Interview de Mme Marisol Touraine, mMinistre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes à BFM TV le 6 janvier 2015, sur le tiers payant et les remboursements des soins médicaux.

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Média : BFM TV

Texte intégral


JEAN-JACQUES BOURDIN
Notre invitée ce matin, Marisol TOURAINE, ministre de la Santé, bonjour.
MARISOL TOURAINE
Bonjour Jean-Jacques BOURDIN.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci d'être avec nous. Vous êtes au coeur de l'actualité en ce moment, Marisol TOURAINE, c'est le moins qu'on puisse dire. Hier le président de la République, à propos de la colère des médecins, généralistes, le président de la République a dit, je le cite, « je comprends les médecins qui disent qu'il ne faut pas que ce soit compliqué. Il ne faut pas qu'ils soient remboursés à la saint Glinglin. Ils ont parfaitement raison, les médecins, il faut qu'on puisse être capable d'être beaucoup plus simple, beaucoup plus efficace, beaucoup plus rapide, mais c'est quand même une avancée. » Est-ce qu'il est en train de vous lâcher en rase campagne ?
MARISOL TOURAINE
Le président de la République a dit que c'était une avancée, et le tiers payant, parce que c'est de cela que nous parlons…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, le fameux tiers payant.
MARISOL TOURAINE
C'est une avancée pour les patients. C'est quoi le tiers payant ? Parce que, on en parle, on en parle, et on finit par perdre de vue ce que c'est. C'est un système qui consiste à ne pas avancer, à ce que le patient n'avance pas les frais de sa consultation et à ce que le professionnel soit payé par l'Assurance maladie, par les organismes complémentaires. Quand vous allez à l'hôpital, par exemple, c'est ce qui se passe, ce n'est pas vous qui payez le prix de votre hospitalisation, le prix de votre consultation.
JEAN-JACQUES BOURDIN
L'hôpital a une administration qui s'occupe de ça.
MARISOL TOURAINE
Mais quand vous allez dans une pharmacie, quand vous allez dans une clinique, pour une opération, c'est exactement la même chose. Lorsque vous allez vous vous faire un examen…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Où il y a une administration qui s'occupe de ça.
MARISOL TOURAINE
Lorsque vous allez vous faire faire un examen de sang dans un laboratoire de biologie, c'est la même chose, donc il y a des actes qui aujourd'hui sont d'ores et déjà réalisés en tiers payant, et ça représente une avancée. Mais la France…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le tiers payant existe.
MARISOL TOURAINE
Jean-Jacques BOURDIN, la France est une exception, dans les pays de l'Europe et développés. Dans la plupart des pays européens, qui ne sont pas des pays avec un système de santé, comment dire, autoritaire, étatisé, il y a du tiers payant, et c'est d'ailleurs une recommandation de l'Organisation mondiale de la santé. Donc moi, ce que je dis tout simplement, c'est que dans un pays dans lequel il y a, selon les périodes, et il faut prendre les statistiques avec précaution, autour d'1 Français sur 3 qui dit que pour des raisons financières il a renoncé à des soins, ou qui dit qu'il va à l'hôpital parce que là il n'avance pas les frais, eh bien faisons en sorte que aller chez son médecin libéral, chez son médecin généraliste, ce soit aussi simple. Parce que, Jean-Jacques BOURDIN, moi je voudrais insister sur une chose, pourquoi est-ce que je fais cela ? Parce que, au fond, pourquoi je fais cela…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Attendez, je vais vous poser ces questions.
MARISOL TOURAINE
Je veux que la médecine de proximité, que la médecine générale, que la médecine libérale, soit renforcée par rapport au système hospitalier dans notre pays. En France on a trop systématiquement un réflexe hôpital. L'hôpital c'est formidable, il ne faut pas le cacher, l'hôpital c'est formidable, c'est une médecine de pointe, qui accueille 24/24h, mais l'hôpital n'a pas à tout faire dans notre pays, et on a précisément tendance, au fond, à…
JEAN-JACQUES BOURDIN
A aller aux urgences.
MARISOL TOURAINE
A aller aux urgences, plutôt que d'aller chez un médecin.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais alors pourquoi est-ce que vous retirez des gardes de nuit à SOS Médecins entre 00H00 et 08H00, et là vous incitez…
MARISOL TOURAINE
On ne…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais si.
MARISOL TOURAINE
Non, non, on ne…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Dans le Nord de la France, non ?
