Interview de Mme Myriam El Khomri, secrétaire d'Etat à la politique de la ville à LCI le 17 février 2015, sur la mixité sociale et la politique de la ville dans les quartiers.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral


NICOLAS HERBEAUX
Direction les studios de Radio classique à présent pour « l'Invité politique » de LCI Matin et Radio classique, c'est ce matin Myriam EL KHOMRI, secrétaire d'Etat à la Ville, elle répond à Renaud BLANC, bonjour à tous les deux.
RENAUD BLANC
Bonjour Myriam EL KHOMRI…
MYRIAM EL KHOMRI
Bonjour.
RENAUD BLANC
Vous êtes membre du gouvernement, secrétaire d'Etat à la politique de la Ville, on va bien sûr parler ensemble des quartiers, on va parler du terme d'apartheid que vous cautionnez cité par Manuel VALLS, on va éventuellement parler de votre parti et de votre parcours personnel. Mais l'actualité ce matin c'est la visite de François HOLLANDE à ce cimetière juif en Alsace qui a été profané, j'ai une question toute simple : comment combattons l'antisémitisme en France en 2015 ?
MYRIAM EL KHOMRI
Je pense qu'on ne s'est peut-être pas suffisamment indignés par rapport aux actes antisémites qui se sont produits, je pense par exemple à cette agression à Créteil qui était horrible au mois de décembre sur laquelle la société française ne s'est pas suffisamment indignée et je crois qu'il est extrêmement important aujourd'hui, à la fois qu'il y ait des sanctions fortes par rapport à des actes ignobles comme la profanation de tombes, mais aussi qu'il y ait un sursaut de la société française sur l'ensemble de ces agressions antisémites qui peuvent exister en…
RENAUD BLANC
Il y a une sorte de banalisation ?
MYRIAM EL KHOMRI
Il n'y a pas suffisamment eu d'indignation, j'en suis convaincue, et je crois qu'aujourd'hui - à la fois avec une réponse forte en termes de sanction mais aussi d'éducation à ce que ces… quand on regarde ce qui s'est passé en France il y a un mois et ce qui s'est passé en…
RENAUD BLANC
Au Danemark !
MYRIAM EL KHOMRI
A Copenhague, on voit bien que c'est les mêmes cibles, c'est des citoyens juifs, des policiers, la liberté d'expression… et je crois que nous devons absolument combattre cette idéologie, cet antisémitisme parfois en plus ordinaire et je crois qu'il y a un aspect extrêmement éducatif aussi à mettre en oeuvre avec des sanctions extrêmement fermes.
RENAUD BLANC
Vous sillonnez la France, vous sillonnez les quartiers, est-ce que vous sentez justement cette espèce d'antisémitisme un peu latent ?
MYRIAM EL KHOMRI
Il y a une banalisation en effet ! Il y a ce discours parfois des deux poids, deux mesures et je crois que la question éducative est extrêmement importante, lutter contre le racisme, l'antisémitisme c'est aussi combattre une certaine idéologie. Manuel VALLS a eu un propos hier, quand il a parlé d'islamo-fascisme…
RENAUD BLANC
Vous aimez beaucoup les formules de Manuel VALLS ?
MYRIAM EL KHOMRI
Eh bien, écoutez, ce…
RENAUD BLANC
Vous la trouvez choc celle-ci, elle correspond à quelque chose, à une réalité pour vous ?
MYRIAM EL KHOMRI
Ca permet de marquer les esprits et je crois que c'est important de séparer l'Islam de cette sorte de… qu'on va appeler d'idéologie, par exemple qui est de celle de Daech qui essaie d'embrigader des personnes, qui utilise le viol des femmes comme armes de guerre, je pense que c'est important d'avoir des mots forts aussi pour comprendre ce que nous devons combattre de façon unitaire dans notre pays.
RENAUD BLANC
Alors vous avez parlé de Copenhague tout à l'heure - il y a eu un grand rassemblement hier soir – et puis il y a eu cette image un peu dérangeante où l'on voyait des fleurs devant le domicile du tueur, du terroriste avec de jeunes Danois qui se recueillaient devant cette maison. C'est une image dérangeante, qu'est-ce qu'elle vous inspire ? Est-ce qu'elle ne montre pas l'échec de nos démocraties d'une certaine manière ?
