Déclaration de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, sur la lutte contre les stéréotypes et les actions en faveur de l'émancipation des femmes, Paris le 20 octobre 2014.

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Je suis heureuse de vous accueillir aujourd'hui au ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes pour la remise de votre rapport sur la lutte contre les stéréotypes de sexe auquel vous avez beaucoup travaillé.
Comme à son habitude, le Haut Conseil remet aujourd'hui un rapport important, non seulement par le sujet qu'il aborde, les stéréotypes, mais aussi par l'angle novateur sous lequel il l'aborde : l'éga-conditionnalité, soit le conditionnement des financements publics au respect de l'égalité.
Vous rappelez d'abord que les stéréotypes sont des pièges. Des pièges de la pensée, qui enferment les individus en fonction de leur sexe dans des caricatures, des schémas, des représentations, des normes de comportement ou des catégories. Or les femmes ne sont pas une catégorie. Parce que les stéréotypes assignent les femmes à une place différente de celle des hommes, ils cristallisent une hiérarchie, une inégalité fondamentale, universelle, quasi-originelle, que Françoise HERITIER a si bien décrite dans ses travaux.
Voilà la raison majeure pour laquelle nous devons lutter sans relâche contre les stéréotypes. Parce que sans ces stéréotypes de sexe, chaque individu - femme ou homme - serait un peu plus libre. Mon combat est celui de l'émancipation des femmes et les stéréotypes sont un obstacle sur le chemin de cette émancipation.
Bien sûr, cela n'est pas suffisant et les stéréotypes légitiment les inégalités plus qu'ils ne les créent. Mais ce que votre rapport montre bien, c'est que les stéréotypes sont partout. Il était donc nécessaire que nous disposions enfin d'une analyse globale sur les stéréotypes, leurs manifestations comme leurs conséquences.
Les études sectorielles qui ont été produites sur ce sujet sont très utiles parce qu'elles ont permis de mettre en lumière de nouveaux champs d'action. Je salue notamment Sylvie PIERRE-BROSSOLETTE qui, au Conseil supérieur de l'audiovisuel, fait régulièrement analyser les fictions, les divertissements, les séries d'animation ainsi que les émissions d'information. Je salue également Brigitte GRESY, qui, en tant que Secrétaire générale du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle, défriche avec les partenaires sociaux le sujet du sexisme dans les relations professionnelles.
Votre rapport est un premier outil pour une politique globale, puisqu'il aborde les médias, la communication institutionnelle et les manuels scolaires. Vous proposez d'aller plus loin, avec l'institution d'un rapport biannuel sur l'état du sexisme en France. Je souhaite que votre Haut Conseil puisse piloter l'élaboration de ce rapport, en lien avec les instances concernées, comme la commission nationale consultative des droits de l'homme et le conseil supérieur de l'égalité professionnelle : vous serez formellement saisis dans les semaines qui viennent et je souhaite que vous me remettiez de premiers travaux au dernier trimestre de l'année 2015.
Bien évidemment, nous ne pouvons en rester aux constats. Face aux stéréotypes, nous devons agir fermement, avec détermination et cohérence, toujours en lien avec les acteurs concernés.
Lutter contre les stéréotypes implique d'abord que les acteurs bénéficient d'un cadre commun de compréhension et qu'ils maitrisent un socle de connaissances et de savoir-faire. La formation à ces enjeux, dans notre pays, est faible. Pourtant, le besoin est important et doit trouver des réponses car, selon nous, l'égalité femmes-hommes est une politique publique à part entière. Ces réponses doivent être encouragées mais aussi encadrées.
La première des réponses repose sur la formation initiale. Les études, formations et qualifications relatives aux politiques publiques d'égalité et aux enjeux de genre se développent et c'est une très bonne chose. Mais les besoins comme l'offre de formation vont bien au-delà de la seule formation initiale et nous devons encourager son institutionnalisation et sa professionnalisation.
Le fil rouge de votre rapport est le conditionnement des financements publics. Depuis mai 2012, l'égalité femmes-hommes a bénéficié d'un engagement politique et budgétaire sans précédent et d'un pilotage interministériel indispensable. Cette année encore et en ce moment même nous renouvelons les conférences de l'égalité : chaque ministère est reçu pour faire le point sur la mise en oeuvre de ses actions en faveur des droits des femmes et sur sa feuille de route pour 2015. C'est le premier étage de la politique intégrée de l'égalité.
Le second étage de cette politique est bien la sensibilité à l'égalité entre les femmes et les hommes dans la construction des budgets publics.