MARISOL TOURAINE
On ne retire pas de gardes de nuit, là on rentre dans des détails extrêmement précis. Ce que l'on dit c'est que, on rémunère les gardes de nuit, et on paye plus chers les actes médicaux la nuit, dans un certain nombre de…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais est-ce que vous interdisez à SOS Médecins, dans le Nord de la France…
MARISOL TOURAINE
Non.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non ? D'exercer entre 00H00 et 08H00, non ?
MARISOL TOURAINE
Bien sûr que non, on n'interdit rien du tout Jean-Jacques BOURDIN. Comment pouvez-vous imaginer…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Retrait des gardes de nuit, c'est ce que j'ai entendu !
MARISOL TOURAINE
Pas retrait des gardes de nuit. Lorsqu'il y a des gardes de nuit, comme pour n'importe quel autre médecin, elles sont rémunérées davantage, ce que l'on dit simplement c'est qu'on ne rémunère pas des astreintes, c'est-à-dire des gens qui attendent, parce qu'il y a des endroits où l'astreinte revenait à payer 500 euros même lorsqu'il n'y avait pas de patient, c'est-à-dire plus cher que d'aller aux urgences de l'hôpital. Mais, un médecin SOS Médecins, ou un autre médecin, parce qu'il n'y a pas que SOS Médecins, qui fait une garde la nuit, qui va soigner des malades la nuit, il est évidemment rémunéré. Comment pouvez-vous imaginer…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc, SOS Médecins, dans certaines villes, et je vais refermer la parenthèse, dans certaines villes va pouvoir exercer entre 00H00 et 08H00 du matin ?
MARISOL TOURAINE
Il peut participer à la garde de nuit, bien entendu, il ne s'agit absolument pas d'éviter, ou d'empêcher, que des médecins participent à des gardes de nuit.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je reviens sur le tiers payant généralisé. Le renoncement aux soins. Est-ce qu'en France on renonce plus souvent aux soins qu'ailleurs en Europe ?
MARISOL TOURAINE
Non, il est probable que…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Dans la moyenne européenne, la France.
MARISOL TOURAINE
Oui, mais…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ni plus, ni moins.
MARISOL TOURAINE
Mais ce qui se passe, c'est quoi ? C'est qu'en France nous avons l'hôpital public et que beaucoup de patients vont à l'hôpital parce que, à l'hôpital on est pris en charge sans aucune condition, sans aucune demande et sans aucune avance de frais. Et donc moi ce que je souhaite, et d'ailleurs je vais recevoir les syndicats de médecins à nouveau aujourd'hui…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Quand ?
MARISOL TOURAINE
Aujourd'hui pour l'un, demain, et je n'ai cessé d'être en contact avec eux. Vous savez, je parle, j'échange, le discute, et nous avons d'ailleurs fait des progrès assez considérables sur certains autres aspects de la loi, parce qu'il n'y a pas que le tiers payant dans la loi…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je vais revenir sur… je veux finir sur le tiers payant.
MARISOL TOURAINE
Et c'est une loi importante pour renforcer la prévention, renforcer l'accompagnement des soins.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors je vais vous poser des questions précises. Est-ce que le projet de loi santé sera réécrit, en partie réécrit, oui ou non ?
MARISOL TOURAINE
Il y a des articles qui vont être aménagés et réécrits. Je vous en donne des exemples. Nous avons travaillé avec les syndicats de médecins sur la manière dont on organise les relations entre les professionnels dans les territoires. Ils avaient le sentiment que c'était l'Etat, ou les Agences régionales de santé, qui allaient leur dicter ce qu'il fallait faire, alors que ce n'était absolument pas l'objectif de la loi et que l'idée c'est de partir des initiatives que portent les médecins. Donc nous allons réécrire ces articles-là, le travail est en train de se faire, d'une manière qui permette de lever les ambiguïtés. Vous savez, moi je suis tout à fait ouverte à la discussion, tout à fait ouverte.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Marisol TOURAINE, vous ne céderez pas sur le tiers payant généralisé ?
MARISOL TOURAINE
C'est une avancée.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous ne céderez pas ? Est-ce que vous céderez ?
MARISOL TOURAINE
Ce qu'a dit le président…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que vous céderez, oui ou non ?
MARISOL TOURAINE
Ce qu'a dit le président de la République hier, c'est que nous devons mettre en place un système simple, et donc pour mettre en place un système simple, d'abord nous devons discuter de la façon de le faire, nous devons discuter avec ceux qui sont d'ailleurs concernés, c'est-à-dire l'Assurance maladie, et les organismes complémentaires. Il faut faire en sorte que le système soit rapide et efficace, évidemment, pour les malades et pour les médecins.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je vais y revenir. Vous ne céderez pas ?
