Interview de M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, à "Europe 1" le 2 février 2015, sur le dialogue de la France avec la nouvelle équipe gouvernementale en Grèce, sur l'élection législative partielle dans le Doubs.

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Média : Europe 1

Texte intégral

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Bienvenu Michel SAPIN, bonjour.
MICHEL SAPIN
Re-bonjour.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous avez reçu hier le ministre grec Yanis VAROUFAKIS ; c'était son premier entretien avec des dirigeants de l'Europe. Est-ce que vous lui avez dit : « Qui paye ses dettes s'enrichit » ?
MICHEL SAPIN
Il n'y a pas que la dette. On va parler de la dette mais il n'y a pas que la dette. Ce n'est pas ça le seul vrai problème grec. Le problème, c'est que la Grèce a perdu 25 % de sa richesse en cinq ans, que tout le monde s'est appauvri, que les gens ont moins d'argent, ont moins de salaire, moins de pension.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
La faute à qui ?
MICHEL SAPIN
D'abord la faute à la Grèce et au gouvernement précédent qui ne s'étaient pas réformés.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Tous les gouvernements.
MICHEL SAPIN
Oui, tous les gouvernements précédents qui ne s'étaient pas réformés et qui n'avaient pas fait les efforts nécessaires. Ce qui est très important et qu'il faut que la Grèce comprenne, c'est que ce qu'il faut c'est du mouvement, il faut qu'elle s'adapte. Elle s'adapte avec une nouvelle majorité qui a pris des engagements. Il est bien naturel qu'une nouvelle majorité veuille respecter ces engagements mais il faut se réformer, il faut se moderniser.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous lui avez dit : « Pas question d'annuler la dette » ; ça veut dire qu'on n'escamote pas la dette grecque.
MICHEL SAPIN
La dette grecque, contrairement à ce que certains en France disent en croyant pouvoir parler pour les Grecs, ce n'est pas une dette vis-à-vis des marchés financiers. Ce n'est pas une dette vis-à-vis des banquiers, des méchants banquiers, des méchants financiers ; ce n'est pas une dette de la finance internationale, pour reprendre un terme ; c'est une dette principalement due à ceux qui sont venus au secours de la Grèce, c'est-à-dire la Banque centrale européenne. La Banque centrale européenne, c'est nous. C'est l'Union européenne mais l'Union européenne, c'est nous. C'est le Fonds monétaire international, mais au bout du compte le Fonds monétaire international, c'est nous.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Quand vous dites « c'est nous », c'est les gouvernements ou les contribuables ?
MICHEL SAPIN
Le gouvernement et donc les contribuables.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et donc les citoyens.
MICHEL SAPIN
Ce n'est pas l'argent de chacun des ministres, c'est les citoyens. Quand on dit « la dette grecque », c'est ce qui est dû à chaque contribuable européen. Il me paraît légitime et normal que tous les gouvernements dont nous, dont moi, disions qu'il n'est pas question de transférer le poids de la dette grecque du contribuable grec au contribuable français, au contribuable allemand ou au contribuable espagnol.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais pourquoi avez-vous dit alors : « Cette dette est un sujet parmi d'autres » ? 320 milliards, un sujet parmi d'autres alors que ça nous concerne ; et si l'Espagne, le Portugal, l'Italie et peut-être même la France disaient : « Il y a des dettes et des déficits, c'est un sujet parmi d'autres », qu'est-ce qu'on dirait ?
MICHEL SAPIN
Mais parce que ce n'est pas du tout de même nature. 175 % de dette par rapport à la richesse nationale, il n'y a que la Grèce qui est dans une situation comme celle-ci. Il y a donc une situation très particulière en Grèce qui fait d'ailleurs que c'est peu supportable pour la Grèce. Il est donc normal d'en parler parce que rembourser cette dette est une chose. Il faudra rembourser la dette mais les modalités de remboursement en sont une autre et il est normal qu'on puisse en discuter.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Comment allez-vous faire ?
MICHEL SAPIN
Ce sont des discussions qui sont techniques, de toute l'Europe. Puisque ceci est dû à toute l'Europe, c'est donc toute l'Europe et en particulier la zone euro, ceux qui ont en commun la monnaie européenne, de parler avec la Grèce pour trouver des solutions. J'ai dit « un sujet parmi d'autres » parce que – voulez-vous que je prenne un exemple ? Nous demandons, l'Europe, les gouvernements européens, demandent à la Grèce de mettre en place une administration fiscale efficace, qui fasse que chacun paye ses impôts en Grèce, ce qui est quand même la moindre des choses.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
L'église, les corrupteurs, les corrompus.
