Interview de Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique, à Chaîne Info (LCI) - Radio classique le 5 février 2015, sur le service civique dans la Fonction publique, le maintien du gel du point d'indice des fonctionnaires et le climat politique.

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Média : La Chaîne Info - Radio Classique

Texte intégral

GUILLAUME DURAND
Ravi de vous retrouver, Marylise LEBRANCHU est chargée notamment de la Fonction publique, donc, au gouvernement. Bonjour, bienvenue.
MARYLISE LEBRANCHU
Bonjour.
GUILLAUME DURAND
Nous allons parler évidemment de cette situation politique qui déchaine les passions. Le président parle ce matin, est-ce que vous savez oui ou non s'il va être question d'un service civique et sous quelle forme ? Je sais que je rentre directement dans le vif du sujet, mais…
MARYLISE LEBRANCHU
Si je répondais directement ce matin à la question, le président me le reprocherait. Alors, on pose cette question depuis un moment, le président de la République d'ailleurs, l'avait posée avant les élections, à savoir comment encourager des jeunes à accepter des postes de service civique, vous savez qu'on les a augmentés. Voilà, c'est question sur la table, le président y répondra.
GUILLAUME DURAND
Mais il va y répondre oui, la question c'est la forme, tout le monde le sait.
MARYLISE LEBRANCHU
Il y répondra. Hier, il y avait un débat à l'Assemblée nationale, en disant : est-ce qu'on peut revenir à une forme de service militaire ? Non, Jacques CHIRAC l'avait supprimé…
GUILLAUME DURAND
97.
MARYLISE LEBRANCHU
… pour des tas de raisons, en 97, on avait mis… j'appartenais à ce gouvernement qui a mis en oeuvre la volonté du président de la République de l'époque. Est-ce qu'on a été nombreux à le regretter ? Oui, un certain nombre d'entre nous, dont je faisais partie, regrettait ce moment où les jeunes venus de partout, de tous les territoires, mais aussi de toutes les familles, de toutes les situations, pouvaient se rencontrer. Est-ce que c'était trop dur et trop lourd par rapport à l'armée, oui, donc effectivement Jacques CHIRAC avait posé de bonnes questions. Maintenant, est-ce que c'est important que les jeunes de tous les territoires, de toutes les familles, puissent se retrouver à un moment donné, peut-être, mais vous savez, ça a un coût. Le problème que l'on a aujourd'hui, c'est qu'on ne va pas non plus se lancer sur un chemin où on n'aurait pas les moyens de répondre. Donc, le président de la République va poser les jalons du travail ce matin, à nous derrière, ensemble, de regarder comment on y arrivera, mais je vois bien…
GUILLAUME DURAND
Mais ça va vous concerner.
MARYLISE LEBRANCHU
Moi, ça mon concerne, et déjà le président de la République…
GUILLAUME DURAND
Ça va vous concerner, comme ministre de la Fonction publique.
MARYLISE LEBRANCHU
Oui, il m'a demandé une tâche importante, par exemple, à l'intérieur de la Fonction publique, il n'y a pas d'apprentis, pratiquement pas. Il y a 2,8 millions de fonctionnaires d'Etat, il y a 700 ou 7 000, pardon, apprentis ou même moins, pardonnez-moi d'avoir oublié le chiffre. Mais c'est ridicule. Il me dit, bon, j'ai une feuille de route, là, il faut que je trouve 10 000 postes, pour que des jeunes puissent venir dans la Fonction publique, apprendre un métier, une fonction. Est-ce que je vais trouver des postes pour des services civiques, c'est-à-dire pour des façons de servir, je pense aux personnes âgées, aux personnes en situation de handicap, tout le monde pense à ça, mais pas que ça. Est-ce que dans les services, quand on met en place un nouveau service numérique, des jeunes ne peuvent-ils pas apprendre l'utilité d'un système, se rendre compte qu'il manque un peu, chez eux, de formations. Voyez, ça, je crois que, avec les fonctionnaires, par exemple, je suis persuadée et après ce que nous avons vécu en janvier et après ce que veulent les fonctionnaires, c'est-à-dire la reconnaissance des citoyens, je suis persuadée que je pourrais faire des propositions.
GUILLAUME DURAND
Mais vous savez que la grande question, à partir du moment où on vit avec les réseaux sociaux et une sorte de divertissement mondial, s'il n'y a pas d'obligations, pourquoi le feraient-ils ? Parce que c'est quand même ça le fond du problème. Vous allez monter, si vous montez un barnum utile pour la société, mais que tout le monde se défile…
MARYLISE LEBRANCHU
Vous comprenez bien que maintenant…
GUILLAUME DURAND
C'est compliqué pour vous, parce que…
MARYLISE LEBRANCHU
Maintenant, à 10h30, il y a peu de temps et je…
GUILLAUME DURAND
Non mais c'est une question, qui est une réflexion.