MARISOL TOURAINE
Je souhaite que le système soit le plus simple possible, comme l'a dit et comme l'a souhaité le président de la République.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous ne me répondez pas. C'est très bien de dire… mais ça veut dire que vous ne céderez pas ?
MARISOL TOURAINE
Je suis attachée au tiers payant.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc vous ne céderez pas sur le tiers payant généralisé ?
MARISOL TOURAINE
Le tiers payant est une avancée sociale, parce que…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous ne céderez pas ? Je vous… parce que, dites-moi oui ou non, est-ce que vous remettrez en cause le tiers payant généralisé ?
MARISOL TOURAINE
Mais le tiers payant est un élément fondamental de cette loi, et je veux…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors dites-le-moi : « je maintiendrai le tiers payant généralisé. »
MARISOL TOURAINE
Le tiers payant est un des socles de la loi que je présente.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc il sera maintenu.
MARISOL TOURAINE
Et permettez-moi de vous dire, Jean-Jacques BOURDIN, que les organisations…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il sera maintenu, mais dites-le-moi, pourquoi ne pas le dire ?
MARISOL TOURAINE
Mais je vous dis que c'est un élément central de la loi, donc évidemment qu'il sera maintenu.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Très bien.
MARISOL TOURAINE
Et donc c'est un élément qui est d'ailleurs soutenu par les associations de patients, par les associations de consommateurs, par les organisations syndicales, j'ai entendu les leaders de grands syndicats français, qui représentent les assurés sociaux, dire leur volonté que ce dispositif se mette en place, et donc moi, ma volonté à moi elle est de faire simple, comme l'a dit le président de la République, de faire simple, parce que personne n'a intérêt à la complexité.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors on va voir comment faire simple, mais retour aux feuilles de soins décidé par de nombreux médecins qui vont refuser la carte Vitale pour engorger l'Administration. Vous leur dites quoi à ces médecins ?
MARISOL TOURAINE
Eh bien là je leur dis, avec une certaine solennité, que ce ne serait pas responsable vis-à-vis de leurs patients, parce que… et moi je ne peux pas imaginer que des médecins, dans leur cabinet, ne se préoccupent pas de la situation de leurs patients. Aujourd'hui vous avez environ 92 % des actes, des consultations, qui sont télétransmises, c'est-à-dire que ça passe par la carte Vitale, dans la machine, il n'y a plus de papier, le patient n'a plus à remplir le papier, à payer le timbre et à l'envoyer à l'Assurance maladie. Concrètement, on passera de quelques jours, de remboursement, oui, environ 4, 5 jours de remboursement, pour le remboursement, à plusieurs semaines. Moi je ne peux pas imaginer… et ça, ce sera vrai pour les actes, pour les arrêts maladie, et donc…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que vous allez sanctionner les médecins qui refusent les cartes Vitale ?
MARISOL TOURAINE
On ne sanctionne pas aujourd'hui, mais est-ce que vous savez, Jean-Jacques BOURDIN…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Aujourd'hui vous pourriez sanctionner ?
MARISOL TOURAINE
Est-ce que vous savez que les médecins sont rémunérés pour transmettre les feuilles de soins par la carte Vitale et pas par papier ? Donc moi je n'imagine pas qu'un médecin qui est rémunéré pour télétransmettre, c'est-à-dire pour transmettre par la carte Vitale les feuilles de soins, je n'imagine pas qu'il ne se préoccupe pas de la situation dans laquelle sont les patients, et moi j'invite les patients à être attentifs à cela et à dire que pour eux c'est aussi une simplicité, donc on ne peut pas…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que si c'est généralisé vous pourriez sanctionner ces médecins ?
MARISOL TOURAINE
Ecoutez, je ne suis pas dans cette démarche-là, aujourd'hui, mais nous allons regarder les choses, puisque les médecins sont rémunérés pour cela, donc, franchement, s'ils sont rémunérés, ils ont plutôt intérêt…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc on arrête la rémunération ?
MARISOL TOURAINE
Ils ont plutôt intérêt à télétransmettre.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc la sanction c'est on arrête la rémunération si…
MARISOL TOURAINE
Ecoutez, moi je n'en suis pas là.
JEAN-JACQUES BOURDIN
S'ils ne télétransmettent pas.
