Texte intégral
Monsieur le Président de la Fondation Alliance française, Cher Jérôme Clément,
Monsieur le Secrétaire général,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Mesdames et Messieurs, chers amis,
L'Alliance française, c'est, pour beaucoup de personnes dans le monde, l'un des visages de la France - parfois même le visage de la France. Il m'arrive souvent, lors de mes déplacements à l'étranger, d'entendre un interlocuteur me dire : «J'ai appris votre langue à l'Alliance française». Ou tel autre : «C'est à l'Alliance française que j'ai découvert Victor Hugo». Ces phrases - prononcées avec l'émotion de ceux qui ne manient pas seulement le français mais éprouvent un attachement profond pour notre pays - résument, je crois, très bien les deux missions essentielles qu'assume l'Alliance française sur tous les continents : faire résonner notre langue et faire rayonner notre culture. Pour moi qui ai fait de la diplomatie culturelle l'une des composantes majeures de la «diplomatie globale» que je conduis au Quai d'Orsay, être présent parmi vous aujourd'hui malgré le chaos du monde relevait donc de l'évidence.
Je veux débuter ce propos par un hommage - que vous partagez, j'en suis sûr - à Jean-Pierre de Launoit, ancien Président de l'Alliance française de Paris puis de la Fondation Alliance française, qui nous a quittés en novembre dernier. Je le connaissais assez bien ; c'était un homme engagé, un grand philanthrope et un grand humaniste. Plus précisément, il incarnait la vocation humaniste qui caractérise l'Alliance française depuis maintenant plus de 130 ans. Toute sa vie, il a agi pour le dialogue entre les cultures et entre les peuples. Avec vous, j'ai aujourd'hui une pensée affectueuse et reconnaissante pour lui. Je fais confiance à votre nouveau président, Jérôme Clément, pour reprendre les rênes de cette belle institution avec talent et avec la même passion humaniste.
Mesdames et Messieurs,
Votre réunion intervient dans un contexte particulier. Vous tous qui êtes réunis ici, vous œuvrez chaque jour, dans les 137 pays où est représentée l'Alliance française, au service de la culture. Or c'est par la plus atroce des barbaries que notre pays a été frappé en ce début d'année. Les attentats terroristes des 7 et 9 janvier ont meurtri la France, les plaies ouvertes mettront du temps à se refermer.
Ces événements ont soulevé dans le monde une vague d'émotion considérable - sans doute en avez-vous été témoins et acteurs vous-mêmes. Un mouvement de solidarité mondiale a fait écho à notre propre sursaut d'unité nationale. Des rassemblements populaires spontanés. Des messages de soutien de toute la planète. Un quart des dirigeants du monde était présent à la marche du 11 janvier à Paris, dans un mouvement d'unité contre la barbarie et contre le terrorisme.
L'ampleur de ce mouvement de solidarité mondiale s'explique d'abord par l'atrocité des crimes commis et par les valeurs ainsi poignardées : la liberté d'expression, le refus des discriminations religieuses, la nécessité de la sécurité, et en fin de compte la démocratie. Mais c'est aussi - peut-être l'avez-vous personnellement ressenti dans vos pays de résidence -, parce que la France, en raison de son histoire, de ses valeurs, de sa langue, de sa culture, incarne des idéaux qui la dépassent. La journée du 11 janvier en fut l'emblème : quand la France est touchée au cœur, c'est le monde entier qui est blessé avec elle.
Face aux menaces qui ne vont pas cesser en quelques mois, l'unité est une force qu'il faut absolument préserver. Or au cours des derniers jours, des incidents se sont produits en réaction à la couverture du journal Charlie Hebdo, des actes violents ont même eu lieu, des appels au meurtre ont été lancés contre des Français : la France condamne ces faits avec fermeté.
Mais je veux aller un peu plus loin : au-delà de ces actes condamnables, des sensibilités se sont exprimées, des protestations ont été émises, y compris parmi les dirigeants du monde arabo-musulman. Je veux à cet égard être clair. La liberté d'expression est un pilier de la démocratie française. Elle est le fruit de longs combats. Pas question d'y renoncer.
En même temps, il faut dissiper les malentendus, s'ils existent, à l'égard de ceux qui, à l'étranger, s'interrogent ou réagissent. En France, la liberté d'expression est encadrée par la loi, qui protège chaque citoyen contre toute dérive. S'il y a insulte ou appel à la haine, la voie des tribunaux est ouverte et la justice française a pour tâche de faire respecter le droit, en toute indépendance.
