Interview de M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports à France 2 le 5 mars 2015, sur la politique en faveur des jeunes dans les quartiers défavorisés et la mixité sociale dans les communes.

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Média : France 2

Texte intégral


JEFF WITTENBERG
Bonjour à tous, bonjour à vous Patrick KANNER.
PATRICK KANNER
Bonjour.
JEFF WITTENBERG
Si l'on en croit les ambitions de François HOLLANDE avant son élection - et il l'a rappelé d'ailleurs depuis qu'il est à l'Elysée – c'est vous qui êtes en charge du sujet le plus important selon lui du quinquennat, c'est-à-dire celui de la jeunesse, notamment la jeunesse dans les quartiers défavorisés, celle qui se sent souvent exclue. Alors demain justement, demain vendredi, vous allez proposer de nouvelles mesures pour l'égalité et la citoyenneté, celles qui avaient été promises après les attentats de janvier, est-ce que ce sera un énième plan pour les banlieues ?
PATRICK KANNER
Surtout pas ! Surtout pas, l'objectif c'est de partir de ce diagnostic que vous avez évoqué vous-même, à savoir d'une jeunesse qui aujourd'hui ne croit plus ou pas assez dans les mots de la République, pour qui les mots de liberté, égalité, fraternité n'ont pas beaucoup de sens au regard de leurs difficultés sociales et, donc, l'objectif de ce comité interministériel - que présidera Manuel VALLS en personne – c'est naturellement d'amener des solutions fortes de direction.
JEFF WITTENBERG
Alors, quelles sont-elles ?
PATRICK KANNER
Vous savez moi j'appelle ça des chantiers de reconquête : comment améliorer le peuplement pour qu'il y ait plus de diversité ? Comment améliorer l'égalité homme – femme ? Comment donner des perspectives économiques aux jeunes ? Donc, c'est ces questions-là qui seront traitées demain.
JEFF WITTENBERG
Monsieur KANNER, est-ce que vous pouvez nous expliquer justement ce que cela signifie cette politique de peuplement ? Est-ce que c'est imposé la mixité sociale dans des communes même qui n'en veulent pas, parfois qui sont prêtes à payer des amendes pour ne pas… même si elles ne construisent pas assez de logements sociaux ? Qu'est-ce que…
PATRICK KANNER
C'est en tout cas déjà faire appliquer la loi telle qu'elle est, la loi est dure mais c'est la loi, il y a des maires qui aujourd'hui portent l'écharpe tricolore qui en acceptent les droits mais qui n'acceptent pas les obligations et, moi, je le dis très simplement : la loi s'appliquera dans toute sa rigueur.
JEFF WITTENBERG
La loi 27 % des logements sociaux dans les villes…
PATRICK KANNER
C'est 25 % dans les villes de plus de 3.500 habitants. Aujourd'hui, pour être très clair, il y a 220 villes qui font de la résistance que j'appellerais antirépublicaine.
JEFF WITTENBERG
Alors, qu'est-ce que vous allez faire ?
PATRICK KANNER
Les préfets vont être mobilisés pour appliquer la loi et, s'il le faut, nous construirons à la place des maires parce que ceux-ci ne respectent pas leurs obligations. Vous savez la diversité sociale, la mixité sociale, elle se construit avec la bonne volonté des uns et des autres, si certains jouent à une forme d'égoïsme territorial, il faudra en tenir compte.
JEFF WITTENBERG
Ca veut dire qu'aujourd'hui les amendes ne suffisent plus ?
PATRICK KANNER
Exactement !
JEFF WITTENBERG
Donc vous allez obliger les maires à construire même si ces communes ne le veulent pas, vous allez saisir des terrains ?
PATRICK KANNER
On ne peut pas s'exonérer des devoirs de la République uniquement par des paiements d'amendes, il faut aller plus loin, et donc, s'il le faut – et la loi le permet aujourd'hui – eh bien les préfets pourront se saisir de terrains et construire à la place, faire construire à la place des maires.
JEFF WITTENBERG
Vous aviez dit après les attentats de janvier que vous étiez, je vous cite, aussi le ministre de « ceux qui ne sont pas Charlie », ça fait beaucoup de monde, qu'est-ce que vous vouliez dire par là ?
