Interview de M. Hervé de Charette, président délégué de l'UDF, à RTL le 30 octobre 2001, sur la construction annoncée de centres de détention en Corse, le projet de loi sur la sécurité intérieure, le soutien aux Etats-Unis dans la lutte contre le terrorisme et sur la campagne pour l'élection présidentielle.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Arzt Sur la Corse, L. Jospin a fait une mise au point hier : la construction d'un centre de détention pour les condamnés à de longues peines est prévue dans le cadre plus large de la modernisation des prisons françaises. Rien de changé en attendant, c'est ce que vous souhaitiez entendre ou bien, pour reprendre la formule d'A. Duhamel de tout à l'heure, vous êtes un "membre de l'opposition complètement déchaîné" ?
- "Oh, pas déchaîné ! Mais M. Jospin, sur la Corse, c'est la samba : deux pas en avant, un pas en arrière. Malgré la mise au point du Premier ministre, on a bien compris que celui qui avait dit la vérité, c'était le ministre de l'Intérieur, c'est-à-dire qu'il s'agissait de faire une concession de plus aux indépendantistes en espérant relancer le processus de Matignon. Dans les mois qui viennent, en période électorale avec la tension politique, la sagesse pour le Gouvernement, ce serait de suspendre le processus de Matignon. Il y a en France, des gens qui pensent qu'il faut négocier avec les indépendantistes - c'est le Gouvernement et les socialistes. Ce n'est pas du tout mon avis, je pense qu'il faut appliquer en Corse une politique fondée sur le maintien de la sécurité et de l'ordre. Puisqu'il y a ce débat, il va être tranché à l'occasion de l'élection présidentielle. Au lendemain de l'élection, ceux qui gouverneront appliqueront la politique qu'ils jugent bonne."
C'est-à-dire que vous souhaitez, si la droite revient au pouvoir, que la question corse soit traitée sur un plan tout à fait différent, une base tout à fait nouvelle ?
- "Absolument, je ne crois pas du tout que ce soit en négociant avec la minorité ultra minoritaire indépendantiste qu'on trouvera la réponse."
Ce sont des élus, pourtant.
- "Oui, mais ils sont ultra minoritaires. Si on veut appliquer à la Corse une nouvelle solution, il faut commencer, au point où l'on en est, à rendre la parole aux Corses d'une façon ou d'une autre. Vous savez qu'il y a des débats juridiques sur les modalités, soit qu'on renvoie l'Assemblée corse devant les électeurs, soit qu'après une modification de la constitution, on procède à un référendum, mais il faut que les Corses, une bonne fois pour toutes, nous disent ce qu'ils veulent."
Demain, à l'Assemblée, va passer en dernière lecture un projet de loi sur la sécurité quotidienne, qui était à l'origine un texte technique sur les ventes d'armes, les pitbulls ou les fraudes aux cartes bancaires. Depuis, s'y sont ajoutés la fouille des véhicules, le renforcement des contrôles dans les aéroports etc. Vous pourriez voter ce texte ?
- "Oui, je voterai ce texte en l'état actuel, ceci étant, ce n'est pas pour donner un satisfecit au Gouvernement en matière de sécurité. C'est que les dispositions qui sont dans ce texte, ce sont des dispositions qui, en elles-mêmes, vont dans le bon sens, moyennant quoi, dans le domaine de la sécurité, on peut bien dire que le Gouvernement, au cours de ces cinq années qui s'achèvent, aura échoué. Puisque l'insécurité a progressé dans des proportions considérables."
Donc, il fait bien de prendre ce texte ?
- "C'est le minimum, je vais voter ces dispositions, parce que c'est déjà dans le bon sens, mais il en manque beaucoup d'autres, qui seraient absolument nécessaires."
Je disais que dans ce texte, il y avait les ventes d'armes. Ce fait divers tragique à Tours hier, où, dans un moment de folie, un homme a tué plusieurs personnes, cela amène certains à droite, comme C. Pasqua ou P. de Villiers, à parler de retour à la peine de mort.
- "Oui, c'est traditionnel, mais je ne suis pas favorable à la peine de mort. Autant je suis favorable à des dispositions énergiques dans le domaine de la sécurité, autant je ne crois pas que la peine de mort devrait être rétablie dans notre pays."
