Interview de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes à France-Info le 12 décembre 2014, sur la grève des médecins généralistes et urgentistes fin décembre 2014 et l'accueil des malades en période de fêtes.

Prononcé le

Média : France Info

Texte intégral


FABIENNE SINTES
Votre invitée, donc, Jean-François ACHILLI, est ministre de la Santé, des Affaires sociales et du droit des Femmes.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Bonjour Marisol TOURAINE.
MARISOL TOURAINE
Bonjour Jean-François ACHILLI.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Et bienvenue. Y aura-t-il un médecin disponible pour nos deux réveillons à venir ? Puisque les généralistes, les spécialistes, les urgentistes, se mettent tous en grève contre votre projet de loi santé, vous avez même réussi le tour de force, Marisol TOURAINE, à vous mettre à dos le Conseil de l'ordre.
MARISOL TOURAINE
Il y aura des médecins et nous travaillons évidemment à ce que des Français qui seraient malades, des personnes sur notre territoire, qui seraient malades pendant la période des fêtes, puissent trouver à se soigner. J'ai engagé des discussions avec les professionnels de santé, et d'ailleurs je constate que pour ce qui est de l'hôpital public, il y a des enjeux d'organisation interne.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Ça risque d'être très engorgé, hein.
MARISOL TOURAINE
Ecoutez, pas nécessairement.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Ça l'est déjà en temps normal.
MARISOL TOURAINE
Nous travaillons pour faire en sorte que les Français soient accueillis, et moi je veux saluer d'ailleurs l'hôpital public, qui accueille les patients lorsqu'ils en ont besoin. Mais au fond vous faites référence à la loi de santé qui est en préparation…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Attendez, juste un petit mot, on va bien sûr parler de ça, mais les ARS, les Agences régionales de santé, vont réquisitionner pendant ces périodes de fêtes, des médecins, pour leur dire : vous êtes peut-être en grève, mais hop, au travail ?
MARISOL TOURAINE
Les Agences régionales de santé sont en train de travailler, avec les professionnels, pour d'abord savoir qui fera grève. Hier j'ai reçu des syndicats de médecins, et l'un d'entre eux, d'ailleurs, a indiqué que la grève serait limitée à deux jours, ce qui signifie donc qu'il y aura des médecins, en tout cas ceux qui se reconnaissent dans ce syndicat, qui ne seront pas grévistes. Donc au fond je travaille avec les Agences régionales de santé, pour faire en sorte qu'il y ait évidemment des médecins disponibles pour ceux qui en auraient besoin.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Tout ça est très aléatoire quand même.
MARISOL TOURAINE
Non, écoutez, ce n'est pas aléatoire, et je peux dire que dans les hôpitaux, les Français seront accueillis normalement, il n'y a pas de doute sur ce point-là.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Alors cette loi santé inquiète tout le corps médical, qu'est-ce qui coince, en fait, Marisol TOURAINE ?
MARISOL TOURAINE
Vous savez, nous sommes à un moment où il y a des enjeux de changement, de façon de pratiquer la médecine et les Français ont des attentes. Et cette loi, c'est une loi qui répond aux besoins des Français. Il y a des inégalités de santé, est-ce qu'on peut se résoudre à ce qu'un enfant d'ouvrier, par exemple, ait 10 fois plus de risques d'être obèse qu'un enfant de cadre ? Est-ce qu'on peut se résoudre à ce qu'un ouvrier ait une espérance de vie de 7 ans inférieure à celle d'un cadre ?
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Oui, il y a sans doute des aspects, dans la loi, qui sont acceptés, mais pas d'autres, hein, on va parler de ce qui coince.
MARISOL TOURAINE
Cette loi, elle porte sur la prévention, elle fait le choix assumé de la prévention, par exemple en matière de tabac, avec le paquet neutre. Elle fait le choix assumé de lever….
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Il n'est pas encore là le paquet neutre.
MARISOL TOURAINE
Ah ben non, puisque la loi n'est pas votée et il faut de toute façon un certain temps.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Et ça va se faire ? Chaque fois je vous pose la question, ça va se faire ?
MARISOL TOURAINE
Oui, bien sûr, ça va se faire puisque la loi sera présentée au débat au printemps et cette mesure figure dans la loi.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
C'est-à-dire, dès que la loi est effective, le paquet neutre arrive chez les buralistes ?
MARISOL TOURAINE
Non, il faut un temps, puisqu'il y a une procédure européenne à suivre, et donc, je l'ai déjà indiqué, le paquet neutre arrivera en 2016. Mais donc, je reviens à la loi santé, c'est le choix de la prévention, le choix de lever les obstacles financiers, avec la mise en place du tiers payant, qui est un enjeu des discussions avec les médecins.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Alors, les médecins contestent la généralisation du tiers payant, ils disent : ça sera la déresponsabilisation des patients, ils vont venir tous azimuts puisque c'est gratuit. Il y a déjà un grand trou dans la Sécu, ça va être pire, non ?
