Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur la lutte contre le terrorisme et les relations franco-nigériennes, à Niamey le 22 février 2015.

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Circonstance : Déplacement au Tchad, au Cameroun et au Niger, les 21 et 22 février 2015

Texte intégral

Monsieur l'Ambassadeur,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Je suis heureux d'être ici avec vous. Je quitte à l'instant le président Issoufou et ses ministres qui m'ont très gentiment accueilli pour déjeuner.
J'ai décidé de consacré 48 heures, c'est à la fois peu et beaucoup dans un agenda, à rencontrer les responsables du Tchad - où je me trouvais hier matin pour un entretien avec le président Deby et voir quel était notre dispositif militaire - du Cameroun, pour rencontrer le président Biya. Enfin, je suis ici au Niger où j'ai rencontré le président Issoufou et où nous avons parlé de la situation - en particulier, puisque c'est le point central de notre déplacement - des problèmes liés à Boko Haram.
Il était tout à fait naturel, comme je l'ai fait d'ailleurs lors des deux étapes précédentes, que je puisse - même si c'est trop rapidement - m'adresser à vous.
Boko Haram est un problème considérable. On pourrait penser que c'est au Nigeria de le traiter. Et c'est vrai que le Nigeria a une responsabilité particulière. Mais pour différentes raisons, sur lesquelles il n'est pas utile d'insister, Boko Haram est non seulement dans le nord du Nigeria, qui est géographiquement très éloigné du sud où se trouve la capitale, ce qui concerne aussi malheureusement, par son extension, directement le Tchad, le Cameroun et le Niger. Les exactions commises par ce groupe, que j'appelle de faux religieux et de vrais criminels, sont telles qu'il était devenu absolument indispensable de réagir.
La France, la première au niveau de la communauté internationale, avait attiré l'attention sur la gravité du phénomène. C'était le 17 mai 2014 exactement, à Paris, lors d'un premier sommet africain à l'Élysée. Mais les choses ont mis du temps à se déclencher, et finalement ce n'est qu'il y a quelques semaines, pour ne pas dire quelques jours, que les Africains, collectivement, ont décidé de réagir. L'Union africaine a décidé de mettre une force sur pieds, et c'est ce que nous allons porter aux Nations unies, afin qu'elles lui donnent leur onction juridique et les moyens financiers pour se développer. C'est surtout de cela dont nous avons parlé au cours de cette tournée rapide.
Cela concerne évidemment le Niger pour des régions géographiques, mais pas seulement et nous avons trouvé l'affaire si importante que nous avons décidé d'affecter 50 hommes de l'opération Barkhane, pour appuyer leurs camarades Nigériens au niveau de Diffa. D'ailleurs hier, le président Issoufou s'est rendu sur place, et je pense que les choses se sont bien passées.
Nous sommes extrêmement attentifs à cette question de Boko Haram. D'abord parce que cette secte se livre à des exactions absolument épouvantables, mais aussi parce que c'est toute la stabilité de la sous-région, et même au-delà, qui est concernée. Ce sont non seulement le Nigeria, le Tchad, le Cameroun, le Niger, mais potentiellement la Centrafrique, le Soudan, avec des ramifications au Sahel et en Libye. Compte tenu de ce qu'est devenu aujourd'hui le terrorisme, les ramifications existent. Il faut que les Africains réagissent et aussi que la communauté internationale et, au premier rang, la France qui est évidemment l'amie au premier chef des Africains, se mobilise. C'est ce que nous faisons, et c'est ce que nous allons faire. C'est l'analyse sur laquelle nous sommes tombés d'accord avec le président Issoufou.
Alors, vous agissez dans ce contexte qui ne facilite pas les choses parce que cela peut inquiéter. Cela a des conséquences en termes de sécurité, et vous soumet à toute une série de contraintes que vous acceptez, bien sûr, puisque vous aimez ce pays, mais qui parfois sont lourdes à porter dans la vie quotidienne.
Et puis il y a d'autres événements qui s'ajoutent à cela. Il y a eu, bien sûr, les événements qui ont frappé Paris et, ensuite, les événements - d'une autre nature - qui ont frappé le Niger et qui peuvent vous inquiéter. J'en ai parlé de manière très franche avec le président Issoufou qui est, par sa formation, très proche de notre culture et qui comprend très bien tout cela. Il était à nos côtés pour la grande manifestation au mois de janvier ; mais en même temps, à la tête de ce pays, il n'a pas pu prévoir ce qu'il s'est produit. Il m'a dit des choses extrêmement positives sur le fait qu'il attachait une très grande importance - et ce n'était pas des mots prononcés en l'air - à la communauté française, à l'amitié avec la France, et je n'ai aucun doute sur sa sincérité et son engagement.