MICHEL SAPIN
Que chacun paye l'impôt en Grèce.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Les citoyens, les armateurs, et cætera. Enfin ! Et quand vous le lui avez dit, que vous-a-t-il répondu ? « Bien sûr » ?
MICHEL SAPIN
Non, pas « bien sûr ». Il m'a dit : « C'est le sujet principal de nos réformes. C'est l'objet principal de notre programme ».
JEAN-PIERRE ELKABBACH
La Grèce doit commencer elle-même, chez elle.
MICHEL SAPIN
Bien sûr. Et je lui ai dit : « Là, nous t'appuyons. Nous sommes avec toi, nous sommes avec vous pour faire en sorte qu'enfin en Grèce chacun paye l'impôt ». Ce qui n'était pas le cas précédemment.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
D'ici là, monsieur TSÍPRAS va appliquer ses promesses électorales de douze milliards de programmes. Qui va les payer ? L'Europe ? Puisqu'il n'a pas de sous.
MICHEL SAPIN
Non, évidemment. Là, c'est la responsabilité du gouvernement d'aujourd'hui. Que ce gouvernement dise : « Je vais faire rentrer plus d'argent parce que je vais faire en sorte que les Grecs, et en particulier les Grecs les plus riches, payent l'impôt qui est dû », à ce moment-là ça fait une recette supplémentaire. S'il veut utiliser cette recette pour des dépenses nouvelles, voilà une manière de faire qui est sérieuse et raisonnable. S'il s'agissait - et je le lui ai dit et nous le lui disons tous - de creuser le déficit en Grèce, ce ne serait pas raisonnable. Ce ne serait pas possible.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Fin février, l'Europe devait verser sept milliards au gouvernement grec.
MICHEL SAPIN
Non, ce n'est pas fin février. C'est un peu plus tard, c'est fin juin. Restons sur le principe.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
D'accord, sur le principe. Monsieur VAROUFAKIS a dit : « On n'a pas besoin ». Il le prétend mais en réalité, il les veut. ?
MICHEL SAPIN
Ce qui est intéressant dans la manière, c'est qu'il dit : « Je ne veux pas comme ça aller quémander de l'argent sans que j'ai raisonnablement remis de l'ordre en Grèce ».
JEAN-PIERRE ELKABBACH
On va les lui offrir.
MICHEL SAPIN
Non. Ce n'est pas "offrir? parce que justement, c'est tout le débat.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Attribuer, accorder.
MICHEL SAPIN
Ce n'est pas « attribuer », c'est tout le débat. Ce n'est pas « accorder », c'est tout le débat. Il faut que ce soit en fonction d'un programme, d'un projet, d'une manière d'être pour l'avenir. Ce n'est pas sept milliards pour trois jours, c'est sept milliards pour des années. J'en reviens à ce que je disais au début, c'est donc faire en sorte à ce que la Grèce se réforme, que cette Grèce soit plus compétitive, que ses entreprises soient capables de tenir le coup par rapport à la concurrence internationale. Ce sont des discours que nous nous tenons à nous-mêmes aussi mais que la Grèce a absolument besoin de tenir.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais ça, c'est loin avant de le réaliser.
MICHEL SAPIN
Non, ce n'est pas loin parce que c'est dès maintenant que les décisions se prennent.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce que vous lui avez demandé comme monsieur Martin SCHULZ, et à TSÍPRAS aussi, d'arrêter de critiquer la chancelière MERKEL et de dénigrer l'Allemagne ? Est-ce que vous le demandez vous aussi aux Grecs ? Parce qu'ils ont commencé par taper sur l'Allemagne.
MICHEL SAPIN
Ce que je lui ai dit, c'est que premièrement, la France pouvait être un partenaire particulier pour la Grèce pour des tas de raisons, immédiatement c'est l'Histoire qui revient. C'est l'amitié entre le peuple grec et le peuple français, c'est le XIXème siècle, c'est la révolution grecque. Bref ! Nous sommes culturellement et historiquement un partenaire particulier, donc nous sommes prêts à accompagner. Mais accompagner à quoi ? Accompagner à la reprise du dialogue avec tous. Le dialogue avec la Banque centrale européenne indispensable pour passer les prochains jours et ce sera fait.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc il va le faire ?
MICHEL SAPIN
Il va le faire sérieusement, précisément pour permettre à la Banque centrale européenne d'importer les liquidités qui sont nécessaires au bon fonctionnement quotidien de l'économie. Je lui ai dit : « Il faut dialoguer avec l'Union européenne et surtout avec les membres de l'euro ». Parmi ceux-là, il y a l'Allemagne, il faut donc dialoguer avec l'Allemagne. Vous avez remarqué que dès hier soir, à la conférence de presse qui a suivi nos travaux, il a annoncé sa volonté et son désir d'aller rencontrer le ministre des Finances allemand, ce qui est la moindre des choses en Europe.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce que c'est vrai que c'est vous qui étiez le contact ? Vous pouvez dire oui ou non.