MARYLISE LEBRANCHU
Mais, sous le fond des choses, nous, nous sommes prêts, enfin moi avec la Fonction publique, avec des employeurs publics, on est prêt à se poser toutes les questions pour voir comment ça se met, ça pourrait se mettre en place, mais Guillaume DURAND, vous allez comprendre ça…
GUILLAUME DURAND
Je vais essayer.
MARYLISE LEBRANCHU
On est dans une situation financière qui n'est pas simple, vous en parlez souvent vous-même de la dépense publique et du fait qu'il faille la diminuer. Attention à ne pas proposer quelque chose qu'on ne pourrait pas remplir. Donc moi je commence par ce qu'on m'a demandé, déjà, une forme d'apprentissage, l'accueil des jeunes dans des services un peu, je dirais, haut de gamme, pour apprendre, et pour aussi, quelque chose l'on oublie souvent…
GUILLAUME DURAND
Pardonnez-moi de vous interrompre, si je vous pose cette question, en attendant, j'allais dire, les annonces officielles du président, c'est que le risque, comme beaucoup de choses qui ont été reprochées à la gauche, c'est qu'on se retrouve avec quelque chose qui soit, au fond, bien pour la société mais un tel barnum que ça ne fonctionne pas, et à ce moment-là ça va devenir totalement contreproductif.
MARYLISE LEBRANCHU
C'est pour ça que je suis totalement…
GUILLAUME DURAND
S'il faut faire la chasse aux jeunes pour qu'ils aillent travailler chez vous.
MARYLISE LEBRANCHU
C'est pour ça que je suis totalement prudente, et que pendant ce temps-là, et hier soir en Commission des lois, encore à l'Assemblée nationale, moi je suis chargée aussi, non seulement de la Fonction publique, mais de la fracture territoriale, c'est-à-dire qu'est-ce qu'on fait et qu'est-ce qu'on propose sur l'organisation territoriale de la République, pour éviter que des jeunes, dans des quartiers où l'idée même du service public peut-être n'existe pas, parce qu'on n'a pas eu le temps, et encore, je suis allée à Bondy avec la maire extraordinaire, entraine tout le monde à accueillir les jeunes en question, mais moi je dois proposer une organisation territoriale de la République, qui arrête de créer des ghettos de gens qui vont bien, et qui repoussent les gens qui vont moins bien ou mal. Et cette ghettoïsation, elle est générée par les quartiers les plus riches, par les centres-villes les plus riches, dans d'autres centre-ville vous avez des poches de pauvreté. Moi, mon travail, aujourd'hui, c'est de dire : est-ce qu'on va se satisfaire de l'hyper richesse, qui côtoie l'hyper pauvreté, au XXIème siècle en France ? Non. Alors, comment je fais…
GUILLAUME DURAND
Madame, pardonnez-moi, mais ce n'est pas une découverte.
MARYLISE LEBRANCHU
Non mais ce n'est pas une découverte, mais je vais y répondre. Je veux passer des concurrences entre les territoires à la coopération…
GUILLAUME DURAND
Vous avez lu Victor HUGO et récemment Thomas PIKETTY, tout le monde est…
MARYLISE LEBRANCHU
Et alors, ce n'est pas parce que ce n'est pas une découverte qu'il faut pas avancer. La preuve c'est que le constat n'est pas de qualité. Comme on a un constat qui n'est pas de qualité, moi mon travail c'est de dire : est-ce que je peux améliorer les choses ? Oui. Est-ce que je vais le faire ? Oui. Est-ce que je vais avoir des résistances en face de moi ? Oui. Est-ce que…
GUILLAUME DURAND
Mais halte au barnum, le danger politique c'est le barnum, c'est des trucs contre-productifs.
MARYLISE LEBRANCHU
C'est pour ça que j'essaie, pas à pas, avec la Fonction publique d'une part, avec une meilleure organisation des territoires, de répondre à ça, mais quand je vous parle par exemple de mixité du logement, je vous dis, et ça me désole pour mon pays, les résistances sont énormes.
GUILLAUME DURAND
Question : est-ce que vous allez dégeler le point d'indice des fonctionnaires, ou pas ?
