Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle le débat d'orientation pour la stratégie numérique de la France.
La Conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons le Gouvernement puis les orateurs des groupes, et ensuite nous procéderons à une séquence de questions-réponses. La durée des questions et des réponses sera limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée du numérique.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, voilà trente mois que vous siégez comme parlementaires au sein de cet hémicycle. Vous avez observé le fonctionnement des institutions politiques. Vous avez donc constaté l'écart qui se creuse dans nos démocraties entre l'appareil institutionnel et les citoyens, la méfiance qui parfois s'instaure. Certains s'interrogent aussi sur la capacité du temps politique, en particulier parlementaire, qui est un temps nécessairement long, à s'adapter au temps médiatique et aux urgences exprimées par nos concitoyens. D'autres se demandent comment mieux impliquer le Parlement dans les travaux de l'exécutif, dans le respect de l'équilibre des pouvoirs.
Le débat qui nous réunit aujourd'hui vise modestement, de manière un peu expérimentale, à prendre acte de ces questionnements légitimes et à proposer une manière plus inclusive, transparente et finalement plus démocratique de fabriquer la loi.
M. Patrice Martin-Lalande. Excellente initiative !
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Ce débat d'orientation, vous l'avez voulu, et je remercie le groupe SRC de l'avoir inscrit cette semaine et de me donner ainsi la possibilité de m'exprimer et d'aborder la question globale de la stratégie numérique du Gouvernement.
Mais c'était avant que de terribles attentats ne viennent blesser notre pays, avant que le monde entier ne tourne les yeux vers la France pour découvrir une forme de barbarie, en même temps qu'une volonté de résistance exemplaire. Après le choc et son absorption, la réflexion, avant la décision. Or cette actualité concerne tous les services de l'État et tous les pans de la société : justice, sécurité, médias, éducation, transports, santé.
Le numérique et internet n'y échappent pas et vous avez hier, comme moi, entendu le Premier ministre demander au ministre de l'intérieur de lui faire des propositions d'ici une semaine quant aux moyens de lutter contre les possibilités d'embrigadement par le biais d'internet, notamment auprès des jeunes, contre la prise de contact et la mise en réseau d'individus, et contre l'acquisition de techniques qui peuvent encourager le passage à l'acte terroriste.
Nous travaillerons avec le ministre de l'intérieur et la garde des sceaux à la formulation de ces propositions pour qu'à droit constant j'insiste sur ce point et sans recourir à une loi d'exception, nous puissions renforcer plus encore l'efficacité des dispositifs réglementaires et techniques existants. Vous serez pleinement consultés dans ces travaux, mesdames et messieurs les députés.
Mais aujourd'hui l'heure n'est pas aux annonces et je concentrerai mon propos sur la vision globale, très ambitieuse, que défend le Gouvernement pour que le potentiel du numérique soit pleinement exploité comme un outil mis au service du développement économique, de la création d'emplois, de l'égalité, de la démocratie, du service public, bref de nos fondamentaux, dont le logiciel doit néanmoins être actualisé pour construire ensemble la République à l'heure du numérique, la République numérique.
Le numérique génère souvent des appréhensions vous le constatez dans vos circonscriptions , mais il permet beaucoup en termes de partage, de mobilisation citoyenne, d'échanges. Regardez ainsi ces centaines de dessins qui ont circulé dans le monde entier, exprimant, à travers tant de cultures et dans tant de langues, une valeur universelle, la liberté d'expression. La solidarité de la planète, nous l'avons un peu mesurée avec les 6,6 millions de tweets « Je suis Charlie ». Cette puissance du numérique peut servir le meilleur comme le pire, mais elle est et doit rester un outil. Ce n'est pas grâce à internet que nous avons la liberté d'expression mais grâce aux 4 millions de Français qui ont manifesté pour la défendre. Ils ont brandi des stylos peut-être parce que Cabu n'aimait pas les ordinateurs et n'avait pas de téléphone portable , mais s'ils avaient brandi des smartphones ou des tablettes, le symbole aurait été le même.
Le numérique est aussi une formidable opportunité de développement et de croissance pour notre pays et une véritable chance à condition de la saisir et de ne pas verser dans une sorte de « technophilie » qui s'imposerait au détriment du progrès humain.
Cette année 2015 est une année essentielle aux plans international, européen et national. En décembre se tiendra un rendez-vous important à l'ONU sur la gouvernance de l'internet, pour célébrer les dix ans du Sommet mondial sur la société de l'information. À Bruxelles seront certainement adoptés plusieurs textes très attendus, concernant notamment les données personnelles, la neutralité des réseaux, la cybersécurité, l'itinérance mobile. C'est en mai 2015 que la Commission européenne dévoilera son plan d'action pour le numérique. Cela tombe bien, et il faut croire que le calendrier n'est pas toujours hasardeux, puisque la France publiera sa propre stratégie en mars, sous trois formes : un projet de loi numérique, un plan de mesures concrètes à caractère national, et un plan stratégique à déployer au niveau européen avec nos partenaires.
Le Premier ministre a lancé le 4 octobre dernier une concertation sur le numérique, organisée par le Conseil national du numérique CNN , qui mobilise citoyens, entreprises, administrations, collectivités locales et société civile pour définir ensemble notre projet numérique. La plate-forme en ligne dédiée, ouverte jusqu'au 4 février 2015, a reçu à ce jour plus de 3 000 contributions. Leur analyse alimente en continu les travaux du Gouvernement. C'est la première fois que nous menons un tel exercice. Pour la première fois, en effet, les ministères une dizaine au total ainsi que les différentes administrations de l'État participent, très en amont, à des échanges en vue de la rédaction d'un projet de loi et contribuent directement sur une plate-forme publique.
Ce projet de loi est une occasion d'innover en démocratisant l'élaboration de la loi et nous la saisissons. Dans le même esprit, je m'assurerai que l'étude d'impact qui lui sera associée soit la plus complète possible.
Voici donc l'agenda qui nous attend : le 4 février, fin de la concertation numérique en ligne ; fin février, rapport du Conseil national du numérique ; en avril, présentation en Conseil des ministres de la stratégie numérique de la France ; en mai, présentation de la stratégie de la Commission européenne. Enfin, si possible durant le premier semestre, présentation au Parlement d'un projet de loi relatif au numérique.
Dans le secteur numérique, je combats la thèse du « déclinisme ». Nous n'avons pas de retard, nous avons même de l'avance.
Trois exemples le confirment. Tout d'abord, nos écosystèmes d'innovation, ancrés dans les territoires, animés par des entreprises et en particulier des start up très investies et performantes, désormais fédérées autour de la bannière de la French Tech, largement remarquée la semaine dernière lors du Consumer Electronics Show aux États-Unis. Autre exemple, notre « e-gouvernement » et en particulier nos services publics en ligne, nous classent au quatrième rang mondial cela donnerait presque envie à certains de payer leurs impôts
Mme Laure de La Raudière. Vous pensez à M. Thévenoud ?
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Troisième exemple, le déploiement des infrastructures de haut et très haut débit permettra la couverture de l'ensemble de la population à l'horizon 2022.
L'objectif du Gouvernement est de conserver cette avance et de l'améliorer pour nous hisser sur le podium des pays les plus avancés numériquement. Le Gouvernement tient à s'assurer que cette stratégie bénéficie à tous et pas uniquement à quelques « happy few ».
Pour cela, il propose de tirer au maximum parti de l'économie de la donnée, de la data, en proposant notamment des formations en adéquation avec les besoins du marché d'aujourd'hui et les métiers de demain, en intégrant dans la mesure du possible une approche algorithmique afin de rendre les politiques publiques plus préventives, mieux ciblées et plus efficaces, et en faisant en sorte que les modèles économiques soient plus tournés vers la création de valeur à partir de cette valeur immatérielle qu'est la donnée.
Il convient de renforcer et d'élargir l'ouverture des données publiques engagée depuis plusieurs années par l'État et les collectivités territoriales ce que l'on appelle en anglais l'open data pour rendre mieux compte de l'action publique, faire gagner en efficacité les nombreux services du quotidien, faire émerger les connaissances utiles au développement de l'innovation.
Nous réfléchissons à la création d'une nouvelle catégorie de données : la donnée d'intérêt général, qui pourrait par exemple s'appliquer aux transports.
Enfin, nous souhaitons que cette économie et cette société de la donnée n'émergent pas au détriment de la protection de la vie privée. Il faut pour cela introduire de nouveaux droits pour les individus dans le monde numérique, sans entrer en contradiction, naturellement, avec les négociations menées à Bruxelles sur la protection des données personnelles.
Avec la loi relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, nous avons été précurseurs, dès 1978. Mais c'était avant internet, avant les réseaux sociaux. De nouveaux droits peuvent être imaginés, au-delà de la seule question des données personnelles : accès facilité au contenu des informations détenues sur soi par des tiers ; actions collectives par lesquelles les usagers des services en ligne pourraient peser davantage face aux géants de l'internet ; création d'un droit au déréférencement, voire à l'effacement des données sur internet, qui s'appliquerait automatiquement pour les mineurs, particulièrement friands des réseaux sociaux ; amélioration de l'efficacité de la preuve électronique, dont la valeur doit être plus largement reconnue et l'usage davantage répandu dans un environnement bien sécurisé ; amélioration de la vie quotidienne des personnes en situation de handicap, à travers une meilleure maîtrise des outils numériques ou, souvent, grâce à ces outils eux-mêmes.
Par ailleurs, pour tirer pleinement parti de l'économie de la donnée, il convient de revoir les missions de la Commission nationale de l'informatique et des libertés CNIL , afin de mieux accompagner les entreprises en amont, dans un environnement juridique qui peut être complexe, de mieux les informer sur les possibilités d'innovation, et, aussi de les sanctionner plus lourdement en cas de manquement au droit. Lorsqu'un Google, qui engendre un bénéfice net de 3 milliards de dollars au seul troisième trimestre 2014, ne respecte pas la loi française sur les données personnelles, faut-il se contenter d'une sanction maximale de 150 000 euros ?
Toujours dans le domaine économique, nous souhaiterions conforter et sécuriser le cadre de l'économie du partage partage d'automobiles, de logements, d'espaces de rangement, de places de parking, etc. : les possibilités de créer des circuits courts sont infinies , afin de permettre, dans le respect de la loi et notamment du droit de la concurrence, un recours accru à ces services, source d'un meilleur pouvoir d'achat pour nos concitoyens.
Mme Laure de La Raudière. Ce n'est pas ce qui a été fait !
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Accompagner la transformation numérique de l'ensemble du tissu économique, tel est l'enjeu économique principal. Les start-up, les jeunes entreprises innovantes à très forte croissance, qui créent des emplois 8 % des entreprises à plus forte croissance créent 65 % des emplois en France aujourd'hui doivent pleinement contribuer à cette transformation, grâce à la valeur ajoutée qualitative de notre économie.
Deux défis nous attendent : il s'agit, en premier lieu, de faciliter l'accès des entreprises à la commande, qu'elle soit publique ou privée, et, en second lieu, de faciliter l'accès au financement de leurs projets entrepreneuriaux, en diversifiant ces sources de financement.
Il faut aussi que le développement des infrastructures dans les territoires s'accompagne d'une meilleure diffusion des usages télémédecine, e-éducation, Big Data, administration en ligne, notamment. De plus, aujourd'hui, les citoyens ne comprennent pas qu'ils n'aient pas accès à la couverture mobile partout en France. Il convient donc de revoir certaines obligations de couverture mobile, en réformant la prestation du service universel de publiphonie pourquoi ne pas installer le wifi dans les cabines téléphoniques ? et en développant la médiation. Il faut en effet reconnaître le métier de médiateur numérique, essentiel pour la diffusion des usages et l'inclusion de tous.
Toujours sur le plan économique, nous souhaitons instituer un cadre équilibré, répondant à trois exigences. La première est l'ouverture, conformément au principe de la neutralité des réseaux, et passe par la promotion de formats ouverts et interopérables, le développement de la portabilité des données et l'accès ouvert aux publications de recherche.
La deuxième exigence est de garantir la loyauté des plateformes de services qui dominent pratiquement la vie économique. Il faut donc lutter contre certaines pratiques anticoncurrentielles et améliorer l'information des utilisateurs et la transparence, en particulier dans la publicité digitale.
Enfin, s'agissant de la fiscalité du numérique, faut-il accepter qu'il existe, lors du paiement de l'impôt sur les sociétés, un rapport de un à dix entre le revenu déclaré en France et le chiffre d'affaires estimé pour les activités menées dans notre pays ? Le Gouvernement, lui, le refuse, et affiche sa volonté de faire avancer, aux niveaux européen et international, les moyens de lutter contre l'optimisation fiscale pratiquée par les plateformes du numérique. Ces stratégies de détour par les paradis fiscaux érodent en effet les bases fiscales et mettent en cause notre système social redistributif.
Voilà le tour d'horizon, assez large, de la stratégie numérique ambitieuse, vous l'aurez compris du Gouvernement. Cette ambition, c'est une économie redynamisée, une confiance restaurée entre les citoyens, un avenir repris en main et réapproprié.
Telles sont certaines des clés de la République numérique que j'appelle de mes vux : croissance, inclusion, confiance. Telle est l'ambition numérique de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe écologiste.)
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Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État Je vous remercie, mesdames, messieurs les députés, pour vos remarques et votre participation à ce débat. Je souhaite répondre rapidement à chacune de vos interventions.
Madame la députée Corinne Erhel, vous avez fait un excellent résumé de l'ensemble des problématiques auxquelles le Gouvernement entend faire face dans le cadre de son action, sur laquelle la représentation nationale sera d'ailleurs bientôt amenée à se prononcer.
Vous avez abordé la question de la souveraineté des réseaux, enjeu primordial pour la France et l'Europe, qui implique notamment la protection contre de possibles cyberattaques grâce au développement d'un arsenal en matière de cybersécurité. Il se trouve que notre cadre réglementaire a récemment évolué pour doter l'ANSSI, l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information, de moyens de contrôle et d'intervention plus puissants en cas de cyberattaque contre les réseaux d'information des opérateurs d'importance vitale. De même, nous travaillons avec nos partenaires européens à la définition d'un texte qui devrait permettre une plus grande coordination en matière de cybersécurité.
La souveraineté des réseaux passe aussi par le développement d'une stratégie industrielle au niveau européen, notamment pour que les données produites par les entreprises et les citoyens d'Europe puissent être hébergées sur le continent européen, afin que la loi européenne soit applicable. Un exemple du développement d'une pensée stratégique dans le domaine industriel : je recevais à Bercy, tout récemment, mon homologue allemande, pour essayer de définir un référentiel technique applicable à l'industrie du cloud, autrement dit de l'infonuagique ou information en nuage , afin de favoriser, dans nos pays respectifs, de manière harmonisée, le développement d'entreprises de services en ce domaine.
Vous avez aussi parlé de la formation au numérique, question essentielle, tant dans le cadre de la formation initiale que dans celui de la formation professionnelle ou en réponse aux enjeux liés au chômage en France. S'agissant de la formation initiale, plusieurs d'entre vous ont évoqué le plan e-éducation, sur lequel je reviendrai. La formation professionnelle, quant à elle, devrait connaître une ampleur accrue grâce à l'entrée en vigueur, au 1erjanvier, du nouveau compte personnel de formation, qui doit permettre l'accréditation des formations par et pour le numérique, dans le cadre du parcours de formation tout au long de la vie. Enfin, Pôle emploi a décliné une stratégie nouvelle dans le domaine du numérique, comprenant que ce dernier pouvait aider à lutter contre l'inadéquation entre l'offre et la demande sur le marché du travail et aider à mettre en relation les demandeurs d'emploi et les employeurs proposant un poste demeuré vacant. L'enjeu de la formation est donc cur de l'action du Gouvernement.
Sur le manque d'agilité numérique de l'État, ma réponse sera sobre, mais vous comprendrez, je le pense, que je partage certaines de vos conclusions. L'introduction, aussi modeste soit-elle, d'un nouvel exercice au sein de l'appareil de l'État je veux parler du Jeudigital tente, de manière indirecte, d'acculturer nos administrations au monde du numérique et à leur faire acquérir des réflexes, pour ainsi dire plus systématiques, de réactivité, d'usage et d'intégration des outils numériques.
Quant à votre objectif concernant le vivre-ensemble, il passe forcément par une plus grande inclusion numérique : si l'on parle de développement économique, on ne peut pas évoquer le numérique sans avoir totalement à l'esprit son objet social, qui se développe au service de tous.
Monsieur Favennec, vous avez évoqué la politique territoriale dans le domaine numérique. À l'instar de Mme Orliac, vous avez insisté sur la ruralité, sur le sentiment d'abandon lié aux problématiques de la couverture des territoires en internet haut débit et en téléphonie mobile. Vous avez eu raison d'insister sur ces sujets. Pour ma part, je me déplace beaucoup dans les territoires ruraux pour comprendre les difficultés auxquelles sont confrontés les collectivités locales et les élus locaux, pour essayer de mieux accompagner ces derniers et de mieux négocier avec les opérateurs de télécommunications, afin que cette question de la ruralité soit pleinement intégrée dans les engagements pris par les opérateurs.
Il est important que les modifications constatées dans le secteur des télécommunications n'aient pas de conséquences sur les engagements pris en 2013, au moment de la définition du plan « France très haut débit », et le Gouvernement y veille au plus près, notamment en actualisant le cahier des charges du plan précité, qui fera d'ailleurs très prochainement l'objet d'une consultation avec l'ensemble des acteurs opérateurs privés, mais également collectivités locales concernés par le déploiement et le développement des infrastructures dans les territoires. Il s'agit, j'y insiste, de s'assurer que les engagements pris soient respectés et si possible dépassés. Cela passe sans doute par l'accès des collectivités locales à de nouveaux financements et j'en viens ainsi à la question de la fibre par une approche pragmatique.
Il ne s'agit aucunement de remettre en cause l'objectif politique du déploiement de la fibre, qui constitue aujourd'hui la technologie garantissant le très haut débit à l'horizon 2022, mais il faut avoir l'esprit le quotidien des territoires et prendre conscience que le coût de ce déploiement peut être multiplié par dix dans certaines zones très isolées. Il faut dès lors poser le problème de manière pragmatique, en tenant compte de l'urgence des besoins exprimés par nos compatriotes, qui souhaitent recevoir internet et, plus généralement, avoir accès au monde. Cela doit conduire à s'interroger sur le déploiement de technologies alternatives dans une perspective de montée en débit.
En tenant ce discours, j'insiste sur le fait que je ne remets nullement en cause l'objectif principal poursuivi par le Gouvernement, qui réside dans le déploiement de la fibre. D'ailleurs, les conclusions du rapport Champsaur qui traite des enjeux liés à la disparition, à terme, du réseau de cuivre de l'opérateur historique et au transfert vers la technologie de la fibre seront bientôt publiées et, pour partie, appliquées, avec toujours pour objectif de tendre vers un déploiement de la fibre dans l'ensemble des territoires.
Vous avez également parlé du plan e-éducation, sur lequel je veux dire quelques mots. Nous avançons de manière satisfaisante sur ce sujet, qui constitue, pour ainsi dire, un serpent de mer : nous en entendons parler depuis plusieurs années. Or, il faut insister sur le fait que c'est ce gouvernement, sous l'impulsion du Président de la République, qui le mettra en uvre. Comment ? En intégrant dans les nouveaux programmes, à partir de la rentrée 2016, des enseignements numériques à tous les niveaux, avec une spécification de formation au lycée, et en ayant une nouvelle ambition s'agissant de la formation des enseignants : en effet, si, aujourd'hui, le numérique est très bien appréhendé par une minorité d'enseignants, il est source d'inquiétudes de la part d'une majorité de professeurs, qui ne maîtrisent pas forcément les outils numériques sans que l'on puisse d'ailleurs le leur reprocher et qui ont besoin, en ce domaine, d'un accompagnement beaucoup plus proche de leurs besoins.