La France, dans ce domaine, a accusé un certain retard alors que le Conseil de l'Europe s'y intéresse depuis les années 1980 et que l'Union européenne a pris plusieurs initiatives il y a maintenant dix ans. Bien entendu, nous ne partons pas de rien puisque des collectivités territoriales s'y sont engagées. Depuis la loi du 4 août 2014, le respect de l'égalité est une condition pour soumissionner aux marchés publics, preuve que l'Etat rejoint lui aussi le mouvement. C'est une démarche complexe, encore embryonnaire, qui requiert d'abord le développement d'une expertise à laquelle travaille l'Institut national des études territoriales. Je souhaite, dans un premier temps, que soit fait un recensement des initiatives qui mettent en oeuvre cette approche budgétaire intégrée.
Je souhaite également vous dire que l'approche budgétaire ne fait pas tout. Beaucoup peut aussi être fait par des actions de sensibilisation, d'accompagnement, en comptant sur la volonté des acteurs les plus engagés. Ils initient, dans chacun de leurs secteurs, un mouvement nouveau et irréversible en faveur des droits des femmes. Cela n'est évidemment possible qu'{ la condition qu'ils bénéficient d'un soutien au plus haut niveau et des moyens et outils nécessaires. C'est pourquoi je crois que commencer par définir un cadre de référence pour une communication institutionnelle non stéréotypée est la bonne méthode. Vous souhaitez travailler { l'élaboration de ce cadre ; je vous en remercie car je sais que vous serez vigilants à y associer les collectivités et les associations d'élus.
Il est nécessaire d'outiller les acteurs. Les actions menées dans le domaine des médias illustrent ce constat. Ce n'est évidemment pas un domaine mineur, tant les médias font désormais partie du quotidien de chacune et de chacun d'entre nous. Ils montrent souvent une réalité fantasmée ou transformée. Au-delà de la sous-représentation des femmes { l'écran, les stéréotypes sont légion : je pense aux représentations archaïques des femmes et de la famille, mais aussi aux atteintes à la dignité des femmes. La loi pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes a renforcé les pouvoirs du CSA et les obligations des chaines en la matière. Les outils juridiques sont là, nous devons désormais nous attacher à ce qu'ils soient appliqués.
Comme vous, je pense que nous devons développer tous les outils pratiques nécessaires, à commencer par des indicateurs pour tous les types de programmes. Je crois également qu'il faut rapprocher les instances de régulation de la société civile et des associations de défense des droits des femmes. Je suis favorable à ce que des associations dont l'objet est la défense de la dignité des femmes dans la publicité fassent leur entrée dans l'Autorité de régulation de la publicité, dans le respect de son indépendance. Cette instance doit d'ailleurs être mieux connue, pour être davantage saisie par les citoyennes et citoyens.
Je terminerai par la question des manuels scolaires. La réalité est que les femmes y sont sous-représentées et que les stéréotypes y persistent. Nous avons encore des manuels d'histoire qui décrivent l'histoire des hommes par les hommes. Rendre invisibles les femmes, ou ne pas mettre en perspective les inégalités séculaires qui ont exclu les femmes de la sphère publique, ce n'est pas anodin. Nous transmettons malheureusement aux filles comme aux garçons le message que le pouvoir, la science, le succès, l'intelligence, le talent sont des qualités masculines.
Il n'est pas de la responsabilité de l'Etat d'écrire les manuels scolaires. Cette mission incombe aux éditeurs et aux auteurs. Il n'est pas non plus de la responsabilité de l'Etat de choisir les manuels. Cette mission incombe aux enseignants. Néanmoins, il est des leviers qui appartiennent { l'Etat. Le premier d'entre eux est la refonte des programmes. Ce travail a été engagé par le ministère de l'éducation nationale. La commande faite au Conseil supérieur des programmes est claire : il doit intégrer l'égalité femmes-hommes dans ses réflexions et ses propositions.
Le second levier est la formation des enseignants. Vous le savez, c'est la priorité du plan d'action pour l'égalité filles-garçons à l'école, présenté en juin.
Enfin, si les manuels scolaires ont progressivement évolué, même si ce n'est pas encore suffisant, c'est aussi grâce { l'action des associations et centres de ressources. Je salue ici le travail mené par le Centre Hubertine Auclert qui analyse chaque année les manuels d'une matière afin de construire un constat partagé avec les éditeurs et tous les acteurs concernés. Parce qu'elles contribuent à la sensibilisation et à la formation des éditeurs, ces actions doivent être encouragées et soutenues, et elles le seront.
Mesdames, messieurs, je salue une nouvelle fois pour la qualité de votre rapport et des recommandations que vous me soumettez aujourd'hui. Je m'engage { faciliter le travail de suivi de ces recommandations.
Je vous remercie.
Source http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr, le 14 novembre 2014