Interview de M. Thierry Mandon, secrétaire d'Etat à la Réforme de l'Etat et à la simplification, à Sud Radio le 9 mars 2015, sur le débat autour du Front national dans la campagne pour les élections départementales.

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Média : Emission La Tribune Le Point Sud Radio - Sud Radio

Texte intégral

CHRISTOPHE BORDET
Thierry MANDON, bonjour.
THIERRY MANDON, SECRETAIRE D'ETAT A LA REFORME ET A LA SIMPLIFICATION
Bonjour.
CHRISTOPHE BORDET
Merci d'être avec nous ce matin sur Sud Radio. « J'ai peur que mon pays se fracasse contre le Front national », déclaration de Manuel VALLS hier qui fait beaucoup réagir à droite comme à gauche. Le Front national est crédité de 29 à 31 % des voix, selon les sondages, au premier tour des départementales. Diaboliser le FN, est-ce la bonne solution pour le faire baisser dans les intentions de vote ?
THIERRY MANDON
Non. Je ne fédère pas le propos du Premier ministre.
CHRISTOPHE BORDET
Ah bon ?
THIERRY MANDON
Non. Quand on est Premier ministre, il y a de quoi être inquiet à la perspective de se dire que le premier parti de France, c'est le Front national. C'est quand même très ennuyeux de consacrer son temps aux affaires du pays et constater que malgré cela le Front continue à monter. Je ne pense pas que ce soit une stratégie électorale contrairement à ce qui est dit.
CHRISTOPHE BORDET
Ce n'est pas une tactique de la part du Premier ministre ?
THIERRY MANDON
Non, c'est un aveu. C'est une conviction, c'est une crainte. Est-ce qu'il doit le faire comme ça ? est-ce qu'il ne doit pas le faire comme ça ? On peut le discuter, mais c'est une crainte, c'est sa sincérité. Ce n'est pas du tout un calcul politique.
CHRISTOPHE BORDET
Et votre sentiment ?
THIERRY MANDON
Mon sentiment, c'est que le Front national va être le premier parti de France ; qu'il y a des raisons objectives qui expliquent le vote Front national ; que les gens ne votent pas Front national parce qu'ils s'égarent. Certains croient à ce qu'ils font, savent très bien ce qu'ils font. D'autres font passer un message à la classe politique en général, la gauche comme la droite. C'est ce message-là qu'il faut entendre et qu'il faut traiter. Ce n'est pas en alertant l'opinion sur les risques de la montée du Front national qu'on règlera le problème du Front national mais c'est évidemment en faisant les changements politiques et de rapports avec la société qui sont indispensables qu'on y arrivera.
CHRISTOPHE BORDET
Cela étant dit, agiter sans arrêt cet épouvantail du Front national, est-ce que ce n'est pas au final contre-productif ?
THIERRY MANDON
Il faut d'abord voir la situation politique. On n'en a pas tiré toutes les conséquences. Nous sommes entrés pour une période durable dans une vie politique tripolaire. Tous ceux qui ont vingt ou trente ans de vie politique, qui sont électeurs, qui ont connu une scène où il y avait la gauche, la droite et des alternances, tous ceux-là doivent comprendre que désormais, il y a trois grands partis et qu'aux élections européennes le Front national était en tête. Je ne sais pas si ce sera le cas dans quelques semaines aux élections départementales mais il y a une réalité politique du Front national qui fait qu'on ne peut pas faire comme si cela n'existait plus. Là, il y a une réalité. Ensuite, le débat politique ne peut pas se construire avec : « Il monte, il monte, il monte, il monte. Jusqu'où il va monter ? » Ça, c'est impossible. Encore une fois, il faut analyser.
CHRISTOPHE BORDET
Parce qu'aujourd'hui quand on regarde ce qui se passe quand même pour cette campagne des départementales, on s'aperçoit que tout tourne autour du Front national. A croire que le gouvernement et l'opposition classique ne sont pas capables de parler d'autre chose. Des vrais problèmes des gens.
THIERRY MANDON