Nous allons également mettre en place une plateforme plus ouverte, plus largement utilisable, qui offrira un accès à des contenus pédagogiques innovants permettant, grâce aux outils numériques, de faire de l'éducation autrement, au plus près des besoins particuliers des élèves, notamment à l'adresse des enfants connaissant des difficultés scolaires, ce qui est parfois le cas de ceux se trouvant en situation de handicap.
Le Président de la République a parlé des outils devant être utilisés, en particulier des tablettes : de fait, la diffusion des usages numériques à l'école ne pourra pas se faire sans un accompagnement des initiatives prises par les collectivités locales pour équiper les établissements scolaires.
Quant à la question des libertés dans le monde numérique, abordée par les députés Sergio Coronado, André Chassaigne et Corinne Erhel, je veux profiter de ce débat pour apporter quelques précisions sur les orientations annoncées par le Premier ministre en la matière. Le Gouvernement a expliqué qu'il proposerait des mesures dans le cadre du droit existant ; peut-être est-il utile d'en rappeler le contenu, en insistant sur les mesures votées au cours des derniers mois par le Parlement.
Les mesures prévues par la loi du 13 novembre dernier et visant à mieux lutter contre la propagande terroriste seront mises en uvre très prochainement. Les décrets d'application ont été préparés par le Gouvernement et seront publiés dans les semaines à venir. J'ajoute que ces mesures permettront également de lutter contre la pédopornographie qui sévit en ligne.
Conformément à cette loi, le décret relatif au blocage administratif des sites doit ainsi être examiné par la CNIL le 15 janvier prochain et par l'ARCEP, le régulateur des télécommunications, le 20 janvier. Il a par ailleurs été notifié récemment à la Commission européenne, qui a accepté de l'examiner au titre de la procédure d'urgence prévue par la directive 98/34/CE.
Vous le savez, un avant-projet de loi sur le renseignement est en préparation. Il doit être finalisé d'ici à environ quatre semaines. Mon ministère, à l'instar de l'ensemble des ministères concernés, contribuera à enrichir ce texte.
Ainsi que l'a rappelé le Premier ministre hier, ce texte et les autres mesures nouvelles qui pourraient être adoptées afin de renforcer notre dispositif de lutte contre le terrorisme respecteront les grands principes républicains de protection des libertés publiques et individuelles. Il ne s'agit donc pas d'adopter une loi d'exception dans un contexte d'exception ; il ne s'agit pas d'adopter un Patriot Act à la française ; il s'agit surtout d'appliquer la loi existante.
Je vous donne un exemple. Lorsque sont publiés sur un réseau social Facebook, pour ne pas le citer des propos et des images incitant à la haine et faisant l'apologie du terrorisme, un juge peut décider d'en faire comparaître l'auteur de façon immédiate. Cette possibilité est très peu utilisée aujourd'hui et pourra l'être peut-être plus efficacement à l'avenir.
En outre, le cadre législatif existant a également vocation à être appliqué avec des moyens matériels et humains plus importants. Je pense en particulier au système PHAROS, plate-forme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements, animé par des officiers de police qui sont sans doute insuffisamment nombreux et qui, compte tenu du budget alloué, ne peuvent faire face à l'abondance des notifications.
Sur ce sujet, mon apport du point de vue du ministère de l'économie et des finances peut consister en des solutions technologiques innovantes permettant de rendre plus efficaces et plus immédiatement applicables les dispositifs existants. Par exemple, grâce à des plug-in ou modules externes greffés sur les systèmes d'information, il est possible de signaler directement les propos de haine parfois diffusés sur internet sans passer par une plate-forme de signalement.
Concernant les discours de haine tenus en ligne, de nombreux signalements sont faits chaque jour sur la plate-forme PHAROS. Les services du ministère de l'intérieur sont également constamment présents sur les principaux réseaux sociaux pour endiguer la propagation de discours inacceptables ou l'émergence de contenus à la teneur insoutenable. Ce travail est fondé sur le signalement communautaire et respecte les mécanismes de fonctionnement des réseaux sociaux, mais il doit sans doute être approfondi, en négociation avec les grandes plates-formes numériques, pour être rendu plus efficace et plus préventif, afin d'éviter de nouveaux actes de barbarie.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé de la réforme de l'État et de la simplification.
M. Thierry Mandon, secrétaire d'État chargé de la réforme de l'État et de la simplification. Je souhaite apporter une réponse courte, la plus claire et la plus précise possible à Mme Erhel, M. Favennec et M. Chassaigne, notamment, qui, bien légitimement, ont insisté sur la nécessité d'une transformation digitale de l'organisation de l'État et de ses services, même s'il s'agit, évidemment, d'un chantier immense. Nous l'avons d'ailleurs placé au cur de la stratégie de réforme de l'État et il devrait être débattu prochainement, lors du séminaire intergouvernemental convoqué à cet effet au mois d'avril.
Nous avons fait de la transformation numérique de l'État l'une des trois priorités de la stratégie générale de réforme de l'État, tant il est évident que le bouleversement induit par le développement des pratiques et usages digitaux dans la société française doit absolument et de manière urgente être intégré pleinement par les différentes administrations de l'État, avec tout ce qu'il comporte de potentialités transformatrices.
Très concrètement, dans le projet de loi numérique, cela concerne principalement le volet relatif au renforcement de l'open data ou ouverture des données et son statut juridique ; Mme la secrétaire d'État l'ayant évoqué voilà quelques instants, je ne développerai pas davantage. Le texte comportera donc un paquet open data, dans lequel figurera le principe d'ouverture des données par défaut ; l'open data sera ainsi la règle générale. Le principe de gratuité de la réutilisation de ces données sera également inscrit dans le texte.
En outre, il sera prévu un encadrement, conforme aux règles européennes, des conditions dans lesquelles une redevance peut éventuellement être perçue par des opérateurs quand ils ouvrent ces données. Cet encadrement visera précisément à ce que ces cas ne soient pas trop nombreux.
Enfin, l'administrateur général des données, dont je salue la présence dans le public aujourd'hui, se verra conférer des pouvoirs nouveaux. Il pourra notamment intervenir en cas de conflits entre deux administrations par exemple si l'une fait preuve d'un enthousiasme modéré pour répondre à la demande de l'autre d'ouvrir ses données et saisir, si cela s'avère nécessaire, la Commission d'accès aux documents administratifs, dont les pouvoirs seront également élargis.
La transformation numérique de l'État est cependant un projet essentiel qui comprend beaucoup d'autres axes en dehors de ce texte de loi. J'en donnerai très brièvement les têtes de chapitres, puisque vous m'avez interpellé sur ce sujet et qu'il me paraît important que vous disposiez de ces éléments, mais je serai bref, car ce n'est ni le lieu ni le moment pour le faire.
Tout d'abord, l'État fournit aujourd'hui un effort important pour réorganiser ses infrastructures. Le décret du 1er août 2014 a ainsi créé la DISIC, la direction interministérielle des systèmes d'information et de communication, qui reprend la capacité des administrations de développer un certain nombre de plates-formes.
Ensuite, de nouveaux services et de nouvelles démarches numériques sont développés de façon massive dans le cadre de nouvelles politiques publiques. L'année 2015 sera ainsi marquée par des progrès extrêmement importants : nombreuses améliorations attendues dans le cadre du projet « Dites-le nous une fois », refonte du site service-public.fr, développement des expérimentations et, éventuellement, premières réalisations et fabriques de solutions des start-up d'État autour d'Étalab. L'État s'est donc résolument engagé pour offrir de nouveaux services aux usagers.
Par ailleurs, et je serai moins prudent sur ce point que Mme la secrétaire d'État, qui l'a évoqué tout à l'heure, il est nécessaire d'accomplir une petite révolution interne en matière de management du changement sur les questions numériques au sein de l'État. La culture digitale est absolument insuffisamment partagée et comprise par ceux qui ont la responsabilité des administrations ; la critique doit être formulée car chacun peut observer cette réalité.
Nous mettrons donc en uvre un programme de diffusion massive de la culture digitale. Nous organiserons en réseau l'ensemble des innovateurs numériques présents dans les administrations. Ces personnes brillantes, qui ne sont pas toujours placées très haut dans la hiérarchie, font en effet un travail fantastique et doivent se sentir soutenues, reconnues, doivent être stimulées pour utiliser pleinement les capacités dont elles font déjà montre. Nous nous inspirerons également de l'organisation mise en place en Angleterre : de vrais correspondants digitaux agiront tant au niveau des directions des ministères que des services à la population, et définiront la mise en uvre de politiques nouvelles au sein des différents services publics ou prendront en charge l'interface avec les usagers afin que ceux-ci puissent profiter de ces changements.
Je conclurai mon propos en insistant sur ce qui me paraît le plus important, et cela vaut non seulement pour l'État mais aussi, d'une certaine manière, pour les grandes entreprises privées.
La révolution numérique oblige à opérer un changement culturel qui n'est pas le plus facile pour les grandes entreprises ou les grandes administrations. Alors que ces dernières sont structurées sur un mode hiérarchique, autoritaire, le numérique leur impose une vraie révolution démocratique, l'application de politiques publiques beaucoup plus collaboratives et participatives, horizontales et non hiérarchisées. On voit bien les difficultés que les grandes organisations, tant publiques que privées, ont et auront à piloter cette transformation, qui sera longue.
En outre, ces grandes entités fonctionnent sur le mode de la longue durée, leur modèle décisionnel s'appuie sur la réflexion préalable à la mise en uvre et à l'exécution. Ces rythmes sont aujourd'hui désynchronisés de l'urgence et de la vitesse qu'exige et qu'implique le choc numérique.
Mme Nicole Ameline. C'est vrai !
M. Thierry Mandon, secrétaire d'État. En sus de la transformation numérique de l'État, levier de la réforme de l'État, il est donc nécessaire d'engager un changement de nature culturelle : il faut plus de vitesse et des méthodes davantage collaboratives et participatives. Afin de porter un changement, une transformation de ce type dans la durée, de nouvelles élites doivent émerger en complément des élites existantes ; elles seront les pilotes du changement dont l'État aura besoin. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Lionel Tardy et M. Yannick Favennec. Très bien !
- Questions
M. le président. Nous en venons aux questions.
Nous commençons avec le groupe écologiste. La parole est à M. Philippe Kemel.
M. Philippe Kemel. Ma question s'adresse à Mme la secrétaire d'État et concerne dans un premier temps les politiques d'investissement pour développer les réseaux de très haut débit.
Ainsi que cela a été rappelé, le Gouvernement a lancé en 2013 le plan très haut débit et cette mobilisation permettra d'ici à 2022 de couvrir l'intégralité de notre territoire. Mon EPCI de 230 000 habitants, la communauté d'agglomération d'Hénin-Carvin, en bénéficie d'ores et déjà.
C'est précisément en observant le développement de l'ensemble des travaux d'investissements, qui sont lourds, que je m'interrogeais sur le lancement récent dans la stratosphère par les GAFA Google, Amazon, Facebook, Apple de ballons qui permettront d'avoir accès à internet sans passer par le réseau terrestre. Se pose ainsi la question de la complémentarité entre celui-ci et le projet des ballons stratosphériques : comment organisera-t-on le partage des usages entre l'un et l'autre système ? Comment faire en sorte de garantir l'usage public et l'accès aux réseaux publics ? C'est la première question.
La seconde question concerne la fracture numérique, qui ne se limite pas simplement à l'accès au réseau et aux moyens de communication. J'aimerais vous interpeller sur l'inégal accès au matériel informatique.
Nombre de personnes au pouvoir d'achat faible ne peuvent en effet renouveler régulièrement leur matériel. Or, aujourd'hui, dans les services publics, notamment, on a recours à des logiciels aux technologies de plus en plus sophistiquées qui ne sont pas compatibles avec ces anciens modèles d'ordinateurs. Cela crée incontestablement une inégalité dans l'accès au service public. Comment faire pour que les populations les moins aisées puissent disposer d'un matériel informatique adapté aux logiciels utilisés notamment dans les services publics ? Peut-on envisager des dispositifs dans le cadre de la politique de la ville ?
Le dernier point que je souhaite soulever concerne les formations. Vous avez évoqué les formations pour les jeunes, Mme la secrétaire d'État, les formations pour l'entreprise et pour les demandeurs d'emploi.
M. le président. Veuillez conclure, cher collègue !
M. Philippe Kemel. Il y a aussi des générations qui ne bénéficient pas de ces services. Comment faire pour qu'elles soient également formées ?
M. le président. Je rappelle aux uns et aux autres que nous débattons dans un cadre précis : deux minutes pour les questions et deux minutes pour les réponses. Nous ne sommes pas à la seconde près, mais je vous demanderai de respecter ces temps de parole.
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Monsieur le député, vous suggérez que les technologies alternatives peuvent être une réponse à la nécessité de déployer internet sur tout le territoire. Je crois que la fibre optique, plus que jamais, a un avenir dans notre pays. Il ne s'agit pas là d'une doctrine, qui s'imposerait au détriment d'autres technologies ; la fibre optique est aujourd'hui la technologie qui offre, outre un débit illimité, la meilleure qualité et qui prépare à la société et à l'économie de la donnée, la « data ».
C'est la raison pour laquelle l'État s'est engagé financièrement, à hauteur de plus de 3 milliards d'euros, aux côtés des collectivités locales, pour déployer des réseaux fixes de nouvelle génération sur l'ensemble du territoire.
Le projet auquel vous faites référence est surtout destiné à offrir une connectivité dans des endroits où les réseaux fixes sont simplement inexistants, en Afrique ou dans les zones insulaires. Ce projet est au stade de l'expérimentation et en aucune façon généralisable pour le moment.
En France, la question est plutôt celle du recours au très haut débit mobile ; l'on parle de plus en plus de la convergence des réseaux fixes et mobiles autour de la 4G. La technologie que vous avez évoquée peut effectivement, comme la montée en débit sur le réseau cuivre, apporter un complément ou une solution intermédiaire, mais elle ne peut se substituer à la fibre, qui reste la technologie pérenne.
Il ne s'agit pas pour autant d'exclure les technologies alternatives. Je pense notamment au plan « Écoles connectées », qui vise à connecter quelque 16 000 établissements scolaires, souvent situés dans les territoires les plus ruraux. Il est mis en application depuis cette rentrée pour la moitié de ces établissements et sera définitif à compter de la rentrée scolaire prochaine. Aujourd'hui, pour une école, ne pas avoir internet signifie non seulement que l'enseignant ne peut pas utiliser des outils numériques pour sa pédagogie et que les élèves se voient pénalisés, mais aussi, de façon plus prosaïque, que le directeur ne peut envoyer un e-mail au recteur d'académie pour assurer la gestion logistique de son école.
Face à l'urgence d'assurer cette égalité entre les établissements scolaires, nous avons fait la promotion de technologies satellitaires et encouragé les établissements scolaires à se tourner vers des fournisseurs de technologies d'accès par satellite.
Vous avez évoqué la question des usages. L'inclusion et la diffusion des usages font partie de la politique du Gouvernement, notamment par des lieux, qui, au côté des espaces publics numériques, se sont diversifiés : tiers lieux, lieux de médiation numérique, fab labs, lieux de travail partagés. Il s'agit de les mettre en réseau. Au cur de ce travail, les médiateurs numériques, incontournables, qui peuvent notamment faire venir aux technologies numériques les personnes âgées vous parliez d'un phénomène générationnel, qui ne se constate pas partout et tout le temps qui n'ont pas pu découvrir ou avoir accès aux technologies numériques.
M. le président. La parole est à M. Luc Belot.
M. Luc Belot. Madame la secrétaire d'État, je tiens d'abord à saluer la tonalité générale de vos propos et l'ambition que vous portez pour la France digitale. La mutation numérique est trop souvent vécue comme un phénomène anxiogène, alors que le numérique n'est certainement pas le problème, mais plutôt une partie de la solution. Vous avez eu raison de souligner en introduction que c'est bien la réflexion, en cette période, qui doit guider nos travaux. L'émotion ne fait que rarement de bonnes lois.
Si les données de transport ont particulièrement agité la commission spéciale sur la loi Macron ces deux derniers jours, je voudrais pour ma part m'attarder sur la question des données personnelles et sur quatre thèmes qui y sont liés : la propriété, l'information, la portabilité et le droit à l'oubli.
La propriété des données numériques personnelles est sujette à de nombreuses controverses, tant ce concept est aussi philosophiquement compréhensible qu'il est juridiquement dangereux. Introduire une notion de propriété dans notre droit reviendrait à le traiter sous l'angle patrimonial, permettant ainsi toute location, voire toute cession.
À cette fausse bonne idée, il convient d'opposer le concept traduit de la jurisprudence allemande de « l'autodétermination informationnelle ». Peut-être faudra-t-il trouver, dans le cadre de votre projet de loi, un terme plus adapté, plus compréhensible par le grand public et les utilisateurs, mais nous devons créer le droit, pour chacun, de décider librement de la communication et de l'utilisation des données personnelles le concernant. Chaque Français doit pouvoir prendre toute sa place dans la connaissance, la protection et l'utilisation de ces données.
Les données personnelles sont un élément essentiel de notre identité numérique. L'open data, l'explosion des objets connectés notamment dans le domaine de la santé , les réseaux sociaux, sont autant de ressources dont l'utilisateur doit pouvoir assurer le transfert d'un opérateur vers un autre ou d'une plateforme vers une autre.
Enfin, suite à la décision Google Spain, le droit à l'oubli doit nous porter à clarifier notre droit sur ces aspects, en articulation avec le projet de règlement européen. J'y ajouterai le droit d'opposition, sans condition, au traitement des données, en supprimant l'obligation du motif légitime pour les personnes mineures.
Au travers de ces thématiques, comment abordez-vous le Conseil de l'Union de mars, après les accords partiels de 2014, en particulier sur les sujets sensibles des sanctions, des fichiers de souveraineté et des fichiers de police administrative ? Quel est votre état d'esprit quant à la gouvernance de l'internet, en particulier sous l'angle de la protection de la vie privée ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Aborder en deux minutes tant de sujets aussi complexes, touchant aux droits fondamentaux, est un grand défi ! Sachez que l'ensemble des questions que vous avez abordées, monsieur le député la propriété des données numériques, l'identité numérique, le droit à l'oubli, les sanctions, la gouvernance de l'internet sont traitées aux niveaux national et européen, notamment dans le cadre des négociations sur le projet de règlement sur les données personnelles.
Le Gouvernement considère que la donnée personnelle n'est pas une donnée commerciale comme une autre et refuse l'idée d'une propriété, d'un droit patrimonial qui y serait attaché. En revanche, il est essentiel de pouvoir disposer librement des données qui nous concernent, d'où la référence à un concept jurisprudentiel allemand, le « droit à l'autodétermination informationnelle » qui pourrait effectivement être traduit de manière plus simple. C'est une piste que nous souhaitons explorer.
La portabilité des données est essentielle et, là encore, visée par le projet de règlement en cours de négociation à Bruxelles. C'est un enjeu de liberté, une garantie d'application des conditions d'une libre concurrence. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement français est très favorable à ce qu'elle soit assurée sur le continent européen, ce qui pose des questions en matière de transfert vers des juridictions situées hors de l'Union européenne.
