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Q - Monsieur le Ministre, bonjour et merci d'accepter de répondre aux questions. Votre visite est importante. C'est la première au Maroc après une période de difficultés. Les turbulences sont derrière nous, avez-vous dit tout à l'heure. On va parler de l'avenir dans un instant mais je voulais savoir comment, en tant que ministre des affaires étrangères, vous vivez ces difficultés. Comment restaure-t-on la confiance ?
R - C'est vrai qu'il y a eu une période qui était difficile avec des turbulences liées notamment à des questions juridiques et maintenant elle est derrière nous. Le président de la République et sa Majesté le Roi se sont vus et j'ai constaté, en étant reçu par le Roi, par le chef du gouvernement et par d'autres ministres, que maintenant cette brouille était derrière nous. Comment l'a-t-on vécue ? Comme ministre des affaires étrangères, mon souhait a toujours été que les relations soient bonnes et même excellentes. S'agissant du Maroc, nous avons une tradition de relations excellentes et c'est un pays que j'aime beaucoup, aussi ce fut une période peu agréable. Finalement nous avons réussi à sortir de ces difficultés.
Maintenant il faut se tourner vers l'avenir et j'ai résumé d'ailleurs ma visite en disant : relance, renforcement de nos relations dans tous les domaines et renouvellement parce qu'il y a des domaines nouveaux sur lesquels il faut que nous travaillons ensemble.
Ma visite va être suivie de plusieurs autres. Le Premier ministre français se rendra au Maroc au début du mois d'avril puis le chef du gouvernement marocain viendra en France pour une réunion de haut niveau entre les deux gouvernements et leurs représentants. Il y a beaucoup d'autres réunions prévues, beaucoup d'autres travaux ensemble, mais le plus important, ce ne sont pas simplement ces réunions gouvernementales, c'est la matière même de notre coopération, en matière économique, en matière culturelle, en matière éducative, en matière politique et là les choses sont relancées vraiment d'une manière très positive.
Q - Il y a quelques semaines votre collègue de l'intérieur, M. Bernard Cazeneuve était ici à Rabat. Il a dit que le Maroc était un partenaire clé privilégié de la France dans la lutte contre le terrorisme. Est-ce que la nécessité de lutter ensemble contre cette menace commune n'a pas accéléré ce processus de réconciliation entre nos deux pays ?
R - Malheureusement, nous sommes tous confrontés au terrorisme, tous les pays. C'est une affaire qui nous concerne tous et où la lutte commune doit passer par une coopération. Cette coopération passe évidemment par tous les pays du Maghreb et de l'Afrique et le fait que ce que l'on appelle la coopération judiciaire et sécuritaire était interrompue posait un véritable et énorme problème. Maintenant les relations ont repris et c'est indispensable. Pour lutter contre le terrorisme, et ce n'est pas une vision théorique, il faut évidemment qu'il y ait des échanges entre les services de sécurité, savoir où les terroristes passent et qu'ils puissent se donner des renseignements. Maintenant cette coopération est rétablie et c'est une très bonne chose. C'était une des raisons parmi d'autres qui rendait indispensable la fin de cette période difficile.
Q - La France est très impliquée dans la sécurité au Sahel et l'une des sources de tensions c'est la situation en Libye. Quelles solutions préconise la France pour résoudre cette crise et quel rôle peuvent jouer les pays de la région ?
R - Nous avons une analyse que je crois extrêmement voisine de celle du Maroc. Ce dernier joue un rôle important dans ce domaine puisque c'est à Rabat que le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies, M. Bernardino Leon, essaye de favoriser une médiation pour réaliser un gouvernement d'union nationale en Libye. Le Maroc est ainsi au coeur de la problématique.
La solution est celle que je viens de dire. Vous avez en Libye et pour différentes raisons deux gouvernements, deux parlements, un pays divisé, des tribus qui s'affrontent et des milices. Il faut d'abord, c'est essentiel, arriver à rassembler toutes ces personnes en créant un gouvernement d'union nationale. Ce n'est pas facile mais c'est ce que souhaite l'ONU et que nous, membre permanent du Conseil de sécurité, souhaitons. Ensuite, il faut lutter contre les terroristes car vous savez que le mouvement terroriste Daech a pris de l'ampleur à la fois à l'est du pays la Libye et qu'il y a aussi beaucoup de terroristes au sud.
