Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur les relations franco-marocaines, à Rabat le 9 mars 2015.

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Circonstance : Déplacement au Maroc les 9 et 10 mars-point de presse conjoint avec son homologuue marocain, à Rabat le 9 mars 2015

Texte intégral

Je suis extrêmement heureux, un mois jour pour jour après l'entretien entre Sa Majesté le Roi et le président François Hollande, d'être aujourd'hui et demain au Maroc, accueilli avec gentillesse et chaleur par mon collègue et ami le ministre des affaires étrangères. Je viens d'avoir l'honneur d'être reçu par Sa Majesté le Roi, nous avons eu avec mon collègue des entretiens fructueux, en vous quittant j'irai rejoindre le Premier ministre marocain, puis j'inaugurerai la saison culturelle franco-marocaine, et enfin nous dinerons ensemble avec mon homologue. Demain matin je rencontrerai un certain nombre de chefs d'entreprises et d'élites économiques, ainsi que des membres du gouvernement marocain. Si j'avais à qualifier en trois substantifs cette visite, je dirais : relance, renforcement et renouvellement.
Relance car, tout le monde le sait, il y a eu un moment de difficultés dans notre relation. Ces difficultés sont derrière nous. Nous avons, par des conversations nombreuses, trouvé des solutions. Cela aboutira à l'adoption d'un texte. Ces difficultés nous ont permis paradoxalement de mesurer l'importance tout à fait essentielle des relations franco-marocaines. Ma visite est faite pour acter cette relance. Elle a été précédée par des entretiens entre les deux chefs d'État, elle sera suivie par la visite du Premier ministre français, par d'autres visites ministérielles et par la rencontre de haut niveau franco-marocaine qui devrait se tenir fin mai - début juin. Beaucoup d'autres éléments vont intervenir. La relance est là.
Renforcement. Les liens d'amitié et de coopération entre le Maroc et la France sont anciens et étroits. Par les entretiens que nous avons eus, nous avons mesuré notre détermination à les renforcer dans tous les domaines, sur le plan politique, c'est une évidence, mais également, car nous avons les mêmes défis, économiques, sociaux, dans la lutte contre le terrorisme et bien d'autres. Je constate sans surprise que sur les grandes questions internationales et régionales, le Maroc et la France sont à l'unisson. J'en prends pour exemple ce que le Maroc fait pour trouver une solution au difficile problème libyen. Ce n'est pas un hasard si la médiation menée par l'envoyé spécial des Nations unies se déroule à Rabat. Le renforcement est également économique. Nous avons et allons passer en revue avec les ministres compétents tous les champs de la coopération franco-marocaine. La France est aujourd'hui, incontestablement, et de loin, le premier investisseur au Maroc. Les champs de coopération sont innombrables, transports, ville durable. Renforcement également sur le plan éducatif et culturel. C'est une floraison dont nous nous réjouissons.
Renouvellement car quand on regarde nos volontés de part et d'autre, nous voyons bien que notre relation doit prendre la direction de domaines nouveaux. Nous voulons ensemble être aux côtés de nos amis africains. La coopération n'est pas seulement bilatérale mais aussi triangulaire.
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Le Maroc et la France sont des amis intimes, des partenaires essentiels. Il arrive qu'il y ait des difficultés mais elles sont derrière nous, nous avons de grandes et utiles choses à faire ensemble, nous avons décidé de les faire ensemble car c'est notre intérêt commun, celui de la région et celui du monde.
Q - Monsieur le Ministre, on assiste à une grosse dynamique de relance dans les relations franco-marocaines. Quelles sont les échéances pour la reprise de la coopération ?
R - Il y a une échéance en termes de calendrier et en termes de contenu. Sur le calendrier nous avons la visite du Premier ministre français au Maroc le 10 avril suivie d'autres visites ministérielles. Nous avons l'adoption par nos conseils des ministres puis par nos deux parlements de l'avenant à la coopération judiciaire, le nouveau protocole. Nous avons début juin la rencontre de haut niveau entre nos deux gouvernements. Nous avons les réunions du 5+5 que nous co-présidons, le Maroc pays du sud de la méditerranée, la France pays du nord. Nous avons les échéances préparatoires aux COP 21 et COP 22 et nous avons une invitation lancée par le président de la République à Sa Majesté le Roi pour une visite officielle lorsqu'il le souhaitera.
Parallèlement à tout cela, il y aura une avancée sur des projets concrets, économiques, culturels, éducatifs, qui concernent la jeunesse, l'emploi, le développement durable, l'ensemble du champ de la coopération. Nous veillerons à ce que sur les grandes échéances régionales et mondiales, nous soyons côte à côte. Sur les grandes questions internationales, il est fréquent que Salaheddine et moi-même nous appelions pour travailler ensemble et échanger nos points de vues.
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Q - Le conseil supérieur de l'éducation a discuté la possibilité de remplacer le français par l'anglais comme première langue étrangère au Maroc. Que pensez-vous de la francophonie au Maroc.
R - La francophonie marocaine est très importante, d'abord parce que nous avons une conception commune de la francophonie : la pratique des différents pays, et pas seulement la France, qui se servent de la langue. Je dois saluer à quel point se développent les relations éducatives et culturelles entre le Maroc et la France. Il y a des formations communes, des grandes écoles françaises qui s'implantent au Maroc, beaucoup de Marocains qui viennent faire leurs études en France. Ce va-et-vient correspond à ce que doit être le monde demain et à la façon dont on doit former la jeunesse. La France et le Maroc considèrent également que le 5+5 doit s'occuper de la jeunesse, de l'éducation, de la formation et l'entrepreneuriat. Nous travaillons côte à côte et nous sommes à l'aise dans une francophonie diverse.
