Texte intégral
JEAN-JACQUES BOURDIN
Avec nous Patrick KANNER, ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports bonjour.
PATRICK KANNER
Bonjour.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci d'être avec nous ce matin. Deux semaines après les attentats le gouvernement annonce donc une série de mesures, nous avons entendu tout cela pour remettre les valeurs de la République au coeur de l'école et restaurer l'engagement de chaque citoyen envers la Nation. Ces propositions sont-elles nouvelles ? Matthieu ROUAULT a travaillé et allé fouiller les archives. Vous avez regardé Matthieu ce que proposaient déjà les responsables politiques il y a dix ans, juste après les émeutes de 2005 dans les banlieues et vous vous êtes rendu compte qu'aux grands maux de la société, la politique suggère presque toujours les mêmes remèdes.
CHRONIQUE DE MATTHIEU ROUAULT
JEAN-JACQUES BOURDIN
Monsieur KANNER, vous voyez quand vous écoutez cela, toutes ces promesses faites, qui sont tenues mais sans être tenues vraiment, Patrick KANNER. Comment réagissez-vous ?
PATRICK KANNER
Moi, je réagis avec un exemple très concret, j'étais à Villepinte, il y a trois jours pour rencontrer des jeunes du quartier Fontaine-Mallet à Villepinte. Quand je suis rentré ils se sont levés, je ne suis pas professeur, je ne suis que ministre et ils m'ont applaudi en disant, mais merci à la République de venir nous voir nous dans notre quartier aussi éloigné, parfois avec les difficultés que nous connaissons. J'ai envie de dire qu'il y a quand même du progrès. Le jeu qui consiste à dire mais voilà ce que vous avez dit il y a quelques années, voilà la réalité d'aujourd'hui, est un jeu que je comprends parfaitement, mais en même temps regardons ce qui a été fait et ce qui permet d'avancer ensemble. Ce qui est certain c'est qu'aujourd'hui le Premier ministre dit tout haut ce que beaucoup de gens pensent tout bas avec des mots forts, mais au moins qui ont le mérite d'interpeller.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais Patrick KANNER, vous étiez à Villepinte, vous avez eu un petit échange avec un jeune à propos de Dieudonné, ça ne s'est pas toujours très bien passé
PATRICK KANNER
J'ai fait mon travail pédagogique, si vous me permettez l'expression.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon, mais au-delà de cela, Patrick KANNER, c'est bien beau, tout ça ce sont des mots, maintenant moi j'entends aussi les mots des enseignants. Et que disent les enseignants ? Eh bien les enseignants disent « c'est bien difficile pour nous d'apprendre le fait religieux à l'école, aux enfants. Vous savez, si on n'est pas formés, on se fait bouffer par les élèves. Bouffer par les élèves. Nous ne sommes pas armés, la formation est insuffisante. » L'irruption du fait religieux a bouleversé beaucoup de choses au sein même de l'école.
PATRICK KANNER
C'est clair, c'est pour ça que Najat VALLAUD-BELKACEM a expliqué hier toute une série de propositions permettant justement d'armer les enseignants face à cette nouveauté, quand je dis bien sûr « armer », sur le plan pacifique.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais ça va prendre un temps fou ! Ça fait des années que la République aurait dû faire ça, Patrick KANNER, non ?
PATRICK KANNER
Le temps d'une génération, et en même temps il faut bien commencer. Il faut bien commencer, sinon c'est un long délitement sur lequel va se peser les mouvements extrémistes, les mouvements obscurantistes. Alors, si vous voulez me faire dire qu'il faut laisser filer les choses, la réponse est non Jean-Jacques BOURDIN. Il faut effectivement faire un diagnostic, nous le faisons aujourd'hui sans langue de bois, et nous mettons en place des moyens importants. Et pas sur la question sécuritaire, ils sont essentiels ces moyens.
JEAN-JACQUES BOURDIN
On est d'accord.
PATRICK KANNER
Il faut des moyens sur la société.
JEAN-JACQUES BOURDIN
On a oublié la question sécuritaire, il ne faut pas oublier
PATRICK KANNER
Il ne faut pas l'oublier, elle est essentielle.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, non, pas oublier, mais Patrick KANNER, là, là dans notre discussion. Moi je veux aussi vous parler des banlieues, et du mot « apartheid » employé par Manuel VALLS, qui a été diversement commenté. On ne va pas commenter le mot « apartheid », ce n'est pas ce qui m'intéresse, ce qui m'intéresse c'est
PATRICK KANNER
C'est un constat quand même.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, c'est un constat, non, mais, l'emploi du mot en lui-même, on ne va pas ouvrir un débat autour de cela. Il a annoncé une politique du peuplement, contre la ghettoïsation, ou l'apartheid, comme on veut. Ça veut dire quoi « politique du peuplement dans les banlieues », parce que je voudrais que vous m'expliquiez ?
PATRICK KANNER
C'est très simple. Le constat il est clair aujourd'hui, il n'y a pas de critère ethnique dans les commissions d'attribution, et je vous rassure, et je voudrais rassurer nos auditeurs sur le sujet, mais de fait, on retrouve dans ces banlieues les mêmes pauvres, les mêmes gens issus de l'immigration. Comment cela se fait-il ? Ça veut dire que quelque part ces banlieues, ces quartiers, difficiles, n'attirent, ou ne peuvent recevoir que des familles en grande difficulté.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais ça c'est un constat que tout le monde a fait, pas besoin d'être politique pour le faire.
PATRICK KANNER
Eh bien on va le casser, on va le casser ce constat.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Comment ?
