Interview de M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, à "Radio Classique" le 2 décembre 2014, sur l'importance du dialogue social notamment pour les questions de rémunération, sur le travail le dimanche et la mise en oeuvre du compte pénibilité.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

NICOLAS PIERRON
Le ministre de l'Economie Emmanuel MACRON est donc l'invité de Radio Classique ce matin. Bonjour Emmanuel MACRON.
EMMANUEL MACRON
Bonjour.
NICOLAS PIERRON
Merci d'avoir accepté notre invitation. Vous vous rendez aujourd'hui à Berlin, rencontrer vos collègues de l'Economie et des Finances, pour reparler de ce fameux rapport PISANI-ENDERLEIN sur les réformes à conduire en France, en Allemagne. Alors vous aviez déjà commenté ce rapport jeudi dernier en disant que sur le SMIC et sur les négociations salariales tous les trois ans vous n'étiez pas très chaud, est-ce que vous avez un peu revu votre pensée depuis ?
EMMANUEL MACRON
Non, je vous rassure, en quatre ou cinq jours, je n'ai pas revu ma pensée, sinon ce serait inquiétant. Sur les deux sujets que vous évoquez, j'ai préféré là, clarifier le débat dès la réception du rapport, pourquoi ? Parce que le SMIC nous en avons revu les règles il y a deux ans et que la clé aussi bien pour le SMIC que pour la négociation des rémunérations, c'est plutôt de favoriser le dialogue social, de favoriser les accords majoritaires pour, sur ces sujets, trouver des bonnes solutions au niveau des branches et des entreprises.
NICOLAS PIERRON
Sauf qu'on sait qu'en France les salaires augmentent plus vite que la productivité, donc on n'est pas prêt de prendre le même chemin que l'Allemagne qui grâce à une modération salariale assez forte a retrouvé sa compétitivité.
EMMANUEL MACRON
Ce que vous dites est vrai, des années 2000/2010, il y a eu en France une préférence pour les salaires et pour les dividendes, là où en Allemagne il y a eu une préférence pour l'investissement et l'emploi et nous voulons que cela change, c'est le discours que j'ai constamment tenu. Mais je ne crois pas qu'on le règle par la loi ou par le gel des salaires, ou l'absence de négociation, au contraire.
NICOLAS PIERRON
Emmanuel MACRON, les Allemands et surtout la Commission européenne s'impatientent en attendant les réformes françaises, 50 milliards d'euros d'économies sur trois ans sur les dépenses publiques, mais il ne s'agit pas de baisse des dépenses publiques, 40 milliards de baisses de charges pour les entreprises, est-ce qu'il faut aller plus loin ?
EMMANUEL MACRON
Ecoutez, il faut déjà faire ce qu'on dit. Vous savez c'est bien. Alors je sais que pour les Françaises et les Français, il y a quelque chose de compliqué, c'est quand on fait les annonces, ça met énormément de temps à venir sur le plan de l'exécution et à être voté, puis en acte. Bon c'est la réalité de nos institutions comme celles de tous nos voisins d'ailleurs, il ne faut pas se tromper là-dessus. 50 milliards d'économies, ça ne s'est jamais fait, c'est déjà très dur, et je constate que dès que nous faisons une économie, en matière de défense, en matière de politique familiale, à chaque fois il y a des controverses, chaque fois les mêmes qui en veulent plus sont les premiers à se plaindre. Ma recommandation, parce que j'entends les uns qui voudraient déjà les détricoter et les autres qui en voudraient encore davantage, je crois que si nous continuons à diverger en tous sens, on enlève du sens et de la réalité à tout cela, je crois qu'il faut rester ferme sur nos engagements quand on dit quelque chose, il faut le faire, il faut le faire jusqu'au bout. Et donc la priorité, ce n'est que cela.
NICOLAS PIERRON
Vous diriez que le patronat, notamment Pierre GATTAZ est ingrat aujourd'hui vis-à-vis des efforts que vous consentez pour les entreprises ?