PATRICK KANNER
Très simplement que j'étais très heureux de voir quatre millions de Français défiler le 11 janvier, formidable une France en sursaut, une France qui se lève et, en même temps, moi j'ai rencontré beaucoup de jeunes dans les quartiers pour qui c'était quelque chose de très lointain cette affaire et aujourd'hui « ceux qui ne sont pas Charlie », c'est-à-dire ceux qui ne croient plus encore une fois dans la capacité de l'action publique à changer leur vie, il faut s'adresser à eux, il ne faut pas les laisser dans les mains de manipulateurs - et on voit à quoi je peux faire allusion.
JEFF WITTENBERG
Vous pensez qu'il y a des ghettos aujourd'hui en France ou qu'il y a un apartheid, comme l'avait dit le Premier ministre ?
PATRICK KANNER
Quels que soient les mots : apartheid, ségrégation, séparation, il y a aujourd'hui un sentiment de relégation, relégation sociale, relégation territoriale, relégation ethnique et on ne peut pas laisser des choses comme cela. François HOLLANDE a parlé d'insulte contre la République, donc moi je veux être aussi le ministre de « ceux qui ne se sentent pas Charlie » qui ont besoin d'être rassérénés, d'être rassurés, d'être accompagnés.
JEFF WITTENBERG
Est-ce que dans cette France qui « ne se sent pas Charlie », comme vous dites, vous rangez aussi ces électeurs qui s'apprêtent à voter massivement pour le Front national, notamment dans votre département, le Nord je précise – d'ailleurs vous êtes l'un des tares ministres à vous présenter aux Elections départementales - à Lille ?
PATRICK KANNER
Oui ! Nous sommes trois, je me présente à Lille dans ma ville effectivement. Les sondages sont une chose, la réalité du vote en sera je l'espère une autre. En tout cas ce qui est certain c'est qu'aujourd'hui le Front national progresse, y compris peut-être parce que la droite républicaine ne fait pas son travail, et, quand j'entends le ni-ni lors de l'élection du Doubs, quand j'entends FNPS par l'ancien président de la République ou quand j'entends monsieur DARMANIN, député de mon département, traiter madame TAUBIRA de tract ambulant pour le FN, je me dis : « Attention ! C'est…
JEFF WITTENBERG
C'est-à-dire l'échec pour le gouvernement socialiste pour le coup, ce n'est pas que la faute de la droite…
PATRICK KANNER
Bien sûr !
JEFF WITTENBERG
Si le Front national augmente ?
PATRICK KANNER
Mais personne ne le nie ! Simplement ce qu'il faut c'est amener des réponses positives vis-à-vis de ces populations qui aujourd'hui désespèrent. C'est un travail de longue haleine, mais, en tout cas, je peux vous dire que cette reconquête des esprits elle est en cours aujourd'hui.
JEFF WITTENBERG
Alors parlons aussi de reconquête ou de conquête électorale cette fois pour vos opposants, puisque la gauche détient aujourd'hui la présidence de 61 départements – on le rappelle – à partir de combien de pertes vous considérez qu'il faut éventuellement changer de politique ?
PATRICK KANNER
Oh ! J'ai vu tous les chiffres en la matière, certains prévoient même 30, 35, 40 pertes, moi je n'y crois pas, parce que le bilan de ces 61 présidents aux Conseils généraux de gauche c'est un bilan extrêmement satisfaisant.
JEFF WITTENBERG
Mais les sondages prévoient vont dans ce sens quand même ?
PATRICK KANNER
Mais les sondages sont globaux ! Vous savez la personnalité des élus locaux seront aussi un élément qui sera pris en compte, c'est un vote très personnel, on vote sur des noms et sur des personnes, donc je pense que les sondages encore une fois font une qualification généraliste du sentiment des Français mais qu'après, au moment du vote, il y aura des changements. En tout cas pour moi il y aura des pertes, 61 députés…
JEFF WITTENBERG
61 départements !
PATRICK KANNER
61, pardon, départements de gauche…
JEFF WITTENBERG
S'il vous en reste par exemple 15 ou 20 le soir du 29 mars, on ne change rien ?
