Déclaration de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, sur les efforts français et africains en faveur de la paix et de la sécurité en Afrique, à Dakar le 15 décembre 2014.

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Circonstance : Forum sur la paix et la sécurité en Afrique, à Dakar (Sénégal) du 14 au 16 décembre 2014

Texte intégral

Monsieur le Premier ministre,
Monsieur le Commissaire,
Mesdames et Messieurs,
Il y a tout juste un an, le 7 décembre 2013, les conclusions du Sommet de l'Élysée soulignaient la volonté des États africains de prendre en main la sécurité de leur propre continent.
Pour appuyer cette dynamique d'appropriation, le Sénégal avait pris, ce jour-là, l'engagement précis d'accueillir un Forum informel sur la paix et la sécurité en Afrique. Ce n'était qu'une belle idée à cette date, mais j'avais été frappé par l'adhésion immédiate que cette proposition avait suscitée.
Un an plus tard, nous voilà rassemblés à Dakar, conformément à la volonté qui avait été affirmée et qui ne s'est jamais démentie. Je tiens à vous dire à quel point je me réjouis de voir ce projet se concrétiser. Je veux rendre ici hommage au Président Macky Sall et au gouvernement sénégalais. Ils ont su conduire ce projet avec la détermination et la ténacité qu'il fallait pour le faire aboutir. Je rends également hommage à M. le Ministre Tidiane Gadio, à l'Institut Panafricain de Stratégies qu'il dirige, ainsi que qu'à la Fondation pour la Recherche Stratégique. Ensemble, depuis un an, ils ont parcouru l'Afrique et le monde entier pour penser et préparer la tenue de ce forum.
Ma conviction est que ce forum va apporter une nouvelle pierre, qui manquait encore, à l'édifice de l'architecture de paix et de sécurité africaine.
Ce forum s'inscrit dans un double mouvement que la France s'est engagée à accompagner, celui du renforcement des capacités africaines et celui de l'appropriation par l'Afrique de ses propres enjeux de sécurité.
En deux ans et près de vingt voyages en Afrique, la conviction personnelle que je me suis forgée est que l'appropriation africaine n'est pas, comme certains se plaisent à la dire, un slogan ou une posture. C'est une réalité.
Aujourd'hui, les premiers acteurs de la sécurité en Afrique, ce sont les Etats africains, les armées africaines et les organisations africaines. Dans toutes les crises africaines, c'est la voix de l'Union africaine qui se fait entendre. Dans toutes les opérations de maintien de la paix déployées en Afrique, je constate que ce sont les contingents africains qui fournissent l'essentiel des effectifs. Ce sont également les soldats africains qui ont payé ou qui payent un lourd tribut à la cause du maintien de la paix. Je pense aux sacrifices consentis par la Mission de l'Union africaine en Somalie, l'AMISOM. Je pense, plus récemment aux pertes subies par les contingents tchadien, nigérien, sénégalais et burkinabé au Mali. Je profite de cette occasion pour leur rendre un hommage solennel et mérité.
La France, elle aussi, prend sa part dans cet effort et, malheureusement, aussi dans ce sacrifice. En 2014, des soldats français ont perdu leur vie au Sahel ou en Centrafrique. Je veux également leur rendre hommage car leur sacrifice illustre la solidité de notre engagement aux côtés des pays africains.
Un an après le sommet de l'Élysée, je souhaite réitérer le message du Président de la République. La France sera au rendez-vous. Elle continuera d'appuyer ce mouvement d'appropriation par l'Afrique de sa propre sécurité.
Mais le défi de ce forum, c'est bien d'aller au-delà des premiers jalons que nous avons posés. Je considère que nous avons deux grands défis devant nous.
Le premier est d'amplifier notre effort collectif en faveur de l'Afrique. A ce titre, je me réjouis que ce forum rassemble aujourd'hui, dans cette salle, tous les partenaires clés du continent africain. Je salue tout particulièrement nos amis européens, singulièrement nos amis néerlandais, américains, chinois, japonais, qui, je n'en doute pas, apporteront une contribution décisive à ce forum.