Vous avez évoqué le droit à l'oubli. Il s'agit en réalité du droit au déréférencement, les informations référencées par certains moteurs de recherche ne disparaissant pas toujours complètement et pas dans tous les pays. À l'heure actuelle, le texte européen ne prévoit pas un droit à l'effacement ou au déréférencement spécifique pour les mineurs. Or le droit français considère qu'il faut, pour demander un déréférencement, un motif légitime. Nous pourrions considérer que le motif légitime est inhérent à la capacité et à l'identité de la personne mineure. Nous explorerons cette piste dans le cadre du projet de loi sur le numérique.
Le niveau des sanctions est insuffisant. Faut-il aller plus loin que ce que prévoit le projet de règlement ? La question se pose.
Enfin, concernant la gouvernance de l'internet, le temps viendra peut-être de négocier un traité international sur le sujet. Internet étant, par essence, international, on voit bien les limites d'un exercice consistant à le réguler au plan national.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Lou Marcel.
Mme Marie-Lou Marcel. Madame la secrétaire d'État, la stratégie numérique de notre pays passe par l'accès de tous au très haut débit, donc, par le déploiement de la fibre optique sur l'ensemble du territoire. Le plan France Très Haut Débit a pour objectif ambitieux de raccorder 70 % des foyers en 2020 et la totalité de la population en 2022. D'un coût total qui devrait avoisiner les 20 milliards d'euros, ce plan induit des financements de l'État, de l'Europe et des collectivités locales, ainsi que des opérateurs privés. Il représente un investissement important pour ces mêmes collectivités.
Or, si le déploiement de la fibre en zone urbaine suscite l'intérêt des opérateurs privés, il n'en est pas de même pour les zones moins denses que sont les zones rurales et les zones de montagne. À titre d'exemple, le territoire de la région Midi-Pyrénées est composé à 70 % de zones rurales et de montagne.
Le numérique est un outil majeur d'aménagement du territoire. L'Aveyron, où se situe ma circonscription, fait partie des dix départements dont la part de la population couverte par le haut débit est la plus faible et des seize départements dont la part des entreprises couverte par le haut débit est aussi la plus faible. Or, vous le savez, le haut débit est un facteur majeur d'attractivité du territoire, une nécessité pour les entreprises et les habitants.
Les besoins des utilisateurs en zone rurale sont les mêmes que dans les zones urbaines, leurs attentes également. C'est ce que vous avez appelé très justement la « République du numérique ». Le 23 juillet, dans le cadre du plan France Très Haut Débit, a eu lieu la première émission d'obligations de projets, pour un montant de 189 millions d'euros sur dix ans.
Pourriez-vous, madame la secrétaire d'État, détailler les financements actuels et à venir du plan France Très Haut Débit, notamment pour le déploiement dans les zones rurales ?
Les opérateurs s'étaient également engagés à constituer un réseau commun pour couvrir les zones blanches. Or, à ce jour, celles-ci ne sont couvertes qu'à 25 %. C'est pourquoi, concernant le zonage relatif à la téléphonie mobile, je souhaiterais que vous nous précisiez la politique que vous comptez mener afin que les zones grises soient bien identifiées.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Madame la députée, vous abordez la question de la couverture par les réseaux fixes et de la couverture mobile, en particulier dans les territoires ruraux. J'en profiterai pour faire un point sur l'avancement de ce programme du plan France Très Haut Débit, qui a été lancé par le Président de la République en 2013. Il a fait l'objet, dans la dernière loi de finances, d'un engagement budgétaire à hauteur d'1,4 milliard d'euros, en sus des 900 millions d'euros déjà inscrits au budget. C'est dire si l'État tient ses engagements financiers, dans un contexte budgétaire difficile. Ce programme avance plutôt bien : 66 projets publics, présentés par des collectivités représentant 78 départements, ont été déposés auprès de la mission France Très Haut Débit à Bercy, afin de recevoir un soutien financier de l'État.
Ces projets concernent souvent des départements très ruraux, tels le Gers, l'Ardèche, la Haute-Marne, la Haute-Saône, la Lozère, ou encore des regroupements régionaux comme l'Auvergne et le Limousin. Ils témoignent de la possibilité de mettre en uvre un tel programme dans ces territoires.
Trente et un projets ont fait l'objet d'un accord de principe ou d'un accord définitif de la part du Premier ministre. Pas moins de 7 milliards d'euros seront investis pour couvrir, en cinq ans, 4 millions de foyers.
Le financement du plan a été sécurisé dans le dernier projet de loi de finances. Au-delà du déploiement du très haut débit par la fibre, l'initiative combinée des collectivités de l'État doit permettre d'apporter des réponses plus rapides là où les besoins sont les plus criants 20 % des logements n'ont toujours pas accès au triple play.
Nous sommes donc extrêmement vigilants dans ce domaine et nous veillerons tout particulièrement à l'actualisation du cahier des charges du plan France Très Haut Débit car nous sommes conscients des enjeux de ce programme dans les territoires ruraux.
S'agissant de la couverture mobile, nous devons finaliser au plus vite celle des communes encore en zone blanche qui ont échappé au programme précédent et apporter une réponse durable. Ce dossier avance.
M. le président. La parole est à M. Christophe Premat.
M. Christophe Premat. Ma question s'adressait initialement au ministre de l'économie mais Mme la secrétaire d'État, qui a su donner l'impulsion pour accompagner la transformation numérique de l'État, saura parfaitement me répondre.
Le numérique représente une opportunité extraordinaire pour adapter nos services publics en les rendant plus performants, plus efficaces, plus rapides. Comment expliquer à nos concitoyens la complexité des démarches administratives à l'heure où la plupart des services à la personne sont accessibles via une tablette ou un smartphone ?
Le numérique est également un moyen de lutter contre l'éloignement de l'administration avec certains de ses administrés. Nos concitoyens qui résident hors de France sont les premiers témoins de cet éloignement car, vivant à l'étranger, leurs seuls contacts avec l'administration française se résument aux services rendus par les consulats établis parfois à des centaines de kilomètres de leur lieu de résidence.
La nécessité de les rapprocher est d'autant plus impérative que le redéploiement consulaire conduit notre Gouvernement à adapter notre réseau en réduisant certains postes et consulats.
La dématérialisation des services administratifs devrait permettre à nos concitoyens résidant à l'étranger de faciliter leurs démarches pour obtenir certains documents indispensables comme leur carte d'identité ou leur passeport mais aussi encourager leur aspiration à renouer des liens avec leur pays d'origine en réalisant par exemple des opérations administratives et commerciales telles la création et la gestion d'entreprise.
L'Estonie, qui figure dans ma circonscription et que vous connaissez bien, madame la secrétaire d'État, est très en pointe en la matière. Elle permet à n'importe quel internaute de devenir un « e-citoyen ». Le portail d'« e-citoyenneté » ouvre certains droits et permet surtout d'accéder aux démarches administratives en ligne. Il vise aussi à favoriser l'attractivité de l'Estonie à l'étranger en permettant à des investisseurs de s'implanter en Estonie.
Cependant, nous le constatons en ce moment avec la bataille que se livrent certains pirates informatiques, le monde virtuel n'est pas forcément un terrain pacifique. Il peut même être l'objet de toutes les dérives comme le vol d'identité ou de données. Il est donc indispensable de veiller à la sécurisation des données, corollaire à toute dématérialisation des services. Comment rapprocher le citoyen de son administration, faciliter ses démarches, améliorer la qualité du service public tout en protégeant son identité ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Merci, monsieur le député, pour votre question. Vous citez l'exemple de l'Estonie, ce petit pays qui est sans doute le plus numérique de l'Union européenne. Ce n'est sans doute pas un hasard si le commissaire européen en charge du marché numérique unique également vice-président de la Commission n'est autre que l'ancien Premier ministre de ce pays
C'est vrai, l'enjeu de la transformation numérique est de renforcer le service public pour tous, à savoir les Français de France mais aussi ceux qui résident à l'étranger ou qui sont éloignés de la métropole. Nous voulons ainsi dématérialiser plusieurs démarches, en particulier l'inscription au registre des Français de l'étranger. L'usager pourra lui-même saisir ou corriger en ligne les données qui le concernent via une interface ad hoc qui sera disponible par ordinateur et par mobile sur la base du site service-public.fr.
Cette facilitation des démarches devrait être disponible fin 2015 ou début 2016, ce qui permettra aux agents des consulats de se consacrer à d'autres tâches que des opérations de saisie 80 000 heures en 2013.
Vous le savez sans doute, une mission concernant spécifiquement la facilitation des démarches administratives et du retour en France a été confiée par le Premier ministre à Hélène Conway-Mouret il y a quelques semaines. Cette mission devrait déboucher sur des propositions très concrètes qui concernent les Français de l'étranger, lesquels seront aussi concernés par la mise en uvre du programme « Dites-le-nous une fois ». Il s'agit de permettre à l'usager de ne pas avoir à fournir une information ou une pièce délivrée par l'administration ou qui lui a déjà été communiquée, plus d'une fois, grâce à une interface d'identification unique. Nous travaillons à la dématérialisation des services publics, non pas pour les effacer, les faire disparaître, mais pour les rendre plus efficaces, au plus près des besoins des usagers.
M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy.
M. Lionel Tardy. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, j'aimerais dire avant tout que, puisque nous parlons de numérique et d'Internet, les événements tragiques de la semaine dernière ne doivent pas faire d'Internet un bouc émissaire. Je sais, madame la secrétaire d'État, que vous comprenez ce message. Soyons vigilants et visons juste. Visons les terroristes en devenir et non pas les libertés fondamentales, notamment numériques.
Cela étant dit, je me réjouis de la méthode affichée pour l'élaboration de ce projet de loi, qui est celle de la concertation, ou en tout cas de l'information, bien en amont du texte initial, ce qui n'est déjà pas mal.
J'attends de voir dans les faits les résultats de cette méthode au fur et à mesure que nous nous rapprocherons de l'examen parlementaire.
Je le dis depuis plusieurs années, une loi numérique est nécessaire. Les rapports, les études, les colloques se sont succédé. Il est temps désormais de modifier nos textes, sans excès de zèle, pour libérer les énergies positives et donner un vrai coup d'accélérateur.
En revanche, nous devrons éviter deux écueils essentiels. Il conviendra tout d'abord de ne pas cloisonner le numérique. Si un esprit volontariste et pragmatique domine ce projet de loi, il devra souffler également sur les autres textes afin d'éviter qu'ils ne contiennent des dispositions anti-innovation comme l'on peut en trouver dans la loi Thévenoud ou la proposition de loi relatives aux ondes électromagnétiques. À ce titre, comment aborder le prochain projet de loi sur le renseignement qui traitera forcément de l'utilisation d'Internet ?
Par ailleurs, une loi franco-française aurait du sens pour quelques dispositions l'open data notamment mais pour beaucoup d'autres, le numérique reste un sujet à traiter au niveau européen, et pas seulement pour ce qui concerne la fiscalité. Comment l'articulerez-vous avec le futur règlement relatif aux données personnelles ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Vous venez de rappeler, monsieur le député, l'importance de respecter le cadre fondateur de notre République, qui est celui des libertés. Le Premier ministre l'a répété, toute mesure nouvelle qui permettrait de lutter plus efficacement contre le terrorisme et contre la préparation et l'embrigadement en vue de commettre des actes terroristes doit s'inscrire dans le respect de la démocratie et des libertés fondamentales. Cet esprit guidera les travaux menés par le ministre de l'Intérieur avec la garde des sceaux et moi-même.
Vous m'interrogez sur l'articulation entre un texte consacré au numérique et d'autres que le Parlement sera amené à examiner dans les prochains mois, en particulier une proposition de loi relative aux ondes électromagnétiques. Une proposition de loi émanant par principe de l'initiative parlementaire, le Gouvernement serait malvenu de l'intégrer dans un texte d'origine gouvernementale.
Quant au projet de loi consacré au renseignement, il se rapportera à un domaine proprement régalien. Nous savons déjà que le texte relatif au numérique se divisera en trois chapitres : l'économie et la promotion de l'innovation, l'action publique au travers l'open data, et les données personnelles.
Comment coordonner une volonté politique d'agir au niveau national avec les engagements en cours de négociation, à Bruxelles mais également au sein d'instances internationales ? L'arbitrage est délicat mais si la France se dote d'un arsenal juridique ambitieux, elle pourra influencer l'issue des négociations. Nous devons agir avec pragmatisme et réalisme, pour identifier les sujets sur lesquels nous pouvons avancer au niveau national sans pour autant contredire les objectifs poursuivis sur le plan communautaire.
M. le président. La parole est à M. Charles de La Verpillière.
M. Charles de La Verpillière. Madame la secrétaire d'État, parmi tous les réseaux publics de fibre optique, je souhaite appeler votre attention sur les réseaux pionniers, conçus avant que les règles de déploiement et de financement soient définitivement fixées par l'État. Il aura fallu plusieurs années, à partir de 2010, pour que le paysage se stabilise et que les territoires se répartissent entre les opérateurs publics et privés, que les règles de financement des réseaux publics soient définies, les prescriptions techniques de l'ARCEP publiées et la mission France Très Haut Débit créée.
Or, certaines collectivités avaient déjà, avant 2010, démarré des projets d'internet à très haut débit. C'est le cas du syndicat intercommunal d'électricité et de e-communication de l'Ain SIEA dont le projet a été conçu en 2008. Aujourd'hui, 194 communes sont ouvertes au service très haut débit avec près de 100 000 foyers éligibles et un taux de raccordement de 17 % en rapide augmentation.
Ce réseau fonctionne parfaitement mais l'ARCEP et la mission France Très Haut Débit nous demandent de mettre en uvre les prescriptions techniques les plus récentes, intervenues après le démarrage de notre projet. Cette mise à niveau est en cours mais elle représente un coût important, supérieur à 20 millions d'euros.
Nous ne pouvons financer seuls une telle somme d'autant plus que, comme tous les réseaux publics, celui du SIEA est déployé sur un territoire rural et sa rentabilité n'est assurée qu'à long terme.
Pouvez-vous me confirmer que le Gouvernement a bien l'intention de subventionner ces travaux de mise à niveau, en plus des déploiements ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Vous posez, monsieur le député, la question du passage des réseaux que vous appelez « pionniers » je les appelle « réseaux de première génération » de déploiement de l'internet dans les territoires aux réseaux de deuxième génération. La question est judicieuse : il ne faudrait pas que les premiers partants les bons élèves, en quelque sorte qui ont souhaité connecter leurs territoires le plus rapidement possible se trouvent aujourd'hui pénalisés par le plan France Très Haut Débit, plus ambitieux pour l'ensemble des territoires en termes tant d'objectifs calendaires que de budgets alloués par l'État et par les collectivités locales.
Je vous confirme que le Gouvernement envisage de modifier l'actuel cahier des charges du plan France Très Haut Débit afin de soutenir la mise à niveau des réseaux FTTH, dont le déploiement a commencé avant le lancement dudit plan en 2013. Vous avez cité l'exemple du département de l'Ain, monsieur le député : les premiers projets ont vu le jour dès 2008.
La question qui se pose n'est pas tant celle de la faisabilité technique de la mise à niveau du réseau que celle du financement nécessaire pour adapter le programme aux nouvelles exigences du cahier des charges du plan France Très Haut Débit. Il faut donc garantir l'engagement financier de l'État qui permettra de soutenir cette transition tout en respectant les règles du droit de la concurrence, en particulier les règles communautaires.
Soutenue par l'État, cette mise à niveau devrait permettre aux réseaux « pionniers » de prendre toute leur place dans le processus d'harmonisation technique et tarifaire prescrit par le plan France Très Haut Débit. C'est le sens de la démarche engagée dans votre département et je ne peux que m'en féliciter.
Le Gouvernement doit rendre ses derniers arbitrages concernant cette évolution du cahier des charges. Sur le point précis que vous soulevez, monsieur le député, il va de soi que je ne manquerai pas de vous tenir informé, mais vous avez d'ores et déjà compris que j'ai la volonté de faire preuve de souplesse et de pragmatisme.
M. le président. La parole est à M. Franck Riester.
M. Franck Riester. Je tiens avant toute chose, madame la secrétaire d'État, à me réjouir de votre démarche consistant à modifier le processus de vote de la loi. En effet, notre Parlement et notre Assemblée en particulier ont besoin d'évoluer en la matière, et je salue votre souhait d'y parvenir à l'occasion de la future loi sur le numérique.
Ensuite, M. Mandon a déjà répondu à grands traits aux questions que je me pose sur l'ouverture des données publiques et sur le contenu de la partie consacrée à l'open data dans le futur projet de loi. Pouvez-vous toutefois nous préciser à quelle date sera examiné ce projet, dont vous nous avez dit qu'il serait présenté au deuxième semestre ?
D'autre part, comment comptez-vous associer les collectivités locales au processus d'ouverture de leurs données publiques ?
Enfin, où en êtes-vous du rapprochement et du croisement des fichiers sociaux et fiscaux dans le cadre de la lutte contre la fraude et, plus largement, quels travaux le Gouvernement conduit-il pour harmoniser les systèmes de gestion et d'information de l'État ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Je vous remercie, monsieur le député, pour vos encouragements concernant la méthode. Nous partageons en effet le même objectif visant à moderniser le processus législatif.
Vous m'interrogez sur le calendrier du futur projet de loi numérique, en particulier pour ce qui concerne la concrétisation de nos ambitions en matière d'ouverture des données publiques. Ce calendrier est soumis à un impératif : nous sommes tenus de transposer avant le mois de juillet prochain la directive européenne déjà entrée en vigueur. Il est donc essentiel que le projet de loi puisse s'adapter peu ou prou à ces délais.
M. Mandon a rappelé les grands principes de l'ouverture des données publiques : il faut inscrire dans la loi le principe d'ouverture des données par défaut, quitte à intégrer un critère de progressivité, et celui de la réutilisation libre et gratuite des données publiques, en favorisant notamment l'usage des formats libres et ouverts. Il faut aussi encadrer strictement les redevances qui font exception à ce principe de gratuité, conformément à la doctrine gouvernementale qui, à ce stade, n'a pas été élevée au rang de loi. Enfin, il faut rapprocher le régime de droit commun et les régimes dérogatoires, en particulier pour ce qui concerne les données relatives à l'enseignement supérieur et la recherche ainsi que les institutions culturelles.
Vous m'avez enfin interrogé sur la participation des collectivités locales. Elles sont déjà associées au processus de concertation en cours : je leur ai écrit pour leur demander de se prononcer sur l'ensemble des thématiques débattues sous la houlette du Conseil national du numérique, et elles nous ont d'ores et déjà transmis des témoignages et des demandes d'évolution concernant la question de l'open data. De surcroît, elles seront associées davantage encore par l'intermédiaire des instances de gouvernance mais aussi dans le travail quotidien aux actions que conduira la future Agence du numérique, laquelle comprendra trois missions : la mission France Très Haut Débit, pour le développement de l'internet et à terme, je l'espère, de la couverture mobile dans les territoires, la mission French Tech qui accompagne les écosystèmes d'innovation dans les territoires, enfin la délégation aux usages de l'internet. De ce point de vue, parallèlement à l'action conduite par le Secrétariat général pour la modernisation de l'action publique et avec Etalab, véritable start-up placée au sein de l'État je salue à cet égard la présence d'Henri Verdier, l'administrateur général des données qui supervise le processus d'ouverture des données publiques , il s'agira d'accompagner davantage encore les collectivités locales dans cette démarche.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Ameline.
