Entretien de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, avec RFI le 23 février 2015, sur la lutte contre le groupe terroriste Boko Haram et sur les relations franco-tchadiennes et franco-camerounaises.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

* Lutte contre le terrorisme - Boko Haram
Q - Laurent Fabius bonjour. En janvier 2013, la France est intervenue directement contre les djihadistes du nord Mali. Aujourd'hui, elle ne veut pas s'engager directement contre Boko Haram. Est-ce qu'il n'y pas deux poids, deux mesures ?
R - Les circonstances sont très différentes. Vous vous rappelez qu'en janvier 2013, la capitale Bamako allait tomber aux mains des terroristes. Il n'y avait plus d'État au Mali et c'est en désespoir de cause que le président de transition, M. Traoré, a appelé François Hollande en lui disant qu'il fallait intervenir demain matin sinon l'ensemble du pays sera aux mains des terroristes, et qu'il serait mort.
Q - Il vous a vraiment dit cela ?
R - Oui, il a dit cela au président Hollande. Là, les circonstances sont différentes. Boko Haram est un mouvement extrêmement dangereux mais il ne menace pas de prendre l'ensemble du Nigeria. De plus, il y a heureusement des États africains qui sont en train de se mobiliser pour lutter contre Boko Haram. Mais dans les deux cas la France est aux côtés des Africains.
Q - Va-t-on vers un renforcement du dispositif Barkhane et vers une réorientation du dispositif militaire qui était prévu, à l'origine, contre la menace djihadiste venue du sud Libye ?
R - Non, le dispositif Barkhane a été mis en place pour lutter contre le terrorisme dans la zone sahélo-saharienne. La menace Boko Haram, qui est différente puisqu'il s'agit du Nigeria, se précise, et à la demande du Niger nous avons retiré 50 hommes de «Barkhane» pour les mettre en positionnement au sud du Niger. Mais le dispositif Barkhane reste orienté dans sa destination première et il n'est pas question de le faire changer de destination.
Q - Pour soutenir la future force africaine anti-Boko Haram vous proposez un vote aux Nations unies et un vote des donateurs. Qu'est-ce qui vous garantit que les Américains, les Britanniques, ou les Allemands vont accepter de payer ?
R - C'est toujours la même difficulté. Ce qui m'a frappé dans ma tournée c'est la confirmation que Boko Haram représente un danger énorme par les exactions auxquelles ils se livrent et par l'importance de moyens lourds dont il dispose. Aussi l'Union africaine et les pays africains concernés ont pris une décision qui est excellente de dire : «nous pays africains, nous allons être rassemblés pour combattre Boko Haram» ; c'est ce que nous avons toujours souhaité.
L'un des traits de la position de la France c'est qu'elle peut aider mais ne peut pas se substituer aux Africains. Depuis très longtemps, nous avons souhaité que les Africains prennent leurs affaires en mains quand il s'agit de régler les conflits. C'est ce qui passe avec Boko Haram. Et il faut qu'il y ait les blancs-seings nécessaires dont celui en premier lieu de l'Union africaine qui sera suivi d'une résolution, en mars ou en avril, des Nations unies qui donnera une légitimité internationale incontestable et qui fournira de moyens financiers. Cela ne sera pas facile car tel ou tel pays se demandera si cette opération est bien préparée et quel en sera le coût.
Le rôle de la France, en liaison avec d'autres membres du conseil de sécurité - le Tchad et le Nigeria y siègent actuellement - sera de faciliter les choses et nous essaierons de convaincre les membres du conseil qu'il faut absolument une résolution sur le plan sécuritaire, et qu'il faudra l'accompagner d'une aide humanitaire - dans certaines zones la famine menace - et d'une aide au développement.
* Tchad
(...)
Q - À N'Djamena vous avez dit au président Déby que la France va plaider la cause du Tchad auprès du FMI et de la banque mondiale. Les dernières élections tchadiennes n'ont pas été un modèle de transparence, serez-vous attentif aux élections de l'année prochaine ?
R - En ce qui concerne la situation économique, il faut reconnaitre que le Tchad, sous la présidence d'Idriss Déby, est extrêmement courageux dans ses interventions. Ce sont de nombreux guerriers qui se battent bien dans de nombreux conflits, et ils jouent un rôle très utile. Cela a des conséquences sur les plans humain et économique. Le Tchad n'est pas un pays riche, il a un certain nombre de ressources, notamment pétrolières mais comme le prix du pétrole baisse, il a moins de ressources. En plus, il a un fort endettement, plus d'énormes dépenses pour les expéditions militaires. La France trouverait absolument légitime qu'il y ait des mécanismes pour l'aider sur le plan économique, et nous allons plaider dans ce sens. J'en aurai l'occasion très bientôt en contactant Mme Christine Lagarde, directrice générale du FMI, qui connaît bien la situation pour lui demander une aide sur le plan économique, étant donné que nous leur demandons énormément d'efforts sur le plan sécuritaire.
Sur le plan démocratique nous sommes attentifs à toutes les élections, mais nous ne pratiquons pas d'ingérence dans les affaires intérieures.
(...).
* Cameroun
(...)
Q - À Yaoundé, vous avez dit au président Biya que le président Hollande serait heureux de se rendre un jour au Cameroun. Mais il y eut des cas douloureux, il y en a toujours, comme le dossier Atangana et celui de Lydienne Yen-Eyoum, cette franco-camerounaise qui est emprisonnée depuis plusieurs années. L'avez-vous évoqué avec le chef d'État camerounais ?
R - J'adopte toujours la même attitude pour ces dossiers douloureux. Je ne fais pas de grandes proclamations publiques qui ne servent à rien et peuvent mettre les uns et les autres dans une situation de blocage, parce que cela remet en cause telle ou telle institution. En revanche, que ce soit le président de la République, le Premier ministre ou moi-même, chaque fois que nous nous déplaçons dans un pays nous abordons ces cas et nous essayons de faire en sorte qu'il soit traité d'une manière humaine et positive.
Sur la visite du président Hollande, c'est le souhait du président français et il n'a pas eu encore l'occasion de le faire. Je sais que président Biya, que nous avons reçu en visite officielle en France, serait très heureux de recevoir le président français et nous allons essayer de trouver dans le calendrier très serré du président Hollande des dates pour pouvoir se rendre au Cameroun.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 février 2015