Texte intégral
Q - Monsieur Védrine, dans dix minutes, c'est-à-dire à 8h30, vous quitterez Paris pour Rome. Les quinze Européens vont se réunir avant le Sommet du G8 de la fin de semaine. Gênes est déjà en état de siège. Les puissants du monde se retrouvent protégés par à peu près vingt mille hommes en armes, des barbelés, des missiles contre les anti-mondialisation. Est-ce que c'est un symbole, d'aujourd'hui, gouvernants contre citoyens ?
R - Cela fait quelques années qu'il y a, notamment dans le monde occidental, des mouvements anti-mondialisation qui se développent mais qui sont extrêmement variés. Il faut distinguer, d'une part, les casseurs qui se servent des manifestations et cela il faut l'empêcher, et, d'autre part, ceux qui manifestent vraiment avec parfois un paradoxe. Parce qu'une partie de ces mouvements prétend arrêter la mondialisation alors que la mondialisation et la globalisation ne s'arrêtent pas, c'est un phénomène technique aussi bien qu'autre chose, et qui comporte d'ailleurs de grands aspects positifs. Mais ils ont du mal à définir une alternative. Alors on peut respecter une partie des sentiments qui s'expriment dans ces mouvements, considérer que dans certains cas ils posent des vrais problèmes. On peut même admettre qu'ils peuvent servir d'aiguillon aux gouvernements qui essaient d'humaniser, comme nous le faisons, la mondialisation. Mais je crois qu'ils font un contresens dans beaucoup de cas. Ils manifestent contre des réunions qui précisément tentent d'humaniser ou bien d'organiser ou de réguler la mondialisation.
Q - Vous dites vous-même qu'il faut admettre "dans certains cas"... Les traitez-vous avec condescendance ?
R - Non, pas du tout.
Q - Est-ce qu'ils ont une légitimité ?
R - Ils la conquièrent par leur existence politique. Je ne parle pas des casseurs, encore une fois. Il y a manifestement quelque chose dans le monde entier - mais qui s'exprime plus dans les pays ultra développés - consistant à dire : "Ecoutez nous".
S'ils disent "on ne veut pas de mondialisation", que voulez-vous que l'on fasse avec cela ? Cela ne repose sur rien. Cela n'a pas de traduction pratique. S'ils disent : "on ne veut pas de cette mondialisation", alors là on peut discuter, on peut les écouter. Parce que le gouvernement français, par exemple, n'est pas d'accord avec n'importe quelle forme de mondialisation, avec n'importe quelle forme de dérégulation. Et si la globalisation n'est qu'une dérégulation, alors il y a quelque chose qui ne va pas. Parce que nous voulons nous-mêmes réguler la mondialisation, il y a donc matière à parler avec les plus logiques d'entre eux.
Q - Parler avec eux, avant ces Sommets ?
R - Tout le temps.
Q - Oui, mais en même temps leur mettre l'armée, des grillages, entre eux et vous ?
R - Mais c'est autre chose. Si eux-mêmes sont débordés par des éléments violents, s'ils veulent empêcher que des réunions se tiennent, légitimement, entre des gouvernements démocratiques, ce n'est pas possible.
Q - Les dirigeants de la planète avaient pris l'habitude de se rencontrer entre eux, à l'abri des regards et dans l'indifférence. On voit bien qu'aujourd'hui c'est fini ou cela va être fini.
R - Ce sont des idées qui circulent mais qui sont des idées reçues. Mais cela n'a jamais été à l'abri des regards. Il y a toujours eu un intérêt très grand. Ces sommets ont été inventés par M. Giscard d'Estaing en 1975 pour que les grands pays gèrent ensemble la première crise économique après le choc pétrolier et pour qu'il n'y ait pas de réaction discordante qui aggrave la crise au lieu de la corriger, la réguler. Cela a été un grand succès sur le plan de la coordination économique des grands pays. Puis après, ils se sont mis à parler des crises politiques et maintenant, depuis que l'on est dans le monde global, depuis la fin de l'URSS, on parle des problèmes globaux, le climat, la drogue, le Sida, etc. Mais cela n'a jamais été caché.