Vous avez été ministre des affaires étrangères dans le gouvernement Juppé. Est-ce que selon vous la diplomatie française doit actuellement se démarquer d'une stratégie américaine, qui tarde à avoir des résultats en Afghanistan ?
- "Il y a deux choses : il y a le soutien qu'il faut apporter aux Américains dans le combat qui est le leur. De ce point de vue la politique du "oui mais" serait très malheureuse. Les Américains sont en face d'une épreuve redoutable, il faut les accompagner et les soutenir. Et il y a une deuxième chose, c'est la diplomatie, l'attitude et le comportement de l'Europe et le fait qu'aujourd'hui, face à cette immense affaire que constitue le nouveau visage du terrorisme mondial, l'Europe est absente ou en tout cas timide, quasi silencieuse et je crois que c'est très regrettable."
Votre successeur, Hubert Védrine, devrait-il travailler à cela ?
- "Ce serait bien, ce serait excellent. Ce qui serait important, c'est que l'Europe soit présente dans cette affaire. Elle ne l'est guère sur le plan militaire, parce qu'elle n'en a pas les moyens, mais elle peut l'être sur le plan diplomatique, politique, international, sûrement."
En tant que président délégué de l'UDF, comment expliquez-vous que la campagne de F. Bayrou pour la présidentielle ne démarre pas ?
- "Il est vrai que les sondages en tout cas ne sont pas ce qu'on pourrait espérer. Ceci étant, c'est vrai aussi, pour à peu près tout le monde, à part le cas de M. Chevènement, dont je vais vous dire un mot. Le fait est que la campagne présidentielle a été en quelque sorte suspendue par le fait des événements internationaux ..."
Qu'est ce que vous allez nous dire sur J.-P. Chevènement ?
- "Simplement, c'est le seul candidat qui échappe au jugement que je viens de donner et au fond, j'en tire plutôt la conséquence qu'il y a dans l'opinion un réel désir de changement. Il y a une déception forte à l'égard du Premier ministre, l'usure du Gouvernement et de la majorité mais, en même temps, il y a notamment dans l'opposition, beaucoup d'électeurs qui aimeraient bien avoir un autre choix que celui du président de la République. Donc, il y a au fond dans l'opinion publique aujourd'hui un besoin, une recherche timide, parce que la campagne n'est pas du tout lancée, parce que les gens ne sont pas du tout dans la campagne électorale qui sera probablement ramassée, courte. Et il y a un besoin qui est sensible d'une autre ou d'autres candidatures."
Alors, F. Bayrou devrait en profiter...
- "Mais bien entendu."
Et si ce n'est pas le cas ?
- "Laissez-moi deux secondes, le temps de vous dire ce que je pense sur le sujet. Il est extrêmement important que l'UDF soit présente dans cette campagne électorale. Nous sommes une grande famille politique qui a été fondée par M. Giscard d'Estaing il y a maintenant plus de 30 ans,. Elle était le rassemblement de la droite modérée et du centre. Je continue de déplorer que l'UDF, ancienne manière, celle de Giscard, ait éclaté en 1998, je continue à travailler à ce qu'elle se rassemble et je crois nécessaire qu'elle soit présente dans les grandes échéances..."
Ce sont des vux.
- "Peut-être. Ce à quoi je travaille, ce ne sont pas des vux, ce sont des objectifs, et si l'UDF n'est pas présente dans cette campagne, il se passera ce que d'ailleurs je vois se dessiner sous nos yeux, c'est-à-dire une nouvelle version du Parti gaulliste, qui cherchera une nouvelle fois à dominer la vie politique française à droite. Et ce n'est pas l'intérêt de l'opposition et ce n'est pas comme ça qu'elle gagnera."
La solution pourrait être une candidature de V. Giscard d'Estaing ?
- "Je ne crois pas que cette question soit d'actualité ! M. Giscard d'Estaing si j'ai bien compris, est candidat à une autre fonction."
Et vous préférez qu'il aille là-bas [à la présidence de la convention qui va préparer la réforme des institutions européennes] ?
- "Non, il est candidat et je souhaite que le Gouvernement, le président de la République et l'ensemble des forces politiques françaises soutiennent cette candidature."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 30 octobre 2001)