Texte intégral
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Bonjour Christiane TAUBIRA.
CHRISTIANE TAUBIRA
Bonjour Monsieur ACHILLI.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Et bienvenue. Fabienne SINTES vient de le rappeler à l'instant, les deux principaux suspects sont traqués sans relâche par les forces de l'ordre ce matin. Est-ce qu'on a une idée de ce qu'ils sont et de ce que l'on peut en dire ?
CHRISTIANE TAUBIRA
On a une idée des personnes suspectées, des personnes que les forces de sécurité recherchent, sous l'autorité du Procureur de la République
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
On sait où ils sont, Madame TAUBIRA ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Le Procureur fera savoir en temps nécessaire ce qu'il en est de cette enquête, vous comprenez bien, le Premier ministre l'a dit d'ailleurs ce matin, les précautions que nous devons avoir, quoi que nous sachions l'expression doit être d'une extrême prudence parce qu'il ne faut pas que nous nous transformions, à notre insu, en complices, ou en comparses de ces criminels. Par conséquent, c'est selon la stratégie développée par le Parquet lui-même, et par les enquêteurs, qu'il conviendra éventuellement que le Parquet informe, les médias bien entendu, et la société toute entière.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Vous voulez dire, pas de renseignements qui pourraient renseigner, donc aider ces deux individus, extrêmement dangereux.
CHRISTIANE TAUBIRA
D'une façon générale je suis d'une extrême prudence, et je m'impose une règle concernant les procédures, je considère que c'est au Procureur de s'exprimer sur les procédures. Mais, dans ce cas particulier, avec cette violence, cette brutalité, ce nombre de morts, ce sang-froid, cette monstruosité, cette intolérance , cette lâcheté aussi, parce qu'il y a une lâcheté innommable dans le fait de venir avec des armes lourdes et d'assassiner des personnes aussi froidement, dans ce cas en particulier la vigilance est plus grande encore, parce qu'il s'agit de prendre toutes les précautions de façon à assurer l'efficacité et la rapidité de l'enquête.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Alors, Madame la ministre, le parcours des deux frères KOUACHI était connu de la police et de la justice, ils n'étaient pas des novices, ils ne sortaient pas de nulle part.
CHRISTIANE TAUBIRA
C'est-à-dire qu'il y a un des suspects qui, effectivement, était connu des services de renseignements
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Qui a fait de la prison.
CHRISTIANE TAUBIRA
Absolument, il a fait de la prison en 2005 et en 2008, il est sorti des établissements pénitentiaires la dernière fois en 2011, donc c'est quelqu'un qui avait des antécédents carcéraux et judiciaires.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Il n'était pas placé sous surveillance malgré ce passif, ce lourd passif ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Lourd passif, c'est-à-dire qu'il a fait l'objet d'une condamnation, je rappelle, en 2005 et en 2008, de 3 ans d'emprisonnement avec 18 mois avec sursis, c'est-à-dire que les éléments qui étaient à la disposition des juridictions, à cette époque-là, ont conduit à de telles décisions. Il n'y a pas lieu de procéder à un suivi systématique de toutes les personnes qui sont passées en établissement pénitentiaire. Et je vais rappeler, parce que l'important est de comprendre ces phénomènes, de les maîtriser de façon à les combattre et à prévenir leur ampleur, je vais rappeler que parmi nous avons une centaine de procédures en cours, il y a une centaine de personnes mises en examen, un peu plus même, et il y a des détentions provisoires, des informations judiciaires, et des contrôles judiciaires, ce que je peux vous dire c'est que 16 % seulement des personnes avaient des antécédents judiciaires ou carcéraux, 16 %. C'est-à-dire que, évidemment, il y a des personnes
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
De ceux qui sont suivis aujourd'hui !
