Interview de M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement, à La Chaîne Info LCI le 5 décembre 2014, sur les perspectives du débat parlementaire au sujet du projet de loi Macron, la future loi de santé et le retour de Nicolas Sarkozy sur la scène politique.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

GUILLAUME DURAND
Nous sommes avec Jean-Marie LE GUEN, donc, ministre des Relations avec le Parlement. Est-ce que vous avez l'impression que la semaine prochaine, avec la loi Macron, nous allons moderniser l'économie française ou assister à une bérézina politique, parce qu'une grande partie de la gauche n'acceptera pas, et puis les gens dans la rue, d'ailleurs, les dispositifs de cette loi.
JEAN-MARIE LE GUEN
Bonjour.
GUILLAUME DURAND
Bonjour, pardon d'être … d'entrée, mais, d'être franc !
JEAN-MARIE LE GUEN
Voilà, mais soyons francs, soyons directs. Donc, non, je crois vraiment que la loi Macron est une loi qui va libérer des forces qui existent dans notre économie, pour plus de croissance. Je pense que cette loi va atterrir au Parlement, dans des conditions tout à fait satisfaisantes, il faut encore faire quelques réglages, parce que, c'est bien normal…
GUILLAUME DURAND
Justement, c'est pour ça que je vous pose la question, parce que vu que ça concerne votre majorité, est-ce que vous avez l'impression que la majorité va soutenir MACRON dans cette affaire, puisqu'il ne s'agit pas d'une loi budgétaire mais d'une loi ordinaire, ou est-ce qu'ils vont se défouler ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Non, il n'y aura pas de défoulement. C'est une loi qui est un peu compliquée, parce qu'elle touche à de nombreux domaines, et donc plus vous touchez de domaines, plus vous avez des gens qui, pour des raisons parfois contradictoires et différentes, viennent un petit peu se poser des questions et parfois interroger le projet de loi, donc.
GUILLAUME DURAND
Je donne des éléments : le travail le dimanche, c'est l'essentiel, déchets radioactifs, la gestion, les verts sont contre, le problème des professions réglementées, etc.
JEAN-MARIE LE GUEN
Voilà, les huissiers, les notaires, etc. Donc, voilà, donc il y a un peu, en ce moment, une agitation de tous les corporatistes…
GUILLAUME DURAND
Ah ben ils sont tous dans la rue la semaine prochaine !
JEAN-MARIE LE GUEN
Oui, mais bon, on est en France, donc on a l'habitude, finalement, de voir tout cela et je pense qu'il y a beaucoup d'exagération, il va y avoir Emmanuel MACRON va pouvoir montrer, avec sérénité, qu'il demande, c'est vrai, des changements de comportements, c'est vrai un peu plus de concurrence dans un certain nombre de professions, quelques changements de comportements, par exemple, au regard dans des zones très précises, sur le travail du dimanche, moi je pense que c'est une loi de bon sens et qui…
GUILLAUME DURAND
Mais CARESCHE dit, que vous connaissez, « c'est la loi la plus importante du quinquennat » et d'autres disent « attention, bérézina politique annoncée la semaine prochaine ».
JEAN-MARIE LE GUEN
Non, mais je pense qu'il y a un petit peu…
GUILLAUME DURAND
Il y aura ou pas une bérézina politique ou un vrai risque ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Il n'y aura pas de bérézina politique, je vous le dis, et il y aura une loi qui sera adoptée et qui fera avancer notre économie et qui fera que ce pays avance. Parce que c'est vrai qu'il y a beaucoup de polémiques, c'est vrai qu'il y a des interrogations, c'est vrai que les résultats ne sont pas là, immédiatement, parce que cette visons selon laquelle les politiques devaient amener immédiatement des résultats, est quelque chose qui est dépassé. Le problème que nous avons, ce n'est pas un problème conjoncturel, c'est un problème structurel. Depuis 30 ans, notre économie, fondamentalement, a vécu, d'une part sur la dette, et ça ce n'est plus possible, et d'autre part elle a perdu de la musculation industrielle. Cette musculation on ne la retrouvera pas en six mois, donc nous sommes en train de tracer une route qui est celle de la compétitivité, dans une économie solidaire, ça mettra du temps et la loi Macron est une pierre de plus qui libère des forces et qui modernise notre économie.