PATRICK KANNER
S'il nous en reste 15 ou 20, c'est une hypothèse à laquelle je ne m'y prête même pas.
JEFF WITTENBERG
D'accord ! Et lorsque Martine AUBRY, votre amie, la maire de Lille, pense par exemple que la politique ne va pas dans le bon sens, qu'on est passés en force sur la loi Macron, vous lui dites qu'elle a tort ?
PATRICK KANNER
On n'est pas passés en force sur la loi Macron !
JEFF WITTENBERG
C'est elle qui le dit !
PATRICK KANNER
Oui ! Bien sûr, mais moi je vous dis le contraire, parce qu'il n'y a jamais eu autant de débats sur un texte, 1.054 amendements adoptés…
JEFF WITTENBERG
Et le 49.3 à l'arrivée !
PATRICK KANNER
Le 49.3 parce que des socialistes n'ont pas respecté le minimum de discipline qui est nécessaire dans un groupe politique, je le regrette et je le dis très officiellement.
JEFF WITTENBERG
Donc, on ne change rien à la politique suivie par le gouvernement aujourd'hui ?
PATRICK KANNER
Aujourd'hui cette politique commence à porter ses fruits, regardez les chiffres du chômage.
JEFF WITTENBERG
On en parlait dans le journal, vous êtes le ministre des Sports également, est-ce que vous soutenez… vous avez dit je crois : « que vous êtes potentiellement favorable à la candidature de Paris aux Jeux Olympiques de 2024 », ça veut dire quoi potentiellement ?
PATRICK KANNER
Potentiellement, parce que la candidature n'est pas encore officielle et qu'il faut laisser Anne HIDALGO et son conseil municipal en décider, les grands élus de Paris, en tout cas le gouvernement y est très favorable, du président de la République au ministre des Sports que je suis nous y sommes très favorables.
JEFF WITTENBERG
On voit bien, on l'entendait tout à l'heure, qu'il y a une concurrence - puisque Paris pourrait être également candidate ou en tout cas prête à organiser une exposition universelle en 2025, un an plus tard - ça coûte très cher, il y a beaucoup de sécurité, est-ce que la France a les moyens de présenter ces deux sujets ?
PATRICK KANNER
Ce sont deux évènements très différents et je ne suis pas d'accord avec vous quand vous évoquez la cherté de l'évènement, notamment pour les J.O que je connais particulièrement, dans la mesure où ce seront les J.O les moins chers au niveau de l'été qu'aura connu l'histoire récente. Très honnêtement six milliards d'euros, je rappelle les chiffres, trois milliards d'euros pour la partie sportive totalement financée par le sport lui-même, trois milliards d'euros pour les investissements - dont 1,7 milliard pour le village olympique - permettez-moi de dire que par rapport aux 37 milliards euros de Sotchi c'est tout à fait raisonnable.
JEFF WITTENBERG
Mais est-ce que la France a les moyens d'organiser ces deux évènements, c'est ça la question ?
PATRICK KANNER
La France a l'ambition de pouvoir le faire et je crois que ce serait tout à fait honorable pour Paris, honorable pour la France, il faut montrer cette France de l'excellence et de l'accueil du monde entier.
JEFF WITTENBERG
Et on dit aussi que c'est une France de l'économie aujourd'hui, une France qui doit se serrer la ceinture sur bien d'autres aspects, donc comment un pays endetté peut présenter encore une fois deux projets d'une telle ambition, même si beaucoup de fonds privés viendront alimenter les J.O ?
PATRICK KANNER
Des fonds privés et je tiens aussi à dire qu'il y a aussi beaucoup de recettes, 11 millions de billets vendus par exemple sur les seuls J.O, beaucoup de partenariats privés comme vous l'évoquez, donc moi je n'ai pas d'inquiétude sur la capacité de la France à pouvoir organiser en 2024 et en 2025 deux grands évènements qui pour moi ne sont pas concurrentiels, simplement qui confirmeront voilà le rayonnement de notre pays.
JEFF WITTENBERG
Très bien ! On vous a entendu, merci beaucoup Patrick KANNER.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 6 mars 2015