Interview de Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication à France-Info le 6 février 2015, sur la défense de la laïcité et du modéle républicain contre le terrorisme.

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Média : France Info

Texte intégral


FABIENNE SINTES
Un mois après les attentats, c'est aussi une bataille culturelle qu'il faut livrer, celle de l'esprit critique, celle de la liberté d'expression. On en parle tout de suite, votre invitée, Jean-François ACHILLI, est ministre de la Culture.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Bonjour Fleur PELLERIN.
FLEUR PELLERIN
Bonjour.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Soyez la bienvenue.
FLEUR PELLERIN
Merci.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Dans quel état est notre pays, un mois après les attentats, la France un mois après Charlie, vous le savez, France Info ce matin, dresse un état des lieux en direct de Dammartin. Nous avons entendu à 07h15, avec Fabienne SINTES, l'émotion de Michel CATALANO, le patron de l'imprimerie. Qu'est-ce qui a donc changé, Fleur PELLERIN, à Dammartin, mais aussi dans toutes les communes de France et surtout dans tous les esprits ?
FLEUR PELLERIN
Eh bien je crois déjà la conscience de la fragilité d'un certain nombre de nos valeurs, de valeurs que l'on croyait, parce que historiques, parce que très profondément ancrées dans le modèle républicain de la France, la laïcité, la liberté d'expression, la liberté d'avoir une religion, toutes ces valeurs là, finalement, peuvent être mises en danger par des actions isolées, ou terroristes et donc je crois que cette prise de conscience nous oblige, nous oblige Français, gouvernement, institutions, à prendre nos responsabilités et à faire en sorte que nous puissions recréer aussi une adhésion collective à ces valeurs.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
C'est le vivre ensemble qui est menacé ? Tout le monde s'observe aujourd'hui, chacun, tout le monde se méfie, c'est ça ?
FLEUR PELLERIN
Oui, je crois que ce qui s'est passé, les évènements tragiques qui se sont produits au début du mois de janvier, ont mis à jour des fractures, qui sont des fractures insoutenables de la société et sur lesquelles il faut vraiment que nous nous penchions, que nous les analysions et que nous trouvions les moyens d'y remédier. Ça ne se fera pas en l'espace de quelques jours ou de quelques semaines, le Premier ministre l'a bien dit, c'est probablement le travail d'une génération, pour celles qui sont les plus profondes, mais, lutter contre le racisme et l'antisémitisme, lutter contre le fanatisme religieux, lutter contre le sentiment de relégation que peuvent ressentir un certain nombre de nos jeunes, qui peuvent du coup être tentés par des expériences djihadistes, je crois que c'est tout cela qu'il nous faut aujourd'hui traiter.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Alors, le ton du président de la République, était à la gravité, hier, lors de la Conférence de presse. Vous incarnez, vous êtes la ministre de la Culture, c'est une tradition française, vous considérez que ce pays est en guerre aujourd'hui ?
FLEUR PELLERIN
Je crois qu'il est en guerre, non pas au sens militaire, mais en guerre véritablement, contre cette, peut être tendance au délitement et je crois qu'il nous faut vraiment combattre, quasiment, comme si nous étions dans une situation d'urgence, et c'est bien le cas. Toutes la violence, tous les sentiments de relégation qui peuvent exister, parce qu'on se sent exclu, soit du logement, soit des centres-villes, soit de l'école, soit de l'éducation, soit de la culture, et je crois que la culture a un très très grand rôle à jouer pour le sentiment d'appartenance commune de nos concitoyens, et donc je crois que nous sommes véritablement en guerre contre ça, contre la fracturation de notre société.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Alors, ces attentats ont révélé l'étendue des chantiers qui sont devant nous. Le service civique, par exemple, vous trouvez que c'est une bonne idée ? Est-ce que cela concerne les activités de la culture, en général ?