GUILLAUME DURAND
Vous savez que c'est Emmanuel MACRON qui a dit ici même, donc au micro de Nicolas PIERRON, que le pacte de stabilité et de responsabilité, ça ne marchait pas très bien, quoi.
JEAN-MARIE LE GUEN
Mais, il y a des interrogations, puisque le patronat lui -même ne semble pas…
GUILLAUME DURAND
Mais enfin si le chômage ça ne marche pas le pacte de responsabilité ça ne marche pas, pourquoi voulez-vous que la loi Macron marche ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Mais si, mais non, mais ça marche. Ça marche, l'argent arrive d'abord et restaure les marges des entreprises, la compétitivité française, par exemple, le coût du travail, ce qui n'est pas le seul critère mais un des critères, notamment vis-à-vis de l'Allemagne, le coût du travail en France est repassé en dessous de l'Allemagne, donc les marges…
GUILLAUME DURAND
Pardonnez-moi, mais je vais employer un mot un peu vulgaire : pourquoi les patrons gueulent ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Mais les patrons gueulent parce que ça fait 5 ans de suite…
GUILLAUME DURAND
Pourquoi les notaires gueulent, pourquoi les médecins gueulent, pourquoi tout le monde veut… ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Parce que ça fait 5 à 6 ans de suite…D'abord parce qu'en France tout le monde se replie sur ses corporatismes, hein, bon, donc à partir de ce moment -là ça peut exister dans toutes les professions, y compris chez les journalistes, y compris chez d'autres, on a un réflexe dans ce pays, c'est bien connu, bien décrit, on a un réflexe de se replier, sur : on ne veut pas que ça change, on veut que ça change pour tous les autres, mais jamais pour soi-même. Bien. Donc ça c'est ne train de bouger, il faut de la pédagogie, de l'écoute mais aussi une volonté de faire promouvoir l'intérêt général. Les patrons ça fait 5 ans qu'il y a une croissance faible, ils ont donc, ça fait 5 ans que les marges sont, et que l'activité économique est relativement faible, donc ils se posent un certain nombre de questions, il y a une certaine forme de lassitude, d'inquiétude, à l'image d'ailleurs de Français. Bon, nous, nous donnons des résultats concrets, des pistes concrètes, responsables, et donc nous avançons. Quand je vois l'opposition, alors que nous, nous faisons…
GUILLAUME DURAND
On va y venir.
JEAN-MARIE LE GUEN
Eh ben nous y viendrons.
GUILLAUME DURAND
Non non on va y venir dans un instant, mais je voudrais qu'on revienne su l'histoire du médecin. Parce que tout d'un coup on est en train de décrire des catégories sociales que vous avez vous-même pointées, les patrons on en parle, les notaires, les avocats, les médecins, puisqu'on va avoir des grèves des généralistes, des urgentistes, des cliniques privées, etc. c'est quand même le monde de la bourgeoisie classique, en France, tous ces gens-là, et on a l'impression qu'ils sont en bataille contre François HOLLANDE et qu'ils n'acceptent pas la présidence HOLLANDE et qui n'acceptent surtout pas les résultats plus que douteux de sa politique.
JEAN-MARIE LE GUEN
Guillaume DURAND, je pourrais reprendre les termes qui sont les vôtres, en disant qu'il y a peut- être parfois ici des arrières pensées, j'allais dire de nature sociale ou politique, dans les crispations que vous décrivez. Mais je veux dire que, à chaque fois, il y a nécessité d'engager le dialogue et de trouver des solutions. Moi je suis persuadé que catégorie de Français par catégorie de Français, il y a une large majorité de ces… à l'intérieur de ces catégories, qui veut que les choses évoluent, qu'ils comprennent le sens de l'intérêt général, qui voient que la France doit avancer, et je pense qu'ils sont prêts à le faire. Il faut engager des formes de dialogue, et ne pas... On est aussi dans une démocratie sociale où toutes ces professions dont vous venez de parler, il y a des élections, par exemple, parfois cela… je ne suis pas contre les élections sociales et syndicales, mais parfois ça conduit à des postures, et donc, surtout que les syndicats sont divisés, il y en a 5 ou 6 dans chaque branche. Donc chacun veut en rajouter par rapport à l'autre. C'est la France, c'est comme ça on fait avec.
