Interview de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, avec RTL le 21 janvier 2015, sur la question climatique et sur la lutte contre le terrorisme.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

JEAN-MICHEL APHATIE
Bonjour Laurent FABIUS.
LAURENT FABIUS
Bonjour.
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous êtes chargé d'organiser, pour le compte du gouvernement, la conférence internationale sur le climat qui aura lieu à Paris au mois de décembre prochain, et c'est dans la perspective de ce grand rendez-vous que « RTL bouge pour la planète » en proposant ce matin, et ce sera le cas durant toute l'année, des reportages, des analyses, sur la situation climatique de la planète. Est-ce que vous pouvez nous dire succinctement, Laurent FABIUS, quels sont les enjeux de ce grand rendez-vous de la fin de l'année ?
LAURENT FABIUS
Trois enjeux. D'une part, obtenir un accord universel, 195 pays, qui prennent les dispositions pour que la température n'augmente pas de plus de 2 degrés par rapport au niveau préindustriel, premier objectif. Deuxième objectif, que chaque pays du monde donne ses engagements pour les années qui viennent, les 10, les 20, les 30 ans qui viennent. Troisièmement, collationner suffisamment de financements pour que tout ça soit réaliste.
JEAN-MICHEL APHATIE
Il y a eu plusieurs rendez-vous de ce type, Laurent FABIUS, et tous se sont pratiquement soldés par des échecs, pourquoi en serait-il autrement cette fois-ci ?
LAURENT FABIUS
Parce que, d'une part, le phénomène est plus grave, on va en parler, le dérèglement climatique c'est la vie quotidienne, quand vous voyez la gravité des typhons, les mers qui montent, la biodiversité qui s'affaisse, ce n'est pas pour dans 50 ans ou dans 100 ans, c'est aujourd'hui.
JEAN-MICHEL APHATIE
C'est déjà le cas.
LAURENT FABIUS
Donc, il y a une gravité plus grande. Et puis il y a trois phénomènes très importants, qui sont nouveaux, d'abord scientifiquement ce n'est quasiment plus discuté, il y a quelques années on discutait, « est-ce que c'est vrai », « est-ce que ce n'est pas vrai », on sait maintenant, grâce notamment aux travaux du GIEC, que c'est vrai. Deuxièmement, les grands responsables politiques, en particulier de pays qui étaient réticents, je pense à la Chine et aux Etats-Unis, maintenant, veulent s'engager. Et troisièmement, les entreprises ont compris que c'était nécessaire, et que non seulement c'était indispensable, mais que ça pouvait redonner du tonus à leur croissance, donc ça a complètement changé la tonalité. Ça ne veut pas dire pour autant que ce soit facile, ça va être extrêmement difficile - je préviens à l'avance - que rester déjà sous les 2 degrés, ça va être très difficile, parce que quand vous avez 195 pays et qu'il faut qu'à la fin ils lèvent tous la main pour dire « oui », vous imaginez la difficulté.
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous en avez parlé, Laurent FABIUS, la Chine, les pays émergents, rechignent à entrer dans un accord tel que, en général, l'occident le propose, et ils disent « écoutez, c'est vous qui polluez beaucoup, faites d'abord des efforts, nous on a un développement à assumer. »
LAURENT FABIUS
Là aussi ça évolue.
JEAN-MICHEL APHATIE
Vraiment ?
LAURENT FABIUS
Oui, oui, c'est tout à fait vrai. Par exemple, la Chine, qui jusqu'à présent était réticente, a passé, avec les Etats-Unis, un accord, qui est d'une très grande importance, il y a quelques mois, où elle s'engage – même si on peut espérer que l'engagement sera plus fort encore – elle s'engage à changer son mode de croissance. Vous avez un pays comme l'Inde qui est en train, petit à petit, d'évoluer. Vous avez toute une série d'autres pays qui évoluent dans le bon sens. Mais c'est vrai qu'ils se posent la question, d'abord ils disent « écoutez, vous, vous êtes développés, et maintenant est-ce que ça ne va pas nous empêcher de nous développer », ils se posent le problème des technologies, ils se posent le problème des financements. Par exemple, les petites îles, ce qu'on appelle les « zahosis » (phon), qui risquent d'être recouvertes complètement par la montée des eaux, disent « c'est très bien votre affaire, mais comment on fait, quelles technologies, quels financements, où est-ce qu'on va envoyer notre population ? »
JEAN-MICHEL APHATIE
Donc beaucoup d'intérêts contradictoires, de situations particulières, à faire rentrer dans un accord général…
LAURENT FABIUS
Oui.
