Texte intégral
LEA SALAME
Bonjour Laurent FABIUS.
LAURENT FABIUS
Bonjour.
LEA SALAME
Vous partez dans 3 heures à Minsk avec François HOLLANDE et Angela MERKEL pour un sommet crucial. Si un accord de paix n'est pas arraché ce soir à Vladimir POUTINE, est-ce excessif de dire que la seule alternative ça sera la guerre ?
LAURENT FABIUS
Il y a un risque de guerre, c'est vrai, à 3 heures d'avion de Paris. Il doit y avoir ce matin, tôt, un contact entre le président français et la chancelière, et à partir du point des négociations, on va décider ou non d'aller à Minsk, mais je pense que la décision sera prise d'y aller.
LEA SALAME
C'est-à-dire à l'heure où nous parlons, à 7H48, vous n'êtes pas sûr d'aller à Minsk rencontrer POUTINE ?
LAURENT FABIUS
C'est très très probable, mais il faut d'abord faire le point, les négociations ont fait leur travail, hier soir, donc on a un état de la négociation, et il y a encore pas mal de problèmes qui restent à régler. Mais je pense que la décision sera prise dans ce sens. Et, effectivement, les conversations qu'on va avoir à partir de la fin de l'après-midi, vont être tout à fait décisives.
LEA SALAME
Donc ce n'est pas un énième sommet ? S'il n'y a pas un accord, ce soir, arraché, il n'y aura pas un nouveau sommet et un nouveau sommet ?
LAURENT FABIUS
Non, mais il y a deux objectifs. Le premier objectif c'est évidemment d'obtenir un accord, on va peut-être revenir sur un certain nombre des termes de l'accord, mais le deuxième objectif c'est que cet accord ne soit pas simplement un accord de papier, mais qu'il soit traduit sur le terrain. Parce que, vous vous rappelez peut-être qu'en septembre dernier il y avait eu un accord à Minsk, mais sur le terrain il n'a pas été respecté, donc il faut les deux choses.
LEA SALAME
Alors, accepter une autonomie de l'Est de l'Ukraine, n'est-ce pas le début de la partition du pays ?
LAURENT FABIUS
Il y a deux ou trois grands problèmes qui restent non résolus. Le premier c'est celui que vous dites, que deviennent les provinces de l'Est ? Le gouvernement ukrainien accepte une décentralisation, qui est absolument légitime, les séparatistes et les Russes voudraient aller plus loin. Donc ça, c'est un objet de discussion.
LEA SALAME
Qu'est-ce que vous dites, vous ?
LAURENT FABIUS
Nous on essaye de trouver une médiation, c'est le rôle de la France. La France, là-dedans, est une puissance de paix. Il faut que l'intégrité de l'Ukraine soit préservée, mais il faut en même temps que les gens de l'Est puissent parler russe, bien sûr, et puissent avoir un certain degré de décentralisation, d'autonomie. Ça c'est le premier problème, qui n'est pas encore réglé au moment où nous parlons. Il y a un deuxième problème qui est extrêmement important, c'est la garantie de la frontière.
LEA SALAME
Voilà, qui surveillera la frontière.
LAURENT FABIUS
Non seulement qui surveillera la frontière, mais comment elle va être respectée. Et là, les Russes, pour le moment, mettent toute une série de conditions, alors que les Ukrainiens disent « eh bien écoutez, si vous reconnaissez l'intégrité de notre territoire, il faut que la frontière puisse être garantie, en particulier par l'OSCE. » Et là, non plus, on n'a pas encore débouché. Et puis il y a les questions qui concernent le cessez-le-feu, il y a les questions qui concernent
LEA SALAME
Les armes.
LAURENT FABIUS
Le recul des armes lourdes, d'autres questions, sur l'amnistie, sur l'échange des prisonniers, etc. Donc, c'est une négociation extrêmement lourde, mais je pense, pour répondre à votre première question, que c'est vraiment une négociation de la dernière chance, et à la fois le président français, et la chancelière allemande, ont vraiment, à mon avis, fait une oeuvre utile, en relançant la discussion, sinon on allait de plus en plus vers la guerre.