MARISOL TOURAINE
Voyez-vous, Jean-Jacques BOURDIN, moi je suis quelqu'un d'optimiste et de positif, et de constructif, et j'appelle à la responsabilité de chacun.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon, le tiers payant. Voilà ce que disent les médecins, vous allez répondre, justement pour essayer de simplifier les choses. Les médecins disent : le médecin devra vérifier les droits de chaque patient, rechercher l'adresse des payeurs, il y a 650 mutuelles ou assurances en France, autour de 650, il va falloir vérifier, que le médecin vérifie dans ses comptes la bonne réception des règlements, ça complique terriblement les choses pour les médecins. Justement, comment vous allez simplifier ?
MARISOL TOURAINE
La question de la simplicité elle dépend, effectivement, en partie du fait que les mutuelles, les complémentaires, arrivent par exemple à se mettre d'accord pour qu'il n'y ait qu'un payeur pour elles, par exemple, ou qu'il y ait un accord avec l'Assurance maladie comme c'est le cas aujourd'hui pour la CMU.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que c'est possible ça ?
MARISOL TOURAINE
Donc, les discussions, qui sont engagées à partir de maintenant, avec l'Assurance maladie, mais aussi avec les organismes complémentaires, elles ont précisément pour objectif d'arriver à un système qui soit le plus simple possible.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Créer un seul système regroupant toutes les complémentaires, que ce soit des mutuelles ou des assurances…
MARISOL TOURAINE
Pourquoi pas.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Permettant de faciliter le paiement du médecin ?
MARISOL TOURAINE
Elles disent que ce serait envisageable, c'est avec elles que nous devons notamment travailler.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous y êtes favorable ?
MARISOL TOURAINE
Moi je suis favorable à tout système technique qui sera simple. Moi je ne peux pas me substituer aux mutuelles, je ne peux pas leur dire voilà le système technique dans lequel vous allez devoir vous inscrire, mais je souhaite effectivement qu'on ait un système qui soit de ce type-là, le plus simple possible.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que vous pensez que les médecins généralistes, d'une manière un peu sous-jacente, demandent, à travers cette colère, une revalorisation du prix de la consultation ?
MARISOL TOURAINE
Je crois qu'il y a plusieurs choses dans la période actuelle, dans le mouvement actuel. Il y a une transformation, et le tiers payant représentera une transformation des pratiques. Souvenez-vous, il y a une dizaine, une quinzaine d'années, lorsqu'on a mis en place la carte Vitale, beaucoup de médecins disaient « mais la carte Vitale, il faut s'équiper, c'est compliqué », et il a fallu du temps pour que la carte Vitale devienne quelque chose de naturel, j'ai envie de dire, dans les cabinets médicaux, aujourd'hui ça l'est. Et je suis convaincue que le tiers payant, qui représente un changement de pratiques et d'habitudes, s'imposera…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Un coût et une perte de temps pour le médecin.
MARISOL TOURAINE
Non, justement l'idée c'est de faire en sorte que les choses soient le plus simples possible.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors vous allez les aider pour ça ?
MARISOL TOURAINE
Mais ce que je crois…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pourquoi ne pas aider les médecins, financièrement ?
MARISOL TOURAINE
Les médecins sont aidés pour beaucoup de choses, et donc parlons de la rémunération…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais là, pour passer…
MARISOL TOURAINE
Je crois que nous sommes aujourd'hui à une période où beaucoup de médecins, pas tous, mais beaucoup de médecins ont le sentiment, qui n'est pas faux, que leur métier est en train de changer. Ils travaillent beaucoup. Moi je veux le dire, les médecins généralistes travaillent énormément, ils doivent aujourd'hui prendre en charge des patients qui ont des maladies au long cours, ce qu'on appelle les maladies chroniques, des personnes qui sont plus âgées, donc parfois plus difficiles à soigner, il y a les difficultés économiques, et donc il y a un bouleversement du métier et cela provoque nécessairement des crispations. Alors, faut-il pour cela répondre par une augmentation de la rémunération ? C'est une des demandes des professionnels de santé.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que vous allez revaloriser le prix de la consultation des médecins généralistes ?