Mme Nicole Ameline. Je voudrais à mon tour vous féliciter pour ce débat, madame la secrétaire d'État. Nous partageons tous ici votre vision de l'effet transformateur du numérique sur l'ensemble de la société, et non seulement sur l'économie.
Je souhaite vous interroger sur deux points. Le premier concerne les pôles de compétitivité nationaux, notamment celui qui, dans ma circonscription, est spécialisé en matière de circulation des données numériques. Quelles sont vos intentions pour accompagner le redéploiement éventuel de ces pôles sur des sujets absolument majeurs qui concernent d'ailleurs le numérique sous tous ses aspects, y compris la cybersécurité ?
D'autre part, je voudrais vous poser la question de l'égalité professionnelle. Le numérique doit servir l'égalité des chances, l'égalité républicaine, l'égalité des territoires. Il se trouve que j'ai la chance d'être marraine des Femmes du numérique en France : il me semble très important que vous puissiez réfléchir à une action spécifique en faveur des femmes, parce que les usages, les métiers et les services du numérique seront de plus en plus ouverts en termes de croissance et d'emploi. En dépit des aléas conjoncturels qui freinent aujourd'hui l'emploi dans ce secteur, je suis convaincue qu'il s'agit d'un domaine pouvant contribuer à la reprise et à la sortie de crise, et que les femmes doivent être à l'avant-garde. Je serais donc heureuse que vous nous indiquiez votre souci d'en faire un exemple en matière d'égalité professionnelle.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Je vous remercie, madame la députée, pour ces deux questions qui portent sur les pôles de compétitivité et les entreprises exerçant dans le domaine de la cybersécurité d'une part et, de l'autre, sur l'égalité des chances dans, par et contre le numérique.
La politique territorialisée des pôles de compétitivité a fait la preuve de sa capacité à dynamiser avec succès la recherche et le développement en France. L'objectif de la phase 3 de cette politique, lancée à la fin 2012, est, au-delà de la seule création de connaissances, de contribuer davantage à la création de valeur et à la croissance des entreprises appartenant à ces pôles. Il s'agit désormais de les aider à accéder à des marchés au bon moment et de leur permettre de développer une offre de produits et de services qui soit en phase avec les besoins du marché et surtout des usagers dans le secteur numérique.
Le Gouvernement a décidé, dans le cadre du projet de loi sur les compétences des territoires, de renforcer le rôle des régions dans cette politique. Cet effet de groupe ou effet cluster est essentiel, car c'est par l'interaction que les nouvelles idées apparaissent et peuvent se développer rapidement. Les pôles de compétitivité sont donc voués à s'intégrer dans une dynamique beaucoup plus large et plus entrepreneuriale : celle de la French Tech, enclenchée un peu partout sur le territoire national.
S'agissant de la filière économique de la cybersécurité, il existe plusieurs acteurs français des grands groupes comme de petites entreprises très performants dans ce domaine, et nous les accompagnons pour définir des normes techniques qui pourraient s'appliquer à l'échelle de l'ensemble du territoire européen, afin qu'ils abordent les marchés qui se trouvent hors de nos frontières nationales.
Vous savez que la question de l'égalité entre les hommes et les femmes me tient à cur, madame la députée, puisque nous nous sommes engagées ensemble en faveur de la loi sur l'égalité débattue ici même l'an dernier. Le constat que je fais est effarant : les femmes, en particulier les jeunes femmes, sont très peu et même beaucoup trop peu présentes dans le secteur du numérique, alors même qu'il comporte une très grande variété d'activités et offre des perspectives de progression professionnelle rapide, des salaires très attractifs et de grandes possibilités d'emploi à l'étranger. En outre, il permet de prendre son propre destin en main en créant son entreprise une possibilité qui ne caractérise pas tous les secteurs d'activité, loin s'en faut.
Il faut donc agir avec les associations Girlz in Web, Girls in Tech, Les Duchesses, Rails Girls ou encore Eema, avec lesquelles je travaille déjà en associant Mme Pascale Boistard et en tenant compte des propositions faites en la matière par le Syntec numérique.
M. le président. La parole est à M. Yannick Favennec.
M. Yannick Favennec. J'ai évoqué dans mon propos liminaire l'importance de la formation au numérique, madame la secrétaire d'État, et je vous remercie pour les réponses très précises que vous m'avez apportées. En effet, la France a du retard en la matière, et cela constitue un frein à la compétitivité de nos entreprises.
Certaines initiatives privées ont récemment été prises dans ce domaine, afin de proposer à nos concitoyens des formations aux métiers du numérique. Je pense en particulier à l'École d'informatique 42 créée voici un an par le Français Xavier Niel, qui souhaite former les Bill Gates de demain et accueille gratuitement près de 1 700 élèves.
L'État devrait lui aussi prendre la mesure de ce nouvel enjeu et favoriser l'apprentissage du numérique, comme on l'a évoqué plusieurs fois au cours du débat. De ce point de vue, j'ai écouté avec intérêt les réponses apportées par M. Mandon et je me réjouis que des projets soient en cours.
Je me contenterai donc de vous poser une question sous forme de suggestion : ne pourrait-on pas, dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires, envisager de proposer dans les écoles des ateliers consacrés à l'apprentissage du numérique ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Je vous remercie, monsieur le député, pour votre engagement en faveur de l'éducation et de la formation dans le secteur numérique. J'ai décrit certaines des initiatives prises par le Gouvernement sous l'impulsion du Président de la République, en particulier pour la formation initiale à l'école. Cependant, nous sommes très conscients des enjeux qui existent en matière de formation professionnelle et de formation des demandeurs d'emploi.
Il faut en effet éviter que le numérique soit destructeur d'emplois. Peut-il l'être ? Oui. Il peut l'être si nous formons mal et si nous n'anticipons pas les évolutions technologiques à venir et les innovations qui obligent les entreprises à s'adapter toujours plus vite aux exigences des marchés. Il s'agit donc là d'une priorité absolue pour le Gouvernement.
Vous suggérez, monsieur le député, l'opportunité d'utiliser la réforme des rythmes scolaires pour proposer à des enfants des formations au numérique dans le cadre périscolaire. Il se trouve que mon ministère a lancé un appel d'offres afin de promouvoir davantage l'esprit d'entreprendre et la prise de risques, mais aussi de soutenir toutes les initiatives, en particulier celles qui sont prises par des associations, des mécènes et des entreprises privées ainsi que des collectivités locales, qui visent à encourager l'apprentissage du code. Aujourd'hui, le code est partout. Il est donc essentiel que nos enfants soient autonomes dans l'environnement numérique. Pour ce faire, ils doivent apprendre ce langage qui est devenu tout aussi important qu'une langue étrangère.
De très nombreuses réponses à l'appel d'offres ont déjà été reçues. Elles démontrent que l'appétit est grand parmi les acteurs de terrain, ainsi que les parents et les familles qui soutiennent largement toutes les initiatives prises pour favoriser en France l'apprentissage du code par les jeunes enfants.
M. le président. La parole est à M. François-Michel Lambert.
M. François-Michel Lambert. Madame la secrétaire d'État, la capacité de création et de traitement du numérique devient phénoménale et permet de gérer des éléments extrêmement complexes, mais aussi de créer une transversalité et de mobiliser une intelligence collective modifiant en profondeur notre société. Cette révolution arrive au moment même où nous faisons face au plus grand défi de notre histoire : la lutte contre le réchauffement climatique et, surtout, l'indispensable transition écologique. Le développement du numérique doit être l'outil de cette transition, qui nécessite le traitement d'informations denses, complexes : je pense au secteur de l'énergie les réseaux intelligents , à la mobilité, au transport l'optimisation des trajets et des flux de biens et de marchandises ; je pense aussi à la lutte contre le gaspillage, à la gestion efficiente de nos ressources par le développement de l'économie circulaire complétée par l'économie collaborative.
L'économie collaborative, c'est le numérique qui permet aux utilisateurs d'organiser entre eux une multitude de transactions et d'échanges de services, faisant tomber la séparation historique entre producteur et consommateur. De nombreuses start-ups ont été créées, dédiées au partage de services, à la vente, au troc, à la location, au financement, au don, etc. Elles offrent ainsi de nouvelles perspectives dans un contexte de stagnation économique. Toutefois, certaines d'entre elles sont accusées de concurrencer de manière déloyale les acteurs historiques hôteliers, taxis , d'ignorer des régulations, voire de redévelopper une économie grise. Nous devons donc nous interroger sur les conséquences de l'économie collaborative en matière de concurrence, de protection sociale, de fiscalité ou encore de sécurité des consommateurs. Mais, au-delà d'une régulation nécessaire, chacun peut percevoir les formidables potentialités du numérique, en particulier pour notre jeunesse et son esprit d'entreprise, surtout face aux défis environnementaux à venir que j'ai évoqués.
Dès lors, madame la secrétaire d'État, comment le Gouvernement compte-t-il renforcer les moyens du numérique et mobiliser l'ensemble de la société pour répondre, à la hauteur de la complexité intrinsèque aux enjeux environnementaux, à ceux du développement durable ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Monsieur François-Michel Lambert, vous soulevez la question de l'articulation entre l'enjeu prioritaire qu'est la transition écologique et celui de l'économie numérique. Ces deux enjeux sont intrinsèquement liés, et le Premier ministre les associe très souvent quand il évoque le sujet. Vous avez raison : les outils numériques offrent des possibilités nouvelles et très concrètes de relever les défis énergétiques ainsi que les défis dans le domaine des transports et dans celui du développement durable.
Tout d'abord, le numérique peut apporter sa contribution à travers une meilleure utilisation des données. Les acteurs économiques, qu'ils soient entreprises ou individus, peuvent ainsi optimiser leur usage des ressources naturelles, donc réduire leur impact environnemental grâce à de meilleures stratégies de transport de marchandises ou de personnes et grâce à une meilleure adaptation de la production à la consommation énergétique. Je donnerai seulement un exemple : les outils numériques peuvent permettre, grâce au big data, à l'analyse des méga-données et à la géolocalisation, de réduire la consommation de carburant en suivant l'évolution du volume des réservoirs dans les bateaux de marchandises. Je l'ai moi-même constaté quand j'ai visité le port de Marseille. Il s'agit donc d'accompagner toutes les innovations dans la greentech susceptibles d'aider, par la transition numérique, à la transition écologique.
Vous avez également évoqué l'économie collaborative, c'est-à-dire la mise en relation entre offreur et utilisateur de services. Le numérique peut, là aussi, soutenir ainsi le développement de l'économie dite circulaire. Il peut ainsi s'agir de consommation collaborative. je citerai un exemple : le partage d'outils, notamment de perceuses, réutilisés via la revente, à travers un site désormais connu de l'ensemble des Français, le boncoin.fr. Je pense aussi au recyclage : il existe ainsi un projet pilote dans le Bordelais pour alerter les riverains du meilleur moment pour déposer leurs déchets dans les différentes déchetteries de la région.
Il faut soutenir toutes ces évolutions, dans un cadre qui respecte les conditions de concurrence et de transparence légalement obligatoires, notamment en développant la confiance des utilisateurs des plates-formes économiques du partage.
Je rappelle que Paris accueillera, à la fin de cette année, la conférence sur le climat, dite COP 21, et mon ministère travaillera étroitement, aux côtés de celui de l'écologie, sous l'impulsion de Ségolène Royal, afin que les greentechs, notamment l'éco-sytème des start-ups, contribuent à atteindre l'objectif de la transition écologique qui s'impose désormais à tous.
M. le président. La parole est à Mme Dominique Orliac.
Mme Dominique Orliac. Madame la secrétaire d'État, ce débat, prévu depuis le mois de décembre dernier, a une résonance vraiment étrange après les attentats tragiques de la semaine dernière, mais la France a un rôle majeur à jouer, d'autant plus qu'aujourd'hui, le monde nous regarde. Notre rôle de législateur ne doit pas nous faire dériver vers l'élaboration de lois d'exception. On ne doit toucher aux grandes lois fondatrices que d'une main tremblante. Aujourd'hui plus que jamais, cet aphorisme est essentiel. Au-delà d'une émotion bien légitime, nous devons concilier libertés fondamentales et ordre public sans que jamais nos droits essentiels ne soient privés des garanties constitutionnelles. Benjamin Franklin écrivait : « un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne les mérite ni l'une ni l'autre, et finit par perdre les deux. »
S'agissant de la protection de la vie privée, nous attendons l'adoption du projet de règlement européen relatif à la protection des données car la question ne se limite pas au rôle des États et des gouvernements. On sait en effet que les grandes multinationales défient nos règles de droit, et c'est vrai aussi en ce qui concerne la vie privée en dépit des condamnations de la CNIL, les pratiques n'évoluent pas assez en ce domaine , ainsi qu'à l'égard de la presse : par exemple, un moteur de recherche menace de déférencer les titres qui refusent ses règles. Il n'est pas acceptable qu'une grande entreprise, aussi innovante et sympathique soit-elle, se permette d'être à la limite de la légalité.
Le Parlement européen a adopté à une large majorité, le 27 novembre 2014, une résolution appelant à un découplage entre les activités de recherche et les autres services commerciaux des moteurs de recherche sur internet.
La stratégie numérique de la France consiste aussi à lutter pour le respect du droit et contre les monopoles qui nuisent à l'innovation. L'Europe doit jouer son rôle, mais la France possède, elle aussi, une marge de manuvre considérable.
Je vous demande dès lors, madame la secrétaire d'État, quelles sont les intentions du Gouvernement à ce sujet. Quelles régulations comptez-vous renforcer pour harmoniser l'équilibre du numérique, de plus en plus menacé par l'hégémonie de quelques grandes entreprises multinationales ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Madame la députée, je vous remercie pour votre double question qui concerne les libertés numériques d'une part, et le rôle des grandes plates-formes numériques, appelées OTT en anglais over-the-top d'autre part. Leur comportement se situe en effet parfois aux limites du droit, avec des stratégies d'évitement de la loi nationale.
S'agissant des libertés, j'ai rappelé les propos et les annonces faites par le Premier ministre hier. Il souhaite mettre en uvre des mesures nouvelles pour lutter efficacement contre le terrorisme, mais ce dans le cadre de l'État de droit, fondement de notre République, par conséquent dans le respect de la démocratie et de nos libertés. Il n'y aura pas de loi d'exception, en dépit du caractère exceptionnel des événements tragiques qui ont blessé profondément notre pays la semaine dernière. Il s'agira de faire preuve de beaucoup de pragmatisme et d'efficacité pour s'assurer que le droit existant est bien appliqué et que tous les moyens matériels et humains nécessaires sont déployés à cet effet.
Concernant les grandes plates-formes, le Gouvernement agit, et principalement au niveau européen. Il est à l'avant-garde puisque notre pays est considéré comme le plus soucieux de les réguler, non pas pour barrer leur capacité d'innovation ou pour faire du protectionnisme déguisé, mais pour garantir les conditions d'une concurrence loyale et équilibrée entre l'ensemble des acteurs économiques. Nous avons donc demandé que la question de la régulation des plates-formes soit inscrite à l'agenda de la Commission européenne. Il se trouve que l'Allemagne nous a rejoints dans cette demande. Mon homologue allemande et moi-même avons conjointement écrit un courrier à cet effet, adressé au commissaire européen en charge du numérique. Nous avons décidé d'explorer trois pistes : l'adaptation du droit de la concurrence ; l'extension à ces plates-formes du cadre applicable à l'industrie des télécommunications ; la définition d'un nouveau cadre de régulation qui s'appliquerait, là aussi, ex ante. Je rencontre très régulièrement les commissaires européens en charge de ces questions, M. Oettinger et M. Ansip. Je les verrai encore la semaine prochaine lorsque je me rendrai à Bruxelles. Le sujet avance, même s'il est compliqué de faire accepter qu'il s'agit désormais d'une des priorités de l'action économique de nos gouvernements au niveau européen.
M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. L'accès internet est aujourd'hui quasi généralisé. Entre 2003 et 2013, le taux d'accès à domicile est passé de 32 % à 92 % chez les employés, de 21 % à 81 % chez les ouvriers, 98 % des douze à dix-sept ans disposent aujourd'hui d'une connexion, ainsi que 75 % des personnes âgées de soixante à soixante-neuf ans contre à peine 13 % il y a dix ans.
Ces progrès spectaculaires laissent cependant subsister de profondes inégalités, notamment en ce qui concerne les matériels mobiles. Surtout, la généralisation progressive de l'accès à internet sur tous les territoires et dans toutes les catégories sociales ne signifie pas que tous les utilisent de la même manière : alors que 90 % des cadres effectuent leurs démarches administratives en ligne, les ouvriers sont seulement 52 % à le faire. À l'heure où le gouvernement envisage de dématérialiser toujours plus les démarches administratives, nous ne pouvons évidemment nous désintéresser de cette question. On a eu un débat analogue en projet de loi de finances s'agissant de la dématérialisation de la propagande électorale, qui a été légitimement rejetée par une majorité de députés qui estimait qu'elle créerait notamment une situation d'inégalité d'accès à l'information.
Ma question n'est pas une question piège ou de nature politicienne : où en est aujourd'hui la réflexion du Gouvernement sur la question de la fracture d'usage d'internet et quelles solutions peuvent être recherchées pour y remédier ?
M. Luc Belot. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Monsieur André Chassaigne, je vous remercie de poser cette question qui concerne l'inclusion numérique car elle renvoie à l'ambition d'un numérique qui se décline au service de tous, de l'ensemble de nos concitoyens, et ce quel que soit leur lieu de résidence ou leur catégorie d'appartenance socio-professionnelle.
Vous évoquez les progrès extraordinaires dans le taux de possession, en particulier d'appareils de téléphonie mobile, et dans le taux de pénétration de l'internet dans les foyers. Mais il est vrai que les chiffres que vous citez peuvent cacher des inégalités bien réelles. C'est la raison pour laquelle l'objectif d'inclusion numérique est systématiquement associé au volet numérique des projets de développement économique dans le cadre de l'action menée par le Gouvernement. Ainsi, je visiterai demain matin un centre d'accueil des sans domicile fixe, à Paris, pour y suivre le parcours des SDF et savoir quel rôle joue le numérique dans le centre et dans le travail des agents, mais aussi quelle place il tient dans les demandes des SDF. L'accès à la téléphonie mobile, par exemple, est-il une demande récurrente de ces exclus ? J'aurai à l'esprit cette thématique lorsqu'il s'agira de s'interroger sur la disparition des cabines téléphoniques. Il ne s'agit aucunement de faire complètement disparaître un service qui peut encore être utile à certaines catégories de population, je pense en particulier aux personnes socialement exclues.
La dématérialisation des démarches administratives renvoie en effet aux enjeux sociaux que vous avez évoqués.
L'été dernier, j'ai lancé une concertation auprès des acteurs de la médiation numérique, ces personnes qui, dans les territoires, animent les lieux de médiation afin de contribuer à la diffusion des usages. Derrière ce jargon technocratique, il y a des femmes et des hommes qui apprennent à utiliser les outils numériques pour chercher un travail, communiquer avec leurs petits-enfants, rejoindre les réseaux sociaux, effectuer des démarches administratives ou remplir des dossiers.
La simplification des démarches administratives va de pair avec la dématérialisation ; elle implique la littératie numérique. Il ne s'agit pas simplement de réduire le nombre de documents, il faut aussi que le langage utilisé soit compréhensible par tous. Cet objectif, politique, d'inclusion numérique est une spécificité de notre gouvernement.