MYRIAM EL KHOMRI
Elle monte en tout cas qu'il faut absolument que la lutte contre le racisme, contre l'antisémitisme fasse l'objet d'une vraie cohérence du discours de tous les adultes, il faut que nous arrivions véritablement entre l'école – et Najat VALLAUD-BELKACEM a commencé tout ce travail – l'école, les acteurs associatifs, notamment dans les quartiers populaires, il faut véritablement que nous abordions ces questions, que nous ne les mettions pas comme mettre la poussière sous le tapis, il faut véritablement que nous parlions de ces éléments-là parce qu'aujourd'hui nous devons absolument combattre cette idéologie. Ce qui me semble important et ce que nous apprennent les évènements aussi de janvier, c'est que bien sûr il faut lutter contre les inégalités mais il ne faut pas oublier qu'avant tout il faut aussi lutter contre le terrorisme et la radicalisation - et bien sûr que ces images sont particulièrement choquantes - ça demande un travail et ça demande aussi un travail éducatif, mais ça demande aussi une fermeté.
RENAUD BLANC
On va reparler éducation dans un instant ! L'actualité politique, économique et parlementaire c'est aussi la loi Macron, ça s'annonce très chaud du côté du Parti socialiste, qu'est-ce que vous avez envie de dire à vos collègues députés socialistes qui ne vont pas voter le texte ?
MYRIAM EL KHOMRI
C'est une loi qui permet…
RENAUD BLANC
Ca sera une faute, pour vous ?
MYRIAM EL KHOMRI
Oui ! C'est une loi qui permet de libéraliser les énergies, de retrouver de l'emploi, d'améliorer la croissance, de mettre fin à certaines lourdeurs, par exemple sur les jeunes le permis de conduire avec un délai maximum de 45 jours c'est une avancée, la compensation aussi par rapport au travail du dimanche c'est un avancée, donc pour moi c'est une loi qui permet d'attaquer quelques verrous de notre société qui permettraient justement de développer l'emploi. Donc, il y a eu une discussion – qui a été longue – Emmanuel MACRON a été extrêmement présent à l'Assemblée, il y a eu beaucoup d'amendements…
RENAUD BLANC
Mais Benoît HAMON, ancien numéro trois du gouvernement, qui ne vote pas ce texte - il y a six mois faisait partie de ce gouvernement - comment expliquez-vous justement qu'une personnalité comme lui ne vote pas un texte aussi important ? Est-ce que ce n'est pas la preuve qu'il y a aujourd'hui deux gauches à l'intérieur du PS ?
MYRIAM EL KHOMRI
Je ne sais pas s'il y a deux gauches, je sais qu'il y a des espaces de discussion et qu'on est un parti où il y a toujours eu des débats - et je pense que c'est une bonne chose - j'espère que nous allons atterrir sur la loi Macron, parce que je pense que c'est une avancée pour les Français, c'est une avancée pour de nombreux salariés et de ce point de vue là il me semble important… il y a eu cet espace de discussion, maintenant il me semble qu'il est important que les uns et les autres prennent leur responsabilité.
RENAUD BLANC
Myriam EL KHOMRI, vous êtes chargée de la politique de la Ville au sein du gouvernement, votre credo c'est la mixité sociale ?
MYRIAM EL KHOMRI
Oui ! Je pense qu'il y a des questions structurelles qui se posent dans les quartiers de la politique de la ville. La politique de la ville…
RENAUD BLANC
Pardonnez-moi, mais j'ai l'impression que ça fait 30 ans que j'entends parler de mixité sociale quand on parle de la politique de la ville ?
MYRIAM EL KHOMRI
En effet ! La mixité sociale c'est un mot un peu valise, le Premier ministre a employé le mot de stratégie de peuplement qui est un mot qui parait un peu technique, c'est ce que mettent en place les bailleurs avec les élus locaux. Ce qui me semble important… déjà la politique de la ville, qu'est-ce que c'est ? C'est six millions de personnes qui habitent dans des quartiers où il y a une concentration urbaine de pauvreté et on s'attaque aux banlieues des grandes villes qu'à des villes moyennes, qu'au périurbain ?