PATRICK KANNER
Moi, qui suis élu de ces quartiers, je peux vous dire que je ne supporte plus de voir, de génération en génération, des phénomènes de reproduction de la pauvreté. Ce n'est pas possible. Ce n'est pas possible.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais comment allez-vous le casser ?
PATRICK KANNER
J'y viens.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Allez-y.
PATRICK KANNER
Très simplement. Il faut, déjà, que les lois actuelles soient respectées, la fameuse loi solidarité, rénovation urbaine, la loi SRU, n'est pas appliquée aujourd'hui partout en France. Il y a encore des villes qui préfèrent payer des amendes, que de construire des logements sociaux.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors, qu'allez-vous faire, contre ces villes ?
PATRICK KANNER
Vous savez, j'ai une phrase, que j'emploie souvent, il est plus facile de faire venir des pauvres dans les quartiers de riches, que des riches dans les quartiers de pauvres.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors, comment allez-vous faire pour ?
PATRICK KANNER
Eh bien je pense que la loi, aujourd'hui, est sûrement insuffisante.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous allez reprendre la loi ?
PATRICK KANNER
Je pense qu'il faut, à mon avis, la durcir, pour que
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous allez durcir cette loi ?
PATRICK KANNER
Pour que la République s'applique partout dans les territoires.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Comment peut-on la durcir ?
PATRICK KANNER
Par exemple on peut imaginer que l'Etat puisse se saisir de terrains disponibles dans ces quartiers et construise à la place des collectivités territoriales.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Réquisition de terrains si, saisir, c'est une réquisition.
PATRICK KANNER
C'est une réquisition de terrains, en tout cas un achat de terrains, pour construire à la place.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Les municipalités qui n'appliquent pas la loi SRU, pourront se voir pénalisées par l'Etat
PATRICK KANNER
Elles le sont, elles le sont déjà actuellement financièrement
JEAN-JACQUES BOURDIN
Par des amendes.
PATRICK KANNER
Mais elles préfèrent payer les amendes que de construire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc, l'Etat réquisitionnera des terrains dans ces communes.
PATRICK KANNER
La République doit passer partout, elle doit passer partout.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça c'est très intéressant.
PATRICK KANNER
Mais oui, mais écoutez, qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ? A un moment donné il faut bien constater l'échec d'une politique et aller plus loin. Autre élément, Monsieur BOURDIN, attirer d'autres populations dans ces quartiers, comment ? Par des écoles de qualité, une offre culturelle de qualité, l'accession à la propriété pour les familles modestes. Par exemple et ça c'est dans la loi actuelle dans tous ces quartiers, 1300 quartiers métropolitains, il y a une TVA aujourd'hui à 5,5, ce qui permet à un ménage de gagner 25, 30.000 euros par rapport à un achat classique ailleurs. C'est aussi un moyen d'attirer des jeunes couples vers ces quartiers, qui ne doivent pas être stigmatisés.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors, comment compléter ces mesures ?
PATRICK KANNER
Avec notamment tout ce qui va toucher en fait à la mixité sociale, qui ne se décrète pas, c'est très clair, ça signifie que quand Najat VALLAUD-BELKACEM propose de modifier la carte scolaire pour les collèges, elle favorise la mixité sociale par un recrutement différent de ces jeunes. Donc la politique du peuplement ce n'est pas une politique, c'est un ensemble de dispositifs qui feront que demain ces quartiers ne seront pas fuis, aujourd'hui ils n'accueillent que des gens qui peuvent y accéder pour des raisons financières et sociales.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais oui, mais
PATRICK KANNER
Il faut changer les choses.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous n'allez pas attirer des personnes dans des quartiers où il n'y a pratiquement plus de services publics, où la sécurité n'est pas assurée. Attendez, comment allez-vous faire ?
PATRICK KANNER
Qu'est-ce qu'a dit hier le Premier ministre dans sa conférence de presse ? Il faut toucher à la qualité urbaine, il faut toucher à la sécurité, il faut toucher à l'école. Il faut donc que ces quartiers soient des quartiers où on attire et non pas des quartiers où on exclut. C'est un travail de longue haleine, mais il faut le commencer Monsieur BOURDIN.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci Patrick KANNER d'être venu nous voir ce matin. Tiens, j'ai un mot. Le Qatar, qui organise la Coupe du monde de football, ça ne vous choque pas, avec ce qui se passe sur les chantiers, ça ne vous choque pas vous ?
PATRICK KANNER
Monsieur BOURDIN, le Qatar a obtenu satisfaction dans sa démarche auprès de la FIFA, dont acte.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Dont acte, mais ça ne vous choque pas ?
PATRICK KANNER
Dont acte. Le ministre des Sports
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça vous choque ou pas, vous ?
PATRICK KANNER
Constate qu'il y a manifestement aujourd'hui des grosses difficultés sur la construction de ces stades, et que les stades en France sont construits de manière différente.
JEAN-JACQUES BOURDIN
D'accord, ça alors là, vraiment, quelle belle façon d'éviter ma question !
PATRICK KANNER
Eh bien oui, je n'évite pas la question
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais si Monsieur KANNER vous l'évitez.
PATRICK KANNER
Je vous dis simplement que le Qatar a une puissance financière, vous le savez bien
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ah oui, une puissance financière, qui sert à la France.
PATRICK KANNER
Qui ne sert peut-être pas à la France, en tout cas qui sert des intérêts, ça c'est clair.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Si, si, qui sert des intérêts oui, et ses intérêts. Merci Patrick KANNER.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 26 janvier 2015