CHRISTIANE TAUBIRA
Absolument, 16 %, donc ça veut dire que la très grande majorité et c'est pour ça que nous avons lancé une étude de façon à bien comprendre ce processus, et qu'on se rend bien compte que la radicalisation violente, souvent, se fait de façon très très accélérée, qu'elle touche des milieux qui n'étaient pas perçus naturellement exposés à cette radicalisation violente, et ça veut dire que nous devons diversifier nos armes de combat et de prévention.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Vous êtes en train de nous dire que nous faisons face à un phénomène inédit, sans précédent. Manuel VALLS, qui était chez nos amis de RTL, a parlé de menace terroriste sans précédent, extérieure et intérieure.
CHRISTIANE TAUBIRA
C'est incontestablement un phénomène tout à fait nouveau, je vous parlais d'une radicalisation très très rapide, très accélérée, il y a des profils très différents, des parcours extrêmement différents, par conséquent nous cherchons justement à englober toutes ces diversités dans ce processus de radicalisation violente. Nous travaillons sur tous les terrains, évidemment le renforcement du renseignement, du renforcement de sécurité et du renforcement pénitentiaire, la meilleure coopération entre tous ceux qui travaillent pour la justice et pour le ministère de l'Intérieur, et bien entendu, aussi, une meilleure connaissance de ce processus avec des partenaires, notamment universitaires.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
On a bien compris, mais vous évoquiez la monstruosité de ce qui s'est produit hier. Quand on regarde les images, comment qualifier ces deux individus ? On a l'impression de voir des professionnels de la guerre, or il semblerait qu'ils soient restés sur le sol français et qu'ils ne soient pas partis combattre, comme d'autres, en Syrie ou en Irak. Ça veut dire quoi, qu'ils se forment chez nous ?
CHRISTIANE TAUBIRA
On sera formel une fois que les faits seront établis, bien entendu, on saura très exactement leur parcours et les différentes étapes, mais incontestablement, oui, je parle de monstruosité. Il y a quelque chose d'incompréhensible pour l'humain, dans cette froideur.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Sortons du cas de ces deux individus, dont on saura plus ce qu'ils ont fait quand ils auront été interpellés, mais ma question est la suivante : aujourd'hui, ces jeunes qui se radicalisent, Christiane TAUBIRA, est-ce qu'ils se radicalisent forcément avec un séjour à l'étranger, en prison, ou bien tout simplement chez eux, dans leur coin, dans leur ville ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Ce serait simple si les parcours étaient linéaires, et ça fait plus d'1 an et demi que je le dis, simplement parce que dans le démantèlement des filières, dans les interpellations auxquelles il est procédé, dans les procédures qui sont conduites, on se rend bien compte, et je vous l'ai dit tout à l'heure, 16 % seulement ont des antécédents judiciaires ou carcéraux, donc ce serait plus simple si c'était juste un suivi à effectuer. Nous effectuons par exemple le suivi, nous avons identifié très précisément les personnes qui sont en établissement pénitentiaire, nous effectuons un suivi, y compris après leur sortie, ça c'est établi très clairement. Nous avons, nous, des fonctionnaires de la justice qui travaillent, qui sont inclus dans les structures du ministère de l'Intérieur, de façon à ce que l'information soit d'une grande fluidité.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
La prison fabrique des terroristes pour Daech, c'est sûr, c'est avéré, vous le savez ça.
CHRISTIANE TAUBIRA
Mais combien de fois il faut vous répéter mais personne ne nie qu'effectivement dans les établissements pénitentiaires et nous avons une gestion très précise, très méticuleuse, et très suivie, nous avons des remontées très régulières, et quand je dis très régulières, c'est toutes les 48 heures, des éléments du comportement des uns et des autres. Mais je répète, lorsqu'on a 6% de personnes qui ont des antécédents carcéraux, ça veut dire qu'on doit bien comprendre que dans la société il y a toute une série de processus qui conduisent à cette radicalisation, et qu'il faut arriver à les identifier, à les détecter et à les combattre, y compris par de la prévention, y compris par des contre-discours, y compris par des mécanismes de désendoctrinement et de désembrigadement. Donc c'est ça que nous sommes en train de faire. Dans nos établissements pénitentiaires, à la limite, c'est presque plus facile, parce que nous arrivons à mettre en place des dispositifs
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Parce qu'ils sont là.