MARISOL TOURAINE
Le tiers payant, ça existe dans les pharmacies, dans les laboratoires de biologie médicale, beaucoup d'infirmières, d'orthophonistes pratiquent le tiers payants, beaucoup de cliniques, et donc…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Il ne vaut mieux pas que ça soit contenu cette affaire ? On a déjà des soucis avec la Sécurité sociale.
MARISOL TOURAINE
Il y a donc déjà environ 30 % des actes en France qui sont réalisés par tiers payant, et la plupart de nos voisins européens, qui dépensent moins que nous en matière de santé, ont des systèmes de tiers payant.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Mais pourquoi aller au-delà, puisque la Sécurité sociale est déficitaire aujourd'hui ?
MARISOL TOURAINE
Mais ça ne coûtera pas d'argent à la Sécurité sociale, il s'agit de faire en sorte que les Français qui ne vont pas se soigner, parce qu'ils ne peuvent pas avancer des frais, et ce ne sont pas simplement des gens pauvres, ce sont des classes moyennes, des étudiants, n'aient pas à avancer les frais. Alors j'ai rencontré les professionnels, les organisations professionnelles hier…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Oui, parce que vous négociez tous azimuts, là, hein.
MARISOL TOURAINE
Je dis : je suis ferme sur le principe du tiers payant, je sais qu'il y a des oppositions, il y a aussi des inquiétudes sur la façon dont cela va se mettre en place. Les médecins me disent : ça va être compliqué. Eh bien j'ai proposé…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Il y a un côté un peu bureaucratique dans tout ça, non ?
MARISOL TOURAINE
J'ai proposé… Est-ce que la carte Vitale c'est bureaucratique ? Lorsque la carte vitale a été mise en oeuvre, on entendait : oh la la, ça va être l'étatisation de la santé. Y a-t-il aujourd'hui un cabinet médical où on ne mette pas sa carte Vitale ? Est-ce qu'on peut imaginer notre système de santé sans carte vitale ? Donc, évidemment pas.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Donc vous voulez, vous, lever certaines peurs, c'est ça ?
MARISOL TOURAINE
Je veux lever des inquiétudes et donc nous allons travailler à garantir que la mise en oeuvre du tiers payant se fera de manière aussi simple que possible.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Non, Marisol TOURAINE, pour les cliniques, les dépassements d'honoraires seront interdits, si elles veulent conserver les financements du service public hospitalier, les services d'urgences, c'est la grande angoisse des cliniques, hein.
MARISOL TOURAINE
Non, ce n'est pas exactement cela, et c'est une contre-vérité. Moi, je veux dire, il y a des inquiétudes qui se…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Si vous avez un service d'urgences, allez hop, on vous met au niveau de l'hôpital.
MARISOL TOURAINE
Jean-François ACHILLI, il y a des inquiétudes de la part de médecins, il y a des oppositions par exemple sur le tiers payant, il y a des contre-vérités. Je le dis de façon très claire. Lorsque l'on affirme que demain on ne pourra plus choisir son médecin traitant, c'est faux. Lorsque l'on dit que demain les cliniques ne seront plus financées par la Sécurité sociale, c'est faux. De quoi s'agit-il ? Il s'agit simplement de dire, si on veut avoir l'étiquette, si j'ose dire, « service public hospitalier », alors il y a des règles à respecter. Si on ne respecte pas ces règles, on continue à fonctionner, on peut…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Vous n'allez pas raboter les dépassements d'honoraires des cliniques.
MARISOL TOURAINE
Non.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Bon.
MARISOL TOURAINE
Il n'y a aucune demande qui est faite…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Ce n'est pas ce qu'ils disent, hein.
MARISOL TOURAINE
Mais, ce que demandent certains, du côté des cliniques, c'est au fond à avoir, passez-moi l'expression le beurre et l'argent du beurre, c'est-à-dire, ce qu'ils demandent, c'est pouvoir pratiquer leur exercice dans les conditions qu'ils souhaitent, et en même temps bénéficier de l'étiquette service public hospitalier. Ce que je veux, moi, c'est que les patients, lorsqu'ils poussent la porte d'un établissement de santé, ils connaissent les conditions auxquelles ils vont être soignés. Si c'est service public hospitalier, ils savent qu'il n'y aura pas de dépassement d'honoraires. S'ils poussent la porte d'une clinique, ils savent qu'ils doivent discuter avec les médecins, pour savoir à quelles conditions ils vont être soignés, mais les cliniques pourront évidemment continuer d'accueillir des malades, et les Français, s'ils le souhaitent….