Mais en même temps, beaucoup d'entre vous ont été inquiétés par ces faits. Il y a eu des destructions, des menaces et cela nous rend extrêmement attentifs. C'est quelque chose qu'il ne faut pas exagérer, mais qui reste présent dans notre esprit. Alors quand je dis «vous», c'est la communauté française dans sa diversité :
- Il y a des hommes et des femmes qui, soit sont venus pour peu de temps, soit qui pensaient venir pour peu de temps et qui ont fait leur vie ici.
- Il y a tous ceux qui travaillent pour l'État, je voulais en particulier saluer les personnels de l'éducation nationale, parce que je sais qu'ils font un travail remarquable.
- J'y adjoins tous ceux qui travaillent dans le secteur culturel et je veux saluer le courage dont ont fait preuve, en particulier, nos amis du Centre culturel de Zinder.
- Il y a les responsables d'entreprises, des responsables économiques. Vous aimez ce pays, c'est un beau pays, très proche de nous. En même temps, ce n'est pas toujours facile sur un plan économique parce qu'il y a les réalités que l'on connait sur le plan fiscal, sur le plan de la réglementation. Et puis se surajoute - dans un pays qui a à faire face à un effort militaire très important - les difficultés de la vie quotidienne. Mais je sais que vous êtes actifs et nous vous en remercions.
- Il y a nos amis militaires qui sont unanimement salués. Le général m'a accompagné au cours de ce périple - d'ailleurs deux généraux - en fonction des lieux où je me trouvais. Tout le monde reconnaît que la France, dans ce domaine, fait un travail extrêmement efficace, courageux et remarquable.
- Et puis il y a, plus largement, la communauté française, au-delà de ces catégories que j'ai vite définies, les personnels de l'ambassade et tous ceux qui, à un titre ou à un autre, sont avec nous.
Le message que je veux vous faire passer est un message simple :
- Premièrement, nous aimons ce pays. Ce pays est un beau pays qui est en difficulté, qui n'est pas un pays riche, qui est entouré de toute une série de conflits potentiels ou réels : le Mali, la Libye, le Nigeria. Quand vous êtes aux responsabilités, évidemment, vous ne pouvez pas réagir avec démagogie et ne pas tenir compte des difficultés. Mais nous, nous aimons ce pays, nous y tenons, nous en sommes proches et nous avons bien l'intention de continuer à appuyer nos amis nigériens. Il faut que les Nigériens le sachent.
- Alors je sais qu'il y a une jeunesse qui, parfois, n'a pas eu cette formation et qu'il y a des difficultés de toutes sortes qui font que la population - ajoutez-y les problèmes religieux - réagit parfois d'une façon qui n'est pas celle que nous souhaiterions mais, fondamentalement, nous sommes aux côtés du Niger. Et nous n'avons absolument pas l'attention de laisser ça de côté, indépendamment même des intérêts que nous y avons, je pense à Areva ou à d'autres éléments.
Je pense que du côté des Nigériens, en particulier des responsables nigériens, il y a une vraie proximité avec la France. Quand vous entendez parler, dans l'intimité, le président Issoufou ou mon collègue et ami, M. Bazoum, le ministre d'État qui s'occupe des Affaires étrangères, ce sont des hommes qui sont extrêmement proches de notre culture, dans le bon sens du terme, et en même temps, qui se sont engagés pour le bien de leur pays. Et puis, le Niger a un rôle de stabilisateur sur l'ensemble de ce continent magnifique qu'est l'Afrique. Donc il n'est pas question d'oublier ce rôle.
Je ne vais pas être long. Je voudrais juste ajouter un mot, et j'espère que l'ambassadeur, j'en suis sûr, ne le prendra pas mal : vous êtes, Monsieur l'Ambassadeur, notre seul ambassadeur, je tiens à vous le confirmer ; mais d'une manière particulière, ce n'est pas tout à fait exact, car toutes les personnes qui sont là, sont aussi des ambassadeurs de France. Quand vous agissez - et parfois c'est un poids sur vos épaules - c'est, d'une certaine manière, la France qui est regardée. Cela vous donne une responsabilité particulière, mais après tout, la responsabilité, c'est ce qui donne le sel de la vie.
Je sais que vous aimez ce pays, qui est extrêmement attachant. Je sais que vous en connaissez les difficultés, mais par rapport aux difficultés, pas plus vous que nous, au gouvernement, n'avons l'intention de renoncer. Et de cela je veux vraiment, chaleureusement, vous remercier. Parce que, de tous les témoignages que j'ai eus, vous faites honneur aux valeurs que défend la France.
Donc merci de ce que vous faites et merci de ce que vous êtes.
Vive la République et vive la France !Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 février 2015