CHRISTIANE TAUBIRA
Oui, puisque c'est une population captive, donc nous arrivons à mettre en place des dispositifs de façon à protéger la grande masse de la population carcérale, de cette minorité agissante, qui cherche à endoctriner. Mais dans la société, nous devons justement identifier tous ces parcours, toutes ces trajectoires, de façon à les interrompre.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Est-ce qu'on peut parler de cellules dormantes ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Il y a manifestement, je ne sais pas comment le redire, des parcours différents, c'est-à-dire vous avez des personnes qui, dans un isolement, incompréhensible sans doute pour nous, se radicalisent et font un parcours totalement individuel, la loi s'est dotée, la loi a doté aussi bien les enquêteurs que les magistrats, de moyens pour faire face à cela. Il y en a qui se radicalisent très vite, il y en a qui sont en contact, il y en a qui ont un effet grégaire, c'est-à-dire qui se rassemblent ensemble, on a vu par exemple que dans certaines petites villes il y a un nombre impressionnant de personnes qui se radicalisent, voilà. Donc, il y a des tas de profils différents, et il faut apporter des réponses les plus précises possibles, les plus proches de ces réalités, de façon à les combattre.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Christiane TAUBIRA, juste Oui, Fabienne SINTES.
FABIENNE SINTES
Je voudrais vous interrompre un instant parce que c'est une dépêche urgente qui vient de tomber, qui dit qu'un tireur viendrait de tuer une femme qui faisait la circulation, ça se passe du côté de Malakoff, deux coups de feu confirmés partis de l'avenue de la Paix, une agent à terre apparemment qui faisait des contrôles et le SAMU vient d'arriver. Voilà !
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Voilà ! Nous découvrons donc cette information en direct.
FABIENNE SINTES
A l'instant même ! Peut-être quelques
INTERVENANT
Confirmée par la préfecture de de sources policières effectivement, au moins trois coups de feu dans le secteur Malakoff Montrouge Porte de Chatillon avec cette notion qui est évoquée, qui n'est pas confirmée encore, d'une agent qui faisait la circulation qui aurait été visée par ces coups de feu, cette information reste à confirmer. Mais en tout cas les coups de feu sont confirmés ce matin, donc, dans ce secteur-là Porte de Chatillon.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Voilà ! Christiane TAUBIRA, c'est difficile de réagir à une telle information qui nous parvient à l'instant. Donc, d'autres actes terroristes de ce type sont à redouter sur notre sol ?
CHRISTIANE TAUBIRA
C'est une hypothèse que nous avons intégrée de façon tout à fait lucide et tout à fait responsable. Ce que je peux vous dire simplement et il faut qu'ils le sachent ils n'auront pas le dernier mot, ils n'auront pas le dernier mot.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Que dites-vous à ceux qui vous accusent de laxisme, ça circule sur les réseaux sociaux, on parle de laxisme du gouvernement ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Peu importe ! Peu importe, tout ça va s'envoler.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Qu'est-ce que vous leur répondez ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Ce qui compte c'est l'action du gouvernement, c'est la détermination du gouvernement, c'est la capacité du gouvernement à faire front, à faire face, à agir et à mettre un terme à cette sauvagerie, à cette barbarie, à cette monstruosité, et nous sommes tous profondément déterminés à le faire et nous le ferons, et je vous répète qu'ils n'auront pas le dernier mot.
