Déclaration de M. Laurent Fabius, président de l'Assemblée nationale, sur les relations entre la France et le Québec, notamment la coopération culturelle, l'innovation technologique, la francophonie et l'exception culturelle, Paris le 17 mai 1999.

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Circonstance : Ouverture de la 13 ème Commission parlementaire franco-québecoise à l'Assemblée nationale le 17 mai 1999

Texte intégral

Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les députés,
Chers collègues,
Je suis particulièrement heureux d'accueillir ce matin la délégation de l'Assemblée nationale du Québec, conduite par M. Jutras et de lui souhaiter, au nom de l'Assemblée nationale, la plus chaleureuse bienvenue.
Cette 13ème session de notre commission parlementaire correspond en effet, à quelques mois près, au vingtième anniversaire de sa création, et c'est pour nous tous un grand motif de satisfaction de voir que cette institution qui nous est chère se montre toujours vivante et active, et que le temps n'a pas émoussé l'attention qui y est portée de part et d'autre.
Elle témoigne des liens spécifiques entre nos deux peuples, qui se reflètent dans les relations entre nos deux Parlements. Pour ne prendre qu'un exemple, le groupe d'amitié France-Québec de l'Assemblée nationale est, dans cette législature comme dans les précédentes, un des tout premiers par le nombre des députés qui s'y sont inscrits. Les instruments de notre coopération reposent sur des liens personnels étroits, sur un très fort intérêt réciproque, traduction de nos affinités.
Nous sommes parvenus à peu près, depuis dix ans en tous cas, à respecter la fréquence annuelle de nos sessions, malgré les inévitables aléas électoraux de part et d'autre de l'Océan. L'utilité de contacts réguliers est apparue aussi à nos autorités gouvernementales puisque la tradition des rencontres annuelles des deux chefs de gouvernement a été heureusement reprise depuis quelques années. Ces échanges symbolisent le caractère direct et privilégié de la relation franco-québécoise, mais ne prennent tout leur sens que s'ils contribuent concrètement à la nourrir et à la faire progresser.
Mon intention ne saurait être, en ces quelques mots, d'en dresser un tableau exhaustif. Je voudrais surtout en souligner l'originalité. Nos échanges revêtent les formes classiques, à travers notamment des liens économiques, des investissements croisés, qui ont bien sûr toute leur importance, et nous nous réjouissons de leur développement. Mais en même temps, les deux associés que nous sommes mènent une réflexion permanente, s'attachent à préciser les finalités de leur coopération, qu'ils conçoivent vraiment comme une uvre commune. C'est dans cet esprit que nous avons élaboré et mettons en uvre la notion de "partenariat stratégique", explorons des domaines nouveaux de collaboration et mettons l'accent sur l'innovation technologique, par exemple les "autoroutes de l'information", sur les questions de société qui se posent à nous à peu près dans les mêmes termes, l'économie du savoir, l'économie sociale, afin d'ouvrir notre coopération sur l'avenir. Nouvelle illustration de notre proximité, la saison du Québec en France, inaugurée en mars dernier, donne à notre printemps les couleurs de la Belle Province ; elle devrait être suivie en retour l'an prochain par une saison culturelle française au Québec.
Nos relations ne se résument pas à un tête-à-tête, si dense soit-il. Ce qui nous réunit le plus profondément, c'est le combat que nous menons ensemble pour la défense de spécificités que nous avons en partage. Il ne s'agit pas seulement de la francophonie, ou plutôt, la francophonie est beaucoup plus que la seule langue, elle est le véhicule, l'expression, d'une vision du monde, de valeurs qui sont à nos yeux essentielles, et qui sexpriment en particulier dans le droit pour toute communauté humaine d'être l'arbitre de son destin. C'est tout le sens de cette entreprise, qui sera mis en relief lors de la prochaine réunion de l'Assemblée parlementaire de la francophonie, en juillet, à Ottawa.
Notre tâche est de préserver ces valeurs dans un monde incertain. Face à la mondialisation et aux risques d'uniformisation, face aux menaces bien réelles d'établissement de monopoles sur les médias et les messages, de contrôle des réseaux, l'enjeu est essentiel. L'exception culturelle représente le primat de la culture sur les lois du marché. C'est une certaine idée de l'homme et de la civilisation qui est en cause. Nous ne pourrons la défendre qu'en maîtrisant et en utilisant les nouvelles technologies du savoir et de la communication. L'avance du Québec dans ce domaine est un atout pour le monde francophone tout entier.
Même si les approches françaises et québécoises coïncident largement sur le fond, nous sommes conscients, parmi les députés français, que le Québec a parfois l'impression d'une certaine dissymétrie dans l'intérêt et les efforts de part et d'autre, le sentiment que la France, sollicitée de trop nombreux côtés, dont les moyens sont en retrait sur les ambitions, n'est pas toujours assez attentive, alors qu'elle est concernée au premier chef par l'entreprise qui nous est commune. C'est une des raisons pour lesquelles les contacts qui se déroulent dans cette commission sont d'une grande utilité.
Avant de conclure ce bref propos, permettez-moi une allusion à l'actualité qui occupe les esprits en Europe même si les situations sont évidemment incomparables. Je ne puis m'empêcher d'opposer aux crispations et aux violences qui affectent les Balkans depuis une décennie, la belle affirmation, pacifique et démocratique, du peuple québécois pour l'affirmation et le maintien de son identité, dans la tolérance et la réciprocité. Cette leçon de grande démocratie doit être une source d'inspiration.
Je suis persuadé que cette session va être très fructueuse, et je vous souhaite beaucoup de succès dans vos travaux. Je vous remercie.
(Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 19 mai 1999)