Comme vous le soulignez justement c'est une menace pour l'ensemble des pays voisins, pour la zone du Sahel avec les difficultés au nord du Mali mais aussi pour les pays du voisinage et on peut penser à l'Égypte, à l'Algérie et à d'autres pays. Par rapport à votre question, la voie à choisir, c'est la solution politique en passant par un gouvernement d'union nationale et le Maroc et nous, y travaillons.
Q - La France reste le principal partenaire économique du Maroc. Est-ce qu'il y a de nouveaux secteurs qui vont être exploités, je pense notamment à l'environnement ?
R - Oui, vous avez raison, nous sommes le principal investisseur. Du point de vue commercial, un certain nombre d'autres pays nous talonnent ; vous avez raison de citer l'Espagne et quelques autres.
Nous voulons rester le premier partenaire du Maroc et réciproquement, mais il faut, au-delà des domaines traditionnels, aller dans de nouveaux domaines. Vous avez cité avec raison les énergies renouvelables d'une façon générale, ce que l'on appelle la ville intelligente, c'est-à-dire aussi bien les transports, l'environnement, les villes économes en énergie, le tourisme, bien sûr - il y a énormément de choses à faire également dans ce domaine -, la formation.
Des grandes écoles s'implantent au Maroc - c'est une bonne chose. Il y a beaucoup d'étudiants marocains qui viennent en France. D'une façon générale, nous devons favoriser les secteurs créateurs d'emplois qui sont les secteurs du futur. Dans ces secteurs, tout ce qui est du domaine de l'environnement, des énergies renouvelables est à privilégier parce que le Maroc a de grandes perspectives, des grands programmes dans ce domaine ; nous-mêmes, nous avons des technologies excellentes.
Q - Le Maroc a fait de la coopération Sud-Sud un des axes prioritaires de sa politique. Que peuvent faire la France et le Maroc ensemble pour l'Afrique ?
R - Beaucoup de choses et c'est un des sujets dont nous avons parlé, à la fois avec Sa Majesté le Roi, le chef du gouvernement et mon collègue, M. Mezouar.
Le Maroc veut, sur le plan économique mais aussi sur d'autres plans, travailler de plus en plus avec l'Afrique. La France travaille énormément avec l'Afrique. Notre idée, c'est que notre coopération ne doit pas être simplement bilatérale - France/Maroc, Maroc/France - mais qu'elle doit être en direction de pays tiers, notamment en Afrique. Nous travaillons dans cette direction sur le plan économique, sur le plan culturel. C'est un des éléments du renouvellement de notre coopération dont j'ai parlé.
Il y a le renforcement traditionnel dans les secteurs comme les transports, etc. Il y a aussi le renouvellement dans d'autres domaines. Nous devons être ensemble dans les énergies renouvelables, dans la formation, dans les nouvelles technologies, en particulier en direction de l'Afrique. Comme nous souhaitons les uns les autres le développement de l'Afrique, la France et le Maroc peuvent, doivent et vont aller ensemble vers le développement des pays africains.
Q - Un dernier mot, on va parler de la culture vous êtes là pour lancer la saison culturelle France-Maroc. L'un des signes de la vitalité d'une relation bilatérale c'est justement cet aspect culturel, c'est essentiel pour vous ?
R - Oui parce que c'est l'humus de toute chose. Les relations culturelles entre la France et le Maroc sont excellentes. Quand je dis culture c'est au sens large c'est à la fois des spectacles, des oeuvres communes, des expositions, mais c'est aussi le caractère éducatif et de formation et les instituts français et l'enseignement de la langue, la francophonie, nous avons tout cela en commun.
Je pense que c'est particulièrement important dans une période comme celle-ci où l'on voit bien que - nous parlions des terroristes au début de notre entretien - l'ennemi des terroristes, c'est la culture, la culture de la haine, c'est la haine de la culture. C'est cela qu'ils professent. Ce n'est pas un hasard s'ils détruisent les racines de notre civilisation.
Et donc l'aventure culturelle entre la France et le Maroc doit se poursuive surtout dans un moment où la culture qui est un élément de liberté, un élément de refus du totalitarisme et de l'intolérance est particulièrement important.
Q - Monsieur le Ministre, je vous remercie.
R - Merci à vous.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 mars 2015