MARISOL TOURAINE
Est-ce que vous savez, Jean-Jacques BOURDIN, que pour le prix de la consultation d'un médecin généraliste, l'assurance maladie verse en plus en moyenne huit euros. C'est-à-dire que pour une consultation qui est à 23 euros, le médecin en réalité perçoit 31 parce qu'il y a le forfait du médecin traitant, il y a un forfait lorsque vous recevez un malade de plus de 80 ans ou lorsque vous encouragez des actions de santé publique. Est-ce que vous savez que depuis deux ans et demi, depuis que je suis en responsabilité, cette rémunération a augmenté de 10 % ? Lorsque je suis arrivée en 2012, il y avait le prix de la consultation et ce qui était ajouté était de l'ordre de cinq euros. Aujourd'hui, c'est huit euros. Cela veut dire qu'en deux ans et demi, la rémunération des médecins a augmenté de 10 %. Si on remonte en arrière, elle a augmenté davantage.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui. Est-il vrai que les visites à domicile à 33 euros sont bloquées depuis 2002 ? C'est vrai ou pas ? Est-il vrai que les indemnités kilométriques sont bloquées à 61 centimes d'euro depuis 1996 ? C'est vrai ou pas ?
MARISOL TOURAINE
Il y a moins de visites à domicile. Vous parlez de 2002, c'est un choix qui a été fait dans la durée. On concentre les visites à domicile pour les malades qui ont vraiment besoin d'être visités à domicile.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais la revalorisation des honoraires de + 29 % en huit ans pour les généralistes et de + 71 % pour les spécialistes, est-ce logique ?
MARISOL TOURAINE
Ça dépend des spécialistes. Il y a des différences entre les spécialités. Si vous prenez par exemple un pédiatre et un radiologue – je les prends strictement au hasard – vous avez des évolutions très différentes. Vous avez donc des différences entre les médecins, y compris au sein des spécialistes entre les spécialités. On ne peut pas d'un côté dire qu'il faut que tout le monde soit payé de la même façon et refuser l'idée d'une médecine étatisée.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il y a un problème de la médecine générale en France.
MARISOL TOURAINE
Il y a un sentiment et justement le paradoxe, Jean-Jacques BOURDIN, c'est que la loi que je porte et qui ne se résume pas au tiers-payant…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Qui va étatiser la médecine libérale ! C'est la crainte.
MARISOL TOURAINE
Pas du tout, pas du tout. Cette loi est précisément faite pour que le médecin généraliste devienne au fond…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Sera à la merci de la Sécurité sociale, payé par la Sécurité sociale.
MARISOL TOURAINE
Pas du tout. Il l'est déjà, si vous me passez l'expression. Franchement, enlevez la Sécurité sociale. J'entendais sur votre antenne tout à l'heure que l'on disait qu'il y avait pas mal de médecins formés à l'étranger qui venaient en France.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Trop ?
MARISOL TOURAINE
Trop ? Je ne sais pas, je ne suis pas certaine mais on peut venir sur ce point-là. Pourquoi est-ce qu'ils viennent en France ? Parce qu'en France, il y a la Sécurité sociale et que la Sécurité sociale c'est un acquis formidable.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais ils viennent aussi en France parce qu'on ne forme pas suffisamment de médecins en France, non ?
MARISOL TOURAINE
On en forme plus aujourd'hui. On en forme plus. Il y a plus de médecins en France qu'il n'y en avait il y a quelques années. Il y en aura plus dans quelques années qu'il n'y en a aujourd'hui. Vous savez, le vrai problème du nombre de médecins dans notre pays, en réalité ce n'est pas le nombre de médecins mais le lieu où ils s'installent. Franchement, il y a des quartiers de centre-ville où il n'y a pas de difficulté pour trouver un médecin. En revanche, il y a des quartiers dans les banlieues des grandes villes ou dans les zones rurales où il y a davantage de difficulté, d'où des actions que j'ai menées pour amener les médecins à s'installer là où ils ne vont pas spontanément.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Numerus clausus, 7 497 je crois sur 2014-2015.
MARISOL TOURAINE
Non, un peu plus.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous allez augmenter un peu plus ?
MARISOL TOURAINE
On a augmenté.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je sais que vous l'avez augmenté mais est-ce que vous allez encore l'augmenter ?
MARISOL TOURAINE
On augmente régulièrement en concentrant d'ailleurs sur les médecins généralistes et en faisant en sorte, ce qui me paraît très important, qu'il y ait des jeunes étudiants qui ont déjà fait des études autres, qui puissent devenir médecin. Que le recrutement des médecins ne soit pas seulement des jeunes qui passent le concours à la fin de la première année mais, par exemple, des jeunes qui ont fait des études de santé et qui, après une ou deux années, veulent se réorienter vers la médecine pour diversifier les sources de recrutement. Nous sommes très attentifs, je suis très attentive, à ce que l'on forme suffisamment de médecins. Je suis encore plus attentive, si j'ose dire, à ce qu'ils aillent s'installer là où on a besoin d'eux.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Les médecins ne veulent pas, et les infirmiers non plus, que les pharmaciens puissent vacciner. C'est aussi l'une des propositions contenues dans ce projet de loi. Le projet de loi devait être discuté à l'Assemblée Nationale en janvier-février mais il sera discuté en avril-mai. C'est bien ça ?