Les partenaires de l'Afrique ne manquent pas. Encore faut-il que nous travaillions ensemble dans la même direction, avec une même compréhension des enjeux, des menaces et des réponses que nous devons y apporter. Cela suppose que nous soyons prêts à tenir un discours de vérité et à sortir des sentiers battus. C'est, de mon point de vue, tout le sens et toute l'ambition de ce forum.
Le second défi de ce forum, c'est de faire de la coopération la règle et non plus l'exception. L'enseignement que nous retirons des opérations Serval et Sangaris, mais aussi de nos engagements dans les missions onusiennes et européennes déployées en Afrique, est simple : une gestion strictement nationale des enjeux de sécurité est désormais une illusion. La menace terroriste n'a pas de frontières. Elle se nourrit justement de leur absence, de leur porosité, et prospère grâce à la fragilité des espaces transfrontaliers.
Le sud de la Libye en est aujourd'hui l'exemple le plus dramatique. Il y a quelques mois, j'avais alerté sur le risque que cette zone ne devienne le nouveau point de convergence et de ressourcement des groupes terroristes. Cette inquiétude s'est malheureusement vérifiée, et la situation dans le Sud libyen est aujourd'hui une source de déstabilisation pour l'ensemble du Sahel.
Je peux malheureusement citer un autre exemple, celui de la menace de Boko Haram. Aujourd'hui, la question n'est plus de savoir si Boko Haram est un problème national ou régional. Les attaques barbares qui ravagent le nord du Cameroun nous apportent hélas la réponse. La question urgente qui se pose est de savoir comment peuvent se mettre en place les éléments d'une réponse régionale, concertée, coordonnée, à cette menace sans précédent que représente le mouvement Boko Haram.
Je pourrais encore citer la piraterie maritime, qui sévissait hier dans le Golfe d'Aden et qui handicape aujourd'hui lourdement l'économie du Golfe de Guinée. Cette criminalité n'a pas de nationalité, pas de territoire, pas de frontière. Elle vise au contraire à s'en affranchir. Dans ce contexte, comment un seul État pourrait-il, avec ses seuls moyens, endiguer efficacement ce phénomène ?
Nous parlerons également des crises sanitaires, en particulier de la propagation du virus Ebola qui est aujourd'hui un défi, non seulement pour l'ensemble de l'Afrique, mais aussi pour toute la communauté internationale.
Devant ces défis, dont la combinaison peut paraître insurmontable, je voudrais toutefois, à l'ouverture de ce forum, vous faire part de mon optimisme. A l'issue de mes nombreux déplacements en Afrique, je constate une chose : face aux menaces, c'est la démarche de partenariat, de coopération, d'entraide qui s'impose partout progressivement.
Au Sahel, je constate qu'une dynamique de coopération inédite se met en place. Au travers de l'opération Barkhane, nous avons mis en place un cadre pour que ce mouvement s'amplifie et se traduise par des développements concrets.
Face à Boko Haram, c'est, dans la ligne tracée par le sommet de Paris, une coopération sans précédent qui est mise en œuvre dans le cadre de la Communauté du Bassin du Lac Tchad.
Dans le Golfe de Guinée, le sommet de Yaoundé a fixé un cap, et je constate là encore que les outils d'une coopération régionale se mettent progressivement en place.
En définitive, le forum de Dakar arrive à point nommé. Il se tient à un moment où ces dynamiques positives africaines ont besoin d'être confortées, confirmées et accompagnées par leurs partenaires. Il se tient à un moment où l'Afrique et ses partenaires ont besoin de se parler avec un discours de vérité. Enfin, il se tient à un moment où nous avons aussi besoin de penser l'avenir, de le préparer ensemble. C'est à ce titre que je compte beaucoup sur la présence des nombreux penseurs stratégiques qui ont fait le déplacement à Dakar et qui pourront nous apporter leur regard, critique mais aussi, je l'espère, prospectif, sur les défis qui sont devant nous.
Pour ces différentes raisons, je me réjouis d'apporter ma contribution personnelle à ce forum et de participer à ses débats. Je terminerai en remerciant, une nouvelle fois, les autorités sénégalaises pour l'accueil qu'elles nous réservent aujourd'hui.
Je vous remercie.Source http://www.defense.gouv.fr, le 17 décembre 2014