MARYLISE LEBRANCHU
Pas maintenant. Les organisations syndicales le savent. Le président de la République, comme le Premier ministre, ont été clairs, tant qu'on n'a pas de croissance, tant qu'on est en période d'inflation, ce n'est pas notre priorité. En revanche, on a augmenté les catégories C, parce que franchement, quand on est smic et qu'on garde la nuit, nos centres d'accueil de nos personnes âgées, ce n'est pas juste. Donc on a augmenté les catégories C, on a augmenté les catégories C, toutes celles qui font que la vie quotidienne est possible, mais j'ouvre une négociation importante, parcours professionnel, rémunération, carrière. Est-ce que l'ensemble des fonctionnaires a eu un parcours intéressant, est-ce que ça les attire, non ? Est-ce qu'on peut améliorer ? Oui. Est-ce qu'on est dans une difficulté financière ? Oui. Donc voilà, les organisations syndicales, que je reçois l'une après l'autre, avant d'ouvrir des négociations, sont beaucoup plus conscientes qu'on ne pense, de la difficulté mais ont envie d'avoir des fonctionnaires motivés, et pour avoir des fonctionnaires motivés, il faut avoir des carrières motivantes.
GUILLAUME DURAND
J'ai plein de questions. Dans tous les plans de la droite, qui sortent, François FILLON, Alain JUPPE et les autres, on parle de 150 milliards, 100 milliards d'économies, vous avez du mal à en faire 50, est-ce que vous pensez qu'aujourd'hui c'est totalement déraisonnable de promettre aux Français 150 milliards ou 100 milliards d'économies ?
MARYLISE LEBRANCHU
Je vais vous dire…
GUILLAUME DURAND
Est-ce que vous pouvez l'argumenter ? Parce que, eux, ils disent : la Fonction publique il y en a marre.
MARYLISE LEBRANCHU
Est-ce que je peux dire pourquoi ? Parce que lorsque j'ai proposé ce plan, 11 milliards de moins de dotations aux collectivités locales, se réorganiser, donc peut-être moins de postes, à terme, mutualiser les services, eh bien j'ai eu une bronca de l'UMP, qui m'a dit : c'est un scandale de diminuer les dotations des collectivités locales, parce qu'elles n'ont pas d'emprunts. Saut que, on donne 270 millions, milliards, pardon, globalement, au ministère. Moi, il faut que je trouve, on n'est pas loin de 50 milliards, plus d'autres dépenses de compensation de fiscalité. C'est énorme. Et si l'Etat doit verser plus de 50 milliards, il le verse comment ? En allant chercher un emprunt.
GUILLAUME DURAND
Donc vous nous dites ce matin que les programmes, dans ce domaine, de la droite, sont irréalistes.
MARYLISE LEBRANCHU
Je trouve que la droite n'est pas juste de dire « faites 150 milliards » et quand on propose 11 milliards sur…
GUILLAUME DURAND
Ça c'est FILLON, JUPPE c'est 100.
MARYLISE LEBRANCHU
100 milliards, disons, et quand on propose 11 milliards sur les collectivités locales, si vous aviez été là au Sénat, c'était une bronca et une attaque extrêmement violente contre ces dotations, qui baissent, alors…
GUILLAUME DURAND
Question, pardonnez-moi de vous interrompre, mais elles sont nombreuses ce matin. On a l'impression, quand même, dans la préparation de cette conférence de presse, encore une fois je ne vous demande pas de l'anticiper, que quand même l'une des stratégies de François HOLLANDE ça va être un peu de contourner, même s'il ne contournera pas les questions sur le chômage, mais de contourner ce cancer qui finalement est quand même la plaie de son quinquennat.
MARYLISE LEBRANCHU
Ce n'est pas la plaie de son quinquennat depuis deux ans et demi, c'est la plaie de la France depuis plusieurs années.
GUILLAUME DURAND
Bien sûr. Non mais je parle d'un point de vue politique.
MARYLISE LEBRANCHU
C'est une plaie politique, vous avez raison, j'admets votre phrase, d'ailleurs elle est ressentie comme telle souvent. Qu'est-ce que nous, nous essayons de faire ? Remettre de la politique…
GUILLAUME DURAND
Pas de croissance, des déficits et le chômage toujours au taquet.
MARYLISE LEBRANCHU
Remettre de la politique industrielle au coeur. Je m'occupe actuellement de réorganiser le développement économique en France. Pourquoi ? Parce qu'il y a 6 000 aides possibles aux entreprises, or ça ne marche pas. Donc efficacité, les régions avec un rôle fort de stratégie industrielle de choix, de recherche développement, d'aide…
GUILLAUME DURAND
Mais il n'y a pas de signe, madame, REBSAMEN a encore dit récemment : « D'ici la fin du quinquennat, il faut qu'on repasse en dessous de la barre des trois millions », mais il ne se passe rien, on est passé à 3 millions, il y en a 5,2 millions à Pôle emploi.