FLEUR PELLERIN
Eh bien vous savez, moi j'ai été, dans une autre vie, administratrice de Unis-Cité, qui est une association qui justement a… une de celles qui a vraiment promu, depuis 20 ans, le service civique en France, qui a été à l'origine de la loi sur le service civique. Donc oui, moi je crois beaucoup à cette formule. Elle est très exigeante, parce qu'elle exige précisément, beaucoup d'encadrement de la part de formateurs, qui encadrent des volontaires.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Mais ça n'est pas obligatoire…
FLEUR PELLERIN
Mais ça n'est pas obligatoire, c'est rémunéré, donc c'est un dispositif qui coûte de l'argent et qui coûte aussi beaucoup en ressources humaines, parce qu'il faut, encore une fois, des adultes capables de former et d'encadrer ces jeunes. Et moi, je crois beaucoup aux vertus du service civique, parce que, pour les mêmes raisons que le service militaire ou les classes, permettaient du brassage sociologique, social, entre des gens venant d'horizons divers, eh bien le service civique permet cela et permet cela en plus, dans le cadre d'une activité qui fait du bien à la société, qui est utile, par exemple dans la transition écologique, dans la culture, dans l'éducation.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Vous pensez que c'est une réponse, ça a l'air un petit peu naïf comme procédé, face par exemple à l'économie souterraine des quartiers ?
FLEUR PELLERIN
Vous savez, je pense qu'il n'y a pas qu'une seule réponse à l'ensemble des problèmes que nous avons aujourd'hui à traiter. Il y en a plusieurs et je pense que le service civique peut en faire partie. Pourquoi ? Parce qu'il peut créer du lien entre des gens qui peuvent ne jamais, sinon être amenés à se rencontrer ou se sentir très étrangers les uns aux autres. Donc moi, je crois que tout ce qui, aujourd'hui, crée de la cohésion, tout simplement, c'est quelque chose qu'il nous faut promouvoir, et en plus, enfin, le service civique le fait de manière très utile, puisqu'encore une fois il fait accomplir à des jeunes bénévoles, volontaires, pardon, des missions qui sont des missions de service public.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
J'ai envie de vous poser une question sur la laïcité, elle n'est pas négociable, a dit François HOLLANDE hier. Vous êtes la ministre de la Culture, quand vous avez vu la Une de Charlie Hebdo, du dernier numéro, a provoqué des vagues de manifestations dans le monde entier, dans le monde musulman, ce n'est pas négociable ça non plus ? Il faudra… les dessinateurs, les caricaturistes peuvent encore, au fond, dessiner le prophète ?
FLEUR PELLERIN
La liberté d'expression elle peut être une liberté d'offenser, et c'est bien ainsi qu'elle est reconnue, à la fois par notre droit en France et par la convention européenne des Droits de l'homme. Alors, après, il ne faut pas porter en étendard nos valeurs, de manière arrogante, il faut sans doute les expliquer dans un certain nombre de pays, où ces valeurs ne sont pas reconnues, de la même façon, ou n'ont pas la même définition juridique. Moi je suis effectivement très au soutien des équipes de Charlie Hebdo, en l'espèce, mais de tous ceux qui aujourd'hui veulent exprimer leur créativité ou exprimer une opinion politique, même si elle dérange. Si la liberté d'expression c'était seulement la liberté de dire ce qui va faire consensus et plaire à tout le monde, ça serait assez limité comme conception. Moi je suis très choquée de voir que l'on continue à avoir des fatwas sur un certain nombre d'artistes, récemment Kamel DAOUD, mais encore plus récemment, il y a eu cette fatwa prononcée par un homme politique pakistanais à l'encontre de la Direction de Charlie Hebdo. Je crois qu'il nous faut quand même être très ferme sur ces valeurs, parce que si nous rentrons dans une éthique de la responsabilité, comme certains nous y appellent, en disant « attention quand même à ce que vous faites », eh bien nous grignotons peu à peu sur nos valeurs, et je crois que ces valeurs-là, le président de la République l'a rappelé, elles sont non négociables et intangibles.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Alors, vous étiez au Sénat hier, un amendement Charb, du nom du dessinateur et directeur de Charlie assassiné le 7 janvier, un amendement Charb a été voté au Sénat, dans le cadre de la proposition de loi sur la modernisation de la Presse, celle du député socialiste Michel FRANÇAIX, il permet aux particuliers, des prises de participation dans les journaux.
FLEUR PELLERIN
Absolument, ça permet surtout de donner un avantage fiscal pour les particuliers qui souhaitent investir…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
C'est pourquoi ? C'est pour sauver la Presse, c'est ça ?