FABIENNE SINTES
Vous dites, madame TAUBIRA, que nous avons l'arsenal, nous avons l'appareil de défense, nous avons l'appareil législatif qui permet de répondre à de type de menace, sans l'ombre d'un doute ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Oui ! Nous avons renforcé les textes de loi. Nous sommes une démocratie et on a entendu des tas de voix tout à fait moralement très, très honorables - je pense notamment par exemple à Robert BADINTER nous avons entendu des voix rappeler que nous n'allons pas leur donner la victoire de démolir la démocratie. Ils attaquent la démocratie et, je le répète, ils attaquent la démocratie dans tout ce qu'elle a de vivace, de vital, de vibrant. Lorsqu'ils attaquent des journalistes et des dessinateurs satiriques, des journalistes point, des journalistes c'est tout, ils attaquent justement une des grandes merveilles de la démocratie, ce qui fait la lumière de la démocratie, des journalistes satiriques et des dessinateurs en plus qui sont des personnes extraordinaires, enfin bon moi je Peu importe ! Je le dirais en d'autres circonstances, je pense à CABU par exemple, à tout ce qu'il
FABIENNE SINTES
Eh bien non, eh bien allez-y madame TAUBIRA, en fait je ne voulais pas vous laisser partir avant de les avoir entendus justement, juste trente secondes, deux de ces hommes qui sont morts hier, il y a CABU et il y a CHARB aussi, écoutez ce qu'ils disaient justement sur leur métier.
CABU
Un dessin c'est un fusil à un coup, ça c'est CAVANNA qui disait ça, effectivement il faut voir le raccourci si vous voulez, ce n'est pas comme un texte. D'abord je ne suis pas d'accord avec les gens qui disent : un bon dessin vaux mieux qu'un long discours, parce que dans un long discours vous pouvez faire passer toutes les nuances que vous voulez tandis que dans un dessin non, il n'y a pas de nuances, c'est paf, ou c'est raté ou c'est réussi quoi.
CHARB
Le meilleur médicament contre la violence c'est l'humour et la dérision, mais c'est vrai qu'on fait des dessins parfois très violents et, si on n'avait pas sublimé notre violence dans le dessin, je ne sais pas comment ça aurait pu tourner effectivement.
FABIENNE SINTES
Voilà ! C'est la définition même de la liberté d'expression, en fait, Christiane TAUBIRA.
CHRISTIANE TAUBIRA
Oui ! C'est ça qui ne peut pas disparaitre, c'est ça qui ne peut pas mourir.
FABIENNE SINTES
Juste une dernière chose ! Pour que cet esprit demeure, est-ce qu'il faut aider CHARLIE, est-ce que c'est en partie votre rôle aussi vous au gouvernement d'aider CHARLIE, de faire en sorte que ce journal ne disparaisse pas ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Oui ! Mais d'abord, en tant que citoyens bien entendu - et le gouvernement aussi mais vous pensez bien qu'il y aura quelque chose de en tout cas qui entraînerait des interrogations que le gouvernement se charge d'aider CHARLIE, mais je pense qu'en tant que personnes, nous, y compris
FABIENNE SINTES
Dans des circonstances très exceptionnelles !
CHRISTIANE TAUBIRA
Y compris appartenant au gouvernement, je veux dire si vous appelez une aide publique qui permettrait à machin, oui je pense que ce serait parfaitement justifié. Ceci étant, justement CHARLIE c'était la contestation de tous les pouvoirs, c'était la contestation de l'ordre établi et c'était la contestation du confort, du quotidien, mais il est évident qu'on ne peut pas concevoir la disparition de CHARLIE HEBDO, d'abord parce que c'était dans le paysage, ensuite parce que sa disparition ce serait quand même même si on arrête ces criminels, même si la décision de justice c'est de les enfermer à vie ce serait une victoire pour eux, donc CHARLIE HEBDO doit rester dans le paysage.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Christiane TAUBIRA, juste un dernier mot rapide, rapide. Vous dites ils n'auront pas le dernier mot, les terroristes, vous ne craignez pas que les Français dans le contexte politique aujourd'hui demandent plus de sécurité, que le débat se durcisse en France ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Mais cela peut s'entendre ! Cela peut s'entendre. Et puis la responsabilité politique est de savoir comment on assure la sécurité ses Français, comment on assure la vigilance nécessaire, comment on est efficaces sans - je le répète leur offrir la victoire de démolir la démocratie.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Merci Christiane TAUBIRA.
FABIENNE SINTES
En direct sur FRANCE INFO, merci beaucoup.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 9 janvier 2015