EMMANUEL MACRON
Je n'ai pas à qualifier l'attitude de Pierre GATTAZ, j'ai simplement à dire que dans le pacte de responsabilité, il y a le mot responsabilité. Aujourd'hui il y a très peu d'accords de branches qui sont signés, c'est un échec et aujourd'hui c'est aussi le sien. L'Etat a pris ses responsabilités et donc je crois qu'aujourd'hui l'urgence pour le patronat, ce n'est pas de réclamer plus, c'est de prendre sa part de responsabilité avec un dialogue social efficace, parce que je veux insister là-dessus avec vous, le dialogue social quand il est bien mené, et l'exemple allemand est très illustratif, c'est un facteur de compétitivité.
NICOLAS PIERRON
En Allemagne il n'y a pas les 35 heures, pas de durée hebdomadaire légale, aussi contraignantes qu'en France.
EMMANUEL MACRON
Mais si la durée française était contraignante, ça se saurait et nous ne travaillerions pas en moyenne, de manière effective 39 heures dans notre pays, donc les 35 heures ne sont pas un plafond qui nous empêche de travailler plus. Et l'écart du nombre d'heures travaillées de manière effective entre la France et l'Allemagne est très faible et notre productivité est légèrement supérieure. J'ajoute à cela que nous avons parmi les heures supplémentaires, les moins chères d'Europe, donc je crois qu'il faut ne pas avoir de pensée simpliste, la durée légale du temps de travail en France n'est pas un problème pour la compétitivité française. Ce qui est un problème, c'est le manque aujourd'hui d'adaptabilité parfois du dialogue social et le fait qu'il n'est pas assez vivace. Et ce que j'ai constamment dit et redit à ce sujet, parce qu'on a souvent déformé mes propos, c'est au contraire de dire que dans certaines conditions, il faut permettre aux branches et aux entreprises d'avoir un dialogue plus fécond, plus riche sur la durée du temps de travail, sur l'organisation du temps de travail. Un accord majoritaire, ce n'est pas un accord qui est imposé par l'employeur aux salariés, c'est un accord où face à la réalité du terrain, on décide de s'organiser mieux, différemment. C'est l'esprit qui a prévalu à la loi qui transcrivait l'accord national interprofessionnel de janvier 2013.
NICOLAS PIERRON
Quelques entreprises l'ont signé à peine, c'est un échec…
EMMANUEL MACRON
Et je crois justement, tout le monde constate qu'aujourd'hui les conditions sont un peu restrictives et donc nous devons collectivement voir comment adapter ce dispositif pour permettre à plus d'entreprises et plus de branches de s'en saisir.
NICOLAS PIERRON
Puisqu'on parle des chefs d'entreprise, il y a eu hier une manifestation de patrons de PME à Bercy avec des cadenas, ils réclament notamment non pas davantage de baisses de charges, mais une cohérence sur la simplification que vous prônez au sein du gouvernement, dans le dossier du compte pénibilité par exemple les chefs d'entreprise, notamment dans la construction, dénoncent une véritable usine à gaz, qu'est-ce que vous leur dites ce matin ?
EMMANUEL MACRON
J'ai reçu moi-même à la demande du Premier ministre et du Président de la République, à l'issue de leur manifestation, les représentants de ces chefs d'entreprise, en espèce la CGPME, et donc on a eu un dialogue tout à fait intéressant et fécond qui portait sur différents sujets, dont celui de la pénibilité. Une loi a été votée, qui peut aujourd'hui considérer que ne pas prendre en compte les conditions de travail lorsqu'elles sont difficiles pour des salariés, en vue de calculer sa retraite, n'est pas une bonne et une belle idée ? Maintenant ce que nous constatons, ce qui remonte du terrain, il faut là aussi regarder en face, c'est que les conditions d'application paraissent beaucoup trop compliquées. Et pour certains patrons, en particulier, petits patrons, elles leur apparaissent incompréhensibles au regard des défis qui sont les leurs au quotidien, donc ça aussi nous devons le regarder en face.
NICOLAS PIERRON
Et couteuses, 500 euros par salarié en moyenne selon la Fédération de la métallurgie.
