il faut « chasser en meute », repérer les entreprises pour les réunir autour de la région, et emmener les PME dans le sillage des grands groupes, qui ont l'expérience de l'international et peuvent leur ouvrir des portes. C'est ce à quoi je veille dans tous mes déplacements officiels. En Chine, un dirigeant de PME m'a dit que cela lui avait fait gagner deux ans.
Vous avez évoqué la question des seuils. Nous devons, en effet, aider nos entreprises à croître, nos PME à devenir des ETI. On y parviendra aussi en renforçant la participation des salariés à tous les niveaux, et en les associant aux décisions stratégiques. Cela fonctionne très bien dans d'autres pays. Le ministre du travail s'est attelé à la tâche, en lien avec les partenaires sociaux. C'est en s'y prenant ainsi que l'on règlera le problème des seuils.
En matière de tourisme industriel et de patrimoine industriel, il y a des choses magnifiques à faire, qui permettront d'irriguer tout le pays plutôt que de laisser l'activité se concentrer dans quelques sites prestigieux. En matière de tourisme rural aussi. Telle est l'idée des pôles d'excellence : identifier, dans les territoires, ceux qui ont des compétences, pour que les recettes qui marchent puissent être transposées ailleurs.
Laurent Fabius, ainsi que vous l'avez souligné, Bruno Sido, prend le sujet du tourisme très à coeur. La diplomatie française est susceptible de faire bouger les lignes dans bien des domaines. N'oublions jamais que la France est l'un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'Onu, et qu'elle mène, dans le monde, une action diplomatique importante et attendue. Beaucoup de nos ambassadeurs sont totalement mobilisés autour de la diplomatie économique. Ils connaissent bien le tissu économique du pays dans lequel ils sont en poste, et vont à l'offensive pour débusquer les opportunités.
L'un des objectifs de la réforme territoriale est bien de consolider les régions, pour qu'elles atteignent la taille critique nécessaire pour peser, y compris dans la compétition européenne.
C'est l'ensemble des réformes structurelles conduites par ce Gouvernement en faveur de la compétitivité économique qui renforce notre commerce extérieur. S'il en est une qui soit spécifique à mon portefeuille, c'est sans doute la priorité donnée aux PME.
Notre agriculture n'a pas rétrogradé, elle est parmi les plus performantes du monde. Elle est innovante et dégage des excédents commerciaux. L'Allemagne est devant nous ? Mais elle l'est dans bien des domaines économiques. Il est bon de prendre exemple sur ce qui fonctionne bien outre-Rhin - les PME, l'innovation - sans en faire béatement un modèle en tout. Il y a aussi beaucoup de choses, en Allemagne, qui ne fonctionnent pas si bien que cela.
Le Président de la République a indiqué qu'il prendrait sa décision sur les Mistral entre fin novembre et début décembre, en tenant compte de la réalité des contrats et notamment de la soumission ou non des cocontractants à sanction.
Nous changeons le nom d'UbiFrance, Gérard César, parce que nous changeons l'opérateur. Ce nouvel opérateur aura vocation à s'occuper de l'export et des investissements ; ce sera un nouvel outil, doté de nouvelles missions. Je partage votre constat sur le VIE, qui favorise le multilinguisme et salue, comme vous, l'action souvent remarquable de nos ambassadeurs en matière économique.
Vous avez raison de souligner, Henri Tandonnet, la lutte d'influence qui se joue entre le droit anglo-saxon et le droit d'inspiration latine. C'est un grand combat dans le monde d'aujourd'hui. Il est vrai que l'arbitrage n'est pas dans la tradition latine. Je vous laisse, en revanche, la responsabilité du parallèle que vous établissez avec le débat sur les professions réglementées.
Sur la négociation, menée par la Commission européenne, tous nos services sont mobilisés. Nos ambassadeurs à Bruxelles la suivent pas à pas dans le cadre du Comité des représentants permanents, le Coreper. La direction du Trésor et toutes les directions concernées dans les différents ministères entretiennent des échanges permanents sur les questions qui relèvent de leur compétence. C'est aussi le cas des représentants du Gouvernement. Je rencontre régulièrement, quant à moi, mes homologues européens, et je m'entretiendrai prochainement avec la commissaire au commerce, Cécilia Malmström.
Je crois, Franck Montaugé, avoir répondu à votre question sur le tourisme. Quant à la négociation sur le TAFTA, soyez assuré que nous restons attentifs, tant sur le sujet des services publics, exclus du mandat, mais auquel nous veillons, qu'en matière de santé, d'environnement et d'alimentation, afin de faire prévaloir nos choix. Je suis totalement ouvert au débat. Il y a des craintes que je partage, d'autres que je ne partage pas. Ce qui importe, à mon sens, c'est de lever les craintes infondées et de nous mobiliser autour celles qui sont fondées, en bâtissant avec nos partenaires européens des positions communes.
M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je vous remercie de ces éclairages. Il me semble utile de prévoir, ainsi que vous nous l'avez proposé, des rencontres privilégiées à la veille des grands rendez-vous européens.
Source http://www.senat.fr, le 21 novembre 2014