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous aurez du travail pendant 1 an, pour préparer tout cela.
LAURENT FABIUS
Bien sûr.
JEAN-MICHEL APHATIE
Ponctuellement, l'énergie fossile est très polluante, mais quand on voit la baisse du prix du pétrole, est-ce que ça ne va pas dispenser beaucoup de pays de faire des efforts pour les énergies renouvelables ?
LAURENT FABIUS
Il y a deux interprétations. L'interprétation pessimiste, celle que vous dites, comme les prix des énergies fossiles baissent, on peut dire du coup, ce n'est pas nécessaire d'avoir d'autres types d'énergies.
JEAN-MICHEL APHATIE
Ça va retarder, sans doute, la mise en place d'autres énergies.
LAURENT FABIUS
Mais, il peut y avoir aussi l'autre interprétation, qui est de dire, avec les économies, financières, qu'un certain nombre de pays vont réaliser, puisque les énergies fossiles sont moins chères, il va falloir aller vers les énergies nouvelles.
JEAN-MICHEL APHATIE
Et donc…
LAURENT FABIUS
Et les économies d'énergie.
JEAN-MICHEL APHATIE
Et donc la baisse du prix du pétrole ne risque pas de disperser un peu les énergies ?
LAURENT FABIUS
Si, elle risque, mais c'est la raison pour laquelle l'un des objectifs aussi, de cette conférence climat, c'est d'aller vers ce qu'on appelle la fixation d'un prix du carbone, qui est indispensable si on veut que l'ensemble de l'économie comprenne qu'il faut une économie décarbonée.
JEAN-MICHEL APHATIE
Ségolène ROYAL, ministre de l'Ecologie, a évoqué il y a une semaine la nécessité de construire de nouvelles centrales nucléaires en France.
LAURENT FABIUS
Alors ça c'est un autre sujet. La France évidemment…
JEAN-MICHEL APHATIE
Est-ce que c'est justifié ?
LAURENT FABIUS
La France est partie prenante. La France a décidé de diminuer la part du nucléaire dans la production d'électricité, aujourd'hui on est à 70 %...
JEAN-MICHEL APHATIE
75 %, à peu près.
LAURENT FABIUS
75, l'objectif est d'aller à 50 %...
JEAN-MICHEL APHATIE
En 2025.
LAURENT FABIUS
… quand même le pays qui aurait la part du nucléaire la pus importante, mais évidemment ça demande une évolution dans nos centrales, pas l'arrêt des centrales, mais une certaine évolution.
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais donc il faudra faire de nouvelles centrales en France ?
LAURENT FABIUS
Alors il y en aura…
JEAN-MICHEL APHATIE
Parce que c'est un peu contradictoire tout de même. On nous dit la part d'énergie nucléaire doit baisser, et puis on nous dit on veut faire de nouvelles centrales.
LAURENT FABIUS
Non, non, faisons bien attention à ça. Le nucléaire ne produit pas de CO2, de carbone, donc de ce point de vue là – alors, il y a d'autres contestations – mais, de ce point de vue là, c'est positif. Simplement, si on veut passer de 75 à 50 %, ça veut dire qu'il y a un certain nombre de centrales qui vont fermer, mais comme on ne va pas faire durer les centrales pendant 150 ans, il y en a d'autres, nécessairement, qui petit à petit seront mises en route.
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous répondrez tout à l'heure…
LAURENT FABIUS
Je suis à votre disposition.
JEAN-MICHEL APHATIE
Puisque vous l'avez accepté, aux questions des auditeurs, sur tous ces problèmes, les questions seront nombreuses. Si on peut évoquer, rapidement avec vous, pour la fin de cette interview, la situation internationale, les conséquences des attentats en France. Le Premier ministre, Manuel VALLS, a évoqué hier la situation des banlieues françaises en utilisant une formule qui fait polémique, il a parlé « d'un apartheid territorial, social et ethnique. » La formule vous paraît juste, Laurent FABIUS ?
LAURENT FABIUS
Ce que je crois, et je suis sûr, Manuel VALLS a voulu dire, c'est qu'il y a une ségrégation considérable, que tout le monde observe malheureusement. C'est vrai que selon que vous avez telle ou telle couleur de peau, que vous avez tel ou tel niveau social, ce n'est pas la même chose, dans la réussite des études, dans l'entregent, etc. Alors, au sens juridique…
JEAN-MICHEL APHATIE
Le mot apartheid vous paraît adapté ?