LEA SALAME
Laurent FABIUS, est-ce que vous avez confiance en Vladimir POUTINE ?
LAURENT FABIUS
Le problème n'est pas d'avoir confiance psychologiquement. Moi j'ai retenu les leçons de François MITTERRAND qui me disait toujours « la question, dans une négociation, ce n'est pas d'avoir confiance dans son interlocuteur, c'est de faire en sorte qu'il ne puisse pas vous tromper. » Voilà. Donc il faut se placer sur un terrain objectif et pas sur le terrain psychologique.
LEA SALAME
Alors justement, est-ce que vous pensez que POUTINE peut vous tromper, est-ce qu'il l'a montré par le passé ?
LAURENT FABIUS
Oui, mais ce serait pour lui extrêmement coûteux. C'est vrai que les sanctions qu'on a prises coûtent, nous coûtent, mais lui coûtent encore plus. La situation économique de la Russie est actuellement désastreuse, et, évidemment, sur le plan du crédit international, il y a eu beaucoup de reculs envers la Russie. Donc, il y a un coût très très lourd.
LEA SALAME
Oui, il y a un coût qui est lourd pour POUTINE, mais manifestement il continue dans sa stratégie, puisqu'il a réussi son fait accompli en Géorgie, il a réussi son fait accompli en Crimée, il est en train de réussir son fait accompli en Ukraine de l'Est.
LAURENT FABIUS
Nous espérons que non, nous travaillons pour que ça ne soit pas le cas.
LEA SALAME
Il y a un sujet qui ne sera pas abordé aujourd'hui, c'est la Crimée. Pourquoi ce silence sur la Crimée, est-ce que ça veut dire que vous acceptez le fait accompli de POUTINE ?
LAURENT FABIUS
Non. Juridiquement, nous nous sommes tous mis d'accord pour dire que nous ne reconnaissions pas le fait accompli, et donc ça a toute une série de conséquences juridiques, financières, et autres. Mais c'est vrai, si on est réaliste, que récupérer, si je peux dire, la Crimée dans l'Ukraine, et encore plus par la force, ce n'est pas envisagé.
LEA SALAME
POUTINE n'hésite pas à armer ses amis, en Ukraine ou ailleurs d'ailleurs, pourquoi vous n'armez pas les vôtres ?
LAURENT FABIUS
Parce que nous pensons que, armer, surarmer, ce n'est pas une solution dans le cas de l'Ukraine, nous pensons que la solution doit être politique. Nous sommes pour trouver une solution diplomatique et politique. Hier, vous lavez peut-être vue la déclaration de mon homologue britannique, qui a dit « c'est à chaque pays d'Europe d'armer ou de ne pas armer. » En ce qui nous concerne, ce n'est pas dans nos plans.
LEA SALAME
Pour rassurer POUTINE, les Américains doivent-ils dire clairement « on n'armera pas les Ukrainiens » ?
LAURENT FABIUS
Le problème principal qui est posé, à mon avis, ce n'est pas la question de l'armement, c'est la question de l'OTAN.
LEA SALAME
Alors justement, les Américains doivent-ils dire clairement que l'avenir de l'Ukraine n'est pas dans l'OTAN ?
LAURENT FABIUS
Les Américains diront ce qu'ils souhaitent dire. Je me rappelle que nous avons eu un sommet de l'OTAN il y a quelques mois et, à cette époque, il y avait eu une discussion avec le président OBAMA qui avait dit « non, ce n'est pas » En ce qui nous concerne, les Américains feront ce qu'ils veulent faire, mais en ce qui nous concerne, nous avons dit, et nous avons répété que ce n'est pas notre idée que l'Ukraine entre dans l'OTAN. Je précise bien sûr que, entrer dans l'OTAN ce n'est pas un geste anodin, à partir du moment où un pays entre dans l'OTAN, est accepté dans l'OTAN, il y a un article 5, du traité d'Alliance Atlantique, qui dit que s'il y a une attaque contre ce pays, les autres pays doivent se porter à son secours, ce qui signifierait évidemment qu'en particulier la question de la géographie de l'Ukraine soit parfaitement claire.