RENAUD BLANC
Mais le portrait - robot j'allais dire - justement de ces quartiers, c'est quoi ? C'est un taux de chômage record ? C'est une insécurité ? Ce sont des services de…
MYRIAM EL KHOMRI
C'est une concentration urbaine de pauvreté ! Et les fractures de ces quartiers c'est par exemple un chômage des jeunes de près de 45 %, c'est la moitié des familles qui sont des mères seules avec enfants – ce qu'on appelle des familles monoparentales – c'est aussi un taux de chômage de 23 % et deux fois plus de chômage chez les jeunes diplômés à diplôme égal, donc on voit bien qu'il y a des fractures, qu'il y a des discriminations qui sont fortes dans ces quartiers. Donc aujourd'hui la question de ces quartiers, c'est de se dire… il y a des gens qui s'en sortent et on voit bien qu'un tiers des habitants de ces quartiers change d'adresse tous les cinq ans, donc il y a une question, c'est : pourquoi sont-ils remplacés toujours par des personnes encore plus pauvres ? Ca, c'est une question structurelle. On parle souvent de mixité sociale, aujourd'hui on a mis sur la table des outils qui permettraient de lutter justement contre cette ghettoïsation. Pourquoi ces personnes viennent dans ces quartiers ? Parce qu'il y a une offre accessible au logement, parce que cette offre au logement on ne la trouve pas dans d'autres quartiers aussi, donc l'enjeu on voit bien que les problèmes dans ces quartiers ne sont pas les problèmes que de ces quartiers mais sont bien ceux de la France entière.
RENAUD BLANC
Et le nerf de la guerre c'est l'argent, quel est le budget de votre ministère ?
MYRIAM EL KHOMRI
Le budget de mon ministère, il y a cinq milliards d'euros de l'Agence nationale de rénovation urbaine, donc c'est pour améliorer le cadre de vie, apporter de la vitalité, créer des locaux commerciaux, du transport, de la rénovation urbaine… et puis il y a un budget de 338 millions d'euros qui est relatif…
RENAUD BLANC
Ce n'est pas beaucoup 338 millions d'euros, non ?
MYRIAM EL KHOMRI
Au crédit d'intervention de la politique de la ville. Mais la politique de la ville elle n'est pas… interministérielle, dedans il y a : les enseignants qui vont être dans les écoles, il y a tout le programme d'éducation prioritaire, la réforme qui a été mise en place qui donne plus de moyens aux établissements qui ont le plus de besoins ; il y a les ZSP du ministre de l'Intérieur, 77 des 80 ZSP - Zones de Sécurité Prioritaire - sont dans les quartiers de la politique de la ville, donc vous voyez bien que dans chaque ministère il y a des priorités qui sont données dans ces quartiers. Aujourd'hui l'objectif c'est qu'il faut aller plus vite et plus loin, notamment sur la question de comment on lutte contre la ghettoïsation - et donc ça appelle à l'application de la loi SRU sur les autres quartiers – ce n'est pas normal d'avoir des…
RENAUD BLANC
La SRU ?
MYRIAM EL KHOMRI
Solidarité Renouvellement Urbain ! Ce n'est pas normal d'avoir des communes à 80 % de logements sociaux et d'autres à 100 %.
RENAUD BLANC
Donc, vous voulez sanctionner les maires par exemple ?
MYRIAM EL KHOMRI
Oui ! C'est prévu par la loi, il faut aller plus vite et plus loin dans la mise en oeuvre de ce qui est prévu par la loi.
RENAUD BLANC
Myriam EL KHOMRI, il y a 40 ans on pouvait aller à Grigny, aujourd'hui on n'y rentre plus ; Marseille, l‘autre jour un policier a été accueilli par des tirs de Kalachnikov, alors je sais bien ce sont quelques quartiers…
MYRIAM EL KHOMRI
Ce n'est pas tous les visages de la politique de la ville !
RENAUD BLANC
Oui ! Mais c'est aussi une réalité. Comment fait-on pour répondre justement à ces urgences ? Je le rappelle ça fait 30 ans qu'on nous parle de politique de la ville - 70 milliards d'euros à peu près investis dans les quartiers – c'est quoi, c'est un échec, ou, si on n'avait pas eu ces 70 millions (sic), ça serait pire aujourd'hui ? Comment vous l'analysez ?
MYRIAM EL KHOMRI
Je pense que la rénovation urbaine – et d'ailleurs il y a une continuité républicaine sur le sujet – a permis d'améliorer le quotidien des habitants en leur redonnant de la dignité, en luttant contre l'insalubrité. Est-ce que ça a permis d'améliorer la situation sociale de ces habitants ? Non ! Aujourd'hui le premier enjeu de ces quartiers c'est l'emploi, le second enjeu c'est la question de la sécurité, les Zones de sécurité prioritaires ont apporté des améliorations - je l'ai vu à Marseille en y étant allée avec le ministre de l'Intérieur et le Premier ministre – on a bien vu que ça a amélioré les choses, néanmoins c'est une action de longue haleine ; et en même temps il faut bien évidemment que nous répondions à la question du chômage des jeunes dans ces quartiers, le conseil interministériel, sous l'égide du Premier ministre, de début mars visera notamment à créer des nouvelles formes de travail innovantes, je pense à un sujet qui moi m'intéresse beaucoup, sur lequel je travaille notamment avec Axelle LEMAIRE et Najat VALLAUD-BELKACEM, qui est les formations au numérique. Pourquoi ? Parce qu'il y a un marché de l'emploi sur les métiers du numérique, on a des jeunes parfois qui sont sortis du système scolaire très tôt et on voit bien que si nous arrivons à créer des formations assez courtes sur ces territoires à des nouveaux métiers où il y a un bassin de l'emploi nous pourrions véritablement améliorer la question du chômage des jeunes et la qualification de ces jeunes.