JEAN-MARIE LE GUEN
Ça fait plusieurs fois que vous me dites ça, mais…
GUILLAUME DURAND
Mais parce que j'ai une certaine forme, si vous voulez, de sérénité et de détermination.
GUILLAUME DURAND
Jean-Marie LE GUEN, vous êtes aussi médecin, en dehors du fait que vous êtes ministre des Relations avec le Parlement, quand vous voyez que les patrons des cliniques privées en France dit : « On va bloquer à la fin de l'année, le système médical français, en plein hiver », ça ne vous fait pas sursauter, ça ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Non, tout d'abord il n'en a pas les moyens. Deuxièmement ça ne sera pas suivi, troisièmement il va, on peut trouver avec lui des éléments d'un dialogue où on arrête les déclarations à l'emporte pièces. Je pense que le temps des déclarations à l'emporte pièces c'est terminé. Deuxièmement, il faut remettre les choses…
GUILLAUME DURAND
Mais est-ce que ça ne veut pas dire que de toute façon la réforme Touraine est déjà morte et enterrée ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Pas du tout, non non, elle dialogue, elle a dit elle -même et je crois qu'aujourd'hui elle reçoit les professions de santé avec chacun des intérêts qui sont parfois divergents, pour ne pas dire contradictoires, donc il faut harmoniser tout ça.
GUILLAUME DURAND
Mais est-ce qu'elle renonce par exemple à interdire les dépassements d'honoraires ? Parce que c'est aussi ça, la question de fond.
JEAN-MARIE LE GUEN
Non, interdire les dépassements d'honoraires c'est une chose très technique, mais je peux vous en dire un mot parce que ça va intéresser vos auditeurs…
GUILLAUME DURAND
Ça intéresse les médecins qui nous écoutent.
JEAN-MARIE LE GUEN
Ce qui était dans la loi, on laissait entendre que dans la notion de secteur public hospitalier, de service public hospitalier, on ne pouvait pas mettre les cliniques qui pratiquent les dépassements d'honoraires. Bon, c'est un peu compliqué, parce qu'il y a beaucoup de dépassements d'honoraires dans les cliniques privées, en même temps, alors certains, de bonne foi, disent « oui mais il y a aussi des dépassements d'honoraires à l'hôpital », oui mais de façon très marginale. Je pense que ce qui est vrai, c'est que malgré, parfois, des dépassements d'honoraires, les cliniques privées participaient au service public hospitalier. Je ne vois pas que nous voulions absolument les en chasser. Je pense qu'on va trouver un chemin…
GUILLAUME DURAND
Vous ne croyez pas ce matin que finalement la gauche va être engloutie par les groupes de pression dans la rue.
JEAN-MARIE LE GUEN
Non, pas du tout. Je pense que la France se transforme, que ça crée des crispations, des inquiétudes et d'ailleurs les inquiétudes sont légitimes. Ce pays a des difficultés, sérieusement, donc il faut les surmonter.
GUILLAUME DURAND
Et vous ne pensez pas que François HOLLANDE est responsable, justement, des difficultés du pays aujourd'hui ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Non, je ne le crois pas.
GUILLAUME DURAND
Mais ça fait deux ans et demi qu'il est au pouvoir, il n'y a aucun résultat concret.
JEAN-MARIE LE GUEN
La politique presse bouton, peut être que nous-mêmes, la gauche, on y a cru, je ne dis pas le contraire, et peut être même qu'on a donné à croire, je suis prêt à faire amende honorable sur le sujet, mais en tout cas, moi, aujourd'hui, on parle directement, la politique presse bouton, de gauche ou de droite c'est du pipeau, ça ne marche pas. Il faut une action continue sur la durée pour changer, faire évoluer notre pays. Ce que nous voulons faire, nous sommes le seul pays en Europe et peut-être un des rares pays au monde, qui gagnons, mettons en place une politique de compétitivité sans austérité. Alors je sais que mes amis de la gauche de la gauche vont me dire : mais pas du tout, etc.
GUILLAUME DURAND
Vous les avez entendus sur FRANCE 2 hier soir ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Non.
GUILLAUME DURAND
MELENCHON, DUFLOT et les autres ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Non, j'étais un peu fatigué, je n'avais pas envie de…
GUILLAUME DURAND
Ils ne vous intéressent pas, en fait.