Q - Il y a des moments où vous vous réunissiez et je dirais que l'on s'en fichait un peu. Mais aujourd'hui, à cause de ces manifestations, tout le monde commence à tendre l'oreille, à regarder ce qui s'y fait. Le Pape lui-même s'y met. Il vient de dire que l'humanité toute entière doit bénéficier de la globalisation et il en appelle à un sursaut de nouvelles moralités.
R - Je parle des idées de fond, encore. A la fin des années 80, c'est François Mitterrand qui a utilisé les G7 pour lancer le mouvement qui s'est développé, amplifié, poursuivi par les autres responsables pour l'annulation de la dette des pays les plus pauvres. C'est dans cette enceinte du G7 que cette idée a pris naissance. C'est cette enceinte du G7 qui a permis, à un moment donné, d'ouvrir la porte à l'URSS, devenue Russie, pour accompagner sa transformation en un grand pays moderne. C'est pour cela que l'on appelle d'ailleurs G7-G8 selon les séances. Nous sommes les premiers à dire qu'il ne faut pas accepter n'importe quelle globalisation. Les Conseils européens peuvent servir d'élément de régulation. Et nous nous battons, nous Français, à l'intérieur, et le gouvernement français à l'intérieur du débat européen, pour qu'il en soit ainsi. Par exemple, à Göteborg, on parlait du développement durable. Les cycles de l'OMC c'est la même chose. On veut bien des cycles de régulation.
Q - C'est-à-dire maîtriser, humaniser la globalisation ?
R - Absolument. On ne veut pas de nouveaux cycles de dérégulation. Il y a donc un débat à l'intérieur de la mondialisation, parce que l'on ne veut pas n'importe quelle mondialisation.
Q - Gênes, c'est le premier test international de la fiabilité du gouvernement Berlusconi. Vous étiez presque tous, peut-être pas vous personnellement, mais presque tous réservés à son égard. Est-ce que M. Berlusconi va devenir fréquentable ?
R - Le problème ne s'est pas posé sur le plan de la fréquentation. Il a tout de suite été en Conseil européen et ses partenaires observent essentiellement ses actes, ses décisions en matière de politique économique, en matière de politique européenne.
Q - Mais vous l'acceptez au "Club" ?
R - Il a été élu par les Italiens. Nous n'avons pas eu à décider de l'accepter ou de ne pas l'accepter. Quoi que pensent les uns et les autres, il était là au Conseil européen de Göteborg, précisément, à côté des autres. Quant à la présidence du G7-G8, c'est très informel, ce n'est pas quelque chose qui donne un pouvoir d'orientation sur le fond. Ce qui compte c'est l'alchimie entre les dirigeants des 7 ou 8 grands pays qui sont là et qui doivent essayer de faire progresser la maîtrise des problèmes globaux et pas simplement laisser la globalisation sous sa forme la plus sauvage s'engouffrer et détruire n'importe quoi.
Q - Apparemment, en vous écoutant, c'est un problème qui vous passionne. On va parler du Proche-Orient. Cela recommence ou plutôt cela n'arrête pas. En quelques heures, hier, on a vu réapparaître des kamikazes, des représailles, des attaques palestiniennes au mortier, des bombardements israéliens. Est-ce que la seule vérité, c'est un état de guerre ? Plus de cessez-le feu, mais un état de guerre ?
R - On ne peut pas employer exactement le terme, parce qu'il n'y a pas plusieurs armées en présence. Mais, à part cela, la situation est mauvaise. Elle est mauvaise, elle est grave, elle est inquiétante.
Q - Et elle va durer, comme cela, tout l'été ?