RENAUD BLANC
Myriam EL KHOMRI, vous parliez d'éducation il y a quelques minutes, il y a deux mois quand on parlait éducation on se demandait s'il fallait supprimer ou pas les notes, d'un seul coup on nous parle de remettre du français, de remettre de l'histoire, d'apprendre « La Marseillaise », de connaître l'histoire de notre pays… mais il faut un évènement comme ce qui s'est passé en janvier pour que les politiques ouvrent les yeux ?
MYRIAM EL KHOMRI
La question de l'éducation civique et morale était prévue dans la loi de Vincent PEILLON, de refondation de l'école, donc tout ceci était acté. Néanmoins…
RENAUD BLANC
Enfin chaque ministre, à la rentrée, nous explique que tout va bien.
MYRIAM EL KHOMRI
Néanmoins… Non ! Je crois que l'esprit du 11 janvier c'est aussi de se dire que nos valeurs républicaines auxquelles nous sommes tous attachés il faut qu'elles soient aussi vécues au quotidien et il faut vraiment être en capacité de les transmettre. J'étais hier avec le président de la République à l'EPID, l'Etablissement Public d'Insertion Défense, en Seine-et-Marne, le président… c'est des établissements qui permettent à des jeunes volontaires de 18 à 25 ans d'avoir un projet professionnel… qui ne savent pas, qui sont parfois – excusez-moi l'expression – en train de végéter chez eux depuis deux ans, qui permet justement, à partir de leur volonté, d'essayer de trouver un projet professionnel avec des allers-retours en entreprise. Ils se réveillent tous les matins à 6 h 30, il y a la levée des couleurs, il y a « La Marseillaise », il y a un cadre et tous ces jeunes le disent de façon unanime…
RENAUD BLANC
Et ça vous êtes pour ? Ca vous êtes… Oui !
MYRIAM EL KHOMRI
Oui ! Tous ces jeunes le disent de façon unanime, c'est structurant, on avait besoin de cadre. Le président de la République a annoncé qu'on allait augmenter le nombre de places des EPID, je pense que c'est une bonne chose, ça permet d'outiller un peu plus la palette de réponses pour des jeunes justement qui sont en difficulté et qui n'ont pas aujourd'hui de qualification.
RENAUD BLANC
En quelques secondes ! Comment fait-on pour faire revenir des entreprises dans des quartiers difficiles, pour leur dire : « Venez ! Installez-vous, vous allez voir c'est très bien, vous ne risquez rien », comment on fait concrètement quand on est ministre comme vous ?
MYRIAM EL KHOMRI
Déjà il y a la question des locaux commerciaux, donc il faut bien évidemment leur permettre d'avoir une ingénierie, des locaux sur place, mais il y aussi parfois – c'est ce que nous avons fait avec les territoires entrepreneurs – des exonérations fiscales en échange de clauses d'embauche avec les habitants du quartier. Ce que les entreprises sont en train de comprendre c‘est que dans ces quartiers il y a beaucoup de talents et beaucoup de combattivité et que, finalement, ça leur apporte. Il y a un vrai sujet, qui est la question de la qualification, nous devons faire parler les acteurs de l'emploi avec les acteurs du monde économique - ça c'est un enjeu prioritaire – néanmoins, on voit bien que quand on installe des locaux, quand on met du transport, les entreprises viennent parce qu'elles se rendent compte aussi qu'il y a beaucoup de talents et de combattivité dans ces quartiers.
RENAUD BLANC
La secrétaire d'Etat chargée de la politique de la Ville, Myriam EL KHOMRI, merci beaucoup d'avoir répondu à mes questions.
MYRIAM EL KHOMRI
Merci à vous.
OLIVIER HERBEAUX
Et merci à tous les deux.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 20 février 2015