M. le président. Le débat est clos.
Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 16 janvier 2015
La Conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons le Gouvernement puis les orateurs des groupes, et ensuite nous procéderons à une séquence de questions-réponses. La durée des questions et des réponses sera limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée du numérique.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, voilà trente mois que vous siégez comme parlementaires au sein de cet hémicycle. Vous avez observé le fonctionnement des institutions politiques. Vous avez donc constaté l'écart qui se creuse dans nos démocraties entre l'appareil institutionnel et les citoyens, la méfiance qui parfois s'instaure. Certains s'interrogent aussi sur la capacité du temps politique, en particulier parlementaire, qui est un temps nécessairement long, à s'adapter au temps médiatique et aux urgences exprimées par nos concitoyens. D'autres se demandent comment mieux impliquer le Parlement dans les travaux de l'exécutif, dans le respect de l'équilibre des pouvoirs.
Le débat qui nous réunit aujourd'hui vise modestement, de manière un peu expérimentale, à prendre acte de ces questionnements légitimes et à proposer une manière plus inclusive, transparente et finalement plus démocratique de fabriquer la loi.
M. Patrice Martin-Lalande. Excellente initiative !
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Ce débat d'orientation, vous l'avez voulu, et je remercie le groupe SRC de l'avoir inscrit cette semaine et de me donner ainsi la possibilité de m'exprimer et d'aborder la question globale de la stratégie numérique du Gouvernement.
Mais c'était avant que de terribles attentats ne viennent blesser notre pays, avant que le monde entier ne tourne les yeux vers la France pour découvrir une forme de barbarie, en même temps qu'une volonté de résistance exemplaire. Après le choc et son absorption, la réflexion, avant la décision. Or cette actualité concerne tous les services de l'État et tous les pans de la société : justice, sécurité, médias, éducation, transports, santé.
Le numérique et internet n'y échappent pas et vous avez hier, comme moi, entendu le Premier ministre demander au ministre de l'intérieur de lui faire des propositions d'ici une semaine quant aux moyens de lutter contre les possibilités d'embrigadement par le biais d'internet, notamment auprès des jeunes, contre la prise de contact et la mise en réseau d'individus, et contre l'acquisition de techniques qui peuvent encourager le passage à l'acte terroriste.
Nous travaillerons avec le ministre de l'intérieur et la garde des sceaux à la formulation de ces propositions pour qu'à droit constant j'insiste sur ce point et sans recourir à une loi d'exception, nous puissions renforcer plus encore l'efficacité des dispositifs réglementaires et techniques existants. Vous serez pleinement consultés dans ces travaux, mesdames et messieurs les députés.
Mais aujourd'hui l'heure n'est pas aux annonces et je concentrerai mon propos sur la vision globale, très ambitieuse, que défend le Gouvernement pour que le potentiel du numérique soit pleinement exploité comme un outil mis au service du développement économique, de la création d'emplois, de l'égalité, de la démocratie, du service public, bref de nos fondamentaux, dont le logiciel doit néanmoins être actualisé pour construire ensemble la République à l'heure du numérique, la République numérique.
Le numérique génère souvent des appréhensions vous le constatez dans vos circonscriptions , mais il permet beaucoup en termes de partage, de mobilisation citoyenne, d'échanges. Regardez ainsi ces centaines de dessins qui ont circulé dans le monde entier, exprimant, à travers tant de cultures et dans tant de langues, une valeur universelle, la liberté d'expression. La solidarité de la planète, nous l'avons un peu mesurée avec les 6,6 millions de tweets « Je suis Charlie ». Cette puissance du numérique peut servir le meilleur comme le pire, mais elle est et doit rester un outil. Ce n'est pas grâce à internet que nous avons la liberté d'expression mais grâce aux 4 millions de Français qui ont manifesté pour la défendre. Ils ont brandi des stylos peut-être parce que Cabu n'aimait pas les ordinateurs et n'avait pas de téléphone portable , mais s'ils avaient brandi des smartphones ou des tablettes, le symbole aurait été le même.
Le numérique est aussi une formidable opportunité de développement et de croissance pour notre pays et une véritable chance à condition de la saisir et de ne pas verser dans une sorte de « technophilie » qui s'imposerait au détriment du progrès humain.
Cette année 2015 est une année essentielle aux plans international, européen et national. En décembre se tiendra un rendez-vous important à l'ONU sur la gouvernance de l'internet, pour célébrer les dix ans du Sommet mondial sur la société de l'information. À Bruxelles seront certainement adoptés plusieurs textes très attendus, concernant notamment les données personnelles, la neutralité des réseaux, la cybersécurité, l'itinérance mobile. C'est en mai 2015 que la Commission européenne dévoilera son plan d'action pour le numérique. Cela tombe bien, et il faut croire que le calendrier n'est pas toujours hasardeux, puisque la France publiera sa propre stratégie en mars, sous trois formes : un projet de loi numérique, un plan de mesures concrètes à caractère national, et un plan stratégique à déployer au niveau européen avec nos partenaires.
Le Premier ministre a lancé le 4 octobre dernier une concertation sur le numérique, organisée par le Conseil national du numérique CNN , qui mobilise citoyens, entreprises, administrations, collectivités locales et société civile pour définir ensemble notre projet numérique. La plate-forme en ligne dédiée, ouverte jusqu'au 4 février 2015, a reçu à ce jour plus de 3 000 contributions. Leur analyse alimente en continu les travaux du Gouvernement. C'est la première fois que nous menons un tel exercice. Pour la première fois, en effet, les ministères une dizaine au total ainsi que les différentes administrations de l'État participent, très en amont, à des échanges en vue de la rédaction d'un projet de loi et contribuent directement sur une plate-forme publique.
Ce projet de loi est une occasion d'innover en démocratisant l'élaboration de la loi et nous la saisissons. Dans le même esprit, je m'assurerai que l'étude d'impact qui lui sera associée soit la plus complète possible.
Voici donc l'agenda qui nous attend : le 4 février, fin de la concertation numérique en ligne ; fin février, rapport du Conseil national du numérique ; en avril, présentation en Conseil des ministres de la stratégie numérique de la France ; en mai, présentation de la stratégie de la Commission européenne. Enfin, si possible durant le premier semestre, présentation au Parlement d'un projet de loi relatif au numérique.
Dans le secteur numérique, je combats la thèse du « déclinisme ». Nous n'avons pas de retard, nous avons même de l'avance.
Trois exemples le confirment. Tout d'abord, nos écosystèmes d'innovation, ancrés dans les territoires, animés par des entreprises et en particulier des start up très investies et performantes, désormais fédérées autour de la bannière de la French Tech, largement remarquée la semaine dernière lors du Consumer Electronics Show aux États-Unis. Autre exemple, notre « e-gouvernement » et en particulier nos services publics en ligne, nous classent au quatrième rang mondial cela donnerait presque envie à certains de payer leurs impôts
Mme Laure de La Raudière. Vous pensez à M. Thévenoud ?
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Troisième exemple, le déploiement des infrastructures de haut et très haut débit permettra la couverture de l'ensemble de la population à l'horizon 2022.
L'objectif du Gouvernement est de conserver cette avance et de l'améliorer pour nous hisser sur le podium des pays les plus avancés numériquement. Le Gouvernement tient à s'assurer que cette stratégie bénéficie à tous et pas uniquement à quelques « happy few ».
Pour cela, il propose de tirer au maximum parti de l'économie de la donnée, de la data, en proposant notamment des formations en adéquation avec les besoins du marché d'aujourd'hui et les métiers de demain, en intégrant dans la mesure du possible une approche algorithmique afin de rendre les politiques publiques plus préventives, mieux ciblées et plus efficaces, et en faisant en sorte que les modèles économiques soient plus tournés vers la création de valeur à partir de cette valeur immatérielle qu'est la donnée.
Il convient de renforcer et d'élargir l'ouverture des données publiques engagée depuis plusieurs années par l'État et les collectivités territoriales ce que l'on appelle en anglais l'open data pour rendre mieux compte de l'action publique, faire gagner en efficacité les nombreux services du quotidien, faire émerger les connaissances utiles au développement de l'innovation.
Nous réfléchissons à la création d'une nouvelle catégorie de données : la donnée d'intérêt général, qui pourrait par exemple s'appliquer aux transports.
Enfin, nous souhaitons que cette économie et cette société de la donnée n'émergent pas au détriment de la protection de la vie privée. Il faut pour cela introduire de nouveaux droits pour les individus dans le monde numérique, sans entrer en contradiction, naturellement, avec les négociations menées à Bruxelles sur la protection des données personnelles.
Avec la loi relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, nous avons été précurseurs, dès 1978. Mais c'était avant internet, avant les réseaux sociaux. De nouveaux droits peuvent être imaginés, au-delà de la seule question des données personnelles : accès facilité au contenu des informations détenues sur soi par des tiers ; actions collectives par lesquelles les usagers des services en ligne pourraient peser davantage face aux géants de l'internet ; création d'un droit au déréférencement, voire à l'effacement des données sur internet, qui s'appliquerait automatiquement pour les mineurs, particulièrement friands des réseaux sociaux ; amélioration de l'efficacité de la preuve électronique, dont la valeur doit être plus largement reconnue et l'usage davantage répandu dans un environnement bien sécurisé ; amélioration de la vie quotidienne des personnes en situation de handicap, à travers une meilleure maîtrise des outils numériques ou, souvent, grâce à ces outils eux-mêmes.
Par ailleurs, pour tirer pleinement parti de l'économie de la donnée, il convient de revoir les missions de la Commission nationale de l'informatique et des libertés CNIL , afin de mieux accompagner les entreprises en amont, dans un environnement juridique qui peut être complexe, de mieux les informer sur les possibilités d'innovation, et, aussi de les sanctionner plus lourdement en cas de manquement au droit. Lorsqu'un Google, qui engendre un bénéfice net de 3 milliards de dollars au seul troisième trimestre 2014, ne respecte pas la loi française sur les données personnelles, faut-il se contenter d'une sanction maximale de 150 000 euros ?
Toujours dans le domaine économique, nous souhaiterions conforter et sécuriser le cadre de l'économie du partage partage d'automobiles, de logements, d'espaces de rangement, de places de parking, etc. : les possibilités de créer des circuits courts sont infinies , afin de permettre, dans le respect de la loi et notamment du droit de la concurrence, un recours accru à ces services, source d'un meilleur pouvoir d'achat pour nos concitoyens.
Mme Laure de La Raudière. Ce n'est pas ce qui a été fait !
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Accompagner la transformation numérique de l'ensemble du tissu économique, tel est l'enjeu économique principal. Les start-up, les jeunes entreprises innovantes à très forte croissance, qui créent des emplois 8 % des entreprises à plus forte croissance créent 65 % des emplois en France aujourd'hui doivent pleinement contribuer à cette transformation, grâce à la valeur ajoutée qualitative de notre économie.
Deux défis nous attendent : il s'agit, en premier lieu, de faciliter l'accès des entreprises à la commande, qu'elle soit publique ou privée, et, en second lieu, de faciliter l'accès au financement de leurs projets entrepreneuriaux, en diversifiant ces sources de financement.
Il faut aussi que le développement des infrastructures dans les territoires s'accompagne d'une meilleure diffusion des usages télémédecine, e-éducation, Big Data, administration en ligne, notamment. De plus, aujourd'hui, les citoyens ne comprennent pas qu'ils n'aient pas accès à la couverture mobile partout en France. Il convient donc de revoir certaines obligations de couverture mobile, en réformant la prestation du service universel de publiphonie pourquoi ne pas installer le wifi dans les cabines téléphoniques ? et en développant la médiation. Il faut en effet reconnaître le métier de médiateur numérique, essentiel pour la diffusion des usages et l'inclusion de tous.
Toujours sur le plan économique, nous souhaitons instituer un cadre équilibré, répondant à trois exigences. La première est l'ouverture, conformément au principe de la neutralité des réseaux, et passe par la promotion de formats ouverts et interopérables, le développement de la portabilité des données et l'accès ouvert aux publications de recherche.
La deuxième exigence est de garantir la loyauté des plateformes de services qui dominent pratiquement la vie économique. Il faut donc lutter contre certaines pratiques anticoncurrentielles et améliorer l'information des utilisateurs et la transparence, en particulier dans la publicité digitale.
Enfin, s'agissant de la fiscalité du numérique, faut-il accepter qu'il existe, lors du paiement de l'impôt sur les sociétés, un rapport de un à dix entre le revenu déclaré en France et le chiffre d'affaires estimé pour les activités menées dans notre pays ? Le Gouvernement, lui, le refuse, et affiche sa volonté de faire avancer, aux niveaux européen et international, les moyens de lutter contre l'optimisation fiscale pratiquée par les plateformes du numérique. Ces stratégies de détour par les paradis fiscaux érodent en effet les bases fiscales et mettent en cause notre système social redistributif.
Voilà le tour d'horizon, assez large, de la stratégie numérique ambitieuse, vous l'aurez compris du Gouvernement. Cette ambition, c'est une économie redynamisée, une confiance restaurée entre les citoyens, un avenir repris en main et réapproprié.
Telles sont certaines des clés de la République numérique que j'appelle de mes vux : croissance, inclusion, confiance. Telle est l'ambition numérique de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe écologiste.)
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Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État Je vous remercie, mesdames, messieurs les députés, pour vos remarques et votre participation à ce débat. Je souhaite répondre rapidement à chacune de vos interventions.
Madame la députée Corinne Erhel, vous avez fait un excellent résumé de l'ensemble des problématiques auxquelles le Gouvernement entend faire face dans le cadre de son action, sur laquelle la représentation nationale sera d'ailleurs bientôt amenée à se prononcer.
Vous avez abordé la question de la souveraineté des réseaux, enjeu primordial pour la France et l'Europe, qui implique notamment la protection contre de possibles cyberattaques grâce au développement d'un arsenal en matière de cybersécurité. Il se trouve que notre cadre réglementaire a récemment évolué pour doter l'ANSSI, l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information, de moyens de contrôle et d'intervention plus puissants en cas de cyberattaque contre les réseaux d'information des opérateurs d'importance vitale. De même, nous travaillons avec nos partenaires européens à la définition d'un texte qui devrait permettre une plus grande coordination en matière de cybersécurité.
La souveraineté des réseaux passe aussi par le développement d'une stratégie industrielle au niveau européen, notamment pour que les données produites par les entreprises et les citoyens d'Europe puissent être hébergées sur le continent européen, afin que la loi européenne soit applicable. Un exemple du développement d'une pensée stratégique dans le domaine industriel : je recevais à Bercy, tout récemment, mon homologue allemande, pour essayer de définir un référentiel technique applicable à l'industrie du cloud, autrement dit de l'infonuagique ou information en nuage , afin de favoriser, dans nos pays respectifs, de manière harmonisée, le développement d'entreprises de services en ce domaine.
Vous avez aussi parlé de la formation au numérique, question essentielle, tant dans le cadre de la formation initiale que dans celui de la formation professionnelle ou en réponse aux enjeux liés au chômage en France. S'agissant de la formation initiale, plusieurs d'entre vous ont évoqué le plan e-éducation, sur lequel je reviendrai. La formation professionnelle, quant à elle, devrait connaître une ampleur accrue grâce à l'entrée en vigueur, au 1erjanvier, du nouveau compte personnel de formation, qui doit permettre l'accréditation des formations par et pour le numérique, dans le cadre du parcours de formation tout au long de la vie. Enfin, Pôle emploi a décliné une stratégie nouvelle dans le domaine du numérique, comprenant que ce dernier pouvait aider à lutter contre l'inadéquation entre l'offre et la demande sur le marché du travail et aider à mettre en relation les demandeurs d'emploi et les employeurs proposant un poste demeuré vacant. L'enjeu de la formation est donc cur de l'action du Gouvernement.
Sur le manque d'agilité numérique de l'État, ma réponse sera sobre, mais vous comprendrez, je le pense, que je partage certaines de vos conclusions. L'introduction, aussi modeste soit-elle, d'un nouvel exercice au sein de l'appareil de l'État je veux parler du Jeudigital tente, de manière indirecte, d'acculturer nos administrations au monde du numérique et à leur faire acquérir des réflexes, pour ainsi dire plus systématiques, de réactivité, d'usage et d'intégration des outils numériques.
Quant à votre objectif concernant le vivre-ensemble, il passe forcément par une plus grande inclusion numérique : si l'on parle de développement économique, on ne peut pas évoquer le numérique sans avoir totalement à l'esprit son objet social, qui se développe au service de tous.
Monsieur Favennec, vous avez évoqué la politique territoriale dans le domaine numérique. À l'instar de Mme Orliac, vous avez insisté sur la ruralité, sur le sentiment d'abandon lié aux problématiques de la couverture des territoires en internet haut débit et en téléphonie mobile. Vous avez eu raison d'insister sur ces sujets. Pour ma part, je me déplace beaucoup dans les territoires ruraux pour comprendre les difficultés auxquelles sont confrontés les collectivités locales et les élus locaux, pour essayer de mieux accompagner ces derniers et de mieux négocier avec les opérateurs de télécommunications, afin que cette question de la ruralité soit pleinement intégrée dans les engagements pris par les opérateurs.
Il est important que les modifications constatées dans le secteur des télécommunications n'aient pas de conséquences sur les engagements pris en 2013, au moment de la définition du plan « France très haut débit », et le Gouvernement y veille au plus près, notamment en actualisant le cahier des charges du plan précité, qui fera d'ailleurs très prochainement l'objet d'une consultation avec l'ensemble des acteurs opérateurs privés, mais également collectivités locales concernés par le déploiement et le développement des infrastructures dans les territoires. Il s'agit, j'y insiste, de s'assurer que les engagements pris soient respectés et si possible dépassés. Cela passe sans doute par l'accès des collectivités locales à de nouveaux financements et j'en viens ainsi à la question de la fibre par une approche pragmatique.
Il ne s'agit aucunement de remettre en cause l'objectif politique du déploiement de la fibre, qui constitue aujourd'hui la technologie garantissant le très haut débit à l'horizon 2022, mais il faut avoir l'esprit le quotidien des territoires et prendre conscience que le coût de ce déploiement peut être multiplié par dix dans certaines zones très isolées. Il faut dès lors poser le problème de manière pragmatique, en tenant compte de l'urgence des besoins exprimés par nos compatriotes, qui souhaitent recevoir internet et, plus généralement, avoir accès au monde. Cela doit conduire à s'interroger sur le déploiement de technologies alternatives dans une perspective de montée en débit.
En tenant ce discours, j'insiste sur le fait que je ne remets nullement en cause l'objectif principal poursuivi par le Gouvernement, qui réside dans le déploiement de la fibre. D'ailleurs, les conclusions du rapport Champsaur qui traite des enjeux liés à la disparition, à terme, du réseau de cuivre de l'opérateur historique et au transfert vers la technologie de la fibre seront bientôt publiées et, pour partie, appliquées, avec toujours pour objectif de tendre vers un déploiement de la fibre dans l'ensemble des territoires.
Vous avez également parlé du plan e-éducation, sur lequel je veux dire quelques mots. Nous avançons de manière satisfaisante sur ce sujet, qui constitue, pour ainsi dire, un serpent de mer : nous en entendons parler depuis plusieurs années. Or, il faut insister sur le fait que c'est ce gouvernement, sous l'impulsion du Président de la République, qui le mettra en uvre. Comment ? En intégrant dans les nouveaux programmes, à partir de la rentrée 2016, des enseignements numériques à tous les niveaux, avec une spécification de formation au lycée, et en ayant une nouvelle ambition s'agissant de la formation des enseignants : en effet, si, aujourd'hui, le numérique est très bien appréhendé par une minorité d'enseignants, il est source d'inquiétudes de la part d'une majorité de professeurs, qui ne maîtrisent pas forcément les outils numériques sans que l'on puisse d'ailleurs le leur reprocher et qui ont besoin, en ce domaine, d'un accompagnement beaucoup plus proche de leurs besoins.