R - Elle va durer tant qu'il n'y aura pas une véritable perspective politique pour en sortir. Les quinze ministres des Affaires étrangères de l'Europe se sont réunis lundi à Bruxelles et cette question va être retraitée par les dirigeants et à Gênes, demain et après-demain. Nous avons dit deux, trois choses très claires par rapport à cela. Il faut que les Israéliens acceptent que l'on puisse commencer à appliquer les conclusions de la Commission dite Mitchell, qui prévoit un processus pour en sortir. Nous n'avons que cela sous la main pour essayer de sortir de ce piège dans lequel sont enchevêtrés ces deux peuples. Il faut que les Palestiniens s'engagent encore plus dans la lutte contre la violence, et crédibilisent cette lutte contre la violence. Il faut que les Etats-Unis ne se désengagent pas, alors qu'ils sont vraiment entre les deux, il faut qu'ils se réengagent plus. Et nous avons ajouté, nous Européens, quelque chose de plus, en disant qu'il fallait de toute façon un mécanisme de surveillance impartial.
Q - Mais qu'est-ce que cela veut dire ? Et qui est l'arbitre impartial, M. Védrine ?
R - Cela ne peut pas être les Israéliens ou les Palestiniens, seuls, en tout cas.
Q - Est-ce que ce sont les Américains, est-ce que c'est l'Europe, est-ce que c'est l'ensemble ? Qui ? et qui serait accepté ?
R - Cela peut être ceux que vous dîtes. Mais cela ne peut pas être les Israéliens ou les Palestiniens, seuls, face à face, dans cette ambiance de haine grandissante et de peur panique. C'est totalement étonnant cette situation. Il faut donc cela et c'est dans l'intérêt des deux. C'est dans l'intérêt des Israéliens et je le redis, il faut que les Israéliens arrêtent d'accumuler les prétextes dilatoires pour que l'on ne puisse pas encore mettre en marche la Commission Mitchell.
Q - On dit, Hubert Védrine, qu'en Israël que la tentation est forte dans certains milieux et pas seulement militaires, de liquider Arafat ?
R - Cela a été un cheminement politique très long de la part des Israéliens, comme de la part des Palestiniens d'ailleurs, de reconnaître qu'ils avaient à parler avec le partenaire/adversaire et de reconnaître que, de toute façon, ils n'avaient pas le choix.
Q - Vous ne m'avez pas répondu à la question d'Arafat ?
R - Je vous réponds qu'ils doivent continuer à accepter de discuter avec leur partenaire et que ce n'est pas eux qui en choisissent le chef. Et que si certains d'entre eux, je ne sais pas d'où cela vient, de je ne sais quel organisme ou groupe, etc ont des pensées de ce type, elles seraient totalement folles. Les Israéliens ont besoin de pouvoir traiter avec un leader palestinien qui engage son peuple et réciproquement et ils n'ont pas, de part et d'autre, à fantasmer sur le remplacement de l'interlocuteur dont ils ne veulent pas. Ils ne peuvent pas sortir de là, après trop de morts, et trop de morts encore. ils doivent revenir à cela.
Q - Mais ils ne le comprennent pas. L'Europe répète ce que vous dîtes pas mais elle prêche dans le désert. N'êtes-vous pas fatigué de prêcher dans le désert ? Vous dîtes : "il faudrait qu'ils parlent, il y a une négociation nécessaire..."
R - Je sais, mais on n'a pas le droit de se décourager.
Q - Est-ce que M. Arafat, pour vous, tient ses promesses ou alors est-ce qu'il a encore une autorité ? Est-ce qu'il ment ou n'a-t-il plus d'autorité sur son pays ? Ou en tout cas sur ses hommes ?
R - Je pense qu'il a encore beaucoup d'autorité, en tout cas l'autorité que l'on peut avoir quand on est à la tête d'une organisation qui n'est pas vraiment un Etat, qui est asphyxiée par la politique de bouclage des Territoires, qui est affaiblie par les actions militaires visant à éliminer les uns après les autres ses cadres, ses différentes forces et que l'on ne peut pas lui demander qu'il ait le contrôle qu'il aurait dans un Etat normal dont la souveraineté serait établie et respectée. Donc, il y a une politique du pire ou une politique à courte vue. Mais les Israéliens ont besoin d'un Arafat fort, et Arafat doit traiter avec le Premier ministre que les Israéliens se choisissent librement et avec lequel nous parlons pour faire avancer les choses.