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Q - Que veut dire l'expression islam à la française ou islam de France ?
R - En ce qui concerne l'islam de France, Bernard Cazeneuve est venu ici il y a quelques jours. Il y a une montée du terrorisme dans le monde qui utilise très souvent l'islam comme prétexte. Il y a un travail à faire dans l'ensemble des pays pour montrer que la religion musulmane est une religion de paix. C'est une escroquerie d'utiliser ce prétexte religieux pour justifier des comportements barbares. Nous apprécions hautement ce qui est fait ici au Maroc. Si un pays a un comportement respectueux des uns et des autres, tout en revendiquant son appartenance au monde musulman, c'est le Maroc. En France, l'immense majorité de la communauté musulmane se trouve parfaitement intégrée et ne pose aucun problème mais un certain nombre de personnes sont dévoyées et nous devons, en tant qu'État, réagir. Cela pose une série de questions sur les prisons, le développement économique et social, la formation etc. Le gouvernement de la République, sur la proposition de M. Cazeneuve, a décidé un certain nombre de changements visant à ce que la communauté musulmane se sente intégrée et à son aise, tout en pénalisant, en sanctionnant et en décourageant les dérives. (...).
- Maroc - Libye
Q - Vous avez évoqué la Libye, beaucoup de sources indiquent une forte présence militaire française au sud de la Libye, au nord du Tchad.
R - La Libye est une préoccupation pour tous. Nous avons beaucoup parlé de la Libye lors de réunion à Riga de l'ensemble des ministres des affaires étrangères européens. Nous soutenons la position des Nations unies et nous soutenons l'action du Maroc qui cherche à trouver une solution. Cette solution est dans la constitution d'un gouvernement d'union nationale. Une action en commun devra ensuite être menée contre Daech. (...).
- Maroc - Dérèglement climatique
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Nous voulons également aborder ensemble la question du climat. La lutte contre le dérèglement climatique est une des principales questions qui se pose au monde puisqu'elle concerne la vie de la planète, la nôtre et celle de nos enfants. Il suffit de voir la progression des déserts, la montée des eaux, les conséquences sur la capacité à nourrir la planète etc.
Cette année la France accueillera l'ensemble des 196 «parties» du monde, dans le cadre de la COP21, pour trouver un accord jusqu'à présent introuvable. L'année prochaine, le Maroc accueillera cette conférence et nous avons décidé de préparer tout cela ensemble. L'an dernier au Pérou, cette année à Paris, nous nous réunissons pour trouver un accord juridiquement contraignant limitant la hausse des températures à deux degrés. L'année prochaine le Maroc accueillera la COP22, ce qui nous fournit une occasion nouvelle de travailler ensemble. (...).
- Lutte contre le terrorisme - Mali
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Q - Il y a eu un attentat à Bamako il y a deux jours, un attentat à Kidal hier, la situation au Mali est plus difficile que jamais. En janvier dernier, votre homologue marocain a critiqué la méthode utilisée par la France dans les négociations inter-maliennes et notamment le fait que le Maroc ne soit pas associé. Avez-vous abordé le sujet avec votre homologue ? De quelle manière le Maroc peut-il aider à conclure l'accord signé à Alger qui doit encore être paraphé par les groupes rebelles ?
R - La France est évidemment solidaire des victimes et de leurs familles. J'ai reçu ce matin le ministre des affaires étrangères malien qui était à Paris et je suis en contact avec notre ambassade. En ce qui concerne l'attaque de Kidal, l'enquête se déroule sur le terrain, et les services français font partie de cette enquête.
Ces attaques sont des attaques contre la paix et c'est la paix qui est indispensable au Mali. Il y a eu une série de travaux depuis de longs mois pour aller vers la paix. La France, la communauté internationale, le Maroc y ont participé. Il y a toujours la médiation algérienne qui a abouti à un texte d'accord que la communauté internationale et nous-mêmes considérons comme positif. Le secrétaire général des Nations unies a recommandé que toutes les parties signent cet accord. J'espère que ce sera le cas.
Au moment même où nous sommes à quelques mètres de la paix, des forces hostiles à la paix essaient d'intervenir pour casser cette perspective qui est la seule raisonnable, et c'est dans ce contexte que se sont produites ces attaques terroristes. Nous les condamnons et nous considérons que la recherche de la paix est d'autant plus indispensable.
Sans nier les difficultés, il faut aussi regarder le chemin parcouru. Nous sommes deux ans après l'appel du président de transition malien au président de la République demandant l'intervention de nos forces armées. Les terroristes ont dans l'ensemble été repoussés en dépit des attaques survenues il y a quelques jours, une autorité légitime - le président - a été élue, une assemblée a été constituée, et un plan de développement ambitieux a été mis sur pied et financé.
Nous sommes à quelques mètres de la paix et c'est pour cela que les adversaires veulent frapper. Notre détermination doit être d'autant plus forte. (...).
- Lutte contre le terrorisme - Persécution des minorités
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Pour terminer, parmi les très nombreux problèmes qui se posent au Proche et Moyen-Orient, il y a le problème des minorités et en particulier des chrétiens d'Orient.
Nous avons décidé avec le président de la République de convoquer le conseil de sécurité des Nations unies le 27 mars, sous présidence de la France. Je présiderai personnellement cette réunion qui sera consacrée à la situation des chrétiens d'orient et des autres minorités. Nous affirmerons que nous sommes aux côtés d'elles et que nous n'acceptons pas qu'elles soient persécutées. Nous espérons que cette réunion permettra à beaucoup de pays de montrer leur volonté de ne pas accepter ce mouvement terrible que les terroristes infligent à beaucoup de régions en refusant aux minorités le droit d'exister.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 mars 2015