Texte intégral
PATRICK COHEN
Bonjour Laurent FABIUS.
LAURENT FABIUS
Bonjour. Ravi d'être avec vous.
PATRICK COHEN
Vous rentrez de Vienne. Sur le nucléaire iranien, Bernard GUETTA vient d'en parler, encore un échec, encore un report de la date butoir. C'est une déception ?
LAURENT FABIUS
J'ai une vision moins pessimiste que celle qui transparaissait à travers la rubrique de monsieur GUETTA. Bon, j'ai participé aux négociations bien sûr, on avait prévu qu'il y avait une date butoir hier à minuit. Les négociations se sont accélérées dans la dernière période, et je dois dire, pour avoir participé à cela depuis pas mal de temps, que la tonalité a été plutôt positive, même si l'accord n'a pas pu être conclu. Et c'est la raison pour laquelle
PATRICK COHEN
Qu'est-ce qui a manqué ?
LAURENT FABIUS
C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de reporter, avec une nouvelle période, jusqu'en mars, et possiblement en juin.
PATRICK COHEN
Qu'est-ce qui a manqué ?
LAURENT FABIUS
L'objectif, vous le connaissez. Le nucléaire civil, l'Iran a parfaitement le droit d'avoir tout le nucléaire civil qu'il souhaite, mais la bombe atomique non, parce que, évidemment, pour la sécurité de la région et du monde ce serait très dangereux. Alors, je ne vais pas entrer dans tous les détails, qui sont très techniques, mais il y avait trois discussions principales. D'abord, sur la limitation des capacités d'enrichissement, discussion très compliquée, mais j'ai trouvé qu'il y avait quand même un certain mouvement. Deuxièmement, la transformation d'un certain nombre de sites, le site qu'on appelle d'Arak, qui fonctionne à l'eau lourde, où là on a esquissé des solutions techniques, qui peuvent nous permettre de régler le problème, et puis le site enterré de Fordo, où là j'ai trouvé aussi quelques avancées. Et le dernier point, c'est toute la question de la vérification pour qu'on soit sûr qu'on n'est pas lésé dans cette affaire, et là aussi qu'il y avait un certain bougé. Donc, soyons précis, dans le premier accord intérimaire que nous avions signé, nous avons dit, et c'est confirmé, que tant que tout n'est pas réglé, rien n'est réglé, donc il faut un accord d'ensemble, mais la tonalité, et ça joue beaucoup, a été quand même plus positive que la dernière fois.
PATRICK COHEN
Donc ça vous laisse un espoir pour les mois prochains et ça vous permet de penser que l'Iran accepte ce que ce pays a refusé depuis des années ?
LAURENT FABIUS
On n'en n'est pas encore là, parce que, vous savez, le Diable est dans les détails, que ce soit en Iran, aux Etats-Unis, en Europe, en France, etc., mais il y a quand même une volonté d'essayer de trouver un accord, que je n'avais pas ressentie dans des négociations précédentes. Cela dit, je reste prudent. Cela dit, je reste prudent.
PATRICK COHEN
Donc il a manqué de temps, mais pas de volonté politique, en gros c'est ce que vous nous dites, c'est votre sentiment ?
LAURENT FABIUS
Oui, on pourrait présenter les choses ainsi. Alors, on me dira « mais écoutez, ça fait déjà 1 an que vous négociez, c'est une affaire qui traîne depuis 10 ans, est-ce que c'est à quelques jours près ? » Oui, mais il faut bien comprendre que dans une négociation comme celle-ci, il y a une accélération à la fin de la négociation, parce que les techniciens discutent, etc., et les politiques, décideurs, c'est à la fin qu'il y a des concessions de part et d'autre. Donc voilà. Tonalité plutôt positive, mais pas d'accord conclu.
PATRICK COHEN
Mais on pourrait déboucher, peut-être, dans les prochains mois, sauf, et Bernard GUETTA y faisait allusion, sauf si les Républicains, majoritaires au Congrès américain, décident de mettre fin à la plaisanterie en imposant de nouvelles sanctions à Téhéran. C'est un risque ?
LAURENT FABIUS
Oui, alors, évidemment c'est un risque, de la même façon que du côté iranien il peut y avoir aussi un mouvement symétrique.
PATRICK COHEN
Un raidissement.