()./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 juillet 2001)
R - Cela fait quelques années qu'il y a, notamment dans le monde occidental, des mouvements anti-mondialisation qui se développent mais qui sont extrêmement variés. Il faut distinguer, d'une part, les casseurs qui se servent des manifestations et cela il faut l'empêcher, et, d'autre part, ceux qui manifestent vraiment avec parfois un paradoxe. Parce qu'une partie de ces mouvements prétend arrêter la mondialisation alors que la mondialisation et la globalisation ne s'arrêtent pas, c'est un phénomène technique aussi bien qu'autre chose, et qui comporte d'ailleurs de grands aspects positifs. Mais ils ont du mal à définir une alternative. Alors on peut respecter une partie des sentiments qui s'expriment dans ces mouvements, considérer que dans certains cas ils posent des vrais problèmes. On peut même admettre qu'ils peuvent servir d'aiguillon aux gouvernements qui essaient d'humaniser, comme nous le faisons, la mondialisation. Mais je crois qu'ils font un contresens dans beaucoup de cas. Ils manifestent contre des réunions qui précisément tentent d'humaniser ou bien d'organiser ou de réguler la mondialisation.
Q - Vous dites vous-même qu'il faut admettre "dans certains cas"... Les traitez-vous avec condescendance ?
R - Non, pas du tout.
Q - Est-ce qu'ils ont une légitimité ?
R - Ils la conquièrent par leur existence politique. Je ne parle pas des casseurs, encore une fois. Il y a manifestement quelque chose dans le monde entier - mais qui s'exprime plus dans les pays ultra développés - consistant à dire : "Ecoutez nous".
S'ils disent "on ne veut pas de mondialisation", que voulez-vous que l'on fasse avec cela ? Cela ne repose sur rien. Cela n'a pas de traduction pratique. S'ils disent : "on ne veut pas de cette mondialisation", alors là on peut discuter, on peut les écouter. Parce que le gouvernement français, par exemple, n'est pas d'accord avec n'importe quelle forme de mondialisation, avec n'importe quelle forme de dérégulation. Et si la globalisation n'est qu'une dérégulation, alors il y a quelque chose qui ne va pas. Parce que nous voulons nous-mêmes réguler la mondialisation, il y a donc matière à parler avec les plus logiques d'entre eux.
Q - Parler avec eux, avant ces Sommets ?
R - Tout le temps.
Q - Oui, mais en même temps leur mettre l'armée, des grillages, entre eux et vous ?
R - Mais c'est autre chose. Si eux-mêmes sont débordés par des éléments violents, s'ils veulent empêcher que des réunions se tiennent, légitimement, entre des gouvernements démocratiques, ce n'est pas possible.
Q - Les dirigeants de la planète avaient pris l'habitude de se rencontrer entre eux, à l'abri des regards et dans l'indifférence. On voit bien qu'aujourd'hui c'est fini ou cela va être fini.
R - Ce sont des idées qui circulent mais qui sont des idées reçues. Mais cela n'a jamais été à l'abri des regards. Il y a toujours eu un intérêt très grand. Ces sommets ont été inventés par M. Giscard d'Estaing en 1975 pour que les grands pays gèrent ensemble la première crise économique après le choc pétrolier et pour qu'il n'y ait pas de réaction discordante qui aggrave la crise au lieu de la corriger, la réguler. Cela a été un grand succès sur le plan de la coordination économique des grands pays. Puis après, ils se sont mis à parler des crises politiques et maintenant, depuis que l'on est dans le monde global, depuis la fin de l'URSS, on parle des problèmes globaux, le climat, la drogue, le Sida, etc. Mais cela n'a jamais été caché.