MICHEL SAPIN
Quand on est prêt à accompagner et qu'on le fait en ami, on est prêt aussi à donner des conseils. C'est ce que j'ai fait.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Un mot. Après-demain à Paris, François HOLLANDE va recevoir monsieur TSÍPRAS. Qu'attendez-vous de lui ? Qu'il comprenne les réalités ?
MICHEL SAPIN
Comprendre les réalités ne veut pas dire ne pas vouloir les changer. Je dirais même que comprendre les réalités, c'est le meilleur moyen de les changer et c'est ce discours réaliste et volontariste qui sera certainement tenu par François HOLLANDE.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
En tout cas, l'Europe est à un tournant et un vrai tournant. Une remarque pour le conseiller, on n'est pas au bout des paradoxes. Le gouvernement de gauche radicale a choisi la même banque que les conservateurs d'avant, la banque Lazard avec Matthieu PIGASSE.
MICHEL SAPIN
Oui, c'est son choix. Je lui ai dit d'ailleurs hier que le gouvernement français était prêt à le conseille aussi et que ce serait gratuit.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
(rires) Et il a choisi la banque Lazard !
MICHEL SAPIN
Mais il peut prendre les deux.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il préfère les capitalistes ! Michel SAPIN, dans le Doubs un face à face Front national-Parti socialiste. Dans une circonscription à gauche par tradition, le parti de Marine LE PEN attend un score élevé. Comment vous l'expliquez ?
MICHEL SAPIN
Par la désespérance, par la difficulté, par ce que ressentent dans une circonscription aussi ouvrière les plus en difficulté des Français mais aussi par une très grande abstention.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
65 % d'abstention.
MICHEL SAPIN
Le vote du Front national s'est exprimé. Ils sont venus se déplacer, d'autres ne se sont pas déplacés et c'est pour ça qu'il est fondamental que dimanche prochain tous les républicains de tous les bords, comme dirait quelqu'un, viennent voter, se déplacent, viennent voter sans politicaillerie, sans chicanerie, mais viennent simplement exprimer l'unité nationale, un peu de même nature que celle qui s'est exprimée contre les assassins de Charlie Hebdo.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ça veut dire que c'est de l'UMP que dépend la victoire du Parti socialiste. Vous voulez qu'elle vous aide à gagner.
MICHEL SAPIN
Non. L'UMP aura ses débats, l'UMP aura ses contradictions. Je laisse l'UMP à ses contradictions. Les électeurs – les électeurs, ce n'est pas l'UMP – ils ont pu voter UMP. C'est ces électeurs-là qui sont devant leurs responsabilités et je suis persuadé que ces électeurs qui ont voté, et surtout qu'ils n'aient pas voté, au premier tour viendront pour signifier clairement quels sont les principes républicains.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Le Front national a absorbé une partie de l'électorat ouvrier qui venait normalement de la gauche.
MICHEL SAPIN
Mais peut-être en a-t-il absorbé aussi qui venait de l'UMP. Dans ce cas-là, on ne sait pas très bien.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Demain, le président de l'UMP Nicolas SARKOZY dira le choix de l'opposition UMP. S'il laisse aux électeurs la liberté de vote, pas « ni, ni » mais « vous faites ce que vous voulez », pas de consigne de vote, liberté de vote, qu'est-ce que vous diriez ?
MICHEL SAPIN
Chacun en pensera ce qu'il voudra. Moi ce qui m'intéresse, c'est quand j'entends l'UDI qui soutenait le candidat de l'UMP dire : « Il faut voter PS », quand j'entends tel ou tel responsable de l'UMP…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous les préférez à l'UMP ?
MICHEL SAPIN
Non, mais je vois bien des individus, des personnes qui sont face à leur conscience et quand on est face à sa conscience, dans ce cas-là il n'y a pas une hésitation à avoir. D'autres peuvent avoir des sortes de pudeur politicienne, je les comprends, ça arrive à tout le monde, mais si chacun vote en conscience, il vote PS.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
D'autant plus qu'aux départementales, ça risque de se renouveler avec le Front national en tête.
MICHEL SAPIN
Disons que c'est un test pour plus tard. Ce test-là doit être le rassemblement des républicains au deuxième tour.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Merci Michel SAPIN.
MICHEL SAPIN
Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 10 février 2015