JEAN-MARIE LE GUEN
Ecoutez, je connais leur musique, elle est fatigante, c'est la grosse caisse, c'est les cymbales, bon, ok.
GUILLAUME DURAND
Ça va leur faire plaisir, MELENCHON et DUFLOT, d'entendre ça ce matin.
JEAN-MARIE LE GUEN
Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise, je ne suis pas là pour leur faire plaisir, moi je suis là pour essayer de dire ma part de vérité. La part de vérité c'est qu'ils vont dans le mur. Ce qu'ils disent c'est d'accréditer l'idée que la France est dans l'austérité, ce qui est faux, c'est de créer un peu plus de colère sociale, ce qui aboutit pas du tout à des choses qui vont dans leurs sens, qui devraient prendre conscience que les discours qui sont les leurs, aujourd'hui ne récoltent absolument pas le soutien des Français, y compris des Français de gauche, sachant que je mesure moi-même les interrogations des Français à l'égard de la politique du gouvernement. Mais j'appelle la gauche à l'unité et pas à la dénonciation réciproque.
GUILLAUME DURAND
Alors là, il nous reste 40 secondes, est ce que vous croyez premièrement que VALLS est compris par vos parlementaires ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Oui. Oui oui, depuis six mois on nous promet toujours je ne sais trop, plus de 250, 260 députés votent systématiquement sur la politique du gouvernement.
GUILLAUME DURAND
Deuxième question, pour terminer, est-ce que vous avez le sentiment que maintenant qu'il a organisé l'organigramme de l'UMP, finalement Nicolas SARKOZY va obtenir sa revanche et au fond c'est ce qu'il veut ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Ah, ça je crois qu'il veut sa revanche. Ça c'est d'ailleurs une question. Je ne crois pas, moi, dans la vie en général et dans la vie politique en particulier, à la revanche. Les Français n'ont rien à faire avec la revanche, ils veulent avancer.
GUILLAUME DURAND
Il a peut être considéré qu'il a été victime d'une injustice.
JEAN-MARIE LE GUEN
Oui, par les Français. Ça commence bien une campagne électorale où on dit : espèce d'imbéciles de Français, vous avez pas voulu voter pour moi. Ça commence bien une reconquête avec…
GUILLAUME DURAND
Ça c'est du LE GUEN, c'est pas du SARKOZY.
JEAN-MARIE LE GUEN
Non ! Mais c'est vous qui parlez de revanche !
GUILLAUME DURAND
Non non non.
JEAN-MARIE LE GUEN
Quand on est dans la revanche, on est dans cette idée là.
GUILLAUME DURAND
Mais une revanche politique n'est pas forcément une revanche personnelle.
JEAN-MARIE LE GUEN
Ah mais oui, mais vous avez bien senti, comme moi et comme beaucoup d'autres, qu'il y a un aspect personnel dans ce retour. Il n'y a pas que de la revanche, d'ailleurs, il y a de la rancune dans cette démarche, et donc ceci pose question, pour toutes les politiques, quelles qu'elles soient, et donc je pense que…
GUILLAUME DURAND
Et vous avez vu le sondage du FIGARO ? S'il y avait des législatives demain, 500 députés sur 577, c'est une bérézina pour vous
JEAN-MARIE LE GUEN
Mais il n'y a pas d'élections demain, bon, écoute
GUILLAUME DURAND
Ce n'est pas simplement un problème d'hommes, c'est que visiblement les gens, les Français, ont tourné la page du hollandisme, alors qu'il est encore au pouvoir pour deux ans
JEAN-MARIE LE GUEN
Mais non, la gauche est en interrogation vis-à-vis des Français, c'est évident, ou les Français sont en interrogation vis-à-vis de la gauche, plus exactement, je ne vais pas vous dire le contraire, je connais les difficultés, il y a une perte, il y a insuffisamment de sens donné à notre action, mais moi je suis confiant, à la fois sur le sens, sur la direction où nous allons, et sur le fait que nous serons capables, capables, de remobiliser les Français, de gauche mais pas simplement de gauche, la gauche a un rôle plus large. Aujourd'hui elle tient en partie la République.
GUILLAUME DURAND
Jean-Marie LE GUEN, donc, notre invité ce matin, donc, ministre des Relations avec le Parlement.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 8 décembre 2014