EMMANUEL MACRON
Oui, je me méfie toujours des chiffrages qu'on nous envoie au visage, donc indépendamment de ça, je pense que c'est perçu comme étant compliqué, c'est sans doute compliqué. Donc je ne suis pas en train de faire un déni, ce que je dis c'est que maintenant nous devons travailler collectivement, il y a une mission d'accompagnement qui a été confiée à monsieur DERVILLE, il faut sans doute la compléter, c'est ce que le Premier ministre décidera par des représentants de petites et moyennes entreprises...
NICOLAS PIERRON
Et donc le dispositif pourrait être…
EMMANUEL MACRON
Les parlementaires seront aussi autour de la table, je suis un pragmatique, et lorsque c'est trop compliqué, il faut trouver une formule simple. Donc il faut garder l'idée, garder son application et là-dessus il ne s'agit pas de transiger, mais l'idée c'est d'avoir ce groupe de travail pour rendre la pénibilité supportable pour les chefs d'entreprise.
NICOLAS PIERRON
Dernière question Emmanuel MACRON, la semaine prochaine, vous présenterez votre fameux projet de loi, croissance-activité, sous l'oeil de Bruxelles qui en attend beaucoup, parmi les mesures très attendues, il y a celle concernant le travail le dimanche. La CFDT a adressé une lettre ouverte à François HOLLANDE, s'inquiétant des conséquences dans les entreprises de moins de 20 salariés notamment, où le double salaire ne serait pas forcément garanti.
EMMANUEL MACRON
D'abord la lettre qui a été adressée au Président de la République n'est pas une lettre de la confédération de la CFDT, c'est une lettre de la Fédération des services, Laurent BERGER n'aurait pas écrit une telle lettre. Le deuxième point, c'est que la disposition qui est soulignée par la Fédération des services dans cette lettre, ne sera pas la disposition retenue pour le projet de loi que je déposerai en conseil des ministres le 10 décembre prochain.
NICOLAS PIERRON
Donc toutes les entreprises seront obligées de payer double les salariés qui travaillent le dimanche ?
EMMANUEL MACRON
Non, non, il y aura un principe de compensation très clairement posé dans la loi avec un aménagement pragmatique. Moi, je ne me prête pas à l'exercice qui consiste à commenter des commentaires sur des rumeurs de fuites. Il y a un travail gouvernemental et des concertations qui sont encore en cours et ils continueront jusqu'au 9 décembre et le 10 décembre il y aura un projet de loi qui sera déposé au conseil des ministres. C'est celui- là qu'il conviendra de commenter, si des manifestations doivent se faire, elles pourront se faire à ce moment -là contre ce projet de loi, mais je n'accepte pas les protestations, les agressions, les manifestations contre des choses qui n'existent pas. Et je ne vais pas commencer à fermer des portes sur des choses qui n'existent pas. Ce que je peux d'ores et déjà vous dire, c'est que le principe que critique cette lettre de la Fédération des services n'est pas le principe qui sera retenu dans le projet de loi.
NICOLAS PIERRON
On évoque une procédure d'urgence pour cette loi activité-croissance, et notamment sur le travail le dimanche, est-ce que vous confirmez ?
EMMANUEL MACRON
Non, cette loi, elle aura une procédure parlementaire qui sera la même que par exemple, celle sur la transition énergétique. J'ai moi-même proposé au Premier ministre dès mon arrivée que ce ne soit pas par voie d'ordonnance que nous puissions agir et donc ce sera une loi pleine et entière qui sera discutée dans les meilleurs délais au Parlement parce que je crois que beaucoup de ses dispositions et tout le monde en est d'accord y compris les parlementaires qui commencent déjà à se saisir des réflexions et attendent le texte avec impatience, avec lesquels je vais travailler activement dans les semaines à venir, les parlementaires savent à quel point aussi l'économie et la société française attendent beaucoup de ces réformes, parce que nous en avons besoin.
NICOLAS PIERRON
Merci Emmanuel MACRON, ministre de l'Economie, donc invité ce matin de la matinale de Radio Classique, bonne journée.
EMMANUEL MACRON
Merci.Source : Service d'information du Gouvernement, le 3 décembre 2014