Nous allons également mettre en place une plateforme plus ouverte, plus largement utilisable, qui offrira un accès à des contenus pédagogiques innovants permettant, grâce aux outils numériques, de faire de l'éducation autrement, au plus près des besoins particuliers des élèves, notamment à l'adresse des enfants connaissant des difficultés scolaires, ce qui est parfois le cas de ceux se trouvant en situation de handicap.
Le Président de la République a parlé des outils devant être utilisés, en particulier des tablettes : de fait, la diffusion des usages numériques à l'école ne pourra pas se faire sans un accompagnement des initiatives prises par les collectivités locales pour équiper les établissements scolaires.
Quant à la question des libertés dans le monde numérique, abordée par les députés Sergio Coronado, André Chassaigne et Corinne Erhel, je veux profiter de ce débat pour apporter quelques précisions sur les orientations annoncées par le Premier ministre en la matière. Le Gouvernement a expliqué qu'il proposerait des mesures dans le cadre du droit existant ; peut-être est-il utile d'en rappeler le contenu, en insistant sur les mesures votées au cours des derniers mois par le Parlement.
Les mesures prévues par la loi du 13 novembre dernier et visant à mieux lutter contre la propagande terroriste seront mises en uvre très prochainement. Les décrets d'application ont été préparés par le Gouvernement et seront publiés dans les semaines à venir. J'ajoute que ces mesures permettront également de lutter contre la pédopornographie qui sévit en ligne.
Conformément à cette loi, le décret relatif au blocage administratif des sites doit ainsi être examiné par la CNIL le 15 janvier prochain et par l'ARCEP, le régulateur des télécommunications, le 20 janvier. Il a par ailleurs été notifié récemment à la Commission européenne, qui a accepté de l'examiner au titre de la procédure d'urgence prévue par la directive 98/34/CE.
Vous le savez, un avant-projet de loi sur le renseignement est en préparation. Il doit être finalisé d'ici à environ quatre semaines. Mon ministère, à l'instar de l'ensemble des ministères concernés, contribuera à enrichir ce texte.
Ainsi que l'a rappelé le Premier ministre hier, ce texte et les autres mesures nouvelles qui pourraient être adoptées afin de renforcer notre dispositif de lutte contre le terrorisme respecteront les grands principes républicains de protection des libertés publiques et individuelles. Il ne s'agit donc pas d'adopter une loi d'exception dans un contexte d'exception ; il ne s'agit pas d'adopter un Patriot Act à la française ; il s'agit surtout d'appliquer la loi existante.
Je vous donne un exemple. Lorsque sont publiés sur un réseau social Facebook, pour ne pas le citer des propos et des images incitant à la haine et faisant l'apologie du terrorisme, un juge peut décider d'en faire comparaître l'auteur de façon immédiate. Cette possibilité est très peu utilisée aujourd'hui et pourra l'être peut-être plus efficacement à l'avenir.
En outre, le cadre législatif existant a également vocation à être appliqué avec des moyens matériels et humains plus importants. Je pense en particulier au système PHAROS, plate-forme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements, animé par des officiers de police qui sont sans doute insuffisamment nombreux et qui, compte tenu du budget alloué, ne peuvent faire face à l'abondance des notifications.
Sur ce sujet, mon apport du point de vue du ministère de l'économie et des finances peut consister en des solutions technologiques innovantes permettant de rendre plus efficaces et plus immédiatement applicables les dispositifs existants. Par exemple, grâce à des plug-in ou modules externes greffés sur les systèmes d'information, il est possible de signaler directement les propos de haine parfois diffusés sur internet sans passer par une plate-forme de signalement.
Concernant les discours de haine tenus en ligne, de nombreux signalements sont faits chaque jour sur la plate-forme PHAROS. Les services du ministère de l'intérieur sont également constamment présents sur les principaux réseaux sociaux pour endiguer la propagation de discours inacceptables ou l'émergence de contenus à la teneur insoutenable. Ce travail est fondé sur le signalement communautaire et respecte les mécanismes de fonctionnement des réseaux sociaux, mais il doit sans doute être approfondi, en négociation avec les grandes plates-formes numériques, pour être rendu plus efficace et plus préventif, afin d'éviter de nouveaux actes de barbarie.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé de la réforme de l'État et de la simplification.
M. Thierry Mandon, secrétaire d'État chargé de la réforme de l'État et de la simplification. Je souhaite apporter une réponse courte, la plus claire et la plus précise possible à Mme Erhel, M. Favennec et M. Chassaigne, notamment, qui, bien légitimement, ont insisté sur la nécessité d'une transformation digitale de l'organisation de l'État et de ses services, même s'il s'agit, évidemment, d'un chantier immense. Nous l'avons d'ailleurs placé au cur de la stratégie de réforme de l'État et il devrait être débattu prochainement, lors du séminaire intergouvernemental convoqué à cet effet au mois d'avril.
Nous avons fait de la transformation numérique de l'État l'une des trois priorités de la stratégie générale de réforme de l'État, tant il est évident que le bouleversement induit par le développement des pratiques et usages digitaux dans la société française doit absolument et de manière urgente être intégré pleinement par les différentes administrations de l'État, avec tout ce qu'il comporte de potentialités transformatrices.
Très concrètement, dans le projet de loi numérique, cela concerne principalement le volet relatif au renforcement de l'open data ou ouverture des données et son statut juridique ; Mme la secrétaire d'État l'ayant évoqué voilà quelques instants, je ne développerai pas davantage. Le texte comportera donc un paquet open data, dans lequel figurera le principe d'ouverture des données par défaut ; l'open data sera ainsi la règle générale. Le principe de gratuité de la réutilisation de ces données sera également inscrit dans le texte.
En outre, il sera prévu un encadrement, conforme aux règles européennes, des conditions dans lesquelles une redevance peut éventuellement être perçue par des opérateurs quand ils ouvrent ces données. Cet encadrement visera précisément à ce que ces cas ne soient pas trop nombreux.
Enfin, l'administrateur général des données, dont je salue la présence dans le public aujourd'hui, se verra conférer des pouvoirs nouveaux. Il pourra notamment intervenir en cas de conflits entre deux administrations par exemple si l'une fait preuve d'un enthousiasme modéré pour répondre à la demande de l'autre d'ouvrir ses données et saisir, si cela s'avère nécessaire, la Commission d'accès aux documents administratifs, dont les pouvoirs seront également élargis.
La transformation numérique de l'État est cependant un projet essentiel qui comprend beaucoup d'autres axes en dehors de ce texte de loi. J'en donnerai très brièvement les têtes de chapitres, puisque vous m'avez interpellé sur ce sujet et qu'il me paraît important que vous disposiez de ces éléments, mais je serai bref, car ce n'est ni le lieu ni le moment pour le faire.
Tout d'abord, l'État fournit aujourd'hui un effort important pour réorganiser ses infrastructures. Le décret du 1er août 2014 a ainsi créé la DISIC, la direction interministérielle des systèmes d'information et de communication, qui reprend la capacité des administrations de développer un certain nombre de plates-formes.
Ensuite, de nouveaux services et de nouvelles démarches numériques sont développés de façon massive dans le cadre de nouvelles politiques publiques. L'année 2015 sera ainsi marquée par des progrès extrêmement importants : nombreuses améliorations attendues dans le cadre du projet « Dites-le nous une fois », refonte du site service-public.fr, développement des expérimentations et, éventuellement, premières réalisations et fabriques de solutions des start-up d'État autour d'Étalab. L'État s'est donc résolument engagé pour offrir de nouveaux services aux usagers.
Par ailleurs, et je serai moins prudent sur ce point que Mme la secrétaire d'État, qui l'a évoqué tout à l'heure, il est nécessaire d'accomplir une petite révolution interne en matière de management du changement sur les questions numériques au sein de l'État. La culture digitale est absolument insuffisamment partagée et comprise par ceux qui ont la responsabilité des administrations ; la critique doit être formulée car chacun peut observer cette réalité.
Nous mettrons donc en uvre un programme de diffusion massive de la culture digitale. Nous organiserons en réseau l'ensemble des innovateurs numériques présents dans les administrations. Ces personnes brillantes, qui ne sont pas toujours placées très haut dans la hiérarchie, font en effet un travail fantastique et doivent se sentir soutenues, reconnues, doivent être stimulées pour utiliser pleinement les capacités dont elles font déjà montre. Nous nous inspirerons également de l'organisation mise en place en Angleterre : de vrais correspondants digitaux agiront tant au niveau des directions des ministères que des services à la population, et définiront la mise en uvre de politiques nouvelles au sein des différents services publics ou prendront en charge l'interface avec les usagers afin que ceux-ci puissent profiter de ces changements.
Je conclurai mon propos en insistant sur ce qui me paraît le plus important, et cela vaut non seulement pour l'État mais aussi, d'une certaine manière, pour les grandes entreprises privées.
La révolution numérique oblige à opérer un changement culturel qui n'est pas le plus facile pour les grandes entreprises ou les grandes administrations. Alors que ces dernières sont structurées sur un mode hiérarchique, autoritaire, le numérique leur impose une vraie révolution démocratique, l'application de politiques publiques beaucoup plus collaboratives et participatives, horizontales et non hiérarchisées. On voit bien les difficultés que les grandes organisations, tant publiques que privées, ont et auront à piloter cette transformation, qui sera longue.
En outre, ces grandes entités fonctionnent sur le mode de la longue durée, leur modèle décisionnel s'appuie sur la réflexion préalable à la mise en uvre et à l'exécution. Ces rythmes sont aujourd'hui désynchronisés de l'urgence et de la vitesse qu'exige et qu'implique le choc numérique.
Mme Nicole Ameline. C'est vrai !
M. Thierry Mandon, secrétaire d'État. En sus de la transformation numérique de l'État, levier de la réforme de l'État, il est donc nécessaire d'engager un changement de nature culturelle : il faut plus de vitesse et des méthodes davantage collaboratives et participatives. Afin de porter un changement, une transformation de ce type dans la durée, de nouvelles élites doivent émerger en complément des élites existantes ; elles seront les pilotes du changement dont l'État aura besoin. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Lionel Tardy et M. Yannick Favennec. Très bien !
- Questions
M. le président. Nous en venons aux questions.
Nous commençons avec le groupe écologiste. La parole est à M. Philippe Kemel.
M. Philippe Kemel. Ma question s'adresse à Mme la secrétaire d'État et concerne dans un premier temps les politiques d'investissement pour développer les réseaux de très haut débit.
Ainsi que cela a été rappelé, le Gouvernement a lancé en 2013 le plan très haut débit et cette mobilisation permettra d'ici à 2022 de couvrir l'intégralité de notre territoire. Mon EPCI de 230 000 habitants, la communauté d'agglomération d'Hénin-Carvin, en bénéficie d'ores et déjà.
C'est précisément en observant le développement de l'ensemble des travaux d'investissements, qui sont lourds, que je m'interrogeais sur le lancement récent dans la stratosphère par les GAFA Google, Amazon, Facebook, Apple de ballons qui permettront d'avoir accès à internet sans passer par le réseau terrestre. Se pose ainsi la question de la complémentarité entre celui-ci et le projet des ballons stratosphériques : comment organisera-t-on le partage des usages entre l'un et l'autre système ? Comment faire en sorte de garantir l'usage public et l'accès aux réseaux publics ? C'est la première question.
La seconde question concerne la fracture numérique, qui ne se limite pas simplement à l'accès au réseau et aux moyens de communication. J'aimerais vous interpeller sur l'inégal accès au matériel informatique.
Nombre de personnes au pouvoir d'achat faible ne peuvent en effet renouveler régulièrement leur matériel. Or, aujourd'hui, dans les services publics, notamment, on a recours à des logiciels aux technologies de plus en plus sophistiquées qui ne sont pas compatibles avec ces anciens modèles d'ordinateurs. Cela crée incontestablement une inégalité dans l'accès au service public. Comment faire pour que les populations les moins aisées puissent disposer d'un matériel informatique adapté aux logiciels utilisés notamment dans les services publics ? Peut-on envisager des dispositifs dans le cadre de la politique de la ville ?
Le dernier point que je souhaite soulever concerne les formations. Vous avez évoqué les formations pour les jeunes, Mme la secrétaire d'État, les formations pour l'entreprise et pour les demandeurs d'emploi.
M. le président. Veuillez conclure, cher collègue !
M. Philippe Kemel. Il y a aussi des générations qui ne bénéficient pas de ces services. Comment faire pour qu'elles soient également formées ?
M. le président. Je rappelle aux uns et aux autres que nous débattons dans un cadre précis : deux minutes pour les questions et deux minutes pour les réponses. Nous ne sommes pas à la seconde près, mais je vous demanderai de respecter ces temps de parole.
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Monsieur le député, vous suggérez que les technologies alternatives peuvent être une réponse à la nécessité de déployer internet sur tout le territoire. Je crois que la fibre optique, plus que jamais, a un avenir dans notre pays. Il ne s'agit pas là d'une doctrine, qui s'imposerait au détriment d'autres technologies ; la fibre optique est aujourd'hui la technologie qui offre, outre un débit illimité, la meilleure qualité et qui prépare à la société et à l'économie de la donnée, la « data ».
C'est la raison pour laquelle l'État s'est engagé financièrement, à hauteur de plus de 3 milliards d'euros, aux côtés des collectivités locales, pour déployer des réseaux fixes de nouvelle génération sur l'ensemble du territoire.
Le projet auquel vous faites référence est surtout destiné à offrir une connectivité dans des endroits où les réseaux fixes sont simplement inexistants, en Afrique ou dans les zones insulaires. Ce projet est au stade de l'expérimentation et en aucune façon généralisable pour le moment.
En France, la question est plutôt celle du recours au très haut débit mobile ; l'on parle de plus en plus de la convergence des réseaux fixes et mobiles autour de la 4G. La technologie que vous avez évoquée peut effectivement, comme la montée en débit sur le réseau cuivre, apporter un complément ou une solution intermédiaire, mais elle ne peut se substituer à la fibre, qui reste la technologie pérenne.
Il ne s'agit pas pour autant d'exclure les technologies alternatives. Je pense notamment au plan « Écoles connectées », qui vise à connecter quelque 16 000 établissements scolaires, souvent situés dans les territoires les plus ruraux. Il est mis en application depuis cette rentrée pour la moitié de ces établissements et sera définitif à compter de la rentrée scolaire prochaine. Aujourd'hui, pour une école, ne pas avoir internet signifie non seulement que l'enseignant ne peut pas utiliser des outils numériques pour sa pédagogie et que les élèves se voient pénalisés, mais aussi, de façon plus prosaïque, que le directeur ne peut envoyer un e-mail au recteur d'académie pour assurer la gestion logistique de son école.
Face à l'urgence d'assurer cette égalité entre les établissements scolaires, nous avons fait la promotion de technologies satellitaires et encouragé les établissements scolaires à se tourner vers des fournisseurs de technologies d'accès par satellite.
Vous avez évoqué la question des usages. L'inclusion et la diffusion des usages font partie de la politique du Gouvernement, notamment par des lieux, qui, au côté des espaces publics numériques, se sont diversifiés : tiers lieux, lieux de médiation numérique, fab labs, lieux de travail partagés. Il s'agit de les mettre en réseau. Au cur de ce travail, les médiateurs numériques, incontournables, qui peuvent notamment faire venir aux technologies numériques les personnes âgées vous parliez d'un phénomène générationnel, qui ne se constate pas partout et tout le temps qui n'ont pas pu découvrir ou avoir accès aux technologies numériques.
M. le président. La parole est à M. Luc Belot.
M. Luc Belot. Madame la secrétaire d'État, je tiens d'abord à saluer la tonalité générale de vos propos et l'ambition que vous portez pour la France digitale. La mutation numérique est trop souvent vécue comme un phénomène anxiogène, alors que le numérique n'est certainement pas le problème, mais plutôt une partie de la solution. Vous avez eu raison de souligner en introduction que c'est bien la réflexion, en cette période, qui doit guider nos travaux. L'émotion ne fait que rarement de bonnes lois.
Si les données de transport ont particulièrement agité la commission spéciale sur la loi Macron ces deux derniers jours, je voudrais pour ma part m'attarder sur la question des données personnelles et sur quatre thèmes qui y sont liés : la propriété, l'information, la portabilité et le droit à l'oubli.
La propriété des données numériques personnelles est sujette à de nombreuses controverses, tant ce concept est aussi philosophiquement compréhensible qu'il est juridiquement dangereux. Introduire une notion de propriété dans notre droit reviendrait à le traiter sous l'angle patrimonial, permettant ainsi toute location, voire toute cession.
À cette fausse bonne idée, il convient d'opposer le concept traduit de la jurisprudence allemande de « l'autodétermination informationnelle ». Peut-être faudra-t-il trouver, dans le cadre de votre projet de loi, un terme plus adapté, plus compréhensible par le grand public et les utilisateurs, mais nous devons créer le droit, pour chacun, de décider librement de la communication et de l'utilisation des données personnelles le concernant. Chaque Français doit pouvoir prendre toute sa place dans la connaissance, la protection et l'utilisation de ces données.
Les données personnelles sont un élément essentiel de notre identité numérique. L'open data, l'explosion des objets connectés notamment dans le domaine de la santé , les réseaux sociaux, sont autant de ressources dont l'utilisateur doit pouvoir assurer le transfert d'un opérateur vers un autre ou d'une plateforme vers une autre.
Enfin, suite à la décision Google Spain, le droit à l'oubli doit nous porter à clarifier notre droit sur ces aspects, en articulation avec le projet de règlement européen. J'y ajouterai le droit d'opposition, sans condition, au traitement des données, en supprimant l'obligation du motif légitime pour les personnes mineures.
Au travers de ces thématiques, comment abordez-vous le Conseil de l'Union de mars, après les accords partiels de 2014, en particulier sur les sujets sensibles des sanctions, des fichiers de souveraineté et des fichiers de police administrative ? Quel est votre état d'esprit quant à la gouvernance de l'internet, en particulier sous l'angle de la protection de la vie privée ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Aborder en deux minutes tant de sujets aussi complexes, touchant aux droits fondamentaux, est un grand défi ! Sachez que l'ensemble des questions que vous avez abordées, monsieur le député la propriété des données numériques, l'identité numérique, le droit à l'oubli, les sanctions, la gouvernance de l'internet sont traitées aux niveaux national et européen, notamment dans le cadre des négociations sur le projet de règlement sur les données personnelles.
Le Gouvernement considère que la donnée personnelle n'est pas une donnée commerciale comme une autre et refuse l'idée d'une propriété, d'un droit patrimonial qui y serait attaché. En revanche, il est essentiel de pouvoir disposer librement des données qui nous concernent, d'où la référence à un concept jurisprudentiel allemand, le « droit à l'autodétermination informationnelle » qui pourrait effectivement être traduit de manière plus simple. C'est une piste que nous souhaitons explorer.
La portabilité des données est essentielle et, là encore, visée par le projet de règlement en cours de négociation à Bruxelles. C'est un enjeu de liberté, une garantie d'application des conditions d'une libre concurrence. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement français est très favorable à ce qu'elle soit assurée sur le continent européen, ce qui pose des questions en matière de transfert vers des juridictions situées hors de l'Union européenne.
