Entretien de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, avec divers médias français, sur la lutte contre le dérèglement climatique, à Lima le 13 décembre 2014.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : 20ème conférence des parties de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP 20), à Lima (Pérou) du 9 au 14 décembre 2014

Texte intégral


Q - Êtes-vous soulagé ?
R - D'une certaine façon oui, parce que s'il n'y avait pas eu d'accord lors de la COP20 à Lima, il aurait été très difficile de réussir à Paris. Cela ne veut pas dire que tous les points sont réglés mais tout de même, nous avons beaucoup avancé sur deux ou trois points très importants qui préparent Paris.
Le premier point tout d'abord, c'est l'établissement d'un accord mondial pour lutter contre le dérèglement climatique. Il y a les bases d'un texte, même si nous ne sommes pas encore d'accord sur tout, et c'est très important.
Le deuxième point, c'est ce que l'on nomme les contributions nationales Là, le cadre est défini, chaque pays devra publier sa contribution avant la fin du premier semestre de l'année prochaine. Nous pourrons alors évaluer où nous nous trouvons par rapport à l'objectif des deux degrés.
Le troisième point, qui est moins présent dans l'esprit des uns et des autres, mais qui est une innovation - et nous allons travailler avec les Péruviens sur ce sujet -, c'est ce que l'on appelle l'Agenda des solutions. Ce ne sont pas simplement les gouvernements qui doivent agir mais ce sont aussi les villes, les régions et les entreprises.
Je compte bien reprendre ces trois éléments à Paris, à la fois l'accord mondial qui est essentiel, les contributions nationales et l'agenda des solutions. Ce qui a été fait au Pérou ne résout évidemment pas tous les problèmes, mais cela donne une bonne base. Oui, tous ceux qui veulent un succès à Paris peuvent être soulagés.
Q - Vous dites que vous souhaitez associer villes, régions et entreprises. L'un des absents au débat qui s'est fait remarquer ici étaient notamment les syndicats. Quelle place leur accorderez-vous ?
R - Il y aura une place pour la société civile, les syndicats ou les organisations non gouvernementales, ce sera une place physique. Je n'en ai pas encore parlé, je le ferai au début de l'an prochain.
Mais il y a les aspects matériels. Nous avons prévu un village pour la société civile qui jouxtera la conférence. Dans l'élaboration des réunions que nous aurons tout au long de l'année, il faut bien sûr que la société civile, avec ses différents éléments, les partenaires sociaux, les syndicats, les entreprises et les ONG, il faut qu'elle soit présente.
Q - Monsieur le Ministre, c'est un petit accord et dans la douleur malgré tout. On est loin du souffle et du dynamisme.
R - Vous savez, il ne peut pas en être autrement. Vous avez 195 pays et la règle qui rend les choses extrêmement difficiles, c'est qu'il faut que tout le monde soit d'accord.
Pour prendre des exemples, l'opinion des États-Unis, du Venezuela, de la Malaisie, de la Chine ou de l'Europe n'est pas la même. Il faut donc faire des concessions, des compromis, et cela demande un très long travail. Je vais en tirer les leçons pour ma propre méthode l'an prochain. Il faut garder une ambition importante dans l'objectif, car il s'agit de lutter contre le dérèglement climatique et si on ne le fait pas, il y aura des catastrophes. Il faut donc rester ambitieux, il faut écouter chacun et avoir l'esprit de compromis.
Ce que je retiens surtout c'est qu'il faut un travail technique et politique très important en amont. Ce n'est pas au dernier moment que, les politiques arrivant, ils peuvent résoudre miraculeusement les problèmes, ce n'est pas ainsi que les choses se passent. Il y a des différences et il est normal qu'il y ait des contradictions. Après, et c'est sans doute la raison pour laquelle nous avons demandé à quelqu'un qui est diplomate de s'en occuper, il faut trouver les solutions de compromis. Ce qui fut fait même si ce n'était pas très facile.
Vous m'interrogez, il est trois heures du matin, on est dimanche, normalement, nous aurions dû terminer vendredi. Tout de même, nous ne sommes pas à deux jours près et c'est au moment de la décision que les difficultés arrivent. Avant, lorsque c'est simplement de la discussion générale, tout le monde peut soutenir tout ce qu'il veut. Déjà, avoir mis d'accord 195 pays, c'est une bonne chose. Il reste beaucoup de travail à faire mais c'est une bonne base de départ.