Exactement. Il y a un problème de scène politique nationale dont le discours récurrent sur « le Front national monte » est un peu le symptôme. Quel est le problème ? Les élections départementales, c'est d'abord des élections qui vont permettre de mettre aux commandes des départements des personnes qui font gérer l'aide sociale. Vous savez que plus de la moitié du budget des départements, c'est le RSA, les handicapés, les personnes âgées, les crèches. C'est ça le vrai sujet. A qui les Français veulent-ils confier la mise en oeuvre des prestations sociales, d'une bonne partie des prestations sociales qui leur sont données ?
CHRISTOPHE BORDET
Ce serait quoi la crainte si le FN était à la tête d'un département par rapport à ces aides sociales qui sont distribuées ?
THIERRY MANDON
Le Front national refuse l'idée qu'il y ait des droits sociaux qui s'appliquent indifféremment de la personne, de ceux qui les touchent. Que vous soyez actif, que vous soyez inactif, que vous soyez de telle croyance, de telle conviction personnelle, vous avez des droits dans une société. Ces droits doivent être garantis. Il vaut mieux des partis vraiment républicains qui ne sont pas à conditionner les aides sociales à telle particularité, telle ancienneté dans la nation française, telle je ne sais pas quoi. Il faut des gens qui garantissent ces droits. Dans les départements, il vaut mieux prendre des partis politiques républicains qui garantiront les droits.
CHRISTOPHE BORDET
Tout à l'heure au début de cette interview, vous disiez quelque chose d'assez intéressant. C'était comme un aveu de –comment dire ?- pas d'échec, pas de faiblesse mais on sentait un peu le Premier ministre aux abois dans votre bouche. Vous dites la chose suivante : aujourd'hui, quand il met en garde contre le Front national, il dit : « On travaille, on travaille, on travaille et puis le Front national continue de monter. On ne sait plus quoi faire .
THIERRY MANDON
Je pense que ce n'est pas le Premier ministre. Je pense que c'est la vie politique traditionnelle qui doit s'interroger sur le fait qu'en effet, on ne répond pas aux angoisses, aux craintes, aux peurs d'une grande partie de la société française. On ne parle plus de quelques unités de pourcent. On parle dans certains départements, dans certains secteurs de France, de quarante, cinquante pourcent des Français. Pourquoi on n'y répond pas d'abord ? Parce qu'on entend mal. C'est ce qui nous est dit par ces Français.
CHRISTOPHE BORDET
Exemple ?
THIERRY MANDON
Tous les électeurs du Front national ne sont pas des racistes. Le Front national a des thèses qui, de mon point de vue, sont des thèses absolument inacceptables vis-à-vis des étrangers ou même vis-à-vis de ceux qui sont Français.
CHRISTOPHE BORDET
Il y a un pourcentage de racistes dans les électeurs du FN d'ailleurs, Thierry MANDON ?
THIERRY MANDON
D'après les sondages, oui. D'après les sondages, parmi les électeurs du Front national, il y a des gens qui ont au minimum une crainte voire un rejet de l'étranger, mais tous ne le sont pas. En revanche, c'est des gens qui s'interrogent sur le fait que dans des villes, il y a des quartiers où la concentration de misère, la concentration de population étrangère est importante. Que dans des territoires ruraux, les gens se sentent complètement abandonnés ; que l'Etat et les services publics ferment ; que l'Etat disparaît. Ces craintes-là, c'est des craintes objectives et réelles qu'il faut entendre.
CHRISTOPHE BORDET
D'ailleurs, ce ne sont même pas des craintes : ce sont des réalités.
THIERRY MANDON
Mais c'est des réalités !
CHRISTOPHE BORDET
A qui la faute ? A qui la faute depuis trente ans ?
THIERRY MANDON
Et le chômage de longue durée. La faute, c'est probablement que la classe politique traditionnelle sous-estime la nécessité de réforme de grande ampleur sur le plan économique, sur le plan social et sur le plan démocratique pour répondre à cette crainte, cette parole qui finalement ne s'exprime pas des électeurs Front national, sauf le soir des élections où là, pour le coup, il font passer une sorte de coup de pied, un message très fort à la classe politique. Il y a un besoin de réforme. C'est ça le sujet.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 16 mars 2015