LEA SALAME
Pourquoi est-ce qu'on a l'impression que l'avenir de l'Ukraine se joue beaucoup à Moscou, beaucoup à Washington, et si peu en Europe ?
LAURENT FABIUS
Là je pense que vous êtes injuste, l'initiative qui a été prise par Angela MERKEL et François HOLLANDE fait que c'est l'Europe, en tout cas ces deux pays, qui est à l'initiative.
LEA SALAME
C'est un plan européen que vous amenez, ou c'est un plan américain ?
LAURENT FABIUS
Non, non, c'est un plan franco-allemand.
LEA SALAME
Il y a un autre sommet important aujourd'hui
LAURENT FABIUS
Je vous précise, parce qu'il faut que nos auditeurs soient parfaitement au courant, que le président OBAMA n'est pas à la table des négociations cet après-midi.
LEA SALAME
Oui, oui, c'est ce qu'on a compris.
LAURENT FABIUS
D'accord.
LEA SALAME
Il y a un autre sommet important aujourd'hui, c'est le sommet des ministres des Finances de l'Union européenne, sur la Grèce. En vous montrant aussi intransigeant, aussi ferme, à l'égard d'Alexis TSIPRAS, est-ce que justement vous ne craignez pas de le jeter dans les bras de POUTINE ?
LAURENT FABIUS
Non. C'est vrai que les bon, la Grèce, traditionnellement, a des liens avec la Russie, et là il y a eu un certain nombre de déclarations, mais on prend les choses sur le plan économique. Sur le plan économique, c'est vrai qu'il y a une grande difficulté, c'est que d'un côté les électeurs grecs ils ont voté pour qu'il y ait un changement radical, et de l'autre la Grèce a pris des engagements, en particulier des engagements en termes d'endettement. Et donc, il faut que nos collègues ministre des Finances trouvent un chemin, il faut à la fois que la Grèce puisse retrouver une certaine croissance, mais en même temps on ne peut pas annuler les dettes, car, comme ça a été dit, si on annulait les dettes, ça veut dire que ce sont les Français, les Allemands et les autres, qui paieraient.
LEA SALAME
Hier, Laurent FABIUS, à votre place il y avait Matthieu PIGASSE, conseiller du gouvernement grec de TSIPRAS, il a affirmé « en imposant une cure d'austérité insupportable à la Grèce, la troïka eu tout faux. »
LAURENT FABIUS
Ecoutez, je ne sais pas. Là, Matthieu PIGASSE, qui a été dans un autre temps mon collaborateur, travaille comme expert de la Banque LAZARD, et il en est même le directeur, donc je ne vais pas me prononcer par rapport à ses estimations. Ce que je crois, c'est qu'il était normal qu'il y ait des réformes en Grèce, et elles restent à faire pour une part, mais en même temps si on donne à un pays, quel qu'il soit, comme seul objectif, l'austérité - je rappelle qu'un certain nombre de Grecs ont vu leur revenu diminuer de 50 %, donc ça n'a rien à voir avec d'autres situations si le seul objectif c'est l'austérité, il ne faut pas s'étonner ensuite que les gens se révoltent.
LEA SALAME
Laurent FABIUS était notre invité. Merci à vous
LAURENT FABIUS
Merci beaucoup.
LEA SALAME
Monsieur le ministre d'avoir été là ce matin. Belle journée, j'ai envie de vous dire, bonne négociation surtout.
LAURENT FABIUS
Oui, j'espère qu'elle va être réussie parce que c'est la paix qui est en cause.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 13 février 2015