Texte intégral
JEAN-JACQUES BOURDIN
Laurence ROSSIGNOL, bonjour.
LAURENCE ROSSIGNOL
Bonjour.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci d'être avec nous ce matin. Vous êtes favorable à une éducation sans violence, nous allons parler de cela hein ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Absolument.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est bien cela. Les châtiments corporels, que se passe-t-il, quelle est l'information ? Eh bien, c'est tout simple, le Conseil de l'Europe, qui réunit combien de pays, 40
LAURENCE ROSSIGNOL
47.
JEAN-JACQUES BOURDIN
47 pays, oui ; le Conseil de l'Europe va sanctionner la France. Pourquoi ? Eh bien parce que la France n'applique pas les lois européennes en vigueur. C'est bien cela ? La France n'applique pas la loi ?
LAURENCE ROSSIGNOL
La France n'a pas pris une nouvelle loi pour se mettre en conformité avec ce que le Conseil de l'Europe considère être nécessaire, c'est-à-dire l'interdiction des punitions corporelles, des corrections.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc la France n'applique pas la loi.
LAURENCE ROSSIGNOL
Alors, la France applique la loi, d'abord parce qu'elle a un arsenal législatif, en particulier dans le Code civil, qui proscrit les atteintes à l'intégrité physique des enfants, la France a un dispositif pénal de lutte contre la maltraitance à l'encontre des enfants, et des dispositifs sociaux extrêmement efficaces, mais nous avons une petite niche
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais nous violons l'article 17 de la charte européenne des droits sociaux, dont la France est signataire.
LAURENCE ROSSIGNOL
Nous avons une petite niche, en France, qui est que l'idée des punitions corporelles est tolérée dès lors qu'elles sont légères et à but éducatif. Or, ce que nous savons aujourd'hui c'est que, d'abord la légèreté est une notion toute relative, entre la tape derrière la tête, la fessée, le coup de pied aux fesses, la gifle, qu'est-ce qui est léger, qu'est-ce qui n'est pas léger, chacun évalue ça, ce qui d'ailleurs rend compliquées les campagnes de lutte contre la maltraitance des enfants. Parce que moi, je ne sais pas bien où dire aux parents, jusque-là vous pouvez, et puis après vous ne pouvez plus, et puis le but éducatif de ces punitions corporels est aujourd'hui très contesté, en particulier par les pédiatres, par les pédagogues, qui disent qu'en fait c'est contreproductif, les punitions corporelles ne sont pas éducatives. Donc il faut qu'on réponde, pas tant aux affaires du Conseil de l'Europe, moi je trouve très bien qu'on soit interpellés et que
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il y aura sanction, mais il n'y aura pas d'amende, il n'y aura pas de contrainte, mais, avec la possibilité de porter l'affaire devant la cour européenne de justice, des Droits de l'homme.
LAURENCE ROSSIGNOL
Oui, mais moi ce qui m'intéresse c'est comment mon pays prend ce sujet, et j'observe que les positions sont très clivées, et il faut aller désamorcer ces clivages. D'abord, je pense qu'il y a une méconnaissance des conséquences des punitions corporelles sur les enfants. Ce n'est pas anodin. Faire mal, donner des coups n'est jamais anodin. En revanche, les gens ont eux-mêmes subi des punitions corporelles quand ils étaient petits, ils ont eu des fessées
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça vous est arrivé, de recevoir une gifle, dans votre enfance ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Ça m'est arrivé de recevoir une fessée, absolument.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que ça vous a traumatisée, non, Laurence ROSSIGNOL ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Heureusement il y a la résilience, heureusement on n'est pas tous traumatisé par ce qu'on a vécu, parce qu'on a vécu d'autres des traumatismes dans l'enfance
JEAN-JACQUES BOURDIN
Evidemment.