FLEUR PELLERIN
C'est parce que nous créons un nouveau modèle, aussi, calqué sur l'économie sociale et solidaire, d'entreprise de presse, pour aider, vous savez que la Presse est aujourd'hui en grandes difficultés, à la fois pour trouver les moyens pour les jeunes entreprises de presse qui souhaiteraient se lancer, c'est souvent difficile de réunir les fonds au départ, et puis c'est difficile de tenir dans la durée. Donc ce que nous avons souhaité faire, avec cet amendement, qui était effectivement porté, à la fois par les communistes et par Charb, mais aussi hier à l'unanimité, de l'ensemble des groupes politiques, c'était de créer un dispositif fiscal, permettant de soutenir la volonté de nos concitoyens d'investir, donc d'investir au capital d'entreprises de Presse, et donc il y aura une réduction d'impôts pour cet investissement, lorsque vous mettez 100, vous pourrez déduire 50 de votre impôt, grâce à cet amendement.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
C'est du financement participatif ?
FLEUR PELLERIN
C'est une forme d'aide au financement participatif, en effet.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Est-ce pour autant que les Français vont continuer à acheter des journaux ? Parce que c'est ça le problème, en fait.
FLEUR PELLERIN
Eh bien, vous savez…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
C'est la distribution, c'est la vente.
FLEUR PELLERIN
Bien sûr, mais vous voyez bien que ces derniers temps, il y a eu une manifestation de solidarité, il y a eu un regain d'intérêt aussi pour l'information et notamment l'information écrite, de presse, donc j'espère évidemment que ça va durer, je l'espère pour le secteur de la Presse, qui a été durement touché par la révolution numérique, on le sait bien, et puis aussi par l'évolution des usages, la baisse du lectorat papier, donc si ce nouveau modèle peut encourager des entreprises innovantes à se lancer, y compris sur Internet, d'ailleurs, pour des modèles de Presse en ligne, ou aider à consolider la situation financière d'un certain nombre de titres fragiles, parce que ayant peu de ressources publicitaires, c'était le cas de Charlie Hebdo, c'est aussi le cas d'autres titres, comme le Canard Enchainé, comme Libération, comme La Croix, comme L'Humanité, eh bien je crois que c'est une mesure qui permettra, en tout cas la solidarité de l'ensemble des Français, de s'exprimer vis-à-vis de notre Presse.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
D'un mot : où est-ce qu'on en est des projets de fusion de PRESSTALIS et des Messageries Lyonnaises de Presse, des MLP, puisqu'il y a un problème de distribution en France, également ?
FLEUR PELLERIN
Oui, il y a des dispositions qui visent à permettre de réfléchir à des fusions, si les entreprises l'estiment justifié. Nous on est favorable à ce qu'il y ait davantage de mises en commun de moyens, c'est la logique même, c'est-à-dire faire en sorte qu'il y ait plus de mutualisation…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Fusions pures ? Oui, non ?
FLEUR PELLERIN
Non, je crois qu'il faut laisser aussi la capacité des entreprises à s'organiser, on n'est pas dans un régime d'économie administrée, mais en tout cas c'est vrai qu'il faut aller… nous avons un système de distribution qui est très très couteux, et il faut essayer de mutualiser un certain nombre de coûts, qui peuvent l'être…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Ce n'est pas encore fait.
FLEUR PELLERIN
C'est un travail qui est en cours.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Un dernier mot, Fleur PELLERIN, il y a un vote ce dimanche dans le Doubs, qui fait polémique au sein de l'UMP, faut-il, oui/non, dresser un front républicain pour faire barrage à la candidate du Front national, que dites-vous ce matin, vous, là-dessus ?
FLEUR PELLERIN
Ecoutez, nous, nous sommes clairs dans nos têtes, et nous l'avons toujours été, même lorsque la situation s'est posée lors des élections présidentielles, c'est ce que rappelait le Président de la République. Moi je n'ai pas à commenter la situation ou le désordre de la situation qui peut régner entre les positions diverses et parfois distinctes, émises au sein de l'opposition, c'est pas mon problème. Moi, ce que je souhaite, c'est qu'effectivement le candidat socialiste puisse arriver en tête et être élu. Je vois bien même, en restreignant le champ de l'observation à la culture, que dans les… lorsqu'un élu Front national arrive aux responsabilités, souvent il y a des choses qui sont très compliquées à gérer par la suite, et donc voilà, j'espère que le candidat socialiste, pourra l'emporter.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Réponse dimanche dans les urnes, dans le Doubs. Merci à vous, Fleur PELLERIN.
FLEUR PELLERIN
MERCI.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 12 février 2015