Q - Il y a des moments où vous vous réunissiez et je dirais que l'on s'en fichait un peu. Mais aujourd'hui, à cause de ces manifestations, tout le monde commence à tendre l'oreille, à regarder ce qui s'y fait. Le Pape lui-même s'y met. Il vient de dire que l'humanité toute entière doit bénéficier de la globalisation et il en appelle à un sursaut de nouvelles moralités.
R - Je parle des idées de fond, encore. A la fin des années 80, c'est François Mitterrand qui a utilisé les G7 pour lancer le mouvement qui s'est développé, amplifié, poursuivi par les autres responsables pour l'annulation de la dette des pays les plus pauvres. C'est dans cette enceinte du G7 que cette idée a pris naissance. C'est cette enceinte du G7 qui a permis, à un moment donné, d'ouvrir la porte à l'URSS, devenue Russie, pour accompagner sa transformation en un grand pays moderne. C'est pour cela que l'on appelle d'ailleurs G7-G8 selon les séances. Nous sommes les premiers à dire qu'il ne faut pas accepter n'importe quelle globalisation. Les Conseils européens peuvent servir d'élément de régulation. Et nous nous battons, nous Français, à l'intérieur, et le gouvernement français à l'intérieur du débat européen, pour qu'il en soit ainsi. Par exemple, à Göteborg, on parlait du développement durable. Les cycles de l'OMC c'est la même chose. On veut bien des cycles de régulation.
Q - C'est-à-dire maîtriser, humaniser la globalisation ?
R - Absolument. On ne veut pas de nouveaux cycles de dérégulation. Il y a donc un débat à l'intérieur de la mondialisation, parce que l'on ne veut pas n'importe quelle mondialisation.
Q - Gênes, c'est le premier test international de la fiabilité du gouvernement Berlusconi. Vous étiez presque tous, peut-être pas vous personnellement, mais presque tous réservés à son égard. Est-ce que M. Berlusconi va devenir fréquentable ?
R - Le problème ne s'est pas posé sur le plan de la fréquentation. Il a tout de suite été en Conseil européen et ses partenaires observent essentiellement ses actes, ses décisions en matière de politique économique, en matière de politique européenne.
Q - Mais vous l'acceptez au "Club" ?
R - Il a été élu par les Italiens. Nous n'avons pas eu à décider de l'accepter ou de ne pas l'accepter. Quoi que pensent les uns et les autres, il était là au Conseil européen de Göteborg, précisément, à côté des autres. Quant à la présidence du G7-G8, c'est très informel, ce n'est pas quelque chose qui donne un pouvoir d'orientation sur le fond. Ce qui compte c'est l'alchimie entre les dirigeants des 7 ou 8 grands pays qui sont là et qui doivent essayer de faire progresser la maîtrise des problèmes globaux et pas simplement laisser la globalisation sous sa forme la plus sauvage s'engouffrer et détruire n'importe quoi.
Q - Apparemment, en vous écoutant, c'est un problème qui vous passionne. On va parler du Proche-Orient. Cela recommence ou plutôt cela n'arrête pas. En quelques heures, hier, on a vu réapparaître des kamikazes, des représailles, des attaques palestiniennes au mortier, des bombardements israéliens. Est-ce que la seule vérité, c'est un état de guerre ? Plus de cessez-le feu, mais un état de guerre ?
R - On ne peut pas employer exactement le terme, parce qu'il n'y a pas plusieurs armées en présence. Mais, à part cela, la situation est mauvaise. Elle est mauvaise, elle est grave, elle est inquiétante.
Q - Et elle va durer, comme cela, tout l'été ?