Dans le monde, nous savons que des sensibilités différentes existent. Nous comprenons que certains puissent exprimer leur désaccord lorsqu'ils se sentent choqués par certains écrits, images, caricatures. Le droit de protestation existe. Mais la limite absolue à ne pas franchir et que nous ne pouvons pas tolérer, c'est la violence, qui n'est pas et ne sera jamais pour nous une pratique acceptable.
Enfin, défendre la liberté d'expression ne signifie évidemment pas pour la France vouloir insulter l'islam. Ceux qui voudraient faire croire au monde que la France serait hostile à l'islam sont des imposteurs. Vis-à-vis de tous les pays musulmans, nous menons une politique de dialogue et de coopération, qui est le contraire même de l'hostilité. Quand nous combattons le djihado-terrorisme et l'islamisme radical, ce sont aussi les musulmans que nous protégeons, eux qui en réalité en sont les premières victimes. Sur le plan intérieur, nous menons une lutte constante contre les actes anti-musulmans et nous dénonçons l'amalgame nauséabond entre islam et terrorisme.
Mesdames et Messieurs,
Dans cet effort pour la concorde entre les peuples, qui doit être l'un de nos grands combats, les Alliances françaises ont un rôle essentiel à jouer. Il ne s'agit pas d'un propos de circonstance. Je ne considère pas que l'affrontement soit inéluctable. Je pense que la culture peut et doit nous aider à déjouer le piège qui nous est tendu par les terroristes. La culture peut, doit nous permettre d'écarter le spectre brandi par certains de «guerre des civilisations».
C'est une des raisons pour lesquelles, aujourd'hui plus que jamais, le monde a besoin des Alliances françaises, a besoin de vous, pour les valeurs d'humanisme, de tolérance, de respect des différences, de dialogue des langues et des cultures que vous portez. Lors de la Conférence des ambassadeurs en août dernier, votre président avait eu une formule que j'ai particulièrement appréciée : «La culture», disait-il, «ce n'est pas seulement un divertissement, c'est aussi un avertissement». Oui, c'est un avertissement que l'autre existe, que la vraie richesse naît de l'échange, que l'enrégimentement et l'obscurantisme ne sont pas une fatalité. Et la francophonie, telle que nous la concevons, la langue, la culture, les valeurs francophones, sont constitutifs de cet avertissement.
Soyez conscients que vos deux missions premières - la diffusion de notre langue et le rayonnement de notre culture - ne sont pas dissociables d'une troisième, qui est la contribution au rapprochement des peuples. La place qui est la vôtre vous donne pour tâche de traduire en actes la définition que Senghor donnait de la francophonie : «cet humanisme intégral qui se tisse autour de la terre». La langue française n'est pas un simple outil de communication : elle porte en elle - c'est ce qui fait sa force et son pouvoir d'attraction - une certaine vision de l'homme, une certaine vision du monde. À vous de la faire vivre et de la défendre.
Pour être à la hauteur de ces défis, le réseau des Alliances françaises doit être en ordre de marche et tourné vers l'avenir. Je salue les nombreux efforts réalisés au cours des dernières années. De nouveaux espaces ont été investis.
Espaces géographiques, avec l'ouverture d'Alliances dans plusieurs pays d'Europe orientale, d'Asie et d'Afrique non francophone. Le réseau s'étend aujourd'hui à la plupart des pays émergents. Ces implantations correspondent à une demande nouvelle d'enseignement du français. Elles s'inscrivent aussi dans notre volonté commune de réorienter la présence française à l'étranger vers les régions où se construit l'avenir du monde.
Espaces technologiques, d'autre part. Le réseau des Alliances, sous l'impulsion de la Fondation, a engagé sa transition numérique. Développement des centres de ressources multimédia, des supports interactifs, des formations en ligne : le réseau est entré dans l'ère numérique. Ces efforts de modernisation sont décisifs pour attirer les nouvelles générations. Ils doivent être poursuivis. Les échanges menés dans le cadre de votre colloque, qui a précisément pour thème « l'avenir numérique des Alliances françaises », contribueront à renforcer cette modernisation indispensable.
Je salue à cet égard les priorités définies par votre président dès sa prise de fonctions. L'objectif fixé est de renforcer l'apprentissage de la langue française au sein de l'espace francophone - notamment sur le continent africain -, mais aussi en dehors - en particulier en Asie -, avec un effort tout particulier à destination de la jeunesse. Votre stratégie : moderniser les outils de travail des Alliances françaises à travers les nouvelles technologies ; renforcer les moyens du réseau pour répondre à la demande internationale de français ; mieux coordonner votre action avec celle des opérateurs que sont l'Institut français et l'Agence de l'enseignement français à l'étranger. Je partage tout à fait cette vision stratégique. La francophonie est pour la France un outil majeur de rayonnement, sa progression dans le monde doit être une préoccupation permanente : les priorités définies pour l'Alliance française vont y contribuer de manière efficace.