LAURENT FABIUS
Maintenant, quand on entre dans la technique, le président des Etats-Unis dispose lui-même de pouvoirs, de lever ou de ne pas lever certaines sanctions, et le Congrès, lui, a d'autres pouvoirs. Je pense qu'il y a une occasion, peut-être, à saisir. Mais, faisons bien attention, c'est tellement complexe, tellement subtil, qu'il faut rester quand même très prudent.
PATRICK COHEN
Vendredi, à l'Assemblée nationale, va se dérouler un débat important, qui concerne la diplomatie française, les députés vont débattre de la reconnaissance de l'Etat de Palestine. C'est une bonne initiative Laurent FABIUS ?
LAURENT FABIUS
Alors, d'abord c'est une initiative qui juridiquement est régulière, puisqu'en vertu des changements qui ont eu lieu dans la Constitution le Parlement peut discuter de ça, mais, mais, mais, il faut qu'il soit bien clair, et ça l'est pour tout le monde, que autant le Parlement, en l'occurrence c'est l'Assemblée nationale, peut voter des invitations à quelque chose, autant la décision relève du gouvernement, du président de la République, et eux seuls.
PATRICK COHEN
Le texte de la résolution c'est « on invite le gouvernement à reconnaître l'Etat de Palestine. »
LAURENT FABIUS
Oui, donc il n'y a aucune injonction, donc soyons clairs là-dessus. Non, non, c'est clair et c'est net. Cela dit, pourquoi est-ce que vous avez dans plusieurs pays le même mouvement, puisque vous avez eu ce mouvement là en Angleterre, en Espagne, en Suède, etc. ? C'est parce que la situation est complètement bloquée là-bas, et dramatique, et donc vous avez dans les opinions publiques, et dans les Parlements, des débats. Je m'exprimerai au nom du gouvernement vendredi matin. Sur la question de principe, de la reconnaissance d'un Etat Palestinien, la position de la France a toujours été, y compris depuis 1947, qu'il fallait qu'il y ait deux Etats. A partir du moment où il y a deux Etats, on a reconnu Israël, il faudra reconnaître la Palestine. La question ce n'est pas, donc, sur le principe, c'est sur les modalités, et là il y a toute une série de discussions, et j'aurai l'occasion de dire quelle est la position de la France.
PATRICK COHEN
C'est-à-dire, modalités ? Une question d'opportunité, est-ce que c'est le bon moment, est-ce que c'est
LAURENT FABIUS
Non, de modalités. C'est-à-dire, jusqu'à présent, si vous voulez, il a toujours été dit « c'est dans le cadre d'une négociation que, le moment venu, il y aura la reconnaissance », et ça se comprend très bien, parce que pour que la reconnaissance soit effective il faut aussi que du côté d'Israël il y ait un certain nombre d'éléments. Mais
PATRICK COHEN
Oui, mais le processus de paix est mort aujourd'hui.
LAURENT FABIUS
Mais comme la négociation n'a pas lieu, on se trouve dans une espèce de butoir, de voie sans issue. Et donc, la France, avec d'autres partenaires, essaye d'avoir une action sur trois fronts, d'une part aux Nations Unies, pour voir si on ne peut pas trouver une résolution qui permette à tout le monde de se rassembler. Ensuite, nous sommes favorables à l'idée d'une conférence internationale, parce que ce qu'on constate, si vous voulez, c'est que les parties, c'est-à-dire Israël et la Palestine, discutent, mais lorsqu'ils arrivent au bout de la discussion, historiquement ils n'arrivent plus à se mettre d'accord, et donc il faut qu'il y ait un accompagnement international, et c'est dans ce cadre que peut intervenir, le moment venu, la reconnaissance. Donc, j'aurai l'occasion d'expliquer tout cela, mais, je le répète, et qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, c'est au gouvernement et au président de la République à faire, le moment venu, la décision.
PATRICK COHEN
Le moment venu ça veut
LAURENT FABIUS
Non, je viens de vous expliquer
PATRICK COHEN
Le moment venu ça ne veut pas dire forcément dans les jours ou les semaines qui suivront, qui suivraient, le vote d'une résolution par le Parlement français.
LAURENT FABIUS
Bien sûr, non, non, pas du tout nécessairement, c'est une question d'opportunité politique.