Q - Pensez-vous que l'on a évité le psychodrame à Paris, avec la dernière nuit de négociation ?
R - Je ne vous le promets pas. Mais ce qui compte finalement, c'est qu'il y ait un accord. De l'extérieur, on peut se demander ce que font ces gens qui discutent avec des termes incompréhensibles, mais ce qui est en cause, c'est la vie de centaines de millions de gens. Si le dérèglement climatique n'est pas stoppé, il y aura de plus en plus d'inondations, de typhons, de migrations non contrôlées et des phénomènes de famine. C'est de cela dont il s'agit et cela passe aussi par des discussions très techniques et parfois par ce que vous appelez des psychodrames. Mais ce qui compte, c'est que cela se termine bien.
Q - Vous avez parlé d'un fantôme qui avait disparu.
R - En effet, je ne sais pas si cette formule est appropriée. Mais beaucoup de spécialistes et non spécialistes qui sont là ont à l'esprit ce qui s'est produit à Copenhague. Rappelez-vous, c'était en 2009, on avait formulé des grands espoirs pour Copenhague. À la fin de la conférence, des responsables politiques sont arrivés et se sont isolés dans une pièce. Un texte en est sorti, ils l'ont rapporté devant l'assemblée générale qui l'a refusé. Cela a été considéré comme un échec et ce fut effectivement un grave échec. Il y a donc comme une sorte de fantôme de Copenhague qui depuis pèse sur toutes les COP.
Ce fantôme a commencé à être exorcisé et aujourd'hui on parle beaucoup plus du succès possible de Paris. Je reste très prudent. Vous avez vu, il y a eu de nombreuses interventions qui reprenaient ce souhait de succès à Paris. J'en suis ravi mais j'ai dit à quelques-uns, avec humour, que s'ils souhaitent vraiment un succès, il ne faut pas renvoyer toutes les questions à Paris, sinon le succès sera plus difficile.
Nous avons traité un certain nombre de sujets, c'est très bien. Maintenant il faut faire notre possible, en écoutant chacun et en bâtissant des solutions pour que Paris soit un succès.
Q - Dans cette conférence sur le climat, ne ressent-on pas les dissensions qui naissent, plus du positionnement géopolitique que du sujet lui-même qui se trouve au centre ?
R - Oui, il y a les deux. Il y a, c'est vrai, des différences d'approches géopolitiques voire idéologiques, vous les avez entendues, mais il y a aussi des situations différentes.
Lorsque vous êtes représentant de l'Ouganda, représentant de la Chine, des États-Unis ou de l'Europe, vos situations objectives ne sont pas les mêmes. Selon les cas, vous êtes un pays riche, un pays très pauvre ou un pays anciennement pauvre mais qui est devenu une grande puissance économique et vous utilisez des énergies fossiles - charbon ou pétrole - qui sont polluantes et, dans d'autres cas, vous avez déjà des énergies renouvelables. Dans certains cas, vous avez des finances florissantes, dans d'autres, vous n'avez pas d'argent etc. Il y a à la fois des différences géopolitiques, idéologiques mais aussi des différences objectives de situation. Il ne faut donc pas s?étonner que les points de vue soient différents.
Simplement, si nous voulons un accord, qui sera le premier accord mondial contre le dérèglement climatique puisque c'est cela l'objectif, il faut parvenir à un point qui soit ambitieux mais qui mette tout le monde d'accord.
Q - Après tout ce que vous avez vu ce soir, y a-t-il un pays avec lequel vous auriez particulièrement envie d'échanger et de visiter ?
R - Il faudra que j'échange avec tous car, vous l'avez entendu ce soir, chaque pays doit être écouté. Mais la leçon évidente, c'est que nous allons travailler avec nos amis du Pérou d'abord parce qu'ils ont fait un très bon travail, parce que l'on s'entend bien et parce que c'est une bonne chose qu'il y ait un pays du Sud et un pays du Nord.
C'est peut-être un peu compliqué à expliquer, mais c'est cet «agenda Lima Paris pour l'action» que nous avons forgé ensemble - c'est donc à la fois la France et le Pérou, pour être très concret -, en faisant en sorte, et cela prendra toute l'année prochaine, qu'il s'agisse de communes, des régions, des grandes entreprises, de développer des plans concrets que nous pourrons assembler à Paris.
C'est une manière très concrète de faire avancer les choses. On nous demande l'action. Le Pérou et la France lanceront l'action ensemble, action qui s'étendra ensuite à d'autres.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 décembre 2014