MARISOL TOURAINE
Oui. Avril, oui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il a été retardé parce qu'il y a de la colère.
MARISOL TOURAINE
Non.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais Marisol TOURAINE, si ! Ça peut arriver de reporter un projet de loi face à la colère des médecins.
MARISOL TOURAINE
Non, je ne dirais pas les choses comme ça. Il se trouve qu'il y avait d'autres lois à passer mais je pense que ce report est l'occasion de lever…
JEAN-JACQUES BOURDIN
D'améliorer le texte ?
MARISOL TOURAINE
Oui, ou de lever des inquiétudes, des interrogations, des ambigüités et de faciliter la mise en place de certains dispositifs.
JEAN-JACQUES BOURDIN
L'opposition à l'ouverture de la vaccination ?
MARISOL TOURAINE
Là aussi, ça fait partie des sujets dont on va discuter dans les jours, dans les semaines qui viennent.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous pourriez revenir sur cette idée ?
MARISOL TOURAINE
C'est une idée qui se pratique dans beaucoup de pays, au Canada et dans d'autres pays européens par exemple. C'est quoi l'idée ? C'est qu'en France, on ne se vaccine plus assez et ça me préoccupe. Par exemple, le vaccin contre la grippe chez les personnes de plus de 65 ans – je ne parle pas de la population en général – est tombé en quelques années de 65 à 50 %. Vous avez aujourd'hui une personne de 65 ans et plus seulement qui se vaccine contre la grippe alors qu'on sait que la grippe peut être très dangereuse pour les personnes âgées. Faisons en sort de diversifier les portes d'entrée vers la vaccination, mais le médecin est évidemment le pivot du système. C'est lui qui prescrit, c'est lui qui suit, c'est lui qui accompagne et cela ne me paraît donc pas de nature à remettre en question le métier de médecin. Il ne s'agit pas de mélanger les métiers, vous savez.
JEAN-JACQUES BOURDIN
J'ai une dernière question. Je change mais ça concerne aussi les médecins : la santé de nos enfants, notamment le son. Il va y avoir la semaine du son. Est-ce que vous allez renforcer la législation ?
MARISOL TOURAINE
C'est une question que je me suis justement posée. Dans la loi santé, nous avons réservé des dispositions et je suis tout à fait prête à les introduire par voie d'amendement. Elles sont prêtes, elles ont été retirées parce que la loi était un peu longue au départ.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Qu'est-ce que vous pourriez rajouter ?
MARISOL TOURAINE
Nous avons réfléchi dans deux directions. D'abord les casques : s'assurer que les casques ne peuvent pas produire un son supérieur à un certain nombre de décibels.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est-à-dire limiter les casques qui sont vendus dans le commerce.
MARISOL TOURAINE
Qui sont vendus dans le commerce, voir si on peut faire en sorte que quelqu'un qui a un casque toute la journée ou plusieurs heures ne puisse pas être exposé à des sons trop élevés en permanence. La deuxième chose, c'est faut-il encadrer les sons qui sont émis dans certaines salles fermées, par exemple à l'occasion de concert.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous pourriez les encadrer ?
MARISOL TOURAINE
Oui, c'est une réflexion que nous avons.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous pourriez les encadrer par la loi ?
MARISOL TOURAINE
Oui. C'est une réflexion qui est aujourd'hui portée. Vous savez, l'une des difficultés auxquelles je suis confrontée, c'est que la santé publique – c'est un sujet de santé publique parce que les jeunes qui écoutent des sons comme ça risquent d'être malentendants dans la durée. Au fond, on a l'impression que ça se ramène systématiquement à des interdictions. Il faut à la fois éduquer, il faut former et il faut aussi prendre des règles qui permettent d'encadrer le matériel ou les conditions dans lesquelles on écoute la musique. Il ne s'agit pas d'empêcher d'écouter de la musique. C'est formidable d'écouter de la musique mais il faut le faire toute sa vie si on peut, et donc ne pas à cause de sons trop importants quand on a 15 ou 20 ans, être pénalisé pour cela dans la suite.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci Marisol TOURAINE.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 7 janvier 2015