PATRICK COHEN
Mais, certains indices expliquent que l'Etat Palestinien aujourd'hui, parce que ça ce sont des résolutions diplomatiques, mais sur le terrain, dans la réalité des faits, beaucoup expliquent que l'Etat palestinien n'est plus possible, la colonisation israélienne a rendu la situation irréversible, avec 380.00 colons présents dans les territoires palestiniens.
LAURENT FABIUS
Bien sûr. C'est une des raisons pour lesquelles la colonisation, qui est jugée illégale en droit international, est critiquée, même condamnée, par la communauté internationale. Parce que, la solution est celle des deux Etats, mais à partir du moment où il y a, sur le terrain, des avancées de la colonisation, il arrive à un moment, et ce moment peut se rapprocher, où c'est de plus en plus, concrètement, difficile. Donc, si on veut vraiment la paix, on a besoin des deux Etats, et si on a besoin des deux Etats, il faut que les conditions pratiques soient remplies.
PATRICK COHEN
Et vous l'auriez votée, comme député, cette résolution, Laurent FABIUS ?
LAURENT FABIUS
J'avais déposé il y a quelques années, enfin quand j'étais parlementaire, un projet qui était très voisin, mais déjà à l'époque je savais, parce que je connais ma Constitution, que c'est au gouvernement et au président de la République à prendre la décision. J'insiste.
PATRICK COHEN
Sur les relations avec la Russie. La livraison des navires Mistral est toujours en suspens, Moscou menace la France de réclamations financières. Quelle est la date limite que vous vous fixez pour décider oui ou non ?
LAURENT FABIUS
La date limite elle est fixée par le contrat, il y a des dispositions contractuelles, que je n'ai pas à exposer ici, mais nous considérons que les conditions d'une livraison ne sont pas réunies, pour des raisons évidentes aujourd'hui, quand vous regardez ce qui se passe en Ukraine. Et d'ailleurs je profite, puisque vous posez la question, de dire qu'il y a des questions qui se posent des deux côtés. Du côté russe il y a une présence russe, soit directe, soit par séparatistes interposés, qui n'est pas acceptable, mais, je ne sais pas si vous avez vu dans les derniers jours, un certain nombre de déclarations du côté ukrainien, qui sont très problématiques. Lorsque les Ukrainiens disent qu'ils ne paieront plus les pensions des gens qui se trouvent à l'Est, ou lorsque le nouveau gouvernement dit « notre objectif maintenant c'est que l'Ukraine rejoigne l'OTAN », ça pose évidemment de gros problèmes. Donc, nous, nous restons fidèles, et j'en ai discuté bien sûr avec mon homologue russe qui était hier à Vienne, avec les Américains, avec d'autres, avec mon homologue allemand, nous voulons revenir à ce qu'on appelle les Accords de Minsk, qui ont été signés par tout le monde, et qui donnent une feuille de route pour retourner vers une situation de paix, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
PATRICK COHEN
Bon, et donc pas de décision dans l'immédiat ?
LAURENT FABIUS
Les conditions ne sont pas remplies pour livrer, c'est clair.
PATRICK COHEN
D'autres sujets internationaux avec vous dans quelques minutes Laurent FABIUS, et face aux auditeurs de France Inter. Un mot, tout de même, vous avez sûrement remarqué que dans la vie politique française les plus anciens ou les plus expérimentés sont à la mode. Vous avez 1 an de moins qu'Alain JUPPE, est-ce que son succès du moment vous donne des idées ou des envies ?
LAURENT FABIUS
(Rires) On en sourit souvent avec Alain JUPPE, puisque vous savez que nous nous connaissons amicalement, et... bon, on en sourit, parce qu'en regardant l'histoire, le passé, le futur. Souvent je rapporte mais n'en tirez aucune conséquence pour moi-même une anecdote qui amusait François MITTERRAND. Au fur et à mesure que François MITTERRAND prenait de l'âge, il disait « tout commence à 65 ans », et puis après il disait « tout commence à 70 ans », et après « tout commence à », et alors on voyait la figure de ceux qui avaient un petit peu moins d'âge, se décomposer, mais c'est une anecdote.
PATRICK COHEN
Ce n'est qu'une anecdote, évidemment.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 26 novembre 2014