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
C'est dit.
MARISOL TOURAINE
… continueront d'aller dans les cliniques, s'ils le préfèrent.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Encore un mot. Cette loi santé était prévue, là, fin janvier, début février, hop, c'est repoussé après les élections départementales, parce que c'est sujet à polémique, c'est ça, en fait.
MARISOL TOURAINE
Non, c'est parce que je crois…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Il ne faut pas gêner les scrutins.
MARISOL TOURAINE
Non, cette approche-là n'est pas la bonne. Le débat, il est là. La discussion elle a lieu…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Ceci dit, vous ne me direz jamais oui sur une question comme cela, évidemment.
MARISOL TOURAINE
Pardon ?
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Vous ne me direz jamais oui sur une question comme cela, évidemment.
MARISOL TOURAINE
Oh, écoutez, non, c'est juste que… De toute façon le débat a lieu. Il a lieu et moi je souhaite prendre quelques semaines pour améliorer la rédaction de la loi et rassurer, si cela doit permettre de rassembler davantage, dès lors que les principes de cette loi sont bien affirmés et bien assumés, parce que je le répète, c'est une loi pour les Français, dans l'intérêt de la santé des Français, et pour faire reculer les inégalités de santé qui existent dans notre pays.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Marisol TOURAINE, le débat sur la fin de vie, sur le bureau du président aujourd'hui, ce nouveau rapport avec Jean LEONETTI et Alain CLAEYS, qu'est-ce que c'est, c'est légaliser l'euthanasie, avec les fameuses mesures contraignantes, les directives anticipées, on en a longuement parlé ce matin, c'est ça l'idée ?
MARISOL TOURAINE
Ecoutez, une aide à mourir, le président de la République va recevoir un rapport de deux parlementaires dans quelques instants…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Parce que vous avez Philippe POZZO di BORGO, vous savez, « Intouchables » qui dit dans LE PARISIEN, « il faut aider à vivre, pas à mourir, soulager dans tuer », ce matin.
MARISOL TOURAINE
Il faut évidemment aider à vivre et surtout aider à ce que chacun, lorsqu'il est confronté à une maladie incurable, puisse être entendu, ne pas souffrir. Moi, ce qui me parait essentiel, c'est que la volonté des patients soit entendue. Au fond, nous avons aujourd'hui des lois, un système juridique, qui définit très précisément ce que sont les devoirs et les droits des médecins. Et le rapport qui va être présenté, dit que… et beaucoup de rapports qui ont été établis au cours des derniers mois, disent qu'il est temps de passer à entendre la parole des patients…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
D'accord, les volontés des patients.
MARISOL TOURAINE
Et je crois que c'est cela qu'il s'agit de mettre en place, et je souhaite maintenant, que, après le temps des débats, vienne rapidement le temps du débat parlementaire.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Très vite, Manuel VALLS réunit ses ministres, l'agenda des réformes. Il n'y a pas que la loi Macron dans la vie, que Martine AUBRY, loi Macron, a critiqué, elle est contre le travail dominical et parle de régression. Martine AUBRY, c'est votre nouvelle opposante interne ?
MARISOL TOURAINE
Je suis convaincue que la loi, portée par Emmanuel MACRON, sera largement votée, et honnêtement, sur la question du travail dominical…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Non, sur Martine AUBRY, en fait…
MARISOL TOURAINE
Sur la question du travail dominical, je trouve qu'on ne dit pas suffisamment, on ne relève pas suffisamment que tout travail du dimanche, devra donner lieu à une compensation salariale, ce qui est une avancée absolument fondamentale, puisqu'aujourd'hui il y a des tas…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Bon, vous ne répondez pas sur Martine AUBRY. C'est pas grave.
MARISOL TOURAINE
… de gens qui travaillent le dimanche, sans avoir d'amélioration de salaire, et donc cette loi marque une avancés importante, puisque qu'il ne pourra pas y avoir de travail du dimanche, sans qu'il y ait un accord sur la compensation.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Marisol TOURAINE, un dernier mot, parce qu'il y a très peu de temps. Il y a cet outing, c'est un mot français, d'une personnalité politique, très commenté ce matin, alors il ne faut pas qu'on dise le nom, pas question non plus, tiens, je ne donne pas le nom du magazine, comme ça on est d'accord sur tout. Sur le principe, vous savez, c'est l'éternelle question éthique sur la vie privée des personnalités, c'est… il n'y a plus de limites aujourd'hui.
MARISOL TOURAINE
Oui, moi je le regrette. Je considère que tout ce qui est volé, photos volées, informations divulguées sur la vie privée de personnes ou de personnalités publiques, qui ne souhaitent pas le porter à la connaissance du public, tout cela est assez méprisable.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Merci Marisol TOURAINE.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 15 décembre 2014