MARYLISE LEBRANCHU
Monsieur DURAND, ce n'est pas parce qu'il n'y a pas de signe, qu'il faut travailler tous les jours. Si je vous écoute, moi je m'en vais, je ne vais plus rien.
GUILLAUME DURAND
Mais moi aussi je travaille le matin, il faut avoir des résultats, si l'audience baisse, au revoir DURAND, si le chômage continue à monter, au revoir la gauche.
MARYLISE LEBRANCHU
Si je ne réussis pas la réforme territoriale, « au revoir » à moi-même mais ce n'est pas le sujet. Ce n'est pas moi qui compte. Je veux dire, tous les jours on avance avec des textes qui sont durs à faire mais on va y arriver. Par exemple, moins de dépenses publiques pour les collectivités locales mais plus d'efficacité pour nos entrepreneurs. On va y arriver. Seulement effectivement, c'est long, c'est difficile. Je pense aussi que la mobilisation de tous n'a pas forcément été au rendez-vous. Il y a tout un climat.
GUILLAUME DURAND
C'est le patronat ?
MARYLISE LEBRANCHU
Il y a des négociations de branche qui pourraient avancer un peu plus vite, mais ça François REBSAMEN l'a largement développé. Mais il y a un climat dans ce pays qui n'était pas au rendez-vous. Je pense aujourd'hui qu'avec les réformes qui sont faites, malheureusement nous n'avons pas eu les accords des partenaires sociaux que nous souhaitions mais il ne faut jamais être démoralisé, ça peut arriver, avec tout ça je pense qu'on va repartir à une condition : c'est que tout le monde tire dans le même sens. Les collectivités territoriales, nos fonctionnaires, tout le monde tire dans le même sens et qu'on recrée un climat de confiance. Il faut passer d'un climat de défiance à un climat de confiance, c'est ça nos objectifs dans tous les secteurs.
GUILLAUME DURAND
On a considéré pendant longtemps que François HOLLANDE avait un statut, celui de président de la République, mais aucune stature. Est-ce que vous pensez que depuis les événements du 7 janvier – alors c'est épouvantable de considérer qu'un drame devienne une aubaine politique – mais en fait, c'est la réalité.
MARYLISE LEBRANCHU
Il a montré que quand la période est extrêmement violente, il est là. Il est là, il était là avec les mots, il était là avec l'action, il était là comme il fallait. Le seul petit regret que je puisse avoir, c'est qu'avant, lorsqu'il a pris en main la lutte contre le terrorisme au Mali, lorsqu'il était un grand négociateur européen et mondial, peut-être qu'on ne le voyait pas suffisamment. C'était le même François HOLLANDE qui avait une stature internationale qu'on ne voyait pas et c'est malheureusement à l'aune d'un drame terrible qu'on a découvert qui est vraiment le président de la République : un homme d'Etat.
GUILLAUME DURAND
Est-ce que vous considérez que l'UMP a fait une faute politique en n'adoptant pas le front républicain ? Parce que ce qui est bizarre, c'est qu'on a vu les péripéties qui se sont passées, mais du coup l'UMP dans le Doubs, eux, ils ne sont pas du tout maintenant sur la position qui a été décidée nationalement. C'est-à-dire que les responsables de l'UMP dans le Doubs sont plutôt portés à voter socialiste contre le Front national.
MARYLISE LEBRANCHU
Je ne vais pas vous donner la réponse de la ministre mais la réponse d'une citoyenne. Je pense que les périodes – et celles que nous vivons avec un danger partout – il faut faire très attention à passer un message clair à une population qui est de lui dire que la solution n'est pas l'extrémisme. Parce que l'extrémisme conduit toujours à l'opposition des uns contre les autres et peut aggraver les fractures. Je pense que ça, c'est la grande responsabilité d'un parti politique.
GUILLAUME DURAND
Et donc il y aurait une faute du côté de l'UMP ? Parce qu'eux vous accusent d'avoir fait monter le Front national depuis des années, depuis François MITTERRAND.
MARYLISE LEBRANCHU
C'est facile, c'est facile. Là, on est dans une situation difficile, fracture sociale. Qu'est-ce qu'on dit ? Quel message on fait passer à des citoyens sinon que l'extrême n'a jamais été la réponse à une situation complexe. Jamais.
GUILLAUME DURAND
Marylise LEBRANCHU était notre invitée ce matin à quelques heures de la conférence de presse du président de la République. Merci à vous, bonne journée.
MARYLISE LEBRANCHU
MERCI.Source : Service d'information du Gouvernement, le 11 février 2015