En parallèle, le réseau des Alliances françaises me semble pouvoir s'ouvrir à de nouveaux enjeux, en lien direct avec nos ambassades et avec les Instituts français. Dans plusieurs domaines, l'Alliance française, dans le respect de son indépendance, constitue en effet un atout majeur pour appuyer les priorités de notre diplomatie.
D'abord, je citerai le tourisme et l'attractivité. Parce que ce ministère en est désormais chargé et parce que les Alliances françaises ont un rôle évident à jouer dans la promotion de notre pays. Par notamment des offres de séjours culturels et linguistiques en France, votre réseau contribue à faire découvrir au monde nos atouts. Il n'y a pas de meilleure façon de donner une «envie de France» qu'en montrant physiquement notre pays, la France.
La diplomatie universitaire, aussi. De nombreuses Alliances hébergent des espaces Campus France. Elles peuvent contribuer à créer des passerelles en direction des grandes écoles, des écoles d'ingénieurs, des universités françaises. Elles peuvent également participer à la structuration de notre nouveau réseau d'alumni étrangers, en animant avec nos ambassades les sites internet locaux de notre nouvelle plateforme «France Alumni».
Quant à la mobilité professionnelle vers la France, les Alliances peuvent la renforcer par la promotion de la langue française auprès d'un public de professionnels. Vous avez un rôle particulier à jouer à l'égard de ce public spécifique. Cela passe notamment par la contribution au plan d'action gouvernemental pour la francophonie en matière de formation linguistique et professionnelle, notamment en Afrique subsaharienne. Les Alliances françaises seront amenées à jouer un rôle croissant dans l'appui aux systèmes éducatifs et aux structures de formation professionnelle des pays concernés.
J'appelle enfin nos Alliances françaises à appuyer nos efforts sur la question majeure du dérèglement climatique. Vous le savez, l'année 2015 sera pour la France en général, et pour le Quai d'Orsay en particulier, une «année climat», avec la préparation de la COP 21, que nous accueillerons et que je présiderai en décembre prochain. Sensibiliser, partout dans le monde, aux enjeux de cette conférence - qui sera la plus vaste conférence diplomatique jamais organisée en France - constitue une des conditions de sa réussite. En organisant des conférences ou des débats sur le dérèglement climatique et le développement durable, les Alliances peuvent y contribuer et intéresser leur public. Il y a urgence à agir pour permettre à notre planète de demeurer vivable. C'est notre responsabilité commune, car nous sommes la première génération à prendre vraiment conscience du problème, mais la dernière à pouvoir agir. Comme je le dis souvent, il n'y a pas d'autre solution puisqu'il n'y a pas d'autre planète
Mesdames et Messieurs, Chers Amis,
La Fondation Alliance française est pour le ministère des Affaires étrangères et du développement international un partenaire indispensable, qui partage notre ambition de faire rayonner la France dans le monde, et qui œuvre à nos côtés à la poursuite d'objectifs communs.
C'est pourquoi j'ai souhaité le renforcement de notre partenariat. Nous avons signé, en novembre dernier, une nouvelle convention triennale. Elle améliorera encore la qualité du dialogue entre la Fondation et les services du ministère, à Paris et dans notre réseau. Elle renforcera les synergies entre la Fondation et l'Institut français.
J'ai tenu aussi à ce que l'État pérennise son engagement à l'égard du réseau de l'Alliance française. Le soutien global, significatif, du Quai d'Orsay à la Fondation et au réseau des Alliances sera maintenu. Dans le contexte budgétaire actuel, cet effort est la meilleure preuve de l'importance que nous accordons à ce partenariat. Car, en matière budgétaire comme dans les autres, il n'existe pas d'amour mais uniquement des preuves d'amour.
Pour conclure, je souhaite vous adresser, à vous toutes et à vous tous qui faites le succès et la grandeur de l'Alliance française, mes chaleureux remerciements. Je remercie votre Président, votre Secrétaire général, les membres du Conseil d'administration ainsi que l'ensemble de l'équipe de la Fondation pour leur ardeur à défendre la langue et la culture françaises, à promouvoir le travail de grande qualité accompli par le réseau des Alliances.
Je remercie tous les présidents bénévoles, les directeurs d'Alliances et les chargés de mission présents à ce colloque. Par votre compétence et votre engagement, vous faites vivre les valeurs universelles qu'a toujours défendues cette institution. Vous incarnez, aux yeux de la France et du monde, l'humanisme, la tolérance, le dialogue et la recherche de la paix.
À toutes et tous, pour votre action remarquable, merci.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 janvier 2015