R - Elle va durer tant qu'il n'y aura pas une véritable perspective politique pour en sortir. Les quinze ministres des Affaires étrangères de l'Europe se sont réunis lundi à Bruxelles et cette question va être retraitée par les dirigeants et à Gênes, demain et après-demain. Nous avons dit deux, trois choses très claires par rapport à cela. Il faut que les Israéliens acceptent que l'on puisse commencer à appliquer les conclusions de la Commission dite Mitchell, qui prévoit un processus pour en sortir. Nous n'avons que cela sous la main pour essayer de sortir de ce piège dans lequel sont enchevêtrés ces deux peuples. Il faut que les Palestiniens s'engagent encore plus dans la lutte contre la violence, et crédibilisent cette lutte contre la violence. Il faut que les Etats-Unis ne se désengagent pas, alors qu'ils sont vraiment entre les deux, il faut qu'ils se réengagent plus. Et nous avons ajouté, nous Européens, quelque chose de plus, en disant qu'il fallait de toute façon un mécanisme de surveillance impartial.
Q - Mais qu'est-ce que cela veut dire ? Et qui est l'arbitre impartial, M. Védrine ?
R - Cela ne peut pas être les Israéliens ou les Palestiniens, seuls, en tout cas.
Q - Est-ce que ce sont les Américains, est-ce que c'est l'Europe, est-ce que c'est l'ensemble ? Qui ? et qui serait accepté ?
R - Cela peut être ceux que vous dîtes. Mais cela ne peut pas être les Israéliens ou les Palestiniens, seuls, face à face, dans cette ambiance de haine grandissante et de peur panique. C'est totalement étonnant cette situation. Il faut donc cela et c'est dans l'intérêt des deux. C'est dans l'intérêt des Israéliens et je le redis, il faut que les Israéliens arrêtent d'accumuler les prétextes dilatoires pour que l'on ne puisse pas encore mettre en marche la Commission Mitchell.
Q - On dit, Hubert Védrine, qu'en Israël que la tentation est forte dans certains milieux et pas seulement militaires, de liquider Arafat ?
R - Cela a été un cheminement politique très long de la part des Israéliens, comme de la part des Palestiniens d'ailleurs, de reconnaître qu'ils avaient à parler avec le partenaire/adversaire et de reconnaître que, de toute façon, ils n'avaient pas le choix.
Q - Vous ne m'avez pas répondu à la question d'Arafat ?
R - Je vous réponds qu'ils doivent continuer à accepter de discuter avec leur partenaire et que ce n'est pas eux qui en choisissent le chef. Et que si certains d'entre eux, je ne sais pas d'où cela vient, de je ne sais quel organisme ou groupe, etc ont des pensées de ce type, elles seraient totalement folles. Les Israéliens ont besoin de pouvoir traiter avec un leader palestinien qui engage son peuple et réciproquement et ils n'ont pas, de part et d'autre, à fantasmer sur le remplacement de l'interlocuteur dont ils ne veulent pas. Ils ne peuvent pas sortir de là, après trop de morts, et trop de morts encore. ils doivent revenir à cela.
Q - Mais ils ne le comprennent pas. L'Europe répète ce que vous dîtes pas mais elle prêche dans le désert. N'êtes-vous pas fatigué de prêcher dans le désert ? Vous dîtes : "il faudrait qu'ils parlent, il y a une négociation nécessaire..."
R - Je sais, mais on n'a pas le droit de se décourager.
Q - Est-ce que M. Arafat, pour vous, tient ses promesses ou alors est-ce qu'il a encore une autorité ? Est-ce qu'il ment ou n'a-t-il plus d'autorité sur son pays ? Ou en tout cas sur ses hommes ?
R - Je pense qu'il a encore beaucoup d'autorité, en tout cas l'autorité que l'on peut avoir quand on est à la tête d'une organisation qui n'est pas vraiment un Etat, qui est asphyxiée par la politique de bouclage des Territoires, qui est affaiblie par les actions militaires visant à éliminer les uns après les autres ses cadres, ses différentes forces et que l'on ne peut pas lui demander qu'il ait le contrôle qu'il aurait dans un Etat normal dont la souveraineté serait établie et respectée. Donc, il y a une politique du pire ou une politique à courte vue. Mais les Israéliens ont besoin d'un Arafat fort, et Arafat doit traiter avec le Premier ministre que les Israéliens se choisissent librement et avec lequel nous parlons pour faire avancer les choses.
()./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 juillet 2001)