Déclaration de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur les relations politiques, culturelles et militaires entre la France et Djibouti, Paris le 26 mai 1999.

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Circonstance : Visite officielle de M. Ismaël Omar Guelleh, Président de la République de Djibouti, à Paris les 25 et 26 mai 1999-dîner le 26

Texte intégral

Monsieur le Président,
Messieurs les Ministres,
Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs,
En réservant à la France votre premier voyage officiel à l'étranger, vous avez souhaité, Monsieur le Président, marquer votre souci d'une relation étroite, dense et exigeante entre nos deux pays. En vous accueillant, la France veut, par votre truchement, adresser au peuple djiboutien un message d'amitié, de solidarité et de confiance que nous avons plaisir à lui délivrer au moment précis où dans sa majorité il vient de vous donner son suffrage.
Permettez-moi tout d'abord d'avoir une pensée particulière pour votre prédécesseur, le président Hassan Gouled Aptidon, père de l'indépendance de Djibouti, et qui, après 22 ans consacrés à installer, à faire exister et rayonner votre jeune pays, s'est retiré de la vie publique.
De cet ami de la France, qui a su donner à votre peuple sa fierté nationale je retiendrai le double message de sagesse et de détermination qu'il a voulu me semble-t-il faire passer. Aux contraintes naturelles qui n'offraient à Djibouti que les atouts de la patience et du labeur pour exister économiquement, aux ferments d'instabilité qui minent périodiquement l'équilibre régional dans cette Corne de l'Afrique, et par conséquent menacent la paix de votre pays, le président Gouled a voulu opposer une ferme patience. Du temps dont il a voulu faire un allié pour que Djibouti existe, se développe, suggère aux moments les plus délicats de votre vie régionale les voies de la négociation et du dialogue, je retiendrai particulièrement le constant appui qu'il a donné à l'IGADD, autorité régionale dont la création en 1986 ouvrait la possibilité d'une régulation de leur vie quotidienne pour Djibouti et ses Etats voisins.
Monsieur le Président,
Toutes ces années ont été peu à peu celles de votre apprentissage et de votre entrée en vie publique. Aucun des grands choix qu'eut à faire Djibouti n'a échappé à votre analyse. Si bien qu'aujourd'hui, accédant à votre tour à la présidence de la République, vous êtes tout à la fois dépositaire de ces messages et face à la lourde tâche, de déchiffrer et bâtir l'avenir.
J'ai tout à l'heure fait une rapide allusion à la situation singulière et à bien des égards difficile de Djibouti. Moi-même, en vous rendant visite en janvier dernier j'ai, comme beaucoup, été saisi par l'âpreté de cette "...terre étrange et tourmentée, profondément marquée par les caprices des révolutions telluriques, mer en kermesse, magie à fleur d'eau...". Ces mots, je les emprunte à dessein à l'un de vos jeunes écrivains. Ils résument avec force le destin d'un peuple qui veut apprivoiser sa terre. Il faut, je crois, comprendre cette lutte pour forger l'espoir.
Mais il faut y ajouter la réunion des peuples, qui chez vous sont autant de familles entrelacées, d'identités fières de leur histoire, avides de respect, pour comprendre cet autre défi de la nation djiboutienne : l'unité, comme un bien précieux qui ne peut prospérer que dans la tolérance et le bien-être de vos populations.
L'unité est une des plus hautes valeurs d'une république. Djibouti l'a déclinée dans une devise qui n'a pas omis de rappeler le respect de la diversité djiboutienne : terre d'échanges et de rencontres. L'expression est belle et me semble caractériser les deux grands atouts de votre pays : au carrefour de l'échange, votre économie, fondée d'abord sur le transport et les services, occupe une position stratégique que conforte la convertibilité de votre monnaie. Mais nous savons aussi la fragilité de cette situation. Plus que toute autre soumise aux aléas de la conjoncture, elle appelle une ressource humaine de qualité. Lorsqu'on y ajoute la rareté des ressources naturelles, on comprend mieux l'étroitesse de la marge de manoeuvre : elle suppose un appareil administratif efficace et qui ne soit pas surdimensionné, des entreprises publiques performantes, et un tissu d'entreprises privées encouragé par un environnement juridique et fiscal qui les soutienne.
La France, Monsieur le Président, sera résolument à vos côtés sur le chemin des réformes qui s'imposent. Vous le savez, ces réformes sont le gage de vos négociations avec les institutions financières internationales. Je ne doute pas, quant à moi, que vos efforts trouvent une issue favorable dans la signature avec le FMI d'une facilité d'ajustement structurelle renforcée d'ici la fin de cette année.