LAURENCE ROSSIGNOL
Et heureusement on y survit, mais du fait que les gens ont subi des punitions corporelles, ils se trouvent en situation de devoir juger l'éducation que leurs parents leur ont donnée, et c'est très difficile. Et, du coup, ils sont dans c'est une espèce de liberté éducative, que de donner des punitions corporelles. Je vois, 70 % des Français sont défavorables à ce que, en gros, on se mêle de la manière dont ils élèvent leurs enfants, mais ce n'est pas 70 % de parents maltraitants, ou de parents qui frappent. Ce qu'il faut faire comprendre aujourd'hui, c'est que, un, je partage avec beaucoup de parents l'idée que ce n'est pas facile d'élever des enfants, il y avait un sondage qui est sorti ce week-end, en gros les gens disent ils sont moins bien élevés aujourd'hui qu'hier ; c'était probablement vrai déjà il y a 50 ans, le même sondage nous aurait dit la même chose.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est toujours mieux avant.
LAURENCE ROSSIGNOL
Mais ce que je sais c'est que ce n'est pas facile d'élever des enfants aujourd'hui, et il faut revenir aux besoins éducatifs des enfants. De quoi un enfant a besoin ? D'un cadre, des limites, pour sa propre sécurité affective, pas simplement pour les dresser, c'est, pour se construire, il faut un cadre. Après, quels sont les outils éducatifs, pour les parents ? La punition, la sanction, la réparation, incontestablement, mais la punition corporelle, elle fait mal et elle n'apporte rien.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que vous allez modifier la loi ? Le Code civil prévoit que les violences contre les personnes sont proscrites, il y a une dérogation, comme vous le disiez, pour l'exception éducative, mais le Code pénal tolère un droit de correction. Je regardais, l'article 122 alinéa 2 du Code pénal, article 122-4, alinéa 2, qui dit « n'est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte commandé par l'autorité légitime, sauf si cet acte est manifestement illégal. » Donc, c'est une permission à la correction. Est-ce que vous allez changer la loi ?
LAURENCE ROSSIGNOL
On peut l'interpréter ainsi. Moi, ce que je veux d'abord, c'est que le débat on ne commence pas par changer la loi, d'abord on en parle avec les Français, on crée une majorité de convictions...
JEAN-JACQUES BOURDIN
Qu'est-ce que vous allez faire alors là ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Ecoutez, 2015 déjà être là, je vous remercie de saisir ce débat, à chaque fois qu'il nous est offert, parce que ça nous permet d'avancer. Je pense qu'il y a des tas de gens, qui sont des pédiatres, qui doivent parler ; Edwige ANTIER, avec laquelle je travaille beaucoup, qui n'est pas une dame farfelue, est une militante de l'éducation sans violence ; il faut leur donner la parole et il faut faire réfléchir les parents sur quelque chose qui leur paraît une espèce de vieille tradition, et il n'y a pas de fatalité à reproduire ça. L'année 2015
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais les faire réfléchir, c'est une chose, est-ce que vous allez modifier la loi, les textes ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Monsieur BOURDIN, la loi, sur ces questions de société, elle arrive au moment où il y a une majorité de consciences et une majorité de convictions, on ne réforme pas la société, et en particulier la manière d'élever des enfants, à coups de Code pénal et de menaces de sanctions.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc vous ne changez rien au Code pénal, ni au Code civil ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Aujourd'hui nous ne sommes pas dans le temps de la loi, en plus je pense qu'il y a des débats qu'il faut éviter. Les débats entre, les Français pour la fessée, les Français contre la fessée, j'observe les réactions extrêmement violentes de ceux qui sont favorables à cette liberté, ce qui est considéré être une liberté éducative, je ne pense pas qu'on puisse aborder un débat sur la violence envers les enfants, avec déjà autant de violence. Donc il faut déjà faire retomber un peu la pression
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc la France ne changera pas sa loi.