Vous avez évoqué le droit à l'oubli. Il s'agit en réalité du droit au déréférencement, les informations référencées par certains moteurs de recherche ne disparaissant pas toujours complètement et pas dans tous les pays. À l'heure actuelle, le texte européen ne prévoit pas un droit à l'effacement ou au déréférencement spécifique pour les mineurs. Or le droit français considère qu'il faut, pour demander un déréférencement, un motif légitime. Nous pourrions considérer que le motif légitime est inhérent à la capacité et à l'identité de la personne mineure. Nous explorerons cette piste dans le cadre du projet de loi sur le numérique.
Le niveau des sanctions est insuffisant. Faut-il aller plus loin que ce que prévoit le projet de règlement ? La question se pose.
Enfin, concernant la gouvernance de l'internet, le temps viendra peut-être de négocier un traité international sur le sujet. Internet étant, par essence, international, on voit bien les limites d'un exercice consistant à le réguler au plan national.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Lou Marcel.
Mme Marie-Lou Marcel. Madame la secrétaire d'État, la stratégie numérique de notre pays passe par l'accès de tous au très haut débit, donc, par le déploiement de la fibre optique sur l'ensemble du territoire. Le plan France Très Haut Débit a pour objectif ambitieux de raccorder 70 % des foyers en 2020 et la totalité de la population en 2022. D'un coût total qui devrait avoisiner les 20 milliards d'euros, ce plan induit des financements de l'État, de l'Europe et des collectivités locales, ainsi que des opérateurs privés. Il représente un investissement important pour ces mêmes collectivités.
Or, si le déploiement de la fibre en zone urbaine suscite l'intérêt des opérateurs privés, il n'en est pas de même pour les zones moins denses que sont les zones rurales et les zones de montagne. À titre d'exemple, le territoire de la région Midi-Pyrénées est composé à 70 % de zones rurales et de montagne.
Le numérique est un outil majeur d'aménagement du territoire. L'Aveyron, où se situe ma circonscription, fait partie des dix départements dont la part de la population couverte par le haut débit est la plus faible et des seize départements dont la part des entreprises couverte par le haut débit est aussi la plus faible. Or, vous le savez, le haut débit est un facteur majeur d'attractivité du territoire, une nécessité pour les entreprises et les habitants.
Les besoins des utilisateurs en zone rurale sont les mêmes que dans les zones urbaines, leurs attentes également. C'est ce que vous avez appelé très justement la « République du numérique ». Le 23 juillet, dans le cadre du plan France Très Haut Débit, a eu lieu la première émission d'obligations de projets, pour un montant de 189 millions d'euros sur dix ans.
Pourriez-vous, madame la secrétaire d'État, détailler les financements actuels et à venir du plan France Très Haut Débit, notamment pour le déploiement dans les zones rurales ?
Les opérateurs s'étaient également engagés à constituer un réseau commun pour couvrir les zones blanches. Or, à ce jour, celles-ci ne sont couvertes qu'à 25 %. C'est pourquoi, concernant le zonage relatif à la téléphonie mobile, je souhaiterais que vous nous précisiez la politique que vous comptez mener afin que les zones grises soient bien identifiées.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Madame la députée, vous abordez la question de la couverture par les réseaux fixes et de la couverture mobile, en particulier dans les territoires ruraux. J'en profiterai pour faire un point sur l'avancement de ce programme du plan France Très Haut Débit, qui a été lancé par le Président de la République en 2013. Il a fait l'objet, dans la dernière loi de finances, d'un engagement budgétaire à hauteur d'1,4 milliard d'euros, en sus des 900 millions d'euros déjà inscrits au budget. C'est dire si l'État tient ses engagements financiers, dans un contexte budgétaire difficile. Ce programme avance plutôt bien : 66 projets publics, présentés par des collectivités représentant 78 départements, ont été déposés auprès de la mission France Très Haut Débit à Bercy, afin de recevoir un soutien financier de l'État.
Ces projets concernent souvent des départements très ruraux, tels le Gers, l'Ardèche, la Haute-Marne, la Haute-Saône, la Lozère, ou encore des regroupements régionaux comme l'Auvergne et le Limousin. Ils témoignent de la possibilité de mettre en uvre un tel programme dans ces territoires.
Trente et un projets ont fait l'objet d'un accord de principe ou d'un accord définitif de la part du Premier ministre. Pas moins de 7 milliards d'euros seront investis pour couvrir, en cinq ans, 4 millions de foyers.
Le financement du plan a été sécurisé dans le dernier projet de loi de finances. Au-delà du déploiement du très haut débit par la fibre, l'initiative combinée des collectivités de l'État doit permettre d'apporter des réponses plus rapides là où les besoins sont les plus criants 20 % des logements n'ont toujours pas accès au triple play.
Nous sommes donc extrêmement vigilants dans ce domaine et nous veillerons tout particulièrement à l'actualisation du cahier des charges du plan France Très Haut Débit car nous sommes conscients des enjeux de ce programme dans les territoires ruraux.
S'agissant de la couverture mobile, nous devons finaliser au plus vite celle des communes encore en zone blanche qui ont échappé au programme précédent et apporter une réponse durable. Ce dossier avance.
M. le président. La parole est à M. Christophe Premat.
M. Christophe Premat. Ma question s'adressait initialement au ministre de l'économie mais Mme la secrétaire d'État, qui a su donner l'impulsion pour accompagner la transformation numérique de l'État, saura parfaitement me répondre.
Le numérique représente une opportunité extraordinaire pour adapter nos services publics en les rendant plus performants, plus efficaces, plus rapides. Comment expliquer à nos concitoyens la complexité des démarches administratives à l'heure où la plupart des services à la personne sont accessibles via une tablette ou un smartphone ?
Le numérique est également un moyen de lutter contre l'éloignement de l'administration avec certains de ses administrés. Nos concitoyens qui résident hors de France sont les premiers témoins de cet éloignement car, vivant à l'étranger, leurs seuls contacts avec l'administration française se résument aux services rendus par les consulats établis parfois à des centaines de kilomètres de leur lieu de résidence.
La nécessité de les rapprocher est d'autant plus impérative que le redéploiement consulaire conduit notre Gouvernement à adapter notre réseau en réduisant certains postes et consulats.
La dématérialisation des services administratifs devrait permettre à nos concitoyens résidant à l'étranger de faciliter leurs démarches pour obtenir certains documents indispensables comme leur carte d'identité ou leur passeport mais aussi encourager leur aspiration à renouer des liens avec leur pays d'origine en réalisant par exemple des opérations administratives et commerciales telles la création et la gestion d'entreprise.
L'Estonie, qui figure dans ma circonscription et que vous connaissez bien, madame la secrétaire d'État, est très en pointe en la matière. Elle permet à n'importe quel internaute de devenir un « e-citoyen ». Le portail d'« e-citoyenneté » ouvre certains droits et permet surtout d'accéder aux démarches administratives en ligne. Il vise aussi à favoriser l'attractivité de l'Estonie à l'étranger en permettant à des investisseurs de s'implanter en Estonie.
Cependant, nous le constatons en ce moment avec la bataille que se livrent certains pirates informatiques, le monde virtuel n'est pas forcément un terrain pacifique. Il peut même être l'objet de toutes les dérives comme le vol d'identité ou de données. Il est donc indispensable de veiller à la sécurisation des données, corollaire à toute dématérialisation des services. Comment rapprocher le citoyen de son administration, faciliter ses démarches, améliorer la qualité du service public tout en protégeant son identité ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Merci, monsieur le député, pour votre question. Vous citez l'exemple de l'Estonie, ce petit pays qui est sans doute le plus numérique de l'Union européenne. Ce n'est sans doute pas un hasard si le commissaire européen en charge du marché numérique unique également vice-président de la Commission n'est autre que l'ancien Premier ministre de ce pays
C'est vrai, l'enjeu de la transformation numérique est de renforcer le service public pour tous, à savoir les Français de France mais aussi ceux qui résident à l'étranger ou qui sont éloignés de la métropole. Nous voulons ainsi dématérialiser plusieurs démarches, en particulier l'inscription au registre des Français de l'étranger. L'usager pourra lui-même saisir ou corriger en ligne les données qui le concernent via une interface ad hoc qui sera disponible par ordinateur et par mobile sur la base du site service-public.fr.
Cette facilitation des démarches devrait être disponible fin 2015 ou début 2016, ce qui permettra aux agents des consulats de se consacrer à d'autres tâches que des opérations de saisie 80 000 heures en 2013.
Vous le savez sans doute, une mission concernant spécifiquement la facilitation des démarches administratives et du retour en France a été confiée par le Premier ministre à Hélène Conway-Mouret il y a quelques semaines. Cette mission devrait déboucher sur des propositions très concrètes qui concernent les Français de l'étranger, lesquels seront aussi concernés par la mise en uvre du programme « Dites-le-nous une fois ». Il s'agit de permettre à l'usager de ne pas avoir à fournir une information ou une pièce délivrée par l'administration ou qui lui a déjà été communiquée, plus d'une fois, grâce à une interface d'identification unique. Nous travaillons à la dématérialisation des services publics, non pas pour les effacer, les faire disparaître, mais pour les rendre plus efficaces, au plus près des besoins des usagers.
M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy.
M. Lionel Tardy. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, j'aimerais dire avant tout que, puisque nous parlons de numérique et d'Internet, les événements tragiques de la semaine dernière ne doivent pas faire d'Internet un bouc émissaire. Je sais, madame la secrétaire d'État, que vous comprenez ce message. Soyons vigilants et visons juste. Visons les terroristes en devenir et non pas les libertés fondamentales, notamment numériques.
Cela étant dit, je me réjouis de la méthode affichée pour l'élaboration de ce projet de loi, qui est celle de la concertation, ou en tout cas de l'information, bien en amont du texte initial, ce qui n'est déjà pas mal.
J'attends de voir dans les faits les résultats de cette méthode au fur et à mesure que nous nous rapprocherons de l'examen parlementaire.
Je le dis depuis plusieurs années, une loi numérique est nécessaire. Les rapports, les études, les colloques se sont succédé. Il est temps désormais de modifier nos textes, sans excès de zèle, pour libérer les énergies positives et donner un vrai coup d'accélérateur.
En revanche, nous devrons éviter deux écueils essentiels. Il conviendra tout d'abord de ne pas cloisonner le numérique. Si un esprit volontariste et pragmatique domine ce projet de loi, il devra souffler également sur les autres textes afin d'éviter qu'ils ne contiennent des dispositions anti-innovation comme l'on peut en trouver dans la loi Thévenoud ou la proposition de loi relatives aux ondes électromagnétiques. À ce titre, comment aborder le prochain projet de loi sur le renseignement qui traitera forcément de l'utilisation d'Internet ?
Par ailleurs, une loi franco-française aurait du sens pour quelques dispositions l'open data notamment mais pour beaucoup d'autres, le numérique reste un sujet à traiter au niveau européen, et pas seulement pour ce qui concerne la fiscalité. Comment l'articulerez-vous avec le futur règlement relatif aux données personnelles ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Vous venez de rappeler, monsieur le député, l'importance de respecter le cadre fondateur de notre République, qui est celui des libertés. Le Premier ministre l'a répété, toute mesure nouvelle qui permettrait de lutter plus efficacement contre le terrorisme et contre la préparation et l'embrigadement en vue de commettre des actes terroristes doit s'inscrire dans le respect de la démocratie et des libertés fondamentales. Cet esprit guidera les travaux menés par le ministre de l'Intérieur avec la garde des sceaux et moi-même.
Vous m'interrogez sur l'articulation entre un texte consacré au numérique et d'autres que le Parlement sera amené à examiner dans les prochains mois, en particulier une proposition de loi relative aux ondes électromagnétiques. Une proposition de loi émanant par principe de l'initiative parlementaire, le Gouvernement serait malvenu de l'intégrer dans un texte d'origine gouvernementale.
Quant au projet de loi consacré au renseignement, il se rapportera à un domaine proprement régalien. Nous savons déjà que le texte relatif au numérique se divisera en trois chapitres : l'économie et la promotion de l'innovation, l'action publique au travers l'open data, et les données personnelles.
Comment coordonner une volonté politique d'agir au niveau national avec les engagements en cours de négociation, à Bruxelles mais également au sein d'instances internationales ? L'arbitrage est délicat mais si la France se dote d'un arsenal juridique ambitieux, elle pourra influencer l'issue des négociations. Nous devons agir avec pragmatisme et réalisme, pour identifier les sujets sur lesquels nous pouvons avancer au niveau national sans pour autant contredire les objectifs poursuivis sur le plan communautaire.
M. le président. La parole est à M. Charles de La Verpillière.
M. Charles de La Verpillière. Madame la secrétaire d'État, parmi tous les réseaux publics de fibre optique, je souhaite appeler votre attention sur les réseaux pionniers, conçus avant que les règles de déploiement et de financement soient définitivement fixées par l'État. Il aura fallu plusieurs années, à partir de 2010, pour que le paysage se stabilise et que les territoires se répartissent entre les opérateurs publics et privés, que les règles de financement des réseaux publics soient définies, les prescriptions techniques de l'ARCEP publiées et la mission France Très Haut Débit créée.
Or, certaines collectivités avaient déjà, avant 2010, démarré des projets d'internet à très haut débit. C'est le cas du syndicat intercommunal d'électricité et de e-communication de l'Ain SIEA dont le projet a été conçu en 2008. Aujourd'hui, 194 communes sont ouvertes au service très haut débit avec près de 100 000 foyers éligibles et un taux de raccordement de 17 % en rapide augmentation.
Ce réseau fonctionne parfaitement mais l'ARCEP et la mission France Très Haut Débit nous demandent de mettre en uvre les prescriptions techniques les plus récentes, intervenues après le démarrage de notre projet. Cette mise à niveau est en cours mais elle représente un coût important, supérieur à 20 millions d'euros.
Nous ne pouvons financer seuls une telle somme d'autant plus que, comme tous les réseaux publics, celui du SIEA est déployé sur un territoire rural et sa rentabilité n'est assurée qu'à long terme.
Pouvez-vous me confirmer que le Gouvernement a bien l'intention de subventionner ces travaux de mise à niveau, en plus des déploiements ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Vous posez, monsieur le député, la question du passage des réseaux que vous appelez « pionniers » je les appelle « réseaux de première génération » de déploiement de l'internet dans les territoires aux réseaux de deuxième génération. La question est judicieuse : il ne faudrait pas que les premiers partants les bons élèves, en quelque sorte qui ont souhaité connecter leurs territoires le plus rapidement possible se trouvent aujourd'hui pénalisés par le plan France Très Haut Débit, plus ambitieux pour l'ensemble des territoires en termes tant d'objectifs calendaires que de budgets alloués par l'État et par les collectivités locales.
Je vous confirme que le Gouvernement envisage de modifier l'actuel cahier des charges du plan France Très Haut Débit afin de soutenir la mise à niveau des réseaux FTTH, dont le déploiement a commencé avant le lancement dudit plan en 2013. Vous avez cité l'exemple du département de l'Ain, monsieur le député : les premiers projets ont vu le jour dès 2008.
La question qui se pose n'est pas tant celle de la faisabilité technique de la mise à niveau du réseau que celle du financement nécessaire pour adapter le programme aux nouvelles exigences du cahier des charges du plan France Très Haut Débit. Il faut donc garantir l'engagement financier de l'État qui permettra de soutenir cette transition tout en respectant les règles du droit de la concurrence, en particulier les règles communautaires.
Soutenue par l'État, cette mise à niveau devrait permettre aux réseaux « pionniers » de prendre toute leur place dans le processus d'harmonisation technique et tarifaire prescrit par le plan France Très Haut Débit. C'est le sens de la démarche engagée dans votre département et je ne peux que m'en féliciter.
Le Gouvernement doit rendre ses derniers arbitrages concernant cette évolution du cahier des charges. Sur le point précis que vous soulevez, monsieur le député, il va de soi que je ne manquerai pas de vous tenir informé, mais vous avez d'ores et déjà compris que j'ai la volonté de faire preuve de souplesse et de pragmatisme.
M. le président. La parole est à M. Franck Riester.
M. Franck Riester. Je tiens avant toute chose, madame la secrétaire d'État, à me réjouir de votre démarche consistant à modifier le processus de vote de la loi. En effet, notre Parlement et notre Assemblée en particulier ont besoin d'évoluer en la matière, et je salue votre souhait d'y parvenir à l'occasion de la future loi sur le numérique.
Ensuite, M. Mandon a déjà répondu à grands traits aux questions que je me pose sur l'ouverture des données publiques et sur le contenu de la partie consacrée à l'open data dans le futur projet de loi. Pouvez-vous toutefois nous préciser à quelle date sera examiné ce projet, dont vous nous avez dit qu'il serait présenté au deuxième semestre ?
D'autre part, comment comptez-vous associer les collectivités locales au processus d'ouverture de leurs données publiques ?
Enfin, où en êtes-vous du rapprochement et du croisement des fichiers sociaux et fiscaux dans le cadre de la lutte contre la fraude et, plus largement, quels travaux le Gouvernement conduit-il pour harmoniser les systèmes de gestion et d'information de l'État ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Je vous remercie, monsieur le député, pour vos encouragements concernant la méthode. Nous partageons en effet le même objectif visant à moderniser le processus législatif.
Vous m'interrogez sur le calendrier du futur projet de loi numérique, en particulier pour ce qui concerne la concrétisation de nos ambitions en matière d'ouverture des données publiques. Ce calendrier est soumis à un impératif : nous sommes tenus de transposer avant le mois de juillet prochain la directive européenne déjà entrée en vigueur. Il est donc essentiel que le projet de loi puisse s'adapter peu ou prou à ces délais.
M. Mandon a rappelé les grands principes de l'ouverture des données publiques : il faut inscrire dans la loi le principe d'ouverture des données par défaut, quitte à intégrer un critère de progressivité, et celui de la réutilisation libre et gratuite des données publiques, en favorisant notamment l'usage des formats libres et ouverts. Il faut aussi encadrer strictement les redevances qui font exception à ce principe de gratuité, conformément à la doctrine gouvernementale qui, à ce stade, n'a pas été élevée au rang de loi. Enfin, il faut rapprocher le régime de droit commun et les régimes dérogatoires, en particulier pour ce qui concerne les données relatives à l'enseignement supérieur et la recherche ainsi que les institutions culturelles.
Vous m'avez enfin interrogé sur la participation des collectivités locales. Elles sont déjà associées au processus de concertation en cours : je leur ai écrit pour leur demander de se prononcer sur l'ensemble des thématiques débattues sous la houlette du Conseil national du numérique, et elles nous ont d'ores et déjà transmis des témoignages et des demandes d'évolution concernant la question de l'open data. De surcroît, elles seront associées davantage encore par l'intermédiaire des instances de gouvernance mais aussi dans le travail quotidien aux actions que conduira la future Agence du numérique, laquelle comprendra trois missions : la mission France Très Haut Débit, pour le développement de l'internet et à terme, je l'espère, de la couverture mobile dans les territoires, la mission French Tech qui accompagne les écosystèmes d'innovation dans les territoires, enfin la délégation aux usages de l'internet. De ce point de vue, parallèlement à l'action conduite par le Secrétariat général pour la modernisation de l'action publique et avec Etalab, véritable start-up placée au sein de l'État je salue à cet égard la présence d'Henri Verdier, l'administrateur général des données qui supervise le processus d'ouverture des données publiques , il s'agira d'accompagner davantage encore les collectivités locales dans cette démarche.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Ameline.