Mais l'échange et la rencontre sont aussi au coeur de votre politique culturelle. Formidablement jeune, Djibouti a depuis longtemps misé sur la formation des nouvelles générations. C'est son bien le plus immédiat. Mais c'est aussi un nouveau défi qui exige ténacité et imagination, puisque l'effort que vous consentez pour la formation est tout à la fois au centre de votre construction politique, économique et sociale. Car c'est l'école qui forge l'unité nationale mais c'est l'école aussi qui porte la responsabilité de diversifier les parcours de formation, de préparer l'insertion des jeunes et de leur offrir, chez eux, le goût de vivre et de créer.
Dans cet effort, vous avez toujours souhaité compter sur notre appui. Il ne se démentira pas et nous souhaitons avec vous explorer toutes les pistes pour que votre système éducatif s'adapte, dans le respect des talents et des identités de chacun, dans le souci aussi d'associer la formation à l'idée de réussite.
Car sans réussite il n'y a pas d'espoir et sans espoir il n'y a pas de paix.
Monsieur le Président,
Djibouti s'est voulue francophone. Mais votre Francophonie est d'accueil, de tolérance et de coexistence de cultures dont chacune souhaite garder l'essentiel de ses traits. Cette Francophonie moderne est celle que nous voulons bâtir. Elle est ennemie des dépendances et des obligations ; mais elle vise à faire reconnaître et respecter dans le monde, des Etats et des peuples qui, empruntant la même langue, croient aussi aux valeurs qu'elle parle.
Et justement vous avez, dès votre entrée en fonction, voulu témoigner votre attachement au droit. Croyez que je suis sincèrement le premier à m'en réjouir. Si par conviction et respect d'un Etat auquel certains contestaient "a priori" le souci du droit je n'avais pas pris la liberté de vous écrire et, je le souligne, de façon entièrement personnelle, pour faire appel à votre jugement et si vous n'aviez pas pris les décisions que chacun a constatées, ni le ministre français, ni le président de la République de Djibouti n'auraient tenu le rôle qui est le leur. Le souci de nos opinions, et pas seulement occidentales, se résume désormais et de plus en plus à une exigence de vérité. Or, j'ai observé que vous n'aviez laissé à aucune institution, aucun intermédiaire, le soin d'établir la vérité. Nul ne vous y contraignait. Chacun en revanche aura perçu que vous vous portiez vous-même garant d'une réalité, dont, sans déguiser les faiblesses, vous souhaitiez montrer qu'elle n'enfreint pas les principes du droit.
Sur cette voie de la justice et de la transparence démocratique, la France est prête à vous accompagner. J'observe, et ce n'est pas un hasard, que notre première rencontre fut largement consacrée à ces thèmes essentiels.
Et puisqu'en partenaires, la France et Djibouti veulent aujourd'hui approfondir une relation ouverte et confiante, je veux vous remercier de votre disponibilité à envisager ensemble les modalités de notre développement respectif. Chacun sait le poids de la présence française dans votre économie nationale et je vous sais gré de comprendre les raisons qui nous guident dans la redéfinition de notre présence militaire à l'extérieur. Si celle-ci se modifie, il nous revient en responsables, non pas d'en souligner les conséquences fâcheuses, mais de veiller à ce que votre économie sache par elle-même et avec les soutiens appropriés trouver les ressorts de son dynamisme et d'une certaine façon, d'une indépendance accrue. Sur les accords que nous avons noués ensemble en janvier dernier, je ne doute pas qu'une situation nouvelle s'esquisse. La France aura le souci, soyez-en sûr, de l'accompagner.
Monsieur le Président,
Je vous ai parlé de votre pays et j'ai voulu ainsi vous faire comprendre combien nous lui sommes attachés. Nous lui souhaitons sous votre présidence d'être un élément de paix et d'humanité pour une région qui en manque cruellement. Nous vous offrons sur ce chemin difficile, un authentique partenariat et l'amitié de notre peuple, celle que recherchent sans nul doute les hommes et les femmes de Djibouti. Oserais-je à nouveau citer ce jeune poète djiboutien auquel je faisais référence tout à l'heure et finir sur l'évocation de "ces hommes qui semblent continuellement scruter l'horizon avec leur regard de granit, pour lire les promesses d'une pluie prochaine" ?
Est-il plus beau message de patience et d'espoir ?
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 mai 1999)