LAURENCE ROSSIGNOL
La France ne changera pas sa loi, je vous le dis, je vous le confirme, l'année 2015 sera l'année du débat, de la conviction, l'année 2016 sera l'année des campagnes d'information. Je me situe dans le camp de ceux qui veulent promouvoir une éducation sans violence, je veux faire prendre conscience aux parents que ce n'est pas anodin, et vous savez, on l'a déjà fait, les campagnes, ça sert, les bébés secoués, par exemple, qui sont une espèce de punition corporelle pour les bébés, c'est-à-dire qu'à un moment donné, le bébé pleure, le parent le secoue, le secoue, et puis, à un moment donné, le bébé ne pleure plus, et en général, c'est assez grave. Et on a dans les maternités expliqué aux parents, aux jeunes mamans : il ne faut pas secouer les bébés, comme on leur a dit de quel côté il faut coucher les bébés pour éviter les morts subites, on peut convaincre les parents, les faire réfléchir que ce n'est pas une rupture avec une éducation qu'ils auraient reçue, et dans laquelle ils s'inscriraient, que de renoncer aux punitions corporelles, ce n'est pas anodin, faire mal à un enfant, c'est lui faire mal durablement.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous êtes secrétaire d'Etat à la Famille, j'avais envie d'avoir aussi votre opinion sur ce qu'a dit votre collègue du gouvernement, qui elle s'occupe du Droit des femmes, qui nous dit que le voile à l'université n'est pas le bienvenu. Qu'est-ce que vous en pensez ? Vous êtes contre le port du voile à l'université ou pas ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Je pense que j'essaie déjà de mener sur les questions des punitions corporelles un débat apaisé, que les débats binaires, pour/contre, on vote par Internet, ne sont pas des débats qui nous font avancer, j'ai pour ma part une proposition de loi qui sera discutée à l'Assemblée nationale, concernant l'interdiction des foulards dans les crèches collectives, qui est la suite de la jurisprudence un peu hasardeuse de Baby Loup, et cette proposition de loi
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc interdiction du port du voile, du foulard
LAURENCE ROSSIGNOL
Dans les crèches
JEAN-JACQUES BOURDIN
Dans les crèches collectives
LAURENCE ROSSIGNOL
Je pense qu'il y a une continuité éducative qui va de la crèche jusqu'à la fin du lycée, parce que nous avons là des individus mineurs, voilà. Aujourd'hui, moi, je m'occupe de ce qui est dans mon domaine, les crèches et les foulards dans les crèches
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais vous avez un avis, à l'université, vous avez un avis ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Ecoutez, je ne rajouterai pas sur ce débat qui concerne prioritairement
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, mais attendez, Laurence ROSSIGNOL, vous avez un avis ! Est-ce que ça vous choque le voile à l'université ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Je pense, pour ma part, que dans les crèches, qui est de ma compétence, nous allons interdire le port du foulard par les personnels des crèches, et que, en ce qui concerne l'université, c'est un peu plus complexe, parce que la France a besoin d'accueillir des étudiantes étrangères, que l'université, c'est le lieu du savoir, de la tolérance, de l'ouverture sur le monde, et je n'aimerais pas que la France soit un pays dans lequel les étudiantes étrangères ne viennent pas
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc on doit accepter le voile à l'université ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Voilà, mais par ailleurs, je pense que
JEAN-JACQUES BOURDIN
Hein, Laurence ROSSIGNOL ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Je pense, Monsieur BOURDIN, que
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est votre avis ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Je pense, Monsieur BOURDIN, que dans la période dans laquelle on est, épargnons-nous ces débats-là qui ne font pas avancer les choses !
JEAN-JACQUES BOURDIN
On a bien compris que vous n'aviez pas tout à fait le même avis que votre collègue, mais ça peut arriver entre collègues de ne pas avoir le même avis, Laurence ROSSIGNOL, n'est-ce pas ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Ça peut arriver, ce qui compte, c'est que le gouvernement soit cohérent et qu'il conduise une politique très ferme de respect de la laïcité, des valeurs républicaines, et c'est ce que nous faisons.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 4 mars 2015