Entretien de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, avec la presse japonaise, sur les relations franco-japonaises, la Banque pour le développement proposée par la Chine, la réforme de l'ONU et sur l'accord de Minsk sur l'Ukraine, à Tokyo le 14 mars 2015.

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Circonstance : Déplacement au Japon, les 13 et 14 mars 2015

Texte intégral

- Japon - Chine
Q - Que pensez-vous de l'accord intergouvernemental qui vient d'être conclu entre la France et le Japon, notamment vis-à-vis de la Chine ? Quel est votre avis sur l'Asia Infrastructure Investment Bank, que la Chine propose de créer ?
R - En ce qui concerne notre accord intergouvernemental (AIG) et la réunion du 2+2, ce sont des actions positives qui sont tournées vers la paix et la sécurité. Nous considérons que la France et le Japon sont des puissances de paix et de sécurité et nous travaillons ensemble dans cet objectif.
En ce qui concerne les ventes d'armement en direction de la Chine, il n'y a aucune crainte à avoir, vous connaissez la position de l'Europe, le problème n'est pas d'actualité.
Sur la banque chinoise, nous sommes en train de réfléchir à la position que nous allons adopter. Nous n'avons évidemment aucune opposition de principe à un nouvel établissement qui facilite les infrastructures en Asie, il faut simplement veiller à ce qu'il fonctionne selon les règles internationales, et il y a des besoins en matière d'infrastructures qu'il faut satisfaire. Nous ne pensons pas que cela porte atteinte au fonctionnement des banques qui existent déjà.
Q - Le modèle franco-allemand est-il applicable pour les tensions en Asie ?
R - À propos des tensions qui existent en Asie en général, nous avons souvent fait la comparaison de la France avec l'Allemagne. Évidemment les circonstances sont différentes, la géographie n'est pas la même. Il n'en reste pas moins que lorsqu'on regarde l'histoire franco-allemande, vous avez eu pendant des siècles des affrontements très destructeurs, et puis à la suite de la Seconde guerre mondiale les États se sont réconciliés et sont les meilleurs amis du monde. Il faut en tirer une leçon : la paix, la sécurité doivent l'emporter sur les rivalités et les conflits. N'oubliez pas que la France, membre permanente du Conseil de sécurité, est une puissance de paix.
Q - La France participera-t-elle à la Banque pour le développement proposée par la Chine ?
R - Oui, le délai reste à définir, mais nous envisageons cette participation. Il faut qu'elle soit efficace et que cette nouvelle institution fonctionne conformément aux règles du droit international. J'ai eu l'occasion de le dire récemment aux Philippines au président japonais, très compétent, de la Banque asiatique de développement.
(...).
- Japon - Conseil de sécurité
(...)
Q - Quelle est votre position sur la réforme de l'ONU et sur le rôle futur du Japon ?
R - Nous souhaitons qu'il y ait une réforme de l'ONU et en particulier du Conseil de sécurité, à partir de l'idée simple selon laquelle il faut que le Conseil soit représentatif du monde d'aujourd'hui, qui n'est pas le même qu'en 1945. La composition actuelle n'est pas représentative du monde actuel. Nous sommes partisans d'une réforme où le Japon aurait pleinement sa place. Évidemment, ce sera très difficile, il faut l'accord de tous les membres permanents du Conseil de sécurité.
Parmi les réformes que la France a proposées, il y en a une qui nous paraît, nous l'espérons en tous cas, pouvoir être adoptée, qui nous permettrait d'avancer et qui n'est pas contradictoire avec une réforme plus large. Nous pensons que, lorsqu'il y a des crimes de masse, il faudrait que les membres permanents refusent volontairement d'utiliser leur droit de véto. On pense à la Syrie où, alors qu'il y a des atrocités commises, à plusieurs reprises le Conseil de sécurité a été paralysé du fait de l'utilisation par un pays de son véto. Cela contribue à l'affaiblir, les pays du monde ne le comprennent pas. Nous proposons une réforme qui ne demanderait pas de réforme de textes, ceci est toujours difficile, mais permettrait de changer les choses et d'avancer. Cette réforme ne serait pas contradictoire avec une réforme plus large. Nous avons déjà recueilli autour de cette idée l'accord de plusieurs dizaines de membres des Nations unies./.
- Ukraine - Russie
(...)
Q - Que pensez-vous de l'accord de Minsk, quel bilan peut-on en tirer ?
R - L'accord de Minsk a été possible parce que la France et l'Allemagne, dans le cadre du format de Normandie, ont réussi à convaincre l'Ukraine et la Russie d'aboutir à un accord. Cet accord est positif, parce qu'auparavant nous étions dans l'escalade, et depuis nous sommes dans la désescalade des tensions. Nous continuons à suivre cela de près et dans quelques minutes, j'aurai au téléphone mes collègues ukrainien et russe à ce sujet. Il y a incontestablement une désescalade, le cessez-le-feu est respecté et le retrait des armes lourdes a considérablement progressé. Ceci est largement reconnu de part et d'autre, le président Porochenko a fait une déclaration en ce sens et les Russes considèrent qu'il y a eu des progrès. Il reste cependant des tensions, autour de l'aéroport de Donetsk et non loin de Marioupol. D'autre part, la décision a été prise de porter à 1.000 le nombre d'observateurs de l'OSCE, qui jouent un rôle très utile, dès lors qu'ils peuvent inspecter partout.
Il reste plusieurs questions, deux principales : dans l'accord de Minsk, il est dit qu'il faut qu'il y ait décentralisation et changement institutionnel pour donner plus d'autonomie aux territoires de l'Est. Dès lors que cette procédure sera réalisée, la frontière entre l'Ukraine et la Russie pourra être libérée, il y aura restauration de la souveraineté territoriale de l'Ukraine.
Si j'avais à résumer, je dirais qu'il y a une réelle amélioration, mais qui reste fragile et doit être complétée ; la France et l'Allemagne y sont extrêmement attentifs.
Q - Qu'en est-il de la région de Debaltsevo, est-elle dans le territoire séparatiste bénéficiant d'une autonomie spéciale ?
R - Il y a une discussion sur le territoire géographique concerné par cette plus large autonomie, qui fait partie de l'application des accords de Minsk. C'est une question qui évidemment doit être réglée dans le cadre de la décentralisation accrue. Il faut que symétriquement les Russes et les séparatistes se préparent à reconnaître la souveraineté de l'Ukraine (...).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 mars 2015