LAURENT FABIUS
L'apartheid, vous l'avez connu, l'apartheid c'était le fait que, juridiquement, tous ceux qui étaient noirs n'avaient pas les mêmes droits que les blancs. Le problème n'est pas, en France, un problème juridique, c'est un problème de réalité, donc ne nous disputons pas sur les mots, la réalité c'est qu'il y a une ségrégation, et il faut lutter contre elle.
JEAN-MICHEL APHATIE
Oui, il ne faut pas se disputer sur les mots, mais il faut nommer justement les choses, donc la question c'est de savoir si le mot apartheid résume justement la situation.
LAURENT FABIUS
Je n'entre pas là-dedans. La réalité c'est…
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous avez une petite réticence en fait.
LAURENT FABIUS
Non, non, la réalité c'est qu'il faut que chacun ait les chances égales de réussir, c'est dans la devise de notre République.
JEAN-MICHEL APHATIE
La violence des réactions dans les pays musulmans contre la Une de Charlie Hebdo vous inquiète-t-elle Laurent FABIUS ?
LAURENT FABIUS
Bien sûr, c'est un gros problème, et c'est un problème pas facile. D'un côté, la liberté d'expression en France, elle doit être absolue, c'est un pied de la démocratie, évidemment, s'il y a des excès, insultes, appels à la haine, il peut y avoir appel devant les tribunaux, mais c'est un principe sur lequel on ne va pas déroger.
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais les pays musulmans semblent ne pas comprendre notre raisonnement.
LAURENT FABIUS
Mais comme maintenant toutes les images sont diffusées dans le monde entier, et que les cultures, là-bas, sont différentes, ça peut choquer, et donc il faut que nous expliquions que non seulement ce n'est absolument pas, la France ne veut pas du tout insulter une religion, en l'occurrence la religion musulmane, mais si nous luttons contre le terrorisme, c'est d'abord les musulmans que nous protégeons, parce que les musulmans sont les premières victimes du jihado-terrorisme et de l'islamisme radical.
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous serez au Koweït la semaine prochaine, pour tenter d'expliquer la position française ?
LAURENT FABIUS
Ah non, je n'y vais pas pour ça.
JEAN-MICHEL APHATIE
Ah, vous n'y allez pas ?
LAURENT FABIUS
Si, j'y vais, mais ce n'est pas l'objet de mon déplacement, l'objet de mon déplacement…
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous serez sans doute questionné.
LAURENT FABIUS
Mais je serai questionné, et je répondrai, et j'ai eu beaucoup de contacts, ces jours derniers, avec mes collègues de l'ensemble des pays arabes, bien sûr.
JEAN-MICHEL APHATIE
Est-il abusif de dire que le Qatar, indirectement, finance la lutte contre le terrorisme, Laurent FABIUS ?
LAURENT FABIUS
Oui…
JEAN-MICHEL APHATIE
C'est abusif ?
LAURENT FABIUS
J'ai dit que nous avions fait faire, par nos services, des enquêtes précises, qui avaient montré que ce n'était pas exact…
JEAN-MICHEL APHATIE
Le département d'Etat américain en a fait d'autres qui semblent aboutir à un résultat qui n'est pas le même.
LAURENT FABIUS
Oui, mais enfin écoutez, nos services ils sont compétents et d'autre part les Américains, le gouvernement américain, a d'excellents rapports avec le Qatar, donc s'il était persuadé que le Qatar finançait le terrorisme, il aurait probablement d'autres rapports. S'il était avéré que les choses changent, nous changerions, évidemment, nos modes de relations, mais il n'est pas question, ni d'accuser injustement, ni, si peu que ce soit, d'être complaisant vis-à-vis du terrorisme, qui est notre adversaire.
JEAN-MICHEL APHATIE
La diplomatie française, Laurent FABIUS, s'associe-t-elle au mouvement mondial en faveur de Raïf BADAWI, bloggeur saoudien, menacé de 1000 coups de fouet, ce qui met en danger sa vie ?
LAURENT FABIUS
Oui, nous sommes intervenus, et d'ailleurs la sentence, qui est inhumaine, a été suspendue, j'espère qu'elle sera complètement reportée.
JEAN-MICHEL APHATIE
Laurent FABIUS tout à l'heure à 8H15 avec les auditeurs de RTL.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 22 janvier 2015