Mme Nicole Ameline. Je voudrais à mon tour vous féliciter pour ce débat, madame la secrétaire d'État. Nous partageons tous ici votre vision de l'effet transformateur du numérique sur l'ensemble de la société, et non seulement sur l'économie.
Je souhaite vous interroger sur deux points. Le premier concerne les pôles de compétitivité nationaux, notamment celui qui, dans ma circonscription, est spécialisé en matière de circulation des données numériques. Quelles sont vos intentions pour accompagner le redéploiement éventuel de ces pôles sur des sujets absolument majeurs qui concernent d'ailleurs le numérique sous tous ses aspects, y compris la cybersécurité ?
D'autre part, je voudrais vous poser la question de l'égalité professionnelle. Le numérique doit servir l'égalité des chances, l'égalité républicaine, l'égalité des territoires. Il se trouve que j'ai la chance d'être marraine des Femmes du numérique en France : il me semble très important que vous puissiez réfléchir à une action spécifique en faveur des femmes, parce que les usages, les métiers et les services du numérique seront de plus en plus ouverts en termes de croissance et d'emploi. En dépit des aléas conjoncturels qui freinent aujourd'hui l'emploi dans ce secteur, je suis convaincue qu'il s'agit d'un domaine pouvant contribuer à la reprise et à la sortie de crise, et que les femmes doivent être à l'avant-garde. Je serais donc heureuse que vous nous indiquiez votre souci d'en faire un exemple en matière d'égalité professionnelle.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Je vous remercie, madame la députée, pour ces deux questions qui portent sur les pôles de compétitivité et les entreprises exerçant dans le domaine de la cybersécurité d'une part et, de l'autre, sur l'égalité des chances dans, par et contre le numérique.
La politique territorialisée des pôles de compétitivité a fait la preuve de sa capacité à dynamiser avec succès la recherche et le développement en France. L'objectif de la phase 3 de cette politique, lancée à la fin 2012, est, au-delà de la seule création de connaissances, de contribuer davantage à la création de valeur et à la croissance des entreprises appartenant à ces pôles. Il s'agit désormais de les aider à accéder à des marchés au bon moment et de leur permettre de développer une offre de produits et de services qui soit en phase avec les besoins du marché et surtout des usagers dans le secteur numérique.
Le Gouvernement a décidé, dans le cadre du projet de loi sur les compétences des territoires, de renforcer le rôle des régions dans cette politique. Cet effet de groupe ou effet cluster est essentiel, car c'est par l'interaction que les nouvelles idées apparaissent et peuvent se développer rapidement. Les pôles de compétitivité sont donc voués à s'intégrer dans une dynamique beaucoup plus large et plus entrepreneuriale : celle de la French Tech, enclenchée un peu partout sur le territoire national.
S'agissant de la filière économique de la cybersécurité, il existe plusieurs acteurs français des grands groupes comme de petites entreprises très performants dans ce domaine, et nous les accompagnons pour définir des normes techniques qui pourraient s'appliquer à l'échelle de l'ensemble du territoire européen, afin qu'ils abordent les marchés qui se trouvent hors de nos frontières nationales.
Vous savez que la question de l'égalité entre les hommes et les femmes me tient à cur, madame la députée, puisque nous nous sommes engagées ensemble en faveur de la loi sur l'égalité débattue ici même l'an dernier. Le constat que je fais est effarant : les femmes, en particulier les jeunes femmes, sont très peu et même beaucoup trop peu présentes dans le secteur du numérique, alors même qu'il comporte une très grande variété d'activités et offre des perspectives de progression professionnelle rapide, des salaires très attractifs et de grandes possibilités d'emploi à l'étranger. En outre, il permet de prendre son propre destin en main en créant son entreprise une possibilité qui ne caractérise pas tous les secteurs d'activité, loin s'en faut.
Il faut donc agir avec les associations Girlz in Web, Girls in Tech, Les Duchesses, Rails Girls ou encore Eema, avec lesquelles je travaille déjà en associant Mme Pascale Boistard et en tenant compte des propositions faites en la matière par le Syntec numérique.
M. le président. La parole est à M. Yannick Favennec.
M. Yannick Favennec. J'ai évoqué dans mon propos liminaire l'importance de la formation au numérique, madame la secrétaire d'État, et je vous remercie pour les réponses très précises que vous m'avez apportées. En effet, la France a du retard en la matière, et cela constitue un frein à la compétitivité de nos entreprises.
Certaines initiatives privées ont récemment été prises dans ce domaine, afin de proposer à nos concitoyens des formations aux métiers du numérique. Je pense en particulier à l'École d'informatique 42 créée voici un an par le Français Xavier Niel, qui souhaite former les Bill Gates de demain et accueille gratuitement près de 1 700 élèves.
L'État devrait lui aussi prendre la mesure de ce nouvel enjeu et favoriser l'apprentissage du numérique, comme on l'a évoqué plusieurs fois au cours du débat. De ce point de vue, j'ai écouté avec intérêt les réponses apportées par M. Mandon et je me réjouis que des projets soient en cours.
Je me contenterai donc de vous poser une question sous forme de suggestion : ne pourrait-on pas, dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires, envisager de proposer dans les écoles des ateliers consacrés à l'apprentissage du numérique ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Je vous remercie, monsieur le député, pour votre engagement en faveur de l'éducation et de la formation dans le secteur numérique. J'ai décrit certaines des initiatives prises par le Gouvernement sous l'impulsion du Président de la République, en particulier pour la formation initiale à l'école. Cependant, nous sommes très conscients des enjeux qui existent en matière de formation professionnelle et de formation des demandeurs d'emploi.
Il faut en effet éviter que le numérique soit destructeur d'emplois. Peut-il l'être ? Oui. Il peut l'être si nous formons mal et si nous n'anticipons pas les évolutions technologiques à venir et les innovations qui obligent les entreprises à s'adapter toujours plus vite aux exigences des marchés. Il s'agit donc là d'une priorité absolue pour le Gouvernement.
Vous suggérez, monsieur le député, l'opportunité d'utiliser la réforme des rythmes scolaires pour proposer à des enfants des formations au numérique dans le cadre périscolaire. Il se trouve que mon ministère a lancé un appel d'offres afin de promouvoir davantage l'esprit d'entreprendre et la prise de risques, mais aussi de soutenir toutes les initiatives, en particulier celles qui sont prises par des associations, des mécènes et des entreprises privées ainsi que des collectivités locales, qui visent à encourager l'apprentissage du code. Aujourd'hui, le code est partout. Il est donc essentiel que nos enfants soient autonomes dans l'environnement numérique. Pour ce faire, ils doivent apprendre ce langage qui est devenu tout aussi important qu'une langue étrangère.
De très nombreuses réponses à l'appel d'offres ont déjà été reçues. Elles démontrent que l'appétit est grand parmi les acteurs de terrain, ainsi que les parents et les familles qui soutiennent largement toutes les initiatives prises pour favoriser en France l'apprentissage du code par les jeunes enfants.
M. le président. La parole est à M. François-Michel Lambert.
M. François-Michel Lambert. Madame la secrétaire d'État, la capacité de création et de traitement du numérique devient phénoménale et permet de gérer des éléments extrêmement complexes, mais aussi de créer une transversalité et de mobiliser une intelligence collective modifiant en profondeur notre société. Cette révolution arrive au moment même où nous faisons face au plus grand défi de notre histoire : la lutte contre le réchauffement climatique et, surtout, l'indispensable transition écologique. Le développement du numérique doit être l'outil de cette transition, qui nécessite le traitement d'informations denses, complexes : je pense au secteur de l'énergie les réseaux intelligents , à la mobilité, au transport l'optimisation des trajets et des flux de biens et de marchandises ; je pense aussi à la lutte contre le gaspillage, à la gestion efficiente de nos ressources par le développement de l'économie circulaire complétée par l'économie collaborative.
L'économie collaborative, c'est le numérique qui permet aux utilisateurs d'organiser entre eux une multitude de transactions et d'échanges de services, faisant tomber la séparation historique entre producteur et consommateur. De nombreuses start-ups ont été créées, dédiées au partage de services, à la vente, au troc, à la location, au financement, au don, etc. Elles offrent ainsi de nouvelles perspectives dans un contexte de stagnation économique. Toutefois, certaines d'entre elles sont accusées de concurrencer de manière déloyale les acteurs historiques hôteliers, taxis , d'ignorer des régulations, voire de redévelopper une économie grise. Nous devons donc nous interroger sur les conséquences de l'économie collaborative en matière de concurrence, de protection sociale, de fiscalité ou encore de sécurité des consommateurs. Mais, au-delà d'une régulation nécessaire, chacun peut percevoir les formidables potentialités du numérique, en particulier pour notre jeunesse et son esprit d'entreprise, surtout face aux défis environnementaux à venir que j'ai évoqués.
Dès lors, madame la secrétaire d'État, comment le Gouvernement compte-t-il renforcer les moyens du numérique et mobiliser l'ensemble de la société pour répondre, à la hauteur de la complexité intrinsèque aux enjeux environnementaux, à ceux du développement durable ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Monsieur François-Michel Lambert, vous soulevez la question de l'articulation entre l'enjeu prioritaire qu'est la transition écologique et celui de l'économie numérique. Ces deux enjeux sont intrinsèquement liés, et le Premier ministre les associe très souvent quand il évoque le sujet. Vous avez raison : les outils numériques offrent des possibilités nouvelles et très concrètes de relever les défis énergétiques ainsi que les défis dans le domaine des transports et dans celui du développement durable.
Tout d'abord, le numérique peut apporter sa contribution à travers une meilleure utilisation des données. Les acteurs économiques, qu'ils soient entreprises ou individus, peuvent ainsi optimiser leur usage des ressources naturelles, donc réduire leur impact environnemental grâce à de meilleures stratégies de transport de marchandises ou de personnes et grâce à une meilleure adaptation de la production à la consommation énergétique. Je donnerai seulement un exemple : les outils numériques peuvent permettre, grâce au big data, à l'analyse des méga-données et à la géolocalisation, de réduire la consommation de carburant en suivant l'évolution du volume des réservoirs dans les bateaux de marchandises. Je l'ai moi-même constaté quand j'ai visité le port de Marseille. Il s'agit donc d'accompagner toutes les innovations dans la greentech susceptibles d'aider, par la transition numérique, à la transition écologique.
Vous avez également évoqué l'économie collaborative, c'est-à-dire la mise en relation entre offreur et utilisateur de services. Le numérique peut, là aussi, soutenir ainsi le développement de l'économie dite circulaire. Il peut ainsi s'agir de consommation collaborative. je citerai un exemple : le partage d'outils, notamment de perceuses, réutilisés via la revente, à travers un site désormais connu de l'ensemble des Français, le boncoin.fr. Je pense aussi au recyclage : il existe ainsi un projet pilote dans le Bordelais pour alerter les riverains du meilleur moment pour déposer leurs déchets dans les différentes déchetteries de la région.
Il faut soutenir toutes ces évolutions, dans un cadre qui respecte les conditions de concurrence et de transparence légalement obligatoires, notamment en développant la confiance des utilisateurs des plates-formes économiques du partage.
Je rappelle que Paris accueillera, à la fin de cette année, la conférence sur le climat, dite COP 21, et mon ministère travaillera étroitement, aux côtés de celui de l'écologie, sous l'impulsion de Ségolène Royal, afin que les greentechs, notamment l'éco-sytème des start-ups, contribuent à atteindre l'objectif de la transition écologique qui s'impose désormais à tous.
M. le président. La parole est à Mme Dominique Orliac.
Mme Dominique Orliac. Madame la secrétaire d'État, ce débat, prévu depuis le mois de décembre dernier, a une résonance vraiment étrange après les attentats tragiques de la semaine dernière, mais la France a un rôle majeur à jouer, d'autant plus qu'aujourd'hui, le monde nous regarde. Notre rôle de législateur ne doit pas nous faire dériver vers l'élaboration de lois d'exception. On ne doit toucher aux grandes lois fondatrices que d'une main tremblante. Aujourd'hui plus que jamais, cet aphorisme est essentiel. Au-delà d'une émotion bien légitime, nous devons concilier libertés fondamentales et ordre public sans que jamais nos droits essentiels ne soient privés des garanties constitutionnelles. Benjamin Franklin écrivait : « un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne les mérite ni l'une ni l'autre, et finit par perdre les deux. »
S'agissant de la protection de la vie privée, nous attendons l'adoption du projet de règlement européen relatif à la protection des données car la question ne se limite pas au rôle des États et des gouvernements. On sait en effet que les grandes multinationales défient nos règles de droit, et c'est vrai aussi en ce qui concerne la vie privée en dépit des condamnations de la CNIL, les pratiques n'évoluent pas assez en ce domaine , ainsi qu'à l'égard de la presse : par exemple, un moteur de recherche menace de déférencer les titres qui refusent ses règles. Il n'est pas acceptable qu'une grande entreprise, aussi innovante et sympathique soit-elle, se permette d'être à la limite de la légalité.
Le Parlement européen a adopté à une large majorité, le 27 novembre 2014, une résolution appelant à un découplage entre les activités de recherche et les autres services commerciaux des moteurs de recherche sur internet.
La stratégie numérique de la France consiste aussi à lutter pour le respect du droit et contre les monopoles qui nuisent à l'innovation. L'Europe doit jouer son rôle, mais la France possède, elle aussi, une marge de manuvre considérable.
Je vous demande dès lors, madame la secrétaire d'État, quelles sont les intentions du Gouvernement à ce sujet. Quelles régulations comptez-vous renforcer pour harmoniser l'équilibre du numérique, de plus en plus menacé par l'hégémonie de quelques grandes entreprises multinationales ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Madame la députée, je vous remercie pour votre double question qui concerne les libertés numériques d'une part, et le rôle des grandes plates-formes numériques, appelées OTT en anglais over-the-top d'autre part. Leur comportement se situe en effet parfois aux limites du droit, avec des stratégies d'évitement de la loi nationale.
S'agissant des libertés, j'ai rappelé les propos et les annonces faites par le Premier ministre hier. Il souhaite mettre en uvre des mesures nouvelles pour lutter efficacement contre le terrorisme, mais ce dans le cadre de l'État de droit, fondement de notre République, par conséquent dans le respect de la démocratie et de nos libertés. Il n'y aura pas de loi d'exception, en dépit du caractère exceptionnel des événements tragiques qui ont blessé profondément notre pays la semaine dernière. Il s'agira de faire preuve de beaucoup de pragmatisme et d'efficacité pour s'assurer que le droit existant est bien appliqué et que tous les moyens matériels et humains nécessaires sont déployés à cet effet.
Concernant les grandes plates-formes, le Gouvernement agit, et principalement au niveau européen. Il est à l'avant-garde puisque notre pays est considéré comme le plus soucieux de les réguler, non pas pour barrer leur capacité d'innovation ou pour faire du protectionnisme déguisé, mais pour garantir les conditions d'une concurrence loyale et équilibrée entre l'ensemble des acteurs économiques. Nous avons donc demandé que la question de la régulation des plates-formes soit inscrite à l'agenda de la Commission européenne. Il se trouve que l'Allemagne nous a rejoints dans cette demande. Mon homologue allemande et moi-même avons conjointement écrit un courrier à cet effet, adressé au commissaire européen en charge du numérique. Nous avons décidé d'explorer trois pistes : l'adaptation du droit de la concurrence ; l'extension à ces plates-formes du cadre applicable à l'industrie des télécommunications ; la définition d'un nouveau cadre de régulation qui s'appliquerait, là aussi, ex ante. Je rencontre très régulièrement les commissaires européens en charge de ces questions, M. Oettinger et M. Ansip. Je les verrai encore la semaine prochaine lorsque je me rendrai à Bruxelles. Le sujet avance, même s'il est compliqué de faire accepter qu'il s'agit désormais d'une des priorités de l'action économique de nos gouvernements au niveau européen.
M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. L'accès internet est aujourd'hui quasi généralisé. Entre 2003 et 2013, le taux d'accès à domicile est passé de 32 % à 92 % chez les employés, de 21 % à 81 % chez les ouvriers, 98 % des douze à dix-sept ans disposent aujourd'hui d'une connexion, ainsi que 75 % des personnes âgées de soixante à soixante-neuf ans contre à peine 13 % il y a dix ans.
Ces progrès spectaculaires laissent cependant subsister de profondes inégalités, notamment en ce qui concerne les matériels mobiles. Surtout, la généralisation progressive de l'accès à internet sur tous les territoires et dans toutes les catégories sociales ne signifie pas que tous les utilisent de la même manière : alors que 90 % des cadres effectuent leurs démarches administratives en ligne, les ouvriers sont seulement 52 % à le faire. À l'heure où le gouvernement envisage de dématérialiser toujours plus les démarches administratives, nous ne pouvons évidemment nous désintéresser de cette question. On a eu un débat analogue en projet de loi de finances s'agissant de la dématérialisation de la propagande électorale, qui a été légitimement rejetée par une majorité de députés qui estimait qu'elle créerait notamment une situation d'inégalité d'accès à l'information.
Ma question n'est pas une question piège ou de nature politicienne : où en est aujourd'hui la réflexion du Gouvernement sur la question de la fracture d'usage d'internet et quelles solutions peuvent être recherchées pour y remédier ?
M. Luc Belot. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Monsieur André Chassaigne, je vous remercie de poser cette question qui concerne l'inclusion numérique car elle renvoie à l'ambition d'un numérique qui se décline au service de tous, de l'ensemble de nos concitoyens, et ce quel que soit leur lieu de résidence ou leur catégorie d'appartenance socio-professionnelle.
Vous évoquez les progrès extraordinaires dans le taux de possession, en particulier d'appareils de téléphonie mobile, et dans le taux de pénétration de l'internet dans les foyers. Mais il est vrai que les chiffres que vous citez peuvent cacher des inégalités bien réelles. C'est la raison pour laquelle l'objectif d'inclusion numérique est systématiquement associé au volet numérique des projets de développement économique dans le cadre de l'action menée par le Gouvernement. Ainsi, je visiterai demain matin un centre d'accueil des sans domicile fixe, à Paris, pour y suivre le parcours des SDF et savoir quel rôle joue le numérique dans le centre et dans le travail des agents, mais aussi quelle place il tient dans les demandes des SDF. L'accès à la téléphonie mobile, par exemple, est-il une demande récurrente de ces exclus ? J'aurai à l'esprit cette thématique lorsqu'il s'agira de s'interroger sur la disparition des cabines téléphoniques. Il ne s'agit aucunement de faire complètement disparaître un service qui peut encore être utile à certaines catégories de population, je pense en particulier aux personnes socialement exclues.
La dématérialisation des démarches administratives renvoie en effet aux enjeux sociaux que vous avez évoqués.
L'été dernier, j'ai lancé une concertation auprès des acteurs de la médiation numérique, ces personnes qui, dans les territoires, animent les lieux de médiation afin de contribuer à la diffusion des usages. Derrière ce jargon technocratique, il y a des femmes et des hommes qui apprennent à utiliser les outils numériques pour chercher un travail, communiquer avec leurs petits-enfants, rejoindre les réseaux sociaux, effectuer des démarches administratives ou remplir des dossiers.
La simplification des démarches administratives va de pair avec la dématérialisation ; elle implique la littératie numérique. Il ne s'agit pas simplement de réduire le nombre de documents, il faut aussi que le langage utilisé soit compréhensible par tous. Cet objectif, politique, d'inclusion numérique est une spécificité de notre gouvernement.
M. le